Les myopathies mitochondriales :leurs aspects cliniques, biologiques, morphologiques et moléculaires

Les myopathies mitochondriales :leurs aspects cliniques, biologiques, morphologiques et moléculaires

Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 179-82 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01008806/SCO Table rond...

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Arch Pédiatr 2002 ; 9 Suppl 2 : 179-82 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0929693X01008806/SCO

Table ronde : Les myopathies métaboliques

Les myopathies mitochondriales : leurs aspects cliniques, biologiques, morphologiques et moléculaires B. Echenne1*, F. Rivier1, H. Bellet2, V. Humbertclaude1, A. Roubertie1 1

Service de neuropédiatrie, hôpital Saint-Éloi, CHU Montpellier, 295, avenue Augustin Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France ; 2service de biochimie, hôpital Saint-Éloi, CHU Montpellier, 295, avenue Augustin Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France

La mitochondrie est un organite intracellulaire dont l’ensemble, ou chondriome, peut occuper 25 % du volume cytoplasmique. Presque toutes les cellules eucaryotes contiennent de l’ordre de 102 à 103 mitochondries. L’ATP (adénosine triphosphate) est la source universelle de l’énergie cellulaire fournie essentiellement par l’oxydation des acides gras non estérifiés, du lactate/pyruvate et des corps cétoniques par le mécanisme complexe de la phosphorylation oxydative ; sa synthèse est exclusivement mitochondriale. On conçoit dès lors l’importance de cet organite ubiquitaire et les conséquences pathologiques multiples de son dysfonctionnement. Les maladies mitochondriales regroupent différentes atteintes d’organes dont l’élément commun est un déficit enzymatique de la chaîne respiratoire mitochondriale. Longtemps considérées comme des maladies exclusivement neuromusculaires, il s’est avéré que tous les tissus et viscères pouvaient être concernés et qu’il s’agissait de maladies ubiquitaires extrêmement polymorphes sur le plan clinique. Différents modes d’hérédité sont possibles, liés à la double origine génétique mitochondriale et nucléaire des protéines de la chaîne respiratoire, renforçant l’hétérogénéité de ce groupe d’affections.

*Correspondance. Adresse e-mail : [email protected] (B. Echenne).

PRÉSENTATION CLINIQUE L’âge de début va de la période néonatale à l’âge adulte. Les formes précoces sont les plus fréquentes et de pronostic très réservé en général, surtout si les manifestations neurologiques sont prédominantes. Le polymorphisme clinique est extrême ; certaines caractéristiques cependant font évoquer de parti pris le diagnostic : – quand au cours de l’évolution, qui peut s’étendre sur plusieurs années, on voit s’extérioriser des localisations viscérales nouvelles, avec une atteinte neurologique quasi constante à un moment quelconque de l’évolution ; – quand dans un contexte de retard psychomoteur ou de handicap neurologique, on retrouve une surdité et des manifestations extra-neurologiques d’emblée ou secondairement ; – quand il existe, malgré l’aggravation lente des signes initiaux dans le temps, des améliorations spontanées, ou des fluctuations de l’intensité des signes. Parfois même, certaines anomalies peuvent disparaître spontanément (paracytopénie, troubles digestifs, myopathie précoce) ; – quand biologiquement une hyperlacidémie et une hyperlacticorachie sont retrouvées de façon précoce et reproductible. La liste de ces arguments n’est pas limitative car il existe en matière de cytopathie mitochondriale un tel polymorphisme symptomatique et évolutif que ce diagnostic doit être évoqué, malgré sa rareté dans de multiples circonstances en pratique [1-3] (tableau I).

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Tableau I. Principales formes cliniques selon l’âge. Période néonatale (avant 1 mois) Acidose lactique congénitale avec coma, convulsions, détresse respiratoire, hépatomégalie, tubulopathie proximale Insuffisance hépato-cellulaire avec hypotonie, tubulopathie proximale Syndrome de Pearson (anémie sidéroblastique, neutropénie, thrombopénie, insuffisance pancréatique externe) Cardiomyopathie hypertrophique isolée, ou avec hypotonie, ou dans un contexte de syndrome de Barth (hypotrophie, retard mental, neutropénie) Forme myopathique avec hypotonie massive Syndrome de De Toni-Debré-Fanconi Première enfance (1 mois–3 ans) Syndrome de Leigh Feigin-Wolff Encéphalopathie dégénérative ou l’on peut retrouver en proportions variables : mouvements oculaires anormaux, régression intellectuelle, signes pyramidaux, mouvements anormaux, ataxie, neuropathie démyélinisante, leucodystrophie, anomalie du signal des noyaux gris en imagerie Formes musculaires avec syndrome myopathique, fatigabilité anormale, myoglobinurie paroxystique Insuffisance hépatocellulaire Tubulopathie proximale, néphropathie intersticielle, insuffisance rénale Hypotrophie staturo-pondérale ; déficit en GH, diabète sucré, hypoglycémie Syndrome de malabsorption digestive, insuffisance pancréatique externe Anémie sidéroblastique, neutropénie, thrombopénie Surdité Cardiomyopathie hypertrophique Atrophie optique, ophtalmoplégie externe progressive, rétinite pygmentaire, cataracte Pigmentation anormale des régions exposées au soleil, cheveux secs et cassants Grand enfant–adolescent–adulte Syndrome de Kearns-Sayre Encéphalopathie avec myoclonies, ataxie, surdité, faiblesse musculaire (syndrome MERRF) Encéphalopathie avec acidose lactique et accidents vasculaires récidivants (MELAS) Myalgies d’effort avec faiblesse musculaire, avec ou sans ophtalmoplégie externe Maladie d’Alpers Atrophie optique de Leber Rétinite pigmentaire avec neuropathie, ataxie, retard mental ou démence (NARP) Encéphalopathie myo-neuro-gastro-intestinale (MNGIE)

DÉPISTAGE BIOCHIMIQUE D’UNE MALADIE DE LA CHAÎNE RESPIRATOIRE Un certain nombre d’anomalies biochimiques peuvent attirer l’attention vers un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire mitochondriale : – une élévation du rapport lactate/pyruvate (reflet de l’état d’oxydo-réduction cytoplasmique) avec lactacidémie élevée de façon permanente (> 2,5 mM) ; – un rapport β-hydroxybutyrate/acéto-acétate élevé (reflet de l’état d’oxydoréduction mitochondriale) en période post-prandiale ; – élévation de l’alanine à la chromatographie des acides aminés plasmatiques. Cependant, ces anomalies sont inconstantes, souvent tardives dans l’évolution de la maladie. Elles peuvent être sensibilisées par une charge glucidique. La mise en évidence d’une hyperlacticorachie semble constituer l’argument le plus solide, mais là encore, inconstant.

La biopsie musculaire est indispensable. Il est rare cependant qu’elle retrouve des signes caractéristiques de cytopathie mitochondriale, comme les ragged-red fibers (3 cas sur 118 biopsies chez 113 malades atteints de myopathie mitochondriale [4]), ou des anomalies évocatrices en immuno-cytochimie (diminution du marquage au COX, par exemple). Elle est le plus souvent normale, ou ne retrouve que des anomalies mineures et non spécifiques (fibres atrophiques angulaires, atrophie des fibres de type II, augmentation du nombre et de la taille des mitochondries). En revanche, elle permet de recueillir le meilleur substrat pour l’analyse enzymatique. Les études enzymatiques sont essentielles : elles peuvent se faire soit par étude polaro-graphique sur les muscles, ou sur des lymphocytes circulants, mais ceci nécessite du matériel frais ; soit par étude spectrophotométrique, en sachant que le tissu à analyser dépend de la maladie ou du syndrome en cause.

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Les myopathies mitochondriales

L’analyse doit porter en priorité sur le tissu cliniquement atteint (muscle, lymphocytes, foie, myocarde…). Cinquante pour cent des déficits exprimés dans le muscle le sont également dans les lymphocytes [1]. Toutefois, une activité normale de la chaîne respiratoire ne permet pas d’exclure un déficit mitochondrial. Plusieurs explications à cela : mutation affectant les propriétés cinétiques d’une enzyme, hétérogénéité tissulaire, mosaïsme cellulaire (hétéroplasmie), etc. Les études moléculaires, la répétition des analyses enzymatiques sont souvent nécessaires. Il convient par ailleurs, en cas de déficit, d’éliminer une forme secondaire à un trouble de la β-oxydation des acides gras par exemple. Il est souvent difficile d’affirmer un déficit quand le taux résiduel d’activité enzymatique reste élevé (d’où l’intérêt de mesurer les rapports des différentes activités). Enfin, certaines enzymes, comme le complexe I, sont particulièrement fragiles, et demandent à être analysées sur des tissus frais. LE DIAGNOSTIC EN BIOLOGIE MOLÉCULAIRE Il est extrêmement complexe. On dénombre actuellement plus de 200 formes de mutations différentes [5]. On peut schématiquement distinguer : – les encéphalomyopathies mitochondriales par mutation de l’ADN mitochondrial, de transmission mendéliennes. Certaines sont autosomiques dominantes (ophtalmoplégie externe progressive, encéphalopathie progressive, cardiomyopathie idiopathique familiale). D’autres sont autosomiques récessives (ophtalmoplégie avec cardiomyopathie, syndrome de Wolfram, forme myopathique pure). Certains cas sont sporadiques. La plupart correspon-

dent à des délétions multiples. La localisation des gènes reste à découvrir dans la majorité des cas. Quelques situations font exception : gène de la thymidine phosphorylase en 22q13 pour l’encéphalopathie myo-neuro-intestinale ; mais aussi une hétérogénéité très marquée pour l’ophtalmoplégie progressive (10q23, 3p14, 4q34). En fait, la plupart de ces formes se transmettent selon un mode autosomique récessif. Exceptionnellement selon un mode lié à l’X ; – certaines encéphalomyopathies mitochondriales avec mutation de l’ADN mitochondrial n’ont pas une transmission mendelienne, mais sont soit sporadiques, soit d’origine maternelle ; leur polymorphisme clinique est extrême (syndrome de Kearns-Sayre, de Person, ophtalmoplégie progressive, MELAS, MERRF, etc.) ; – à côté des mutations (intéressant l’ADN nucléaire comme l’ADN mitochondrial), on peut observer également des délétions, des duplications, ou des mutations ponctuelles. Il peut exister également des déficits quantitatifs, avec déplétion de l’ADN mitochondrial, d’où la nécessité non seulement de l’analyse des activités enzymatiques, mais aussi d’une évaluation quantitative de l’ADN intramitochondrial ; – l’essentiel des mécanismes physiopathologiques reste cependant à découvrir en matière de cytopathie mitochondriale. L’exemple du syndrome de Leigh l’illustre bien puisque dans la moitié des cas environ, aucun déficit de la chaîne respiratoire ne peut être mis en évidence et que dans l’état actuel de nos connaissances, les mécanismes identifiés le sont depuis peu de temps, et ne concernent pas la majorité des patients (tableau II) ; – les troubles de l’assemblage du complexe de phosphorylation oxydative constituent un autre méca-

Tableau II. Biologie moléculaire et syndrome de Leigh. Mode de transmission

Localisation du gène

Produit du gène

A. récessif

19p13

NDUFS 7 NADH ubiquinone réductase FE. S protéine 7 NDUF 58 NADH ubiquinone réductase FE. S protéine 8 SDHA Succinate dyshydogénase 2 SURF 1

A. récessif

11q13

A. récessif

5p15

A. récessif

9q34

Déficit de la chaîne respiratoire Complexe I

Complexe I Complexe II Complexe IV

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B. Echenne et al.

nisme susceptible d’induire un dysfonctionnement de la chaîne respiratoire. À côté des mutations ou des délétions affectant l’ADN mitochondrial ou nucléaire, il peut exister des anomalies d’assemblage des 83 sub-unités structurales formant la chaîne oxydative, la mutation touchant alors un gène impliqué dans ces mécanismes d’assemblage. De tels déficits sont suspectés, mais non démontrés pour les complexes I et V, et pour les déficits multiples ; en revanche, ils sont mis en évidence par les complexes III et IV [6] ; – une mutation du gène d’assemblage BCS 1 a été récemment mise en évidence chez 6 patients atteints de tubulopathie néonatale avec atteinte hépatique ; – de nombreux gènes d’assemblage sont par contre impliqués dans les déficits en complexe IV : gène SURF1, dont la mutation induit un syndrome de Leigh, mais aussi d’autres phénotypes (comme une leucodystrophie) ; gène SCO2, dont la mutation est responsable d’une cardio-encéphalomyopathie grave ; une mutation de la protéine C terminale du gène SCO1 entraîne un désassemblage du complexe IV. D’autres gènes sont actuellement à l’étude (COX 18, COX 20, PET 197, COX 14, COX 15…). Des essais de corrélation phénotype/anomalie moléculaire ont été réalisés. Une telle relation directe apparaît exister avec le MELAS et le MERRF notamment, au stade initial des recherches. Mais les relations génotype/phénotype sont plus complexes. Des mutations de plusieurs gènes nucléaires et d’ADN mitochondrial ont été observées dans l’ophtalmoplégie progressive et le syndrome de Leigh [7]. À

l’opposé, la mutation 3243 est retrouvée dans la majorité des cas de MELAS, mais aussi dans des phénotypes très différents comme le diabète sucré avec ou sans surdité et certaines cardiomyopathies. Le syndrome de déplétion de l’ADN mitochondrial correspond le plus souvent à une forme sévère avec signes neurologiques précoces, le décès survenant dans les 3 ans dans la majorité des cas. Or, il peut être rapporté des cas avec un phénotype de syndrome de Kearns et même de forme musculaire pure [8, 9]. L’essentiel, en matière de corrélation génotype/ phénotype, reste donc à démontrer. RE´ FE´ RENCES 1 Cormier-Daire V, Rötig A, Rustin P, Munnich A. Les mitochondriopathies. Progrès en pédiatrie-génétique. Paris : Doin ; 1997. p. 279-87. 2 Ponsot G, Desguerre I, Rodriguez D, Moutard ML. Manifestations neurologiques des maladies mitochondriales. Med Ther 1995 ; 1 : 449-63. 3 Di Mauro S, Bonilla E, Devino DC. Does the patient have a mitochondrial encephalomyopathy ? J Child Neurol 1999 ; 14 : S23S35. 4 Rollins S, Prayson RA, Macmahon JT, Cohen BH. Diagnostic yeld muscle biopsy in patients with clinical evidence of mitochondrial cytopathy. Ann. J Clin Pathol 2001 ; 116 : 326-30. 5 Servidei S. Mitochondrial encephalomyopathies : gene mutation. Neuromuscular Disord 2001 ; 11 : 690-5. 6 Coenen MJ, van Den Heuvel LP, Smeitink JA. Mitochondrial oxidative phosphorylation system assembly in man : recent achievements. Curr Opin Neurol 2001 ; 14 : 777-81. 7 Goto Y. Clinical and molecular studies of mitochondrial diseases. J Inherit Metab Dis 2001 ; 24 : 181-8. 8 Barthelemy C, Ogier De Baulny H, Diaz J, Cheval MA, Frachon P, Romero N, et al. Late-onset DNA mitochondrial depletion : DNA copy number, multiple, deletions and compensation. Ann Neurol 2001 ; 49 : 607-17. 9 Rustin P, Rötig A. Mécanismes moléculaires des cytopathies mitochondriales. Med Ther 1995 ; 1 : 435-47.