Les maladies héréditaires du métabolisme en Tunisie: défis, acquis, espoirs

Les maladies héréditaires du métabolisme en Tunisie: défis, acquis, espoirs

Table ronde Maladies rares autour de la Méditerranée (APLF) Les maladies héréditaires du métabolisme en Tunisie : défis, acquis, espoirs M.-F. Ben D...

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Table ronde

Maladies rares autour de la Méditerranée (APLF)

Les maladies héréditaires du métabolisme en Tunisie : défis, acquis, espoirs M.-F. Ben Dridi*, H. Ben Turkia, H. Azzouz, A. Ben Chehida, R. Ben Abdelaziz, N. Tebib hôpital La Rabta , 1007 Jebbari, Tunis, Tunisie

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a préoccupation portée aux enfants atteints de maladies héréditaires du métabolisme (MHM) constituait bien un défi dans le contexte tunisien des années 1980. Si la malnutrition sévère avait disparu ainsi que certaines maladies infectieuses, le taux de mortalité infantile était en 1985 encore à 51,4 pour 1 000 naissances vivantes (NV). Le choix des priorités était difficile, souvent guidé par les programmes de l’OMS. Des programmes nationaux très pertinents se sont mis en place : lutte contre la diarrhée aiguë, lutte contre l’insuffisance respiratoire aiguë, optimisation de la couverture vaccinale, suivi de la croissance. Parallèlement à ces priorités, d’autres problèmes de santé étaient préoccupants comme la constatation de la survenue au sein de mêmes familles de décès précoces, d’encéphalopathies progressives, de handicaps multiples. Le clinicien, confronté à ces familles désespérées, disposait de peu de moyens diagnostiques et d’une formation académique inappropriée pour résoudre ces problèmes. Le taux de consanguinité élevé à 32 %, l’absence de dépistage systématique néonatal, expliquaient que ces situations étaient loin d’être rares et demandaient à être résolues. En 1987, l’acquisition d’un chromatographe AA/AO a permis la mise en place successive de 2 projets de coopération DGRST/ INSERM : le dépistage orienté et la prise en charge des amino-acidopathies (AA) et des aciduries organiques (AO), puis la mise en place du dépistage néonatal systématique des hyperphénylalaninémies en Tunisie et leur prise en charge. Les maladies de surcharge lysosomale étaient régulièrement dépistées par le concours des laboratoires étrangers. La constatation que ces maladies n’étaient pas si rares mais bien orphelines impliqua la nécessité de former des professionnels spécialisés, de sensibiliser les médecins et les autorités au dépistage et à la prise en charge précoce, de développer le plateau technique, d’estimer la fréquence, de traiter les malades et d’étudier l’histoire naturelle et les spécificités de ces maladies. Par la formation auprès des services spécialisés parisiens, un pôle de référence s’est progressivement constitué à l’hôpital La Rabta de Tunis composé actuellement de 6 pédiatres métaboliciens, 4 nutritionnistes, 2 biologistes, 5 techniciens supérieurs, et un deuxième pôle à Sousse-Monastir composé de 2 pédiatres métaboliciens, 2 biologistes. Une collaboration fructueuse s’est établie avec les généticiens, les neuropédiatres et les neuroradiologues du nord, du centre et du sud du pays. La

*Correspondance : [email protected]

sensibilisation des médecins et des autorités au dépistage et à la prise en charge précoce a débuté dans les années 1990 par la tenue régulière d’« Ecoles métaboliques » et de « Journées PCU (Phénylcétonurie) », un Diplôme universitaire MHM vient d’être instauré. L’Association Tunisienne d’Etude des Maladies Métaboliques Héréditaires du Métabolisme créée en 2004 représente, outre ses prérogatives, l’organisme officiel auprès des autorités de tutelle. Deux associations de parents : « VML (Vaincre les maladies lysosomales) Tunisie, main dans la main », « Association PCU » se sont constituées. Le plateau technique a évolué très lentement. L’ammoniémie et la lactacidémie sont pratiquées dans un seul centre hospitalier. Peuvent être réalisés : la chromatographie en couche mince des acides aminés, la chromatographie CG/SM des acides organiques, le dosage quantitatif de la phénylalanine, l’homocystéine, le succinylacétone, la carnitine, la créatine, les acides gras à très longues chaînes. Les explorations fonctionnelles permettent d’orienter le diagnostic vers des anomalies des hydrates de carbone et de la chaîne respiratoire. Le dosage enzymatique est possible pour la galactosémie, la maladie de Gaucher, la mucopolysaccharidose de type 1 et la leucodystrophie métachromatique ainsi que le screening urinaire des mucopolysaccharidoses (MPS) et des oligosaccharidoses (OS). La biologie moléculaire permet le diagnostic de la glycogénose I et III, l’acidurie argino-succinique, l’intolérance aux protéines di-basiques. Les mutations les plus fréquentes pour la maladie de Gaucher et la MPS I peuvent être caractérisées. L’estimation de la fréquence des pathologies permet de mesurer l’ampleur du problème de santé. La Tunisie, de part sa géographie et son histoire a été sillonnée par des populations différentes. Le fonctionnement social favorise la consanguinité, celle-ci peut atteindre 50 à 90 % selon la pathologie. Selon les données (1987-2014) du laboratoire de biochimie de référence, il a été dépisté 496 aminoacidopathies (AA) et 247 acidémies organiques (AO). Les AA les plus fréquentes sont la phénylcétonurie (39 %), la leucinose (16 %), la tyrosinémie (15 %) et l’hyperglycinémie sans cétose (9 %). Les AO les plus fréquentes sont l’acidurie méthylmalonique (33 %), l’acidurie propionique (18  %) et l’acidurie isovalérique (5 %). La fréquence de la phénylcétonurie oscillerait entre 1/3 300 et 1/7 000 naissances vivantes (NV) contre 1/10 148 en France. Les études multicentriques ont permis de dénombrer 96 cas de MPS avec une fréquence du type IV (1/81 000 NV). L’étude de l’histoire naturelle de 34 cas de maladie de Niemann-

3 © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2015;22(HS2):3-4

M.-F. Ben Dridi et al.

Pick B a permis d’établir une prévalence à 0,5 pour 105 naissances vivantes. La mise en place du registre national de la maladie de Gaucher (105 cas) montre une répartition des types 1,2 et 3 respectivement de 61 %, 24 %,15 %, différente de celle du registre mondial (92 %, 1 %, 7 %) et du registre français (77 %,5 %, 3,5 %). Le suivi des patients se fait essentiellement dans l’unité des MHM du service de pédiatrie générale de l’hôpital La Rabta à Tunis composée de 17 lits. Sont admis 50 à 60 nouveaux cas par an. La prise en charge est fonction des traitements pouvant être pris en charge par la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et l’affiliation ou non des patients. Pour les patients atteints de MHM du métabolisme intermédiaire, sont disponibles les mixtures d’acides aminés, certains médicaments spécifiques : Orfadin (NTBC), Cystadane, Carnitine, Citrulline, Arginine, la nutrition entérale à débit constant à domicile. Les aliments hypoprotidiques ne sont pas pris en charge. Chaque patient bénéficie d’une prise en charge diététique, les régimes sont adaptés aux habitudes alimentaires et aux possibilités des familles. Des ateliers éducatifs sont régulièrement dispensés. La formation des nutritionnistes, leur créativité et celle des mamans ont permis d’élaborer un livre de recettes (dont un couscous hypoprotidique à partir de maïzena). Des livrets éducatifs pour la PCU et la tyrosinémie ont été établis. Ainsi sont traités dans cette unité : 72 patients atteints de PCU, 30 de tyrosinémie, 63 d’acidurie organique, 51 de glycogénose I, 45 de glycogénose III, 11 d’anomalie du cycle de l’urée, 54 de cytopathie mitochondriale. Pour les maladies de surcharge lysosomale, le problème est plus complexe. Vu le coût, l’enzymothérapie de substitution et les réducteurs de substrat ne sont pas pris en charge, seuls les patients ayant participé à un essai clinique sont traités à titre compassionnel. La greffe de moelle osseuse est actuellement la seule possibilité thérapeutique. Quelques patients atteints de maladie de Gaucher et de MPS I ont pu en bénéficier. La prise en charge motrice, sensorielle et mentale se

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fait en coordination avec des personnes compétentes identifiées, une consultation multidisciplinaire est en voie d’organisation. Ainsi sont suivis dans cette unité 105 patients atteints de MPS, 50 patients atteints d’OS, 30 patients atteints de maladie de Niemann-Pick, 80 patients atteints de maladie de Gaucher. Pour les maladies difficilement traitables ou intraitables, le diagnostic prénatal est proposé, il a été effectué pour une centaine de patients. L’intérêt et le développement portés aux MHM ont suscité la création en 2004 d’une unité de recherche, devenue laboratoire depuis 2014 (LR12SPO2). Les acquis sont certes importants : expertise clinique, diagnostic et accessibilité au traitement d’un nombre non négligeable de pathologies ; registre national de la maladie de Gaucher ; profil clinique et mutationnel de certaines affections. Les constatations montrent de nombreuses insuffisances, sources de mortalité et de handicap : absence de dépistage systématique néonatal, diagnostic et prise en charge tardifs, insuffisance du plateau technique, absence de certains traitements, difficulté dans la réhabilitation, absence de réseau à l’échelle nationale et maghrébine, frustration des parents et du personnel soignant, budget limité pour le développement de la recherche. Le taux de mortalité infantile en Tunisie a nettement diminué, il est de 16,7 pour 1 000 NV (MICS4). Les priorités ont évolué. Un programme de dépistage et de prise en charge précoce du handicap en Tunisie permettrait d’inclure l’investigation et la prise en charge des MHM.

Références Les références complètes peuvent être obtenues sur demande auprès de l’auteur.