Les micronoyaux, un biomarqueur de susceptibilité ?

Les micronoyaux, un biomarqueur de susceptibilité ?

Mise au point T. Orsie ` re*, G. Iarmarcovai, A. Botta Laboratoire bioge´notoxicologie et mutagene`se environnementale (EA 1784-IFR PMSE 112), facult...

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Mise au point T. Orsie ` re*, G. Iarmarcovai, A. Botta Laboratoire bioge´notoxicologie et mutagene`se environnementale (EA 1784-IFR PMSE 112), faculte´ de me´decine, universite´ de la Me´diterrane´e, 27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 05, France

Les micronoyaux, un biomarqueur de susceptibilite´ ? Are micronuclei a biomarker of susceptibility?

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www.sciencedirect.com

Summary

Re´sume´

Aim of the study. The impact of environments, occupational or not, in carcinogenesis is better established. The actions of environmental agents are better understood in the initiation, promotion and progression of environmental cancers, and thus the role of genotoxic agents is well defined. The aim of the present review was to revisit the use of the micronucleus assay in the biomonitoring of populations occupationally exposed to carcinogens and to discuss its significance in terms of prevention/prediction/susceptibility of the carcinogenic risk. Method. To reach this goal, we used published data and examples from our personal experience. The current concept of environmentally-induced carcinogenesis are briefly described. We then discussed about the links between micronuclei and carcinogen exposure, and micronuclei and cancer risk. Results. Occupational cancers can be prevented by using monitoring biomarkers, such as the micronucleus test on peripheral binucleated lymphocytes in culture. This test, used for more than 20 years in biomonitoring studies, has recently been examined by the ‘‘human micronucleus (HUMN) project’’. Its sources of variability are better established, and it has been shown that a high frequency of micronuclei was associated with an increased risk of cancer, independently of the exposure. Conclusion. In conclusion, it seems that the micronucleus test gives insight into interindividual differences in response to a genotoxic exposure and should be included among the biomarkers of susceptibility to cancer. ß 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Objectif. La participation des environnements, professionnels ou non, dans le processus de cance´rogene`se est de mieux en mieux e´tablie. La meilleure connaissance de l’implication des agents environnementaux et de leurs diffe´rents modes d’action dans les e´tapes d’initiation, de promotion, puis de progression pre´cise le roˆle des agents ge´notoxiques dans la survenue de cancers a` participation environnementale. L’objectif de notre synthe`se est de reconside´rer l’application du test des micronoyaux a` la surveillance biologique des expositions professionnelles a` des environnements potentiellement cance´roge`nes et de repre´ciser la situation de ce test en termes de pre´vention/pre´diction/susceptibilite´ du risque cance´roge`ne. Me´thode. Nous avons utilise´ les donne´es les plus re´centes de la litte´rature afin de rappeler dans un premier temps les connaissances les plus actuelles en terme de cance´rogene`se a` participation environnementale, et de resituer le test des micronoyaux au regard de son association avec l’exposition a` des agents cance´roge`nes et avec le risque de cancer. Re´sultats. Le recours a` des biomarqueurs dans une strate´gie raisonne´e de pre´vention des cancers professionnels fait souvent appel au test des micronoyaux re´alise´ sur des lymphocytes pe´riphe´riques binucle´e´s en culture. Ce test, employe´ depuis plus de 20 ans dans de nombreuses e´tudes de biosurveillance, a re´cemment fait l’objet d’une analyse approfondie dans le cadre du human micronucleus (HUMN) project. Ses sources de variabilite´ sont de mieux en mieux e´tablies, et il a e´te´ re´cemment de´montre´ qu’une fre´quence e´leve´e de micronoyaux e´tait associe´e a` un risque accru de cancer, inde´pendamment de l’exposition. Conclusion. En conclusion, il semblerait que les micronoyaux soient davantage un biomarqueur capable de rendre compte de diffe´rences interindividuelles dans la re´ponse a` une exposition

Keywords: Biomarkers, Genotoxicity, Cancer risk, Genetic polymorphism

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

475 1775-8785/$ - see front matter ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2008.02.002 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2008;69:475-484

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ge´notoxique et se situerait davantage parmi les biomarqueurs de susceptibilite´ au cancer. ß 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Biomarqueurs, Ge´notoxicite´, Risque cance´roge`ne, Polymorphisme ge´ne´tique

L

a complexite´ des processus de cance´rogene`se est telle que la pre´vention des cancers est un ve´ritable de´fi. Les facteurs qui influencent son apparition sont tre`s nombreux et de nature bien diffe´rente, allant des pre´dispositions ge´ne´tiques a` l’exposition a` des produits cance´roge`nes en passant par le mode de vie et l’e´tat de sante´ ge´ne´ral. Les liens entre cancer et environnements, professionnels ou non, sont difficiles a` e´tablir, en partie a` cause de la multitude des facteurs et de leur omnipre´sence dans toutes les sphe`res de nos vies. L’origine professionnelle des cancers est fortement suspecte´e dans 4 a` 8,5 % des cas. Les diffe´rences observe´es en terme d’espe´rance de vie et de risque de cancer entre les diffe´rentes cate´gories socioprofessionnelles tendent a` suspecter, outre des modes de vie sensiblement diffe´rents, que les expositions professionnelles participent a` l’augmentation de l’incidence de cancer. De manie`re concomitante, divers tests de mutagene`se ont e´te´ applique´s a` la surveillance biologique de populations professionnellement expose´es a` des agents ge´notoxiques potentiellement cance´roge`nes, s’inscrivant ainsi, dans une nouvelle discipline : l’e´pide´miologie mole´culaire. Les micronoyaux (MN) figurent a` l’heure actuelle en bonne place parmi les biomarqueurs applique´s dans de nombreuses situations a` risque de cancer, parmi lesquelles les expositions professionnelles [1].

Cancers et environnement La cance´rogene`se a` participation environnementale La cance´rogene`se a` participation environnementale est un processus multie´ve´nementiel particulie`rement complexe. Les donne´es biologiques et e´pide´miologiques actuelles montrent que divers e´ve´nements concourent a` la survenue d’un processus cance´roge`ne. Ainsi, il est commode de distinguer les e´tapes d’initiation, de promotion et de progression [2]. L’initiation est le re´sultat d’une ou plusieurs alte´rations du ge´nome fre´quemment provoque´es par des agents ge´notoxiques endoge`nes (parmi lesquels les espe`ces re´actives de l’oxyge`ne induit par la respiration) ou exoge`nes, de nature physique, chimique ou biologique : ces agents sont des 476

initiateurs et, en conse´quence, des cance´roge`nes potentiels. Nombre d’entre eux (radiations ionisantes, amines aromatiques, hydrocarbures aromatiques polycycliques [HAP], me´taux lourds, etc.) sont re´gulie`rement retrouve´s dans les environnements professionnels. Les initiateurs cre´ent des le´sions de l’ADN qui provoquent plusieurs re´ponses physiologiques. Au niveau cellulaire tout d’abord, une diversite´ de re´ponses survient en fonction de l’intensite´ des dommages de l’ADN et de leur soudainete´. Ces re´ponses sont, essentiellement, des controˆles de l’expression de ge`nes et de la prolife´ration cellulaire, la mise en œuvre des syste`mes de re´paration de l’ADN, et la mise en jeu du processus apoptotique lorsqu’il n’apparaıˆt pas possible de restaurer l’inte´grite´ du patrimoine ge´ne´tique et lorsqu’une suffisamment petite proportion de cellules au sein du tissu ou de l’organe est alte´re´e ; dans le cas contraire, l’organisme se trouve face a` un risque a` court terme et privile´gie les re´parations fautives [3]. Par ailleurs, il existe des re´ponses tissulaires controˆlant la prolife´ration cellulaire de cellules initie´es : les syste`mes de communication et de signalisation intercellulaires. Ces syste`mes, similaires a` ceux qui ope`rent au cours de l’embryogene`se, jouent un roˆle important dans l’e´limination des cellules initie´es. De`s lors, la qualite´ du microenvironnement et l’inte´grite´ des cellules avoisinantes sont des parame`tres essentiels a` l’e´limination ou a` la quiescence des cellules initie´es. Ces fonctions physiologiques re´pondant au stress ge´notoxique sont extreˆmement performantes puisqu’elles permettent quotidiennement la re´paration efficace des milliers de le´sions de l’ADN, dont une dizaine de cassures double brin, provoque´es par les agents endoge`nes [3]. Un processus cance´roge`ne n’est alors probable, conse´cutivement a` un stress ge´notoxique, que lorsque celui-ci est intense ou si le tissu est ensuite de´sorganise´ du fait d’une inflammation re´pe´te´e, par exemple. En effet, l’e´tape de mutation initiale est alors suivie des e´tapes de promotion et de progression. La promotion consiste en la prolife´ration d’une ou plusieurs cellules initie´es et peut eˆtre induite par une irritation locale, par l’action d’un agent toxique tuant des cellules au sein du tissu comportant une ou quelques cellules initie´es ou par des agents stimulant la prolife´ration cellulaire, tels que les hormones, par exemple.

Les micronoyaux, un biomarqueur de susceptibilite´ ?

Pour autant, une tumeur humaine est monoclonale, ce qui signifie que toutes ses cellules ont pour anceˆtre la meˆme cellule, qui a e´te´ initie´e [3]. Au cours de la croissance tumorale, l’instabilite´ ge´ne´tique s’installe, favorisant l’e´mergence de sous-clones pre´dominants parce qu’ils sont plus prolife´ratifs et de caracte`re malin plus marque´. L’e´mergence de ces sous-clones susceptibles de conduire jusqu’a` la disse´mination me´tastatique repre´sente la troisie`me et dernie`re e´tape du processus cance´roge`ne : la progression. Le fait que les tumeurs humaines soient monoclonales de´montre l’importance de certaines mutations initiales et demande que l’on s’inte´resse au risque mutage`ne, par ailleurs re´cemment inte´gre´ dans le cadre du de´cret cance´roge`ne–mutage`ne– toxique pour la reproduction (CMR), car il est directement associable au risque cance´roge`ne.

Pre´vention des cancers professionnels et biomarqueurs La pre´vention du risque cance´roge`ne est une pre´occupation particulie`rement importante en me´decine du travail. Sa mise en œuvre demeure de´licate, car l’appre´ciation de ce risque doit prendre en compte la chronicite´ d’expositions multiples et complexes. En effet, on peut conside´rer aujourd’hui qu’il y a lieu de tenir compte de l’exposition aux agents initiateurs, mais e´galement aux agents promoteurs, sans lesquels la probabilite´ qu’une cellule initie´e s’engage dans un processus cance´roge`ne est tre`s faible. Certains agents, les HAP ou des me´langes complexes, tels que la fume´e de tabac, sont a` la fois des agents initiateurs et promoteurs. De ce fait, les mesures atmosphe´riques pe´riodiques de tel ou tel agent chimique ou physique ne peuvent que partiellement appre´cier le risque cance´roge`ne d’un environnement professionnel complexe. Il apparaıˆt donc inte´ressant, dans une de´marche raisonne´e de pre´vention, et de fac¸on comple´mentaire aux autres approches, de de´tecter aussi pre´cocement que possible l’exposition a` des agents ge´notoxiques et/ou les premiers effets de celle-ci, conse´cutifs a` une interaction avec le mate´riel ge´ne´tique des individus [4].

E´pide´miologie mole´culaire des cancers et biomarqueurs Un lien de causalite´ entre l’exposition a` un environnement et la production d’un cancer est extreˆmement difficile a` e´tablir, en raison, notamment :  du temps de latence de l’apparition de la maladie ;  des incertitudes sur un seuil d’action cance ´ roge`ne (effets des tre`s faibles doses re´pe´te´es ?)

 de l’implication forte de l’he ´ re´dite´ et de phe´nome`nes associe´s acquis ;  d’interactions multiples entre les divers composants de l’environnement auquel un individu est expose´ au cours de sa vie personnelle et professionnelle. Ne´anmoins, un nouvel axe de recherche d’identification de biomarqueurs de risque de cancer s’est mis en place au cours des deux dernie`res de´cennies et a permis l’e´mergence de l’e´pide´miologie mole´culaire. Ces biomarqueurs sont des parame`tres biochimiques, mole´culaires, ou cytologiques mis en œuvre dans des e´tudes e´pide´miologiques dans le but de de´terminer les roˆles respectifs des facteurs environnementaux et ge´ne´tiques dans l’initiation et la progression des tumeurs [5,6]. Ces connaissances sont de´veloppe´es dans le but d’enrichir les strate´gies de pre´vention des cancers. Les biomarqueurs applique´s a` la pre´vention des effets lie´s aux expositions a` des environnements ge´notoxiques sont habituellement classe´s en trois cate´gories (fig. 1) [7].

Les biomarqueurs d’exposition Ils permettent d’e´valuer la pe´ne´tration d’une substance exoge`ne dans l’organisme par le dosage de la substance elle-meˆme ou de ses me´tabolites dans les fluides biologiques, les tissus ou les cellules. Ils s’inscrivent dans le domaine de la biome´trologie et sont souvent conside´re´s comme refle´tant la dose interne [8].

Les biomarqueurs d’effet Ils te´moignent d’une interaction entre des agents ge´notoxiques et le mate´riel ge´ne´tique de la cellule. On distingue souvent les le´sions primaires de l’ADN, dommages potentiellement re´versibles suite a` la mise en œuvre des syste`mes de re´paration de l’ADN, et les mutations ge´niques ou chromosomiques, modifications stables pouvant concre`tement se traduire par une initiation cellulaire selon que la mutation affecte ou non le fonctionnement d’un ge`ne implique´ dans le processus cance´roge`ne.

Les biomarqueurs de susceptibilite´ Ils sont destine´s a` rendre compte des diffe´rences interindividuelles dans la re´ponse a` une exposition ge´notoxique. Cette sensibilite´ individuelle vis-a`-vis des toxiques chimiques est principalement lie´e aux ge`nes implique´s dans le me´tabolisme des xe´nobiotiques (activation et/ou de´toxification) et dans la re´paration des le´sions de l’ADN. Les deux premiers types de biomarqueurs sont ge´ne´ralement conside´re´s comme des biomarqueurs de pre´vention, le dernier comme un biomarqueur de pre´diction ou de susceptibilite´. 477

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Figure 1. E´pide´miologie mole´culaire des cancers : biomarqueurs d’exposition, d’effet ge´notoxique et de susceptibilite´.

Dans cet article, nous nous sommes inte´resse´s a` un des biomarqueurs les plus utilise´s en surveillance biologique des populations expose´es a` des agents cance´roge`nes, les MN, dont la nume´ration repre´sente un moyen fiable d’e´valuer les mutations chromosomiques de nombre et de structure [9]. Nous aborderons plus particulie`rement la situation de ce test en termes de pre´vention/pre´diction/susceptibilite´ du risque cance´roge`ne et son applicabilite´ dans des protocoles de biosurveillance a` la lumie`re des re´sultats d’une analyse poole´e re´cente re´alise´e dans le cadre des projets human micronucleus (HUMN) et cancer risk biomarkers.

Micronoyaux et protocoles de biosurveillance Historique et principe du test Les MN, connus e´galement sous le terme de corps de HowellJolly par les he´matologistes, sont forme´s dans des cellules en division, lors de la transition me´taphase/anaphase. Les MN sont ge´ne´re´s par la perte de mate´riel ge´ne´tique au cours de la division cellulaire : ils contiennent des fragments chromosomiques acentrome´riques et/ou des chromosomes entiers non inte´gre´s dans les noyaux fils au cours de la mitose [10,11]. Les fragments chromosomiques acentrome´riques (MN acentrome´riques) sont conse´cutifs a` des cassures double brin de l’ADN et ne peuvent pas se rattacher au fuseau mitotique, faute de centrome`res (re´sultats d’un e´ve`nement clastoge`ne). La perte de chromosomes entiers (MN 478

centrome´riques) re´sulte, quant a` elle, d’alte´rations au niveau des structures implique´es dans la se´gre´gation et la migration des chromosomes (e´ve`nement aneuge`ne). Lors de la te´lophase, une enveloppe nucle´aire se forme autour de ces fragments perdus ou de ces chromosomes isole´s et donne, ainsi, naissance a` une entite´ ayant la morphologie d’un noyau en interphase, mais de taille plus petite d’ou` le terme de « MN ». Les anomalies chromosomiques de structure (e´ve´nements clastoge`nes) s’inscrivent parfaitement dans la phase d’initiation du processus cance´roge`ne. Les anomalies chromosomiques de nombre (e´ve´nements aneuge`nes) s’inscrivent dans les phases d’initiation et/ou de promotion, l’aneuploı¨die e´tant un e´ve´nement s’inscrivant dans la cadre de l’instabilite´ ge´ne´tique et retrouve´ de manie`re ubiquitaire dans les cellules tumorales [12]. Le test des MN a connu un nouvel et conside´rable essor en 1985 lorsque Fenech et Morley propose`rent une adaptation technique permettant de bloquer la cytodie´re`se (division du cytoplasme) tout en conservant la division nucle´aire [13]. Ce blocage permet d’identifier sans ambiguı¨te´ les cellules qui se sont divise´es une fois in vitro du fait qu’elles sont binucle´e´es. Le comptage des MN ou des cellules micronucle´e´es est, ainsi, ide´alement re´alise´ au sein des cellules binucle´e´es qui ne se sont divise´es qu’une fois. Cette technique a notamment permis de s’affranchir des faux ne´gatifs conse´cutifs aux inhibitions de la division cellulaire qui accompagnent souvent les actions des agents ge´notoxiques. A` partir de ce de´veloppement technologique, l’emploi du test des MN dans les protocoles de biosurveillance a

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conside´rablement augmente´ sur les cinq continents ; la plupart des travaux ont concerne´ la surveillance des populations professionnellement expose´es a` divers environnements mutage`nes et potentiellement cance´roge`nes. Le test des MN est alors le plus souvent re´alise´ sur lymphocytes binucle´e´s en culture (cytokinesis-blocked micronucleus assay), comme initialement de´crit par Fenech et Morley [13]. Cette version ex vivo/in vitro consiste a` mettre du sang total en culture, a` induire la prolife´ration des lymphocytes pe´riphe´riques par la phytohe´magglutinine A, a` bloquer la cytodie´re`se par ajout de cytochalasine B (un inhibiteur des actines) a` la quarante-quatrie`me heure de culture et a` fixer et pre´parer les cellules pour examen cytologique. Dans le cadre de protocoles de biosurveillance de populations professionnellement expose´es, l’ide´al serait de pre´lever les cellules de l’organe pour lequel un risque de cancer est redoute´, compte tenu du ou des agents exposants dans tel ou tel contexte de travail, et de re´aliser le test des MN sur ces cellules. En pratique, cela s’ave`re presque syste´matiquement impossible, et les fre´quences de MN sont de´termine´es sur des cellules de substitution, accessibles au pre´le`vement sur sujets sains, pour estimer indirectement les le´sions ou les mutations au niveau du tissu cible [10,11]. La plupart des protocoles de surveillance biologique font appel au test de MN sur lymphocytes pe´riphe´riques, car ces cellules sont susceptibles de se diviser in vitro, et donc de traduire sous la forme d’un MN au cours d’une division cellulaire induite in vitro les dommages ge´ne´tiques ou e´pige´ne´tiques qu’elles subissent in vivo. Les autres cellules analyse´es pour leur contenu en MN sont essentiellement les cellules endobuccales et endonasales exfolie´es ; ces dernie`res ne se divisent pas in vitro, mais appartiennent a` des e´pithe´liums a` renouvellement rapide.

Un biomarqueur aux sources de variabilite´ de mieux en mieux de´finies Les MN repre´sente un biomarqueur empreint d’une variabilite´ induite par de multiples facteurs (fig. 2). Il existe d’abord une variabilite´ interlaboratoire qu’un protocole standardise´ permet de minimiser, mais e´galement une importante variabilite´ interindividuelle lie´e a` des facteurs propres a` l’individu tels que le sexe, l’aˆge, le tabagisme, la consommation d’alcool et les habitudes alimentaires [14–16]. La prise en compte de ces facteurs est habituellement re´alise´e graˆce a` l’utilisation d’un questionnaire standardise´ et a` la constitution, paralle`lement aux sujets malades ou professionnellement expose´s, d’un groupe te´moin apparie´ sur ces facteurs

Figure 2. Sources de variabilite´ des micronoyaux et protocoles de biosurveillance.

de variation et ne diffe´rant que pour ce qui concerne le parame`tre e´tudie´. L’aˆge constitue un facteur de confusion important, une augmentation de la fre´quence des MN en fonction de l’aˆge e´tant rapporte´e dans la plupart des e´tudes, notamment celles portant sur de grands effectifs. Cet effet de l’aˆge doit vraisemblablement eˆtre essentiellement attribue´ a` une perte de chromosomes aˆge-de´pendante et concerne plus particulie`rement les femmes, bien qu’il soit e´galement retrouve´ chez les hommes [17]. En outre, l’efficacite´ des processus de re´paration de l’ADN diminue avec l’aˆge et peut expliquer une tendance a` l’augmentation des pertes de fragments de chromosomes. Un autre facteur de confusion classiquement e´voque´ est le tabagisme, pour lequel les donne´es de la litte´rature quant a` un e´ventuel effet sur la fre´quence de MN sont divergentes [17]. Face a` ces re´sultats contradictoires, une re´analyse, effectue´e dans le cadre du HUMN project a permis de mieux cerner l’incidence du tabagisme sur la fre´quence de lymphocytes micronucle´e´s. Les re´sultats globaux de cette re´analyse poole´e re´ve`lent une augmentation de la fre´quence de MN chez les gros fumeurs seulement (supe´rieur ou e´gal a` 30 cigarettes par jour). La consommation d’alcool peut e´galement influencer la fre´quence de MN. En effet, nous avons pre´ce´demment retrouve´ une fre´quence de MN plus e´leve´e chez les sujets alcooliques, et plus particulie`rement de MN centrome´riques [18]. Les habitudes alimentaires ont e´te´ e´galement identifie´es comme pouvant influencer la fre´quence de MN dans les lymphocytes. Ainsi, Fenech a mis en e´vidence une corre´lation ne´gative entre la fre´quence de MN et la teneur plasmatique en acide folique et en vitamine B12, ces mole´cules jouant toutes deux un roˆle important dans la synthe`se de l’ADN [14]. 479

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Les me´dicaments (immunosuppresseurs, cytostatiques, vaccins, antibiotiques) et l’exposition iatroge`ne (examens radiologiques) peuvent e´galement constituer un facteur de variation important.

Conside´rations pratiques et e´thiques vis-a`-vis du recours au test des micronoyaux La mise en œuvre d’un programme de biosurveillance de travailleurs expose´s a` des agents ge´notoxiques ne´cessite de recourir a` un laboratoire spe´cialise´ (fort peu nombreux en France) et de construire, dans une de´marche pluridisciplinaire, un protocole pre´cis inte´grant les diffe´rents aspects suivants :  la de ´ finition des objectifs (par exemple, comple´ter les mesures des niveaux d’exposition ou e´valuer l’efficacite´ des moyens de protection) ;  le choix du test de ge ´ notoxicite´ sur la base :  des donne ´ es de la litte´rature concernant les me´canismes ge´notoxiques des agents physiques ou chimiques pre´sents dans les ambiances de travail,  du type, de la fre ´ quence et de la dure´e d’exposition,  des objectifs de l’e ´ tude ;  le choix des groupes a ` e´tudier. Il faudra de´finir des groupes d’effectifs suffisants pour pouvoir interpre´ter correctement les re´sultats. Les crite`res d’inclusion et d’exclusion (par exemple, traitement en cours pouvant donner des re´ponses faussement positives) devront eˆtre pre´cise´ment de´finis et recherche´s par un questionnaire prenant e´galement en compte les facteurs de confusion les plus fre´quents. Ge´ne´ralement, une population te´moin, compose´e de sujets apparie´s aux sujets e´tudie´s sur les principaux facteurs de confusion (sexe, aˆge, tabagisme), est incluse. Enfin, un tel programme de biosurveillance ne peut se faire que dans le respect des re`gles e´thiques essentielles :  tests re ´ alise´s sur prescription du me´decin du travail, respect du secret me´dical ;  participation sur la base du volontariat apre ` s information pre´alable ;  recueil du consentement e ´ claire´. Cette information doit porter sur les objectifs et modalite´s de l’e´tude ainsi que sur les limites de l’interpre´tation des donne´es, qui ne se fera que sur le mode collectif. La restitution des re´sultats se fera en pre´sentant les moyennes obtenues au niveau des groupes de populations expose´es et te´moins. Dans l’e´tat actuel des connaissances, les re´sultats individuels ne devraient pas eˆtre communique´s dans la mesure ou` ils ne sont pas interpre´tables et susceptibles d’alarmer le person480

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nel concerne´. Puisqu’il s’agit d’e´tudes scientifiques ne relevant pas directement d’un programme de surveillance de me´decine du travail, le protocole devra eˆtre soumis a` l’avis d’une autorite´ de bioe´thique, telle que le comite´ de protection des personnes (CPP).

Micronoyaux et expositions professionnelles La mise en œuvre d’une e´tude de biosurveillance de travailleurs expose´s a` des agents ge´notoxiques s’inte`gre dans une de´marche pluridisciplinaire et fait appel a` un protocole pre´cis inte´grant la de´finition des objectifs, du test, du type de tissu a` analyser et du moment de pre´le`vement, ainsi que le choix des groupes a` e´tudier. Si la comptabilisation de certaines anomalies chromosomiques de structure (aberrations chromosomiques dites instables comme les chromosomes en anneaux et les dicentriques) a` la base de la dosime´trie biologique fait l’objet d’un consensus international, la situation du test des MN en terme de mise en e´vidence des effets environnementaux (professionnels ou non) reste encore sujette a` de´bat [19]. Ne´anmoins, du point de vue de la le´gislation et en vertu de l’utilisation des donne´es actuelles de la science, il appartient aux structures me´dicales en charge de la pre´vention des risques professionnels de faire appel aux tests ge´ne´tiques et cytoge´ne´tiques ade´quats pour mieux appre´hender le risque cance´roge`ne d’origine professionnelle et permettre aux me´decins du travail de re´diger un certificat de non-contreindication a` l’exposition a` des agents cance´roge`nes. Dans ce contexte, il est le´gitime de s’interroger sur la signification d’une e´le´vation de la fre´quence de MN dans les lymphocytes pe´riphe´riques de sujets professionnellement expose´s a` des environnements ge´notoxiques.

Les micronoyaux : un biomarqueur de pre´vention ? La logique selon laquelle le test des MN pourrait eˆtre un biomarqueur de pre´vention repose sur le fait que les MN repre´sentent une conse´quence directe des actions ge´notoxiques potentiellement initiatrices au niveau des tissus cibles des agents cance´roge`nes. Le test des MN repre´sente alors un moyen de mesurer des effets contemporains de l’exposition, largement en amont de l’ensemble des e´ve´nements cellulaires, puis tissulaires susceptibles de conduire a` la survenue d’un cancer. Cette logique pre´suppose que les MN observe´s au niveau des lymphocytes pe´riphe´riques ayant subi une division cellulaire in vitro sont le reflet de l’action directe des agents ge´notoxiques ou de leurs me´tabolites sur l’ADN des cellules

Les micronoyaux, un biomarqueur de susceptibilite´ ?

examine´es. Les tre`s nombreuses publications rapportant une e´le´vation de la fre´quence des lymphocytes micronucle´e´s interpre`tent en ce sens leurs observations. L’exploitation de ce biomarqueur pre´suppose e´galement que les lymphocytes pe´riphe´riques, cellules circulant dans tous les compartiments de l’organisme, soient susceptibles d’eˆtre concerne´s en tant que cible cellulaire de bon nombre d’agents ge´notoxiques, quels que soient les organes cibles privile´gie´s. Or il s’ave`re que divers travaux relativement re´cents apportent des informations qui contrarient ce raisonnement, parmi lesquels l’effet du tabagisme sur la fre´quence de MN au sein des lymphocytes. De nombreuses publications ont de´crit, de manie`re surprenante, une absence d’e´le´vation et dans certains cas une faible diminution de la fre´quence de MN chez des sujets tabagiques. En 2003, Bonassi et al. ont effectue´, dans le cadre du HUMN project, une analyse poole´e a` partir de 24 bases de donne´es, dans le but de mieux cerner l’impact du tabagisme sur la fre´quence de MN [16]. Cette re´analyse a e´te´ effectue´e sur plus de 5000 sujets, re´partis en non-fumeurs, fumeurs actuels et anciens fumeurs. Les re´sultats montrent qu’en dec¸a` d’une consommation de 30 cigarettes par jour, les fre´quences de MN au niveau des lymphocytes pe´riphe´riques sont statistiquement tre`s le´ge`rement diminue´es chez les personnes non expose´es professionnellement. De surcroıˆt, la fre´quence de MN n’est pas influence´e par le nombre de cigarettes fume´es quotidiennement. Seule une augmentation statistiquement significative est enregistre´e pour une consommation tabagique supe´rieure a` 30 cigarettes par jour. Plusieurs interpre´tations sont propose´es par les auteurs :  la faible sensibilite ´ du test des MN a` rendre compte des effets d’une exposition environnementale aux agents ge´notoxiques ;  les faibles concentrations, dans le sang, des agents chimiques contenus dans la fume´e de tabac ;  le fait que, si les fre ´ quences de MN refle`tent l’effet cance´roge`ne du tabagisme, seul un pourcentage mode´re´ (10–15 %) de fumeurs sont susceptibles de de´velopper un cancer, et donc des MN [16]. Compte tenu du grand nombre d’agents cance´roge`nes contenus dans la fume´e de tabac, du caracte`re ge´notoxique parfaitement de´montre´ pour nombre d’entre eux, et du passage sanguin de la fume´e inhale´e, il convient de s’interroger sur la nature du lien entre expositions environnementales et fre´quence accrue de MN au niveau des lymphocytes pe´riphe´riques. Une autre observation re´cente questionne encore l’origine des MN rapporte´s en situation d’exposition professionnelle. Lors de l’une de nos pre´ce´dentes e´tudes, nous avons e´value´ les

effets ge´notoxiques lie´s a` l’exposition au formalde´hyde (classe´ comme cance´roge`ne connu en cate´gorie 1 par le Centre international de recherche sur le cancer [CIRC]). Nous avons mis en e´vidence une e´le´vation des dommages chromosomiques, lie´s principalement a` la perte de chromosomes entiers (MN centrome´riques et effet aneuge`ne), dans les lymphocytes des sujets travaillant dans des laboratoires d’anatomopathologie [20]. Schmid et Speit ont re´cemment e´tudie´ les effets ge´notoxiques in vitro du formalde´hyde, sur des cellules sanguines en culture, en terme d’induction de MN [21]. Les auteurs concluent que les dommages chromosomiques relatifs a` l’exposition au formalde´hyde ont peu de chances d’eˆtre mis en e´vidence par des e´tudes de biosurveillance utilisant le test des MN, et que la grande majorite´ des MN induits par le formalde´hyde in vitro e´taient acentrome´riques, ce qui laisse sugge´rer un me´canisme de formation clastoge`ne [21]. Il re´sulte de ces travaux une contradiction apparente, bien qu’ici encore, il n’apparaisse pas particulie`rement surprenant que des effets observe´s in vitro ne soient pas retranscrits a` l’identique in vivo. En effet, il existe, entre autres, des diffe´rences fondamentales en termes de niveau et de dure´e d’exposition. De surcroıˆt, les anatomopathologistes sur lesquels a e´te´ re´alise´ le test des MN associe´ a` la technique du Fish pre´sentent des expositions professionnelles multiples, la plus massive e´tant celle au formalde´hyde. Nous ne pouvons donc pas exclure le fait que d’autres agents ge´notoxiques e´galement pre´sents dans cet environnement professionnel prennent part dans les fre´quences accrues de lymphocytes micronucle´e´s enregistre´s. Cependant, tout comme pour les gros fumeurs, il est possible que les MN enregistre´s au niveau des lymphocytes pe´riphe´riques de sujets expose´s a` des environnements potentiellement cance´roge`nes soient, dans le cadre de la biosurveillance, davantage a` relier a` une re´ponse physiologique globale de l’organisme, qui demeure a` ce jour inconnue, qu’a` un effet direct de tel ou tel agent ge´notoxique sur l’ADN des cellules, objets de l’analyse de leur contenu en MN, en l’occurrence les lymphocytes pe´riphe´riques. La logique selon laquelle le test des MN pourrait eˆtre un biomarqueur de pre´vention repose sur le fait que les MN observe´s sont des te´moins directs de l’action ge´notoxique des agents pre´sents dans les environnements professionnels. Or, a` travers les exemples pre´ce´dents, nous constatons que les e´le´vations de la fre´quence des MN ne sont donc pas toujours a` relier a` une telle action directe des agents ge´notoxiques sur l’ADN des lymphocytes circulants, et il convient de s’interroger sur la nature du lien entre exposition professionnelle et fre´quence accrue de MN lors d’e´tudes de biosurveillance. De ce fait, les MN semblent ne plus 481

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pre´senter l’ensemble des pre´requis pour eˆtre conside´re´ comme un biomarqueur de pre´vention (fig. 1).

Les micronoyaux : un biomarqueur de pre´diction ? Micronoyaux et risque cance´roge`ne L’hypothe`se de la pre´diction des MN sur le risque cance´roge`ne est supporte´e par de nombreux arguments [22] :  le lien entre aberrations chromosomiques et cancer, qui peut eˆtre e´tendu aux MN du fait, d’une part, de la similitude des me´canismes de formation des MN (de´tection d’anomalies chromosomiques de structure et de nombre) et des aberrations chromosomiques (de´tection d’anomalies chromosomiques de structure) et, d’autre part, de la concordance de leurs re´sultats in vitro ;  l’augmentation de la fre ´ quence des MN, d’une part, chez des patients cance´reux (non traite´s) souffrant de tumeurs sporadiques et, d’autre part, chez des patients porteurs d’un de´ficit constitutionnel responsable de diffe´rents syndromes d’instabilite´ ge´ne´tique (ataxie-te´langectasie, syndrome de Bloom), ces syndromes e´tant associe´s a` un risque mode´re´ ou se´ve`re de cancer ;  la corre ´ lation entre la fre´quence des MN et la concentration sanguine de vitamines (folates) dont la carence est associe´e a` un risque e´leve´ de cancers ;  le lien direct entre la fre ´ quence des MN et les premie`res e´tapes de la cance´rogene`se [23]. Une re´cente analyse des re´sultats de diffe´rentes cohortes europe´ennes (projets HUMN et cancer risk biomarkers) a montre´ que les sujets ayant une fre´quence de MN e´leve´e avaient plus de risques de de´velopper un cancer 12 a` 15 ans apre`s la re´alisation du test [24]. Cette association e´tait pre´sente dans toutes les cohortes nationales et pour la majorite´ des localisations cance´reuses, et notamment pour les cancers gastro-intestinaux et uroge´nitaux [24]. Cette analyse indique, par ailleurs, que le risque associe´ a` la fre´quence e´leve´e de MN est le meˆme dans les populations expose´e ou non expose´e, de meˆme que chez les fumeurs et les non-fumeurs. Si les re´arrangements chromosomiques observe´s dans les cellules tumorales repre´sentent clairement un te´moignage d’instabilite´ chromosomique [25], la signification de ces alte´rations dans les lymphocytes pe´riphe´riques des patients affecte´s de divers cancers reste a` e´lucider. A` l’heure actuelle, les hypothe`ses susceptibles d’expliquer ce phe´nome`ne sont multiples. Ces anomalies chromosomiques pourraient eˆtre conse´cutives au statut cance´reux, au statut inflammatoire associe´ au cancer, a` une instabilite´ ge´ne´tique, a` un environnement ge´notoxique et/ou a` des infections virales. 482

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Par ailleurs, le test de MN est le plus souvent re´alise´ sur lymphocytes pe´riphe´riques. Il est de`s lors le´gitime de supposer que les dommages a` l’ADN, en l’occurrence des anomalies chromosomiques, soient moins fre´quents sur les lymphocytes pe´riphe´riques que sur les cellules cibles de l’action de tel ou tel agent ge´notoxique potentiellement cance´roge`ne. Ainsi, l’e´valuation des MN re´alise´e sur lymphocytes pe´riphe´riques (cellules a` distance) est susceptible de sous-estimer le degre´ d’alte´rations des chromosomes au niveau du tissu cible, et donc, probablement, le risque cance´roge`ne. Cela est a` prendre en conside´ration dans le cadre de l’usage d’un biomarqueur qui se veut pre´coce pour re´pondre de manie`re satisfaisante a` une strate´gie de pre´vention, laquelle ne´cessite que les biomarqueurs soient aussi proches que possible des effets directs des agents pre´occupants en terme de risque de cancer, et aussi en amont que possible du processus cance´roge`ne. En l’occurrence, ces travaux de´montrant l’existence du lien entre fre´quence des MN et risque accru de cancer tendent a` situer les MN sur lymphocytes pe´riphe´riques parmi les biomarqueurs de pre´diction.

Micronoyaux et polymorphisme ge´ne´tique Plus de 99 % du ge´nome est commun a` tous les humains. La fraction restante, bien qu’infime, est essentielle parce que ces variations dans la se´quence des acides nucle´iques influencent la susceptibilite´ aux maladies, leur expression clinique et leur e´volutivite´ et e´galement la re´ponse aux agents ge´notoxiques. Un champ actuel d’investigation est d’associer aux variations de se´quences (polymorphisme ge´ne´tique), susceptibles d’eˆtre a` l’origine des variations dans la susceptibilite´ aux cancers et de diffe´rences interindividuelles dans la re´ponse a` une exposition ge´notoxique, le test des MN, te´moin d’une interaction entre l’environnement et le mate´riel ge´ne´tique de la cellule [26]. Les modulations des dommages a` l’ADN, et plus particulie`rement de la fre´quence des MN, par le polymorphisme ge´ne´tique de ge`nes implique´s dans le me´tabolisme des xe´nobiotiques (activation ou de´toxification), dans la re´paration des le´sions de l’ADN ou dans le me´tabolisme des folates commencent a` eˆtre documente´es. L’e´tude du polymorphisme ge´ne´tique associe´ au test des MN permettra de mieux de´finir l’intrication entre he´re´dite´ et phe´nome`nes associe´s acquis.

Les micronoyaux : un biomarqueur de susceptibilite´ ? Du fait de sa capacite´ a` identifier la fre´quence des aberrations chromosomiques de nombre et de structure et a` pre´dire le risque cance´roge`ne, l’application des techniques de cyto-

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ge´ne´tique telles que le test des MN devrait prendre de plus en plus d’importance en cance´rologie dans le futur. Le MN est un biomarqueur inte´grant de nombreux facteurs de variation :  les expositions environnementales (professionnelles ou non) ;  les facteurs individuels (sexe et a ˆ ge) ;  le polymorphisme ge ´ ne´tique ;  le mode de vie (consommation d’alcool et de tabac, habitudes alimentaires) ;  les traitements en cours. Les aberrations chromosomiques comptabilise´es dans le cadre d’un programme de biosurveillance d’une exposition professionnelle sous la forme de fre´quence de MN dans les lymphocytes pe´riphe´riques sont issue d’e´ve´nements ge´notoxiques ou e´pige´ne´tiques subis par les cellules in vivo et trouvant leur expression sous la forme d’un MN apre`s division cellulaire in vitro. Ainsi, il apparaıˆt que les anomalies chromosomiques supporte´es par les cellules de tel ou tel individu n’ont pas conduit, ni a` l’arreˆt de la division cellulaire, ni a` l’apoptose. Les MN repre´sentent donc clairement une synthe`se des actions du micro-environnement in vivo des lymphocytes et des capacite´s individuelles a` re´agir face a` des atteintes, directes ou non, du patrimoine ge´ne´tique. Compte tenu du lien e´tabli entre MN et risque de cancer, mais e´galement du grand nombre de cas rapportant une e´le´vation des MN a` une exposition environnementale, le test des MN serait donc davantage un biomarqueur capable de rendre compte de diffe´rences interindividuelles dans la re´ponse a` une exposition ge´notoxique et se situerait davantage parmi les biomarqueurs de susceptibilite´ au cancer (fig. 1).

Conclusion L’utilisation des MN pourrait eˆtre optimale en terme de pre´vention dans le cadre d’un suivi tout au long de la vie professionnelle des agents concerne´s par le risque CMR. En effet, le suivi des e´volutions des fre´quences de MN tout au long de la vie professionnelle permettrait de suivre des accroissements non explicables par le seul effet de l’aˆge. Dans ce contexte, la fre´quence de MN pourrait eˆtre un biomarqueur pre´coce utile dans le suivi des sujets expose´s. Il serait e´galement inte´ressant d’identifier les sous-types de MN, certains d’entre eux pouvant eˆtre davantage le te´moin de l’instabilite´ chromosomique du sujet et de ce fait associe´s a` un risque accru de cancer [27]. Il se pose a` l’heure actuelle des proble`mes e´thiques quant a` l’utilisation du test des MN en milieu de travail dans le cadre de la surveillance de personnels professionnellement expo-

se´s, puisque les MN au sein des lymphocytes pe´riphe´riques sont associe´s a` un risque de cancer accru au sein des populations concerne´es. Il faut toujours garder a` l’esprit que la me´decine « pre´dictive » est la me´decine de l’incertain qui, en annonc¸ant un probable, e´branle les possibles [28].

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