J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (cahier 1) : 721-724.
Fait clinique Les lymphomes malins non-hodgkiniens primitifs du sein À propos de deux cas R. Fatnassi*, I. Bellara** * Service de Gynécologie Obstétrique, Hôpital Ibn El Jazzar, 3140 Kairouan, Tunisie. ** Service de Radiologie, CHU F. Hached, Sousse, Tunisie. RÉSUMÉ Les lymphomes malins non-hodgkiniens (LNH) représentent 0,04 à 0,53 % de tous les cancers du sein. Les objectifs de cet article sont de discuter des aspects cliniques et des modalités thérapeutiques de cette affection. Nous rapportons deux cas de LNH primitifs du sein chez deux patientes âgées de 37 et 57 ans, révélés par des nodules mammaires. La mammographie a évoqué un kyste bénin. Le diagnostic de LNH n’a été fait qu’après examen histologique des biopsies tumorales. Sous chimiothérapie, l’évolution était favorable avec un recul respectif de 29 et 52 mois. Il s’agit d’une tumeur rare. Le diagnostic est essentiellement histologique. La chimiothérapie est le principal moyen thérapeutique. Mots-clés : Cancer du sein • Lymphome • Chimiothérapie. SUMMARY: Primary non-hodgkinian’s lymphomas of the breast: report of two cases. Non-hodgkinian’s lymphoma (NHL) represents 0.04 to 0.53% of all breast cancers. The clinical aspects and therapeutic models of the disease are a subject of debate. We report two cases of primary non-hodgkinian’s lymphoma of the breast in two patients aged respectively 37 and 57 years. The disease was revealed by breast nodules. Mammography demonstrated a benign cyst. The diagnosis of non-hodgkinian’s lymphoma was confirmed on histological examination of tumor biopsies. With chemotherapy, the course was favorable with 29 and 52 months follow-up respectively. This is rare tumor. The diagnosis is mainly histological. Chemotherapy is the principal therapeutic method. Key words: Breast cancer • Lymphoma • Chemotherapy.
Les localisations mammaires des lymphomes malins non-hodgkiniens (LNH) s’observent habituellement à la phase de dissémination de la maladie. L’atteinte primitive du sein est rare, elle représente moins de 0,5 % de tous les cancers du sein [1, 2]. Nous rapportons deux nouvelles observations de LNH à localisation mammaire primitive et à cette occasion nous discuterons les aspects épidémiologiques, radiologiques, cliniques et thérapeutiques de la maladie. OBSERVATIONS Cas n° 1 Mme A.Z., âgée de 37 ans, 5e geste, 4e pare, enceinte à 32 semaines d’aménorrhée, consulte pour un nodule du sein
gauche d’apparition récente et à croissance rapide. À l’examen, on note un bon état général, présence d’un nodule du sein de 6 cm de grand axe au niveau du quadrant supérointerne, bien limité, mobile par rapport aux deux plans. Il n’y a ni anomalie cutanée ni adénopathie axillaire, le reste de l’examen physique est normal en particulier pas de viscéromégalie, et les aires ganglionnaires sont libres. L’échographie obstétricale a montré une grossesse mono-fœtale évolutive eutrophique pour son terme. La mammographie (fig. 1) a montré une opacité polylobée, dense homogène, bien limitée et l’absence de microcalcifications. Le complément échographique (fig. 2) est en faveur d’un kyste complexe du sein gauche. La malade a bénéficié d’une biopsie exérèse. L’examen histologique montrait la présence d’une prolifération lymphomateuse diffuse faite de grandes cellules de type immunoblastes et centroblastes mêlées à quelques centrocytes. L’index mitotique est élevé avec au maximum 6 mitoses par 10 champs au fort grossissement. À l’étude immuno-histochimique, les cellules tumorales expriment le LCA (Antigène leucocytaire commun) et le CD20 (marqueur lymphoïde B), mais
Tirés à part : R. Fatnassi, à l’adresse ci-dessus. Reçu le 12 janvier 2005. Avis du Comité de Lecture le 16 février 2005. Définitivement accepté le 12 avril 2005.
© MASSON, Paris, 2005.
R. Fatnassi, I. Bellara
Cas n° 2
Figure 1
Mammographie montrant le lymphome sous forme d’une opacité homogène, polylobée, bien limitée. Mammography showing the lymphoma: a homogeneous polylobed well-limited opacity.
Mme Z.A., âgée de 57 ans, ménopausée depuis 4 ans, multipare, sans antécédents particuliers notables, consulte pour un nodule du sein droit évoluant depuis deux mois. L’examen physique retrouve une patiente en bon état général, présence d’un nodule de 5 cm de diamètre. Il siège au niveau du quadrant supéro-externe du sein droit. Il est mobile par rapport au plan profond et adhère au plan cutané avec rétraction du mamelon. On note par ailleurs une adénopathie axillaire droite mobile. Le sein gauche est sans lésion particulière. Le reste de l’examen est normal en particulier pas d’hépatomégalie ni de splénomégalie. La patiente a bénéficié d’une exérèse de la tumeur. L’examen extemporané du nodule tumoral est en faveur d’un carcinome médullaire ou un lymphome malin non-hodgkinien. Une mastectomie de type Patey était pratiquée. L’examen histologique de la pièce montre la présence d’une prolifération de cellules lymphomateuses le plus souvent de grande taille (fig. 3) de type immunoblastique ou centroblastique. À l’étude immuno-histochimique, les cellules tumorales expriment le CLA (fig. 4) le CD20, les cellules tumorales sont négatives pour le CD 3 la cytokératine et l’EMA (antigène épithélial membranaire). Un bilan d’extension comportant une TDM thoraco-abdominale, une échographie abdominale et une biopsie ostéo-médullaire s’est révélé négatif. La patiente a bénéficié d’une chimiothérapie à base de Cyclophosphamide®, Epirubicine®, Oncovin®, Prednisone® et une radiothérapie locale. Une rémission complète a été constatée à 52 mois du traitement.
DISCUSSION
Figure 2
Aspect échographique du lymphome : formation kystique multi-cloisonnée, bien limitée à paroi épaisse à contenu trans-sonore. Echographic aspect of lymphoma: a cystic multiseptate well-limited formation which has a thick wall and a transonorous content.
elles sont négatives pour le CD3 (marqueur lymphoïde T) et la cytokératine. La patiente est perdue de vue pendant 2 mois (accouchement et post-partum). L’examen physique de contrôle découvre une récidive tumorale locale mammaire de 5 cm et l’apparition de deux adénopathies axillaires homolatérales ainsi qu’une adénopathie cervicale sous mandibulaire droite de 3 cm. Le bilan d’extension, comportant une radiographie thoracique, une échographie abdominale et un scanner thoraco-abdominal, s’est révélé négatif. La patiente a bénéficié d’une polychimiothérapie comportant : Adriamycine® 75 mg/m2 à J1, Endoxan® 1,2 g à J1, Oncovin® 2 mg à J1 et J5, Bléomycine® 10 mg à J1 et J5, Prednisone® 60 mg/m2 à J1 et J5 à raison d’une cure tous les 15 jours, avec un total de quatre cures. Une rémission complète a été constatée à vingt-neuf mois du traitement.
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Les lymphomes malins non-hodgkiniens (LNH) primitifs du sein sont rares. Leur fréquence est estimée de 0,04 à 0,53 % de tous les cancers du sein et 2,2 % des LNH extra-nodaux [1, 2]. Cette néoplasie touche généralement la femme ; cependant, des cas chez l’homme ont été rapportés [1-3]. Toutes les tranches d’âge sont concernées, deux pics de fréquence sont constatés : un premier pic chez la femme jeune en âge de procréation souvent au cours d’une grossesse (cas n° 1) ; le second pic est plus important, il se situe entre 50 et 60 ans et de pronostic plus favorable. L’atteinte est souvent unilatérale [3, 4]. Cependant, la bilatéralité est possible et peut être soit synchrone dans 13 % des cas, soit métachrone dans 9 % des cas [2, 3]. La symptomatologie clinique est réduite à un nodule mammaire comme c’était le cas de nos deux observations. Il s’agit le plus souvent d’un nodule unique, volumineux, bien limité sans phénomène inflammatoire associé [1, 5, 6]. Plus rarement, il peut s’agit d’une tumeur inflammatoire du sein simulant une mastite carcinomateuse. Les adénopathies axillaires, constamment retrouvées chez nos malades devraient faire suspecter le
© MASSON, Paris, 2005.
Fait clinique • Les lymphomes malins non-hodgkiniens primitifs du sein
Figure 3
Prolifération lymphomateuse à grandes cellules, à gauche : parenchyme mammaire normal (G × 40). A lymphomatous proliferation with giant cells. At the left: normal breast parenchyma (original magnification × 40).
diagnostic de LNH chaque fois qu’elles sont volumineuses ou lorsqu’elles intéressent des aires ganglionnaires inhabituelles pour l’extension lymphatique d’un cancer du sein [3] telle que la localisation cervicale sous mandibulaire chez l’une de nos patiente. La mammographie systématiquement réalisée devant tout nodule du sein est non spécifique. En effet, cet examen est souvent trompeur [1, 4]. Différents aspects sont retrouvés : — une opacité opaque, homogène, ronde ou polycyclique évoquant un kyste, un fibro-adénome ou une tumeur phyllode. Rarement, on note un aspect franchement suspect de malignité, mais il n’y a jamais d’opacité stellaire ni de microcalcifications [1, 5] ; — de multiple opacités contiguës simulant une mastopathie fibrokystique ; — rarement, aspect inflammatoire caractérisé par une augmentation de la densité globale du sein avec épaississement cutané simulant une mastite. C’est souvent cette discordance radio-clinique qui doit faire penser au diagnostic. Le complément échographique des lésions trouve le plus souvent une lésion hypo-échogène, homogène à contours nets et réguliers. Rarement un syndrome inflammatoire échographique est constaté [2]. Quant à L’IRM mammaire, elle s’est imposée de nos jours comme le moyen d’exploration à réaliser de deuxième intention, dans le but de découvrir des lésions multiples ou bilatérales. L’aspect en IRM est également non spécifique. Il s’agit le plus souvent d’un nodule en discret hyposignal T1, qui s’entoure
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 34, n° 7, cahier 1, 2005
Figure 4
Immuno-marquage diffuse des cellules tumorales par l’anticorps anti-LCA (antigène leucocytaire commun) (G × 40). A diffused immunolabeling of the tumor cells with antiCLA (Common Leucocyte Antigen) antibodies (original magnification × 40).
en T2 d’une couronne hyperintense et qui prend le gadolinium après injection. La cytoponction permet d’évoquer le diagnostic devant la présence de lymphocytes anormaux mais sans pouvoir l’affirmer [1, 4, 5]. Seul l’examen histologique de la pièce opératoire, de préférence par la ponction biopsie écho-guidée permet d’affirmer le diagnostic de LNH [7]. Une fois que le diagnostic est porté, un bilan d’extension soigneux s’impose comportant une tomodensitométrie (thoraco-abdominale, une échographie abdominale et une biopsie ostéomédullaire) pour éliminer une localisation secondaire. Généralement, le diagnostic de LNH est facile, mais toujours est-il que certains points méritent d’être soulignés : — le lymphome mammaire n’offre aucune particularité histologique du fait de sa localisation ; — l’étude extemporanée de la pièce opératoire comporte un risque d’erreur important [8] ; — la mastectomie d’emblée est à éviter. Parfois l’anatomo-pathologiste est confronté à des difficultés diagnostiques surtout à l’examen extemporané, ainsi le diagnostic différentiel peut se poser avec les carcinomes anaplasiques ou le carcinomes médullaires, mais dans ces cas le recours à l’immunohistochimie permet de trancher devant l’absence d’expression des marqueurs épithéliaux (EMA, cytokératine) et l’immuno-expression des marqueurs lymphoïdes [2, 5, 9].
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Sur le plan thérapeutique, il n’existe pas de stratégie thérapeutique univoque, mais il est établi que la place de la chirurgie est très réduite. La tendance actuelle est de traiter les LNH du sein de la même façon que les autres localisations lymphomateuses. Cette attitude dépend du stade évolutif et du grade histologique [1, 3, 5] : — pour les LNH de bas grade de malignité, certains proposent une radiothérapie exclusive dans les lymphomes très limités [1, 3]. Actuellement, la majorité des auteurs préconisent une chimiothérapie à base d’Endoxan®, Oncovin® et Prednisone®. — pour les LNH de haut grade de malignité ou a malignité intermédiaire, la majorité des auteurs préconisent une polychimiothérapie seule [1-5] ou associée à une immunothérapie par anticorps anti CD20. L’association de référence comporte : Adriamycine®, Cyclophosphamide®, Vincristine® et Prednisone®. Quant au pronostic, la plupart des auteurs considèrent que le pronostic est en fonction du stade clinique et du grade histologique [3, 4, 5, 8]. D’autres, considèrent que la bilatéralité et le type histologique sont des facteurs pronostiques. Contrairement aux autres cancers du sein, le caractère péjoratif de l’aspect clinique de la poussée évolutive ne peut être retenu dans les LNH [3, 5]. CONCLUSION
Les lymphomes malins primitifs du sein sont rares : 0,04 à 0,53 % de tous les cancers du sein. Leur
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symptomatologie clinique est polymorphe. L’imagerie médicale est non spécifique. Le diagnostic peut être évoqué à l’examen cytologique, sa confirmation est toujours histologique. La survenue d’un LNH impose un bilan d’extension soigneux. Le pronostic et le traitement rejoignent ceux des autres localisations lymphomateuses. RÉFÉRENCES 1. Pautier P, Brice P, Marolleau JP, Gisselbrecht C. Localisations mammaires des hémopathies. In : Espie M, Andre G. Le sein. Eska, 1999, p. 568-576. 2. Chahtane A, Ferhati D, Jirari A, Bayada A, Lakhdar A, Rahrab B et al. Lymphomes malins non-hodgkiniens à localisation mammaire primitive : à propos de deux cas. Rev Fr Gynecol Obstet 1992; 87: 79-84. 3. Abbes M, Persch M, Bougain A, Schneider M, Thyss A, Hery M et al. Localisation mammaire primitive des lymphomes malins non-hodgkiniens. J Radiol 1992; 73: 461-5. 4. Royer B, Briere J. Lymphomes malins non Hodgkiniens primitifs du sein. Arch Anat Cytol 1995; 43: 77-81. 5. Meyer JE, Kopans DB, Long JC. Mammographic appeareance of malignant lymphoma of the breast. Radiology 1980; 135: 623-6. 6. Hannachi SS, Mrad K, Rameh S, Dhouib R, Bougrine F, Driss M et al. Le lymphome malin non-hodgkiniens primitif du sein. Maghreb Med 2000; 344: 46-7. 7. Trojani M, Mongodin B, Seniuta P, Eghbali H, Mascarel I, Coindre JM. Le lymphome malin non-hodgkinien primitif du sein. Étude de cinq cas. Ann Pathol 1990; 10: 28-33. 8. Cohen PL, Brooks JJ. Lymphomas of the breast. A clinicopathologic and immunohistochemical study of primary and secondary cases. Cancer 1990; 67: 1360-9. 9. Mattia AR, Ferry JA, Harris NL. Breast lymphomas: AB-cell spectrum including the low grade B-cell lymphoma of mucosa associated lymphoid tissue. Am J Surg Pathol 1993; 17: 574-86.
© MASSON, Paris, 2005.