Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 132 (2015) 184–190
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Mise au point
Les modalités de la compensation vestibulaire après neurotomie vestibulaire夽 A. Devèze a,∗,b,1 , M. Montava a,b,1 , C. Lopez c , M. Lacour c , J. Magnan a,c , L. Borel c a b c
Service d’oto-rhino-laryngologie et d’otoneurologie, hôpital Nord, CHU de Marseille, AP–HM, chemin des Bourrelly, 13915 Marseille cedex 20, France IFSTTAR UMR T2, laboratoire de biomécanique appliquée, Aix Marseille University, boulevard Pierre-Dramard, 13015 Marseille, France CNRS UMR 6149, laboratoire de neurobiologie intégrative et adaptative, Aix Marseille University, 3, place Victor-Hugo, 13331 Marseille cedex 03, France
i n f o
a r t i c l e
Mots clés : Compensation vestibulaire Neurotomie vestibulaire unilatérale Maladie de Menière Contrôle postural Visuodépendance
r é s u m é Les auteurs passent en revue quatre études des mécanismes de compensation vestibulaire, utilisant différents méthodes d’analyse, menées chez des patients atteints d’une maladie de Menière ayant subi une neurotomie vestibulaire unilatérale, et décrivent les différentes stratégies utilisées par les patients, qui varient en fonction des préférences sensorielles préopératoires. Il s’agit d’une revue de 4 études prospectives menées dans un centre tertiaire universitaire de référence, qui évaluent la compensation vestibulaire chez des patients atteints d’une maladie de Menière avant et après neurotomie vestibulaire, utilisant différents protocoles d’évaluation : analyse du syndrome postural par la posturographie statique et par l’étude de la marche, du syndrome perceptif par l’étude de la perception de la verticale visuelle et du syndrome oculomoteur par l’étude de la cyclotorsion oculaire. Ces quatre études montrent que la compensation vestibulaire s’effectue avec des délais variables selon les paramètres mesurés. Les yeux ouverts, le contrôle postural et les performances de la marche et du pas sont rétablis un mois après la chirurgie. Des analyses fines de l’équilibre montrent que des perturbations de la verticale visuelle subjective et de la cyclotorsion persistent à distance. En pratique, révélées uniquement en supprimant les informations visuelles, les perturbations posturales sont les témoins d’un changement de stratégie de leur équilibration en faveur d’une nouvelle utilisation des références visuelles et non-visuelles. La connaissance des stratégies d’équilibration, dès le stade préopératoire, permettrait de dépister les patients à risque d’instabilité et d’orienter les patients vers une stratégie de rééducation vestibulaire spécifiquement adaptée. © 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.
1. Introduction Le phénomène neurologique de compensation vestibulaire est à la base du traitement chirurgical de la maladie de Menière par neurotomie vestibulaire unilatérale [1]. La neurotomie vestibulaire sélective provoque une déafférentation brutale, complète et durable de l’appareil vestibulaire, tout en préservant les voies cochléaires [2]. La compensation vestibulaire est basée sur une réorganisation neuronale centrale aboutissant à une réhabilitation fonctionnelle. L’existence d’un phénomène de récupération fonctionnelle après destruction labyrinthique est empiriquement
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2015.04.003. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Devèze). 1 AD et MM ont contribué de manière équivalente à la préparation du manuscrit. http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2013.01.012 1879-7261/© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS.
connue depuis longtemps [1]. En effet, Flourens a introduit ce sujet en 1824 par des expérimentations animales qui ont prouvé la récupération fonctionnelle une semaine après labyrinthectomie chez des oiseaux et des grenouilles. Les récents travaux scientifiques à propos de cette restauration nerveuse après labyrinthectomie ou neurotomie vestibulaire unilatérale constituent une étape décisive pour justifier la chirurgie des vertiges périphériques grâce aux phénomènes de compensation vestibulaire [1]. Ainsi, la neurotomie vestibulaire est un modèle clinique idéal pour étudier les stratégies individuelles de compensation de la fonction vestibulaire. L’objectif de cette intervention est de supprimer les afférences dysfonctionnelles de l’oreille malade pour éviter les accès de vertiges rotatoires, expliqués par un conflit aigu des afférences dévouées à l’équilibration (visuelles, proprioceptives, vestibulaires). Une compensation aussi parfaite que possible est favorisée par une rééducation sensori-motrice spécifique à chaque individu [3]. Le vestibule ou labyrinthe postérieur est un mécanorécepteur essentiel dans la physiologie de l’équilibre. Une des spécificités
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Tableau 1 Résumé des 4 études rapportées. Étude
Patients (n)
Type analyse
Suivi
Références
Posturale
50
Posturographie statique
j − 1, j + 7, j + 15, j + 30, j + 90, j > 365 j − 1, j + 7, j + 30, j + 90 j − 1, j + 7, j + 15, j + 30, j + 75, j + 135, j > 365
Lacour et al. [10]
Marche
9
Verticale visuelle subjective
40
Cyclotorsion oculaire
17
Analyse cinématique de la marche Champ visuel immobile (condition statique) et rotatoire (condition dynamique : stimulation optocinétique ipsi- et controlésionnelle) Vidéonystagmographie, en condition statique et en condition dynamique (stimulation optocinétique ipsi et controlésionnelle)
du système vestibulaire est la convergence multimodale des afférences sensorielles (visuelles et somesthésiques) dès le niveau des noyaux vestibulaires et tout au long des voies vestibulaires centrales. L’ensemble des informations des différents capteurs périphériques va être coordonné au niveau cérébral. Après déafférentation du noyau vestibulaire ipsilatéral, une asymétrie du système vestibulaire apparaît. Un déficit vestibulaire unilatéral est décrit regroupant un syndrome vestibulaire statique et dynamique. Le déficit vestibulaire comporte un syndrome postural, un syndrome perceptif, et un syndrome oculomoteur. Le syndrome postural se traduit par une inclinaison de la tête et du corps du côté lésé, et des troubles de la locomotion. Le syndrome perceptif se traduit par des vertiges, une déviation de la verticale visuelle perc¸ue, et une désorientation spatiale. Le syndrome oculomoteur se traduit par un nystagmus spontané, un strabisme vertical, et une cyclotorsion oculaire. Après quelques semaines à quelques mois, les noyaux vestibulaires déafférentés présentent une activité spontanée similaire à celle des noyaux vestibulaires du côté opposé grâce à une plasticité cérébrale, laquelle participe au retour à l’équilibre du patient. La neurotomie vestibulaire permet de supprimer complètement et définitivement les crises de vertiges des patients atteints de maladie de Menière invalidante. La section du nerf vestibulaire doit être complète sous peine de mauvais résultat, et ce quelle que soit la voie d’abord utilisée : suspétreuse [4], rétrolabyrinthique [5] ou rétrosigmoïdienne [6]. Alors que la neurotomie s’accompagne d’une disparition des crises de vertiges dans 90 % des cas [6,7], un certain pourcentage (10 %) de patients gardent une instabilité persistante malgré l’obtention de l’aréflexie vestibulaire unilatérale [8,9]. Cet état traduit donc une mauvaise compensation vestibulaire. L’objectif de cet article est d’effectuer une revue d’études des mécanismes de la compensation vestibulaire au travers de différentes méthodes d’analyses, chez des patients présentant une maladie de Menière et ayant bénéficié d’une neurotomie vestibulaire unilatérale.
j − 1, j + 7, j + 30, j + 90
Borel et al. [11] Lopez et al. [12]
Lopez et al. [13]
2.1. Posturographie statique Cette étude [10] a analysé le contrôle postural dans une population homogène de 50 patients ayant subi une NVU pour maladie de Menière. Elle a permis l’étude de la contribution du système visuel dans la régulation du contrôle postural avant et après déficit vestibulaire induit. Une posturographie statique a été réalisée sur une plateforme de force avec yeux ouverts et avec yeux fermés. La stabilisation posturale a été évaluée par calcul de la surface des oscillations du corps avec et sans contrôle visuel, et le calcul de l’indice de différence de performance posturale entre ces deux conditions d’examen [Surface YF − Surface YO/Surface YF + Surface YO] (Fig. 1 et 2). L’étude a été réalisée avant puis après NVU (une semaine, deux semaines, un mois, trois mois et un an). 2.2. Étude de la marche L’étude de la marche [11] a permis de quantifier le syndrome locomoteur. Cette étude a étudié la marche de 9 patients avec maladie de Menière avant et après NVU (1 semaine, 1 mois et 3 mois), ainsi que la marche de 10 sujets témoins. L’analyse cinématique de la marche a été réalisée à l’aide d’un analyseur de mouvement vidéo (système ELITE) avec des capteurs réfléchissants, les yeux ouverts et les yeux fermés. Les trajectoires ont été étudiées en condition de marche normale (Fig. 3–5). Les données locomotrices (vitesse moyenne, fréquence du pas, longueur du pas) ont été évaluées pour la marche normale et la marche rapide (Fig. 3–4). Pour chaque sujet et à chaque temps de l’étude, la déviation de la trajectoire et les paramètres étudiés sont rapportés pour 3 marches consécutives de 3 mètres, à vitesse normale puis rapide, réalisées sous les deux conditions étudiées, yeux ouverts et yeux fermés. 2.3. Verticale visuelle subjective
2. Méthodes Une revue de nos récentes études conduites chez des populations de patients atteints d’une maladie de Menière ayant bénéficié d’une neurotomie vestibulaire unilatérale (NVU) a été réalisée afin d’étudier si les patients instables présentaient des caractéristiques spécifiques au cours de leur processus de compensation post-déafférentation (Tableau 1). La compensation vestibulaire a été analysée au cours d’études distinctes : le syndrome postural par la posturographie statique (n = 50 patients) [10] ; l’étude de la marche par analyse cinématique (n = 9) [11] ; le syndrome perceptif par l’étude de la perception visuelle de la verticale (n = 40) [12] ; et le syndrome oculomoteur par l’étude de la cyclotorsion oculaire et du réflexe optocinétique torsionnel (n = 17) [13].
La perception visuelle de la verticale ou verticale visuelle subjective, [12] étudie l’atteinte perceptive. La perception de la verticale est une référence fondamentale pour intégrer la direction du vecteur gravitationnel et donc organiser le maintien de la posture. L’étude a été réalisée chez 40 patients porteurs d’une maladie de Menière avant et après NVU (une semaine, un mois et 1 ans). La perception visuelle de la verticale statique (VVS) a été étudiée avec un champ visuel immobile (un patron de points noirs ordonnés de fac¸on pseudo-aléatoire, Fig. 6). La perception visuelle de la verticale dynamique (VVD) a été étudiée en utilisant des stimulations optocinétiques circulaires, c’est-à-dire par des rotations du patron de points autour de l’axe de vision dans la gamme 5◦ /s à 120◦ /s (Fig. 6). Les stimulations optocinétiques ont été ipsilésionnelles et controlésionnelles.
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Fig. 1. Stratégies visuelles et non-visuelles, avant et après neurotomie vestibulaire. A. Avant neurotomie vestibulaire. Histogrammes de distribution du nombre de sujets (en ordonnée) par classe de 10 % (en abscisse), représentant le pourcentage de différence de performance posturale avec les yeux fermés par rapport aux yeux ouverts. Noter la présence d’une répartition bimodale (flèches), avec des sous-groupes de patients visuels (histogrammes noires) et non-visuels (histogrammes blancs). Les pourcentages moyens de différence posturale sont présentés par sous-groupe. B. Une semaine après neurotomie vestibulaire. Les changements de stratégie (de visuelle à non-visuelle et vice versa) se voient dans le déplacement et chevauchement des histogrammes noirs et blancs. Modifié d’après [10].
2.4. Cyclotorsion oculaire L’étude de la cyclotorsion oculaire [13] a analysé l’atteinte oculomotrice par vidéonystagmographie. L’objectif de cette étude a été d’analyser l’amplitude de la cyclotorsion oculaire statique et la vitesse du nystagmus optocinétique torsionnel (tOKN) provoqué chez 17 patients ayant une maladie de Menière avant et après NVU (1 semaine, 1 mois, 3 mois, 1 an). L’amplitude de la cyclotorsion oculaire secondaire au déficit vestibulaire unilatéral a été mesurée face à un environnement visuel immobile (Fig. 7). L’étude dynamique s’est faite durant une stimulation optocinétique utilisant un disque présentant des repères noirs sur fond blanc, tournant autour de l’axe visuel du côté lésé ou du côté sain, et à des vitesses angulaires
dans la gamme 5◦ /s à 120◦ /s. La Fig. 8 présente le tOKN obtenu à la vitesse de 80◦ /s. 3. Résultats 3.1. Posturographie statique Avant la chirurgie, les patients pouvaient être divisés en deux sous-groupes selon leur comportement à la fermeture oculaire : 54 % des sujets présentaient une augmentation des oscillations du corps à la fermeture oculaire, alors que 46 % avaient des oscillations non modifiées par la fermeture oculaire (Fig. 1 et 2). On distinguait donc les patients avec une stratégie visuelle aussi
Fig. 2. Stabilogrammes bruts pour deux sujets témoins avec une stratégie posturale respectivement non-visuelle (gauche) et visuelle (droite). La position du centre de pression est illustrée dans les directions antéro-postérieure (position Y) et médio-latérale (position X) avec une ellipse de confiance de 90 %. La surface des oscillations du corps est recueillie les yeux ouverts et les yeux fermés. Le pourcentage de différence posturale (« percentage difference of sway » : PDS) est calculé sur la surface des oscillations pour chaque sujet. Modifié d’après [10].
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Fig. 3. Effet de la neurotomie vestibulaire unilatérale sur les paramètres du patron locomoteur. Déviation latérale moyenne pour une locomotion à vitesse normale (gauche) et à vitesse rapide (droite). De haut en bas : vitesse moyenne, fréquence du pas, et longueur du pas pour les patients testés avant (j − 1) et après (j + 7, j + 30, j + 90) neurotomie vestibulaire unilatérale et pour le groupe de sujets témoins en condition yeux ouverts (histogrammes blancs) et yeux fermés (histogrammes noirs). Les barres verticales représentent l’intervalle de confiance. * Valeur significativement différente de celles des sujets témoins, p < 0,05. Noter que les perturbations des paramètres de la marche rapide persistent 3 mois après la chirurgie. Modifié d’après [11].
appelés visuo-dépendants, et les patients avec une stratégie non-visuelle (proprioceptive) ou visuo-indépendants. Les patients visuo-dépendants étaient identifiés par un indice de différence de performance posturale supérieur à 20 %. Il existait une variabilité interindividuelle concernant l’importance du recours aux influx visuels et la régulation fine de la posture. Cette stratégie a été également étudiée pour tous les patients après NVU. Chaque
Fig. 4. Effet de la neurotomie vestibulaire unilatérale sur la trajectoire locomotrice. Exemple de déviation des trajectoires de marche entre les côtés opéré et sain durant une locomotion à vitesse normale en condition yeux ouverts (droite) et yeux fermés (gauche) pour un patient testé 1 semaine après chirurgie.
patient changeait de stratégie posturale en postopératoire (Fig. 1) : les patients visuo-dépendants en préopératoire adoptaient une stratégie non-visuelle après perte vestibulaire unilatérale ; de même, et à l’inverse, les patients « non-visuels » adoptaient une
Fig. 5. Effet de la neurotomie vestibulaire unilatérale sur la trajectoire locomotrice. Données globales. Déviation latérale moyenne entre côtés opéré et sain pour une locomotion à vitesse normale avant (j − 1) et 7, 30 et 90 jours après neurotomie vestibulaire, en condition yeux ouverts (ligne noire) et yeux fermés (ligne pointillée). La zone hachurée montre les données moyennes recueillies chez les sujets témoins. Les barres verticales représentent les limites de confiance. * Valeur significativement différente par comparaison avec les sujets témoins, p < 0,05. Noter le renversement de la déviation de la locomotion en présence d’informations visuelles dans la phase précoce après la neurotomie vestibulaire ainsi que la persistance d’une déviation les yeux fermés au délai de 3 mois après l’opération. Modifié d’après [11].
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3.2. Étude de la marche
Fig. 6. Effets de la perte vestibulaire unilatérale sur la perception de la verticale visuelle (PVV). Déviation moyenne de la PVV (à droite) pour des stimulations optocinétiques ipsilésionelles (dans les sens horaire : H) et controlésionelles (antihoraire : AH) (à gauche). Dans la population des patients avant (j − 1) et à j + 7, j + 1 mois et j + 1 an ou plus après neurotomie unilatérale. Les valeurs négatives et positives représentent une déviation de la verticale perc¸ue respectivement du côté sain et du côté opéré. Les barres verticales représentent les limites de confiance. On notera la récupération de la verticale visuelle pour une stimulation optocinétique du côté opéré et la persistance d’une déviation un an après neurotomie pour des stimulations du côté sain [12].
stratégie visuelle en postopératoire (Fig. 2). Le changement de stratégie était mis en évidence précocement dès une semaine après NVU. L’appartenance à un groupe (« visuels » ou « non-visuels ») n’était pas corrélée à l’âge, ni au sexe, ni aux signes cliniques de la maladie de Menière [10].
Avant la chirurgie, les patients ne montraient pas de déviation de trajectoire mais une diminution des paramètres vitesse moyenne, longueur du pas et fréquence du pas, les yeux ouverts et fermés (Fig. 3–5). Les altérations des paramètres de la marche étaient retrouvées aussi bien pour la marche normale que pour la marche rapide (Fig. 3). Les perturbations du patron locomoteur étaient significativement diminuées en conditions de marches normale et rapide, yeux ouverts et fermés (Fig. 3). De même, en condition yeux fermés, les données locomotrices se normalisaient à 1 mois pour la marche normale, mais restaient altérées à 3 mois pour la marche rapide (Fig. 3) [11]. Dans la phase aiguë après NVU, la trajectoire de la marche était déviée : la déviation était ipsilésionnelle les yeux fermés ; elle était controlésionnelle les yeux ouverts (Fig. 4 et 5). La déviation de la trajectoire était rapidement compensée les yeux ouverts, mais restait altérée à 3 mois en postopératoire les yeux fermés (Fig. 5). 3.3. Verticale visuelle subjective Dans la phase aiguë du déficit vestibulaire unilatéral, la verticale visuelle statique (VVS) était inclinée du côté lésé (Fig. 6). L’analyse de la VVS retrouvait des valeurs normales environ 1 an après NVU. Dans la phase aiguë du déficit vestibulaire unilatéral, la verticale visuelle dynamique (VVD) était déviée du côté lésé quelle que soit la stimulation optocinétique. Pour des stimulations ipsilésionnelles, la compensation était obtenue à 1 mois alors que pour des stimulations controlésionnelles, la compensation restait incomplète à 1 an, quelle que soit la vitesse de stimulation [12]. 3.4. Cyclotorsion oculaire Après NVU, une cyclotorsion oculaire statique était orientée du côté lésé par rapport à l’examen préopératoire (Fig. 7 et 8). Elle était maximale dans la phase aiguë (9◦ à une semaine), diminuait progressivement mais restait persistante à 3 mois en postopératoire. Au stade aigu, le tOKN était largement asymétrique et dépendait de la direction de la stimulation (Fig. 8). La vitesse des phases lentes du tOKN nystagmus augmentait lors d’une stimulation ipsilésionnelle, et diminuait lors d’une stimulation controlésionnelle. Cette asymétrie du tOKN n’était toujours pas compensée 3 mois après NVU [13]. 4. Discussion 4.1. Limitation Tous les patients ont subi une neurotomie vestibulaire unilatérale par voie rétrosigmoïdienne avec un contrôle par vidéonystagmographie comportant des tests pendulaires et caloriques attestant de l’absence de réflectivité du système vestibulaire. Bien que ces examens ne comportent que l’étude des basses fréquences, nous avons considéré l’ensemble de ces populations comme homogènes, tous les patients étant indemnes d’instabilités résiduelles symptomatiques ou d’oscillopsies.
Fig. 7. Cyclotorsion oculaire statique et modifications du nystagmus optocinétique torsionnel induites par la neurotomie et la perte vestibulaire unilatérale. Après neurotomie, la cyclotorsion oculaire statique induit une rotation du pôle supérieur de l’œil du côté opéré. La cyclotorsion oculaire statique (␣) après neurotomie est calculée comme la différence géométrique entre l’enregistrement du réseau neural postopérativement (j + 7) et avant la neurotomy vestibulaire unilatérale (j − 1). Les histogrammes montrent la cyclotorsion oculaire statique moyenne (barres verticales : limites de confiance) pour tous les patients et toutes les sessions postopératoires. Les données pour les témoins démontrent la consistance des mesures de la position torsionelle parmi les différentes sessions. D’après [13].
4.2. La déafférentation vestibulaire aiguë entraîne un changement de stratégies d’équilibration, témoin de la plasticité cérébrale Les différentes études décrites ici montrent des degrés de compensations variables, avec des stratégies distinctes selon la dépendance visuelle ou proprioceptive des patients avant NVU. Au stade préopératoire de notre étude posturale, nous distinguons
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Fig. 8. Cyclotorsion oculaire statique et modifications du nystagmus optocinétique torsionnel induites par la neurotomie et la perte vestibulaire unilatérale. Données brutes chez un patient typique lors de stimulations visuelles réalisées à une vitesse angulaire constante de 80◦ /s vers le côté opéré (en haut) et vers le côté sain (en bas) avant (j − 1) neurotomie vestibulaire et aux différents temps postopératoires (j + 7, j + 30, j + 90). Noter l’asymétrie du nystagmus optocinétique torsionnel avec une réduction importante pour des stimulations vers le côté sain (stimulation controlatérale) et une augmentation pour des stimulations vers le côté opéré. D’après [13].
deux populations distinctes (Fig. 1). Cinquante-quatre pour cent des patients majorent l’oscillation du corps à la fermeture oculaire : il s’agit des patients avec une stratégie visuelle ou dits visuo-dépendants. Quarante-six pour cent ont des oscillations du corps non modifiées par la fermeture oculaire : il s’agit des patients avec une stratégie non-visuelle dits visuo-indépendants. Cette population correspond probablement aux patients avec une stratégie proprioceptive. Il existe donc une différence interindividuelle concernant l’importance du rôle des influx visuels sur la régulation fine de la posture. Après perte vestibulaire unilatérale, on observe un changement de la stratégie posturale (Fig. 1). En effet, les patients visuodépendants adoptent une stratégie non-visuelle, alors que les patients visuo-indépendants adoptent une stratégie visuelle. Ce changement de stratégie posturale après la perte unilatérale des fonctions vestibulaires correspond à un mécanisme de compensation centrale. Il suggère un changement des cadres de référence utilisés pour le contrôle de la posture et une adaptation rapide à ces modifications. Ce mécanisme est observé très précocement dès une semaine après NVU. La sélection de la stratégie sensorielle posturale des patients après NVU pourrait refléter une substitution sensorielle majoritairement visuelle ou proprioceptive [14]. Notre suggestion est que cette sélection faite au niveau central deviendrait inopportune après NVU, c’est-à-dire quand les informations vestibulaires deviennent brutalement, totalement et définitivement asymétriques. Le déficit vestibulo-spinal causé par le traitement chirurgical serait interprété au niveau central comme un signal d’erreur annulant la stratégie utilisée en préopératoire, et provoquant la mise en œuvre de nouvelles stratégies de stabilisation. Le changement de stratégie posturale et de cadres de références au moyen d’une nouvelle sélection sensorielle pourrait être une fac¸on de réduire l’instabilité posturale attendue. 4.3. Le changement de stratégie d’équilibration peut-il guider la rééducation vestibulaire ? Cette différence interindividuelle de l’influence des influx visuels ou proprioceptifs sur la régulation fine de la posture, ainsi que ce changement de stratégie posturale suggère qu’une rééducation vestibulaire à la carte serait plus adaptée, puisque prenant
en compte la perte de la sensibilité aux stimuli visuels ou proprioceptifs, eux-mêmes fonction des stratégies préférentielles des patients en préopératoire. Ainsi, dès le stade préopératoire, un examen postural par posturographie statique pourrait nous renseigner sur l’appartenance des patients à telle ou telle population, et ainsi prédire le changement de stratégie posturale après déafférentation. La posturographie statique serait donc, dès le stade préopératoire, un examen clef susceptible d’orienter les modalités de rééducation postopératoire afin d’obtenir une compensation vestibulaire optimale [15]. Une autre question est de savoir s’il faut rééduquer les patients dans leur stratégie passée ou dans leur stratégie nouvelle. Le changement de stratégie posturale et la nouvelle sélection sensorielle seraient une fac¸on de compenser l’instabilité posturale. Ainsi, une rééducation vestibulaire centrée sur cette nouvelle stratégie posturale serait probablement la plus efficace. Seule une étude prospective comparative pourrait répondre à ces questions. 4.4. Comment interpréter les perturbations persistantes des paramètres de la marche ? Une déviation de la trajectoire est retrouvée en postopératoire immédiat, du côté ipsilésionnel en condition yeux fermés par perte des informations vestibulaires unilatérales, et du côté controlésionnel en condition yeux ouverts par probable surcompensation par les informations visuelles (Fig. 3 et 4). Cette déviation de la trajectoire est rapidement compensée les yeux ouverts, alors qu’elle persiste à 3 mois en postopératoire en condition yeux fermés (Fig. 3). De même, si les patients ont une marche non perturbée à vitesse normale dès 1 mois après NVU, des perturbations persistantes sont révélées lors de la marche rapide en condition yeux fermés (Fig. 5). Cependant, aucun de ces patients ne décrit de sensation d’instabilité clinique. Le système vestibulaire joue un rôle majeur dans l’orientation du corps et sa stabilisation, et le système visuel est indispensable pour obtenir une bonne compensation et permet de pallier la perte des informations vestibulaires [16]. Le système visuel joue un rôle plus important sur les fonctions locomotrices lorsque le système vestibulaire a subi une altération unilatérale, ce qui explique que les perturbations soient démasquées les yeux fermés : l’absence d’influx visuels est responsable des perturbations fines de la marche observées, même à distance de la perte
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A. Devèze et al. / Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 132 (2015) 184–190
unilatérale des fonctions vestibulaires, et de leur persistance avec le temps, même sans retentissement clinique. 4.5. Comment interpréter les perturbations persistantes de la perception visuelle de la verticale et de la cyclotorsion oculaire ? Au moyen d’analyses fines, des perturbations majeures de la verticale visuelle subjective (Fig. 6), et de la cyclotorsion (Fig. 7 et 8) sont retrouvées dès le stade postopératoire immédiat. Bien qu’atténuées, ces perturbations persistent à distance de la neurotomie, et ceci malgré l’absence de sensation d’instabilité décrite par les patients testés. Ces fonctions restent altérées longtemps après NVU ; leur compensation est un processus progressif et très long. Certaines de ces perturbations, telles que celle de la VVD, persistent à 1 an de la chirurgie (Fig. 6). Le système vestibulaire participe à la stabilisation du regard durant les stimulations optocinétiques. L’étude de l’atteinte perceptive montre le rôle du système vestibulaire, en interaction avec d’autres modalités sensorielles, dans l’élaboration de la représentation spatiale interne. La suppression unilatérale des informations vestibulaires induit une désorganisation transitoire de cette représentation spatiale interne à un haut niveau de traitement de l’information [17]. La compensation de cette désorganisation est un processus très long, mais qui n’implique pas d’intensifier la rééducation vestibulaire, en l’absence de perturbation clinique. 4.6. Ces perturbations expliquent-elles les instabilités persistantes ? En pratique, aucun des patients testés ne rapportait d’instabilité, malgré les perturbations fines révélées sur les différents paramètres étudiés. Il est démontré que des facteurs psychologiques comme le stress pourraient être responsables des instabilités persistantes [18]. Du point de vue subjectif, les patients ne décrivent aucune instabilité dans 90 % des cas. L’instabilité rapportée par les 10 % de patients restant pourrait s’expliquer par une mauvaise stratégie de rééducation. Dans cette population, cette compensation incomplète pourrait également provenir d’une mauvaise intégration ou adaptation centrale, du fait de lésions centrales coexistantes ou d’un terrain psychologique fragile. Une étude spécifique des patients instables, comparative, doit être réalisée pour préciser les causes des instabilités persistantes. 5. Conclusion La compensation vestibulaire après neurotomie se fait dans la plupart des cas dans de bonnes conditions et avec de bons résultats. Les instabilités résiduelles, si elles sont peu nombreuses, méritent toute notre attention. La compréhension de ces instabilités
persistantes et de cette variabilité interindividuelle est indispensable pour le patient et pour notre compréhension du phénomène de compensation vestibulaire. Une analyse fine des stratégies de compensations permet de déterminer des degrés variables de dépendance visuelle. Cette variabilité est détectable en préopératoire et peut guider les exercices de rééducation. Elle pourrait nous orienter vers une stratégie de rééducation vestibulaire « à la carte », dès le stade préopératoire. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Jackler RK, Whinney D. A century of eighth nerve surgery. Otol Neurotol 2001;22:401–16 [Comment in: Otol Neurotol 2001;22:709]. [2] Magnan J, Chays A, Locatelli P. Chirurgie des vertiges. In: EMC techniques chirurgicales tête et cou. Paris: Elsevier Masson SAS; 1994. p. 15. [3] Shepard NT, Telian SA. Programmatic vestibular rehabilitation. Otolaryngol Head Neck Surg 1995;112:173–82. [4] Garcia-Ibanez E, Garcia-Ibanez JL. Middle fossa vestibular neurectomy: a report of 373 cases. Otolaryngol Head Neck Surg 1980;88:486–90. [5] Aristegui M, Canalis RF, Naguib M, et al. Retrolabyrinthine vestibular nerve section: a current appraisal. Ear Nose Throat J 1997;76:578–83. [6] Magnan J, Bremond G, Chays A, et al. Vestibular neurotomy by retrosigmoid approach: technique, indications, and results. Am J Otol 1991;12:101–4. [7] Silverstein H, Wanamaker H, Flanzer J, et al. Vestibular neurectomy in the United States – 1990. Am J Otol 1992;13:23–30. [8] Reid CB, Eisenberg R, Halmagyi GM, et al. The outcome of vestibular nerve section for intractable vertigo: the patient’s point of view. Laryngoscope 1996;106:1553–6. [9] Lacour M, Dutheil S, Tighilet B, et al. Tell me your vestibular deficit, and I’ll tell you how you’ll compensate. Ann N Y Acad Sci 2009;1164:268–78. [10] Lacour M, Barthelemy J, Borel L, et al. Sensory strategies in human postural control before and after unilateral vestibular neurotomy. Exp Brain Res 1997;115:300–10. [11] Borel L, Harlay F, Lopez C, et al. Walking performance of vestibular defective patients before and after unilateral vestibular neurotomy. Behav Brain Res 2004;150:191–200. [12] Lopez C, Lacour M, Ahmadi AE, et al. Changes of visual vertical perception: a long-term sign of unilateral and bilateral vestibular loss. Neuropsychologia 2007;45:2025–37. [13] Lopez C, Borel L, Magnan J, et al. Torsional optokinetic nystagmus after unilateral vestibular loss: asymmetry and compensation. Brain 2005;128:1511–24 [Epub 2005 May 25]. [14] Black FO, Nashner LM. Vestibulo-spinal control differs in patients with reduced versus distorted vestibular function. Acta Otolaryngol Suppl 1984;406:110–4. ˜ [15] Ortuno-Cortés MA, Martín-Sanz E, Barona-de Guzmán R. Static posturography versus clinical tests in elderly people with vestibular pathology. Acta Otorrinolaringol Esp 2008;59:334–40. [16] Borel L, Harlay F, Magnan J, et al. Deficits and recovery of head and trunk orientation and stabilization after unilateral vestibular loss. Brain 2002;125:880–94. [17] Péruch P, Borel L, Gaunet F, et al. Spatial performance of unilateral vestibular defective patients in nonvisual versus visual navigation. J Vestib Res 1999;9:37–47. [18] Horner KC, Cazals Y. Stress in hearing and balance in Meniere’s disease. Noise Health 2003;5:29–34.