Les particularités du lipofilling chez l’enfant

Les particularités du lipofilling chez l’enfant

Annales de chirurgie plastique esthétique (2016) 61, 732—739 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Les particularités du lipo...

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Annales de chirurgie plastique esthétique (2016) 61, 732—739

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Les particularités du lipofilling chez l’enfant Autologous fat grafting in children C. Baptista a,*, B. Bertrand a, C. Philandrianos b, N. Degardin c, D. Casanova a a

´ paratrice, ho ˆ pital La-Conception, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, Service de chirurgie plastique et re France b ˆ pital Nord, chemin des Bourrely, 13015 Marseille, France Service de chirurgie plastique, ho c ´ diatrique, ho ˆ pital La Timone Enfants, 264, rue Saint-Pierre, Service de chirurgie plastique pe 13385 Marseille, France

MOTS CLÉS Lipofilling ; Injection tissu graisseux autologue ; Craniosténose ; Dysplasie otomandibulaire ; Tissu cicatriciel

KEYWORDS Lipofilling;

Résumé Le lipofilling ou transfert de tissu graisseux est défini comme une technique de comblement des tissus mous par injection de graisse autologue. Le principe de base du lipofilling repose sur un prélèvement de tissu graisseux, suivi d’une réinjection après traitement de celui-ci. Le lipofilling a pour objectif principal le comblement d’un défect volumique, mais il améliorerait également la trophicité cutanée. La spécificité du lipofilling chez l’enfant repose essentiellement sur ses indications. Les complications de la réinjection de tissu graisseux autologue chez l’enfant sont les mêmes que celles de l’adulte : on distingue les complications à court terme (per- et périopératoires) de celles à moyen et long terme. Le prélèvement de tissu graisseux représente le principal facteur limitant de la technique, devant le faible pourcentage de masse grasse de l’enfant. Les indications du lipofilling chez d’enfant peuvent être spécifiques ou similaires à celles de l’adulte. Il faut distinguer deux types d’indications : les indications d’ordre cosmétique, dans lesquelles l’objectif du lipofilling est la correction d’un défect volumique, qu’il soit acquis (d’origine iatrogène, post-traumatique, cicatriciel) ou malformatif (dysplasie otomandibulaire, craniosténose, syndrome de Parry Romberg, syndrome de Poland, pectus excavatum. . .). Les indications fonctionnelles ont pour objectif la correction d’une insuffisance vélaire ou d’une lagophtalmie. Dans la pratique pédiatrique, le lipofilling est devenu une alternative de choix aux techniques classiques, de par sa fiabilité, son innocuité, sa reproductibilité et ses bons résultats. # 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary Lipofilling or fat grafting transfer is defined as a technique of filling soft tissue by autologous fat grafting. The basic principle of lipofilling is based on a harvest of adipose tissue, followed by a reinjection after treatment. Lipofilling main objective is a volume defect filling,

* Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (C. Baptista), [email protected] (B. Bertrand), [email protected] (C. Philandrianos), [email protected] (N. Degardin), [email protected] (D. Casanova). http://dx.doi.org/10.1016/j.anplas.2016.04.008 0294-1260/# 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Les particularités du lipofilling chez l’enfant Autologous fat grafting; Craniosynostosis; Otomandibular dysplasia; Scar tissue

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but also improving cutaneous trophicity. Lipofilling specificities among children is mainly based on these indications. Complications of autologous fat grafting among children are the same as those in adults: we distinguish short-term complications (intraoperative and perioperative) and the medium and long-term complications. The harvesting of fat tissue is the main limiting factor of the technique, due to low percentage of body fat of children. Indications of lipofilling among children may be specific or similar to those in adults. There are two types of indications: cosmetic, in which the aim of lipofilling is correcting a defect density, acquired (iatrogenic, post-traumatic scar) or malformation (otomandibular dysplasia, craniosynostosis, Parry Romberg syndrom, Poland syndrom, pectus excavatum. . .). The aim of functional indications is correcting a velar insufficiency or lagophthalmos. In the paediatric sector, lipofilling has become an alternative to the conventional techniques, by its reliability, safety, reproducibility, and good results. # 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

Principe du lipofilling

Le lipofilling est défini comme une technique de comblement des tissus mous par injection de graisse autologue. L’utilisation du tissu adipeux comme produit de comblement en chirurgie reconstructrice et esthétique est ancienne et a fait l’objet de nombreuses études. La greffe d’adipocytes autologues (lipofilling) a bénéficié d’un regain d’intérêt ces dernières années avec la description de la Lipostructure1 de Coleman, qui est un procédé de greffe d’adipocytes qui s’appuie sur un matériel spécifique et une méthodologie stricte. L’utilisation de cette technique chez l’enfant trouve toute sa place devant la simplicité de la technique, le peu de complications et les séquelles minimes engendrées [1].

Le principe de base du lipofilling ou transfert de tissu graisseux repose sur un premier temps de prélèvement de tissu graisseux, suivi d’une réinjection après traitement de celui-ci. Le lipofilling a pour objectif principal le comblement d’un défect volumique, mais il améliorerait également la trophicité cutanée [3]. La technique de la greffe d’adipocytes utilisée est celle décrite par Coleman ; de multiples variations ont été présentées par différents auteurs, mais le concept reste identique [4]. Cette technique est rigoureuse et utilise un matériel spécifique. Elle comporte trois étapes : prélèvement, centrifugation, réinjection [5,6].

Anesthésie et infiltration

Historique Dès la fin du 19e siècle, les premiers essais de transferts d’auto- ou d’homogreffes graisseuses sont réalisés. On différencie différentes époques :  avant la lipoaspiration, technique appelée « à ciel ouvert », 1889—1977 ;  après la découverte de la lipoaspiration, appelée « non purifiée », 1977—1994 ;  suite aux travaux de S.R. Coleman, appelée « purifiée, atraumatique », 1994 [2]. En 1893, Neuber réalise la première autogreffe de tissu adipeux ; il faudra attendre les travaux de Peer en 1950 pour avoir une étude importante sur la greffe d’adipocytes. Avec l’apport par Illouz de la lipoaspiration, d’autres techniques de transfert de tissu graisseux sont apparues comme réalisables : la graisse recueillie par aspiration pouvait être ainsi prélevée en grande quantité et réinjectée à la demande. La publication par S. Coleman de sa technique atraumatique de prélèvement de graisse, appelée Lipostructure1 en 1994 révolutionne les fondements de la méthode. Son protocole repose sur une technique très codifiée ayant pour objectif principal une manipulation atraumatique du greffon adipeux. Le point clé de sa technique est la réinjection en treillis tridimensionnel de très petites quantités.

Chez l’enfant, l’anesthésie générale sera préférée, sauf dans de très rares cas de geste localisé nécessitant peu de tissu adipeux. L’infiltration du site donneur est classique mais non systématique, sauf lorsque le geste a lieu sous anesthésie locale seule.

Prélèvement Les incisions doivent se faire en zones cachées, au niveau de plis ou de cicatrices préexistantes pour limiter la rançon cicatricielle liée au prélèvement. Classiquement chez l’adulte et l’adolescent pubère, le prélèvement concerne les stéatoméries (graisse profonde dite de réserve) : ce sont souvent la région abdominale, la région trochantérienne, ou la face interne des genoux. Chez les enfants, ces stéatoméries n’existent pas encore : il faut prélever la graisse là où elle se trouve, soit dans les régions similaires à l’adulte, soit au niveau de zones plus spécifiques de localisation du tissu graisseux de l’enfant telles que les fesses ou l’abdomen. Chez les patients très minces, le prélèvement peut toucher toutes les zones de tissu adipeux (ce qui est souvent le cas chez les enfants). Le prélèvement est le plus souvent le facteur limitant chez l’enfant. À certains âges, le pourcentage de graisse est très faible ; à 5—6 ans, il est en moyenne de 12 à 16 %. C’est à cet âge que l’enfant est le plus mince et le prélèvement le plus difficile.

734 La répartition de la masse graisseuse sera harmonieuse au niveau de l’abdomen et des membres chez la fille prépubère alors qu’elle sera prédominante en région abdominale chez le garçon [7,8].

Purification Différentes techniques sont utilisées dans un but de purification du tissu prélevé. La plus usitée est la centrifugation (3 minutes à 3000 tours). À l’issue de celle-ci, le contenu de la seringue est séparé en trois phases : huileuse, adipocytaire et sanguine. Seule la partie intermédiaire où se trouvent les adipocytes à greffer est conservée.

Réinjection La technique de réinjection selon Coleman a pour objectif principal de déposer les quantités les plus petites possibles à chaque passage, afin d’éviter la formation de zones de cytostéatonécrose et donc à terme de perte de tissu réinjecté. Pour cela, il est nécessaire de réaliser un treillis tridimensionnel dans le tissu à greffer. Les canules de réinjection utilisées sont celles conçues par Coleman (17—18 G), à bout mousse, reliées à des seringues de 10 mL (1 mL pour l’utilisation au niveau de la face et des petites zones). Des canules de plus petit diamètre ont été conçues (sTrim) afin de réaliser des réinjections de plus petit volume lors d’indication nécessitant une plus grande précision, technique appelée microColeman.

C. Baptista et al. Une nécrose cutanée en regard de la zone de réinjection peut survenir en cas d’injection trop importante sous une peau fragilisée, notamment cicatricielle (injection pour améliorer la trophicité d’une greffe cutanée antérieure sous des peaux atrophiques comme dans les involutions d’hémangiome ou après injection de corticoïde. . .). La sous-correction : elle peut être volontaire dans un souci de ne pas engendrer de complications de type stéatonécrose ou nécrose cutanée. . . Le lipofilling est une technique souvent proposée de manière itérative afin de limiter ce risque. La sur-correction peut également survenir lorsque l’on cherche à anticiper une éventuelle résorption graisseuse qui n’advient pas. Une autre complication (non spécifique, mais plus susceptible de se produire chez l’enfant que chez l’adulte qui a un poids plus stable) est la modification de volume dans le temps du tissu graisseux réinjecté lors d’une forte variation pondérale [10,11]. Il semble en effet exister une variation histologique du tissu adipeux différente en fonction des différents sites donneurs en cas de prise de poids. Ainsi, un enfant ayant bénéficié d’une liposculpture des creux temporaux pour craniosténose, par exemple, peut se retrouver avec des zones injectées hypertrophiées à l’occasion d’une forte prise de poids et ainsi avoir une altération du résultat esthétique obtenu. La graisse de la face interne des cuisses semble moins sujette aux variations de volume que la graisse abdominale lors de prises de poids [12].

Indications

Complications Les complications de la réinjection de tissu graisseux autologue chez l’enfant sont les mêmes que celles de l’adulte : on distingue les complications à court terme (per- et périopératoires) de celles à moyen et long terme postopératoires. En peropératoires, les complications possibles sont la perforation d’organes nobles lors du prélèvement ou de la réinjection (anse intestinale dans les prélèvements abdominaux) [9]. Les perforations vasculaires et injection intravasculaire (embolie graisseuse) sont des complications rares mais gravissimes potentiellement mortelles ; elles sont prévenues par l’utilisation de canule à bout mousse, une technique d’injection rétrotraçante en évitant d’injecter sous pression. Dans une des indications spécifiques de l’enfant (injection de graisse pharyngée pour corriger une insuffisance vélopharyngée), le risque d’injection intravasculaire peut être majoré chez les patients porteurs d’anomalies anatomiques des trajets carotidiens comme dans la microdélétion 22Q11. En période postopératoire immédiate et pendant 8 à 10 jours, œdème et ecchymose sont habituels dans les zones de prélèvement et de réinjection. La formation d’un hématome est peu fréquente mais peut, en l’absence de prise en charge, conduire à une surinfection et à une lyse du matériel greffé. Les nodules de cytostéatonécrose peuvent survenir en cas d’injection monobloc ou en trop grande quantité ; ils peuvent être source de surinfection et conduire à des extrusions de la graisse ou une abcédation.

Le but premier de la réinjection de tissu graisseux est le comblement d’un défect volumique, qu’il soit acquis au cours de l’enfance ou congénital (malformatif). Certaines indications, comme le relèvement de cicatrices, sont communes à celles de l’adultes. Les indications plus spécifiques de l’enfant sont détaillées dans ce chapitre.

Cosmétiques Défect sous-cutané acquis Iatrogène Certains gestes médicaux sont pourvoyeurs de séquelles de type défect volumique : l’injection sous cutanée de corticoïdes locaux entraîne fréquemment une atrophie des tissus mous en regard du site injecté, que le lipofilling peut corriger [13—16]. La pose de distracteurs externes, notamment lors de procédure d’allongement de membres dans la technique d’Illizarov ou lors d’expansions crâniennes dans le cadre de malformations craniofaciales complexes, peut entraîner des dépressions et rétractions cicatricielles en regard des fiches. Le lipofilling, associé à une libération des brides et/ou adhérences, peut être très utile pour corriger ces défects cicatriciels [17]. De même, les techniques de drainage proposées dans l’enfance (drain abdominal ou thoracique) sont responsables à termes de cicatrices festonnées, adhérentes et souvent douloureuses. Dans ce cadre étiologique, il est impératif de s’assurer de la bonne étanchéité de la paroi avant lipofilling

Les particularités du lipofilling chez l’enfant (exemple : il persiste parfois une adhérence cutanéogastrique après pose de gastrostomie, le risque étant alors la perforation gastrique. . .). Post-traumatique Un traumatisme des tissus mous peut entraîner un défect volumique ; le syndrome de Morel-Lavallée correspond à un épanchement sérolymphatique qui se forme généralement après un traumatisme tangentiel en regard d’un tissu richement vascularisé. Il peut être à l’origine de multiples complications, dont une atrophie sous-cutanée importante qui pourra être corrigée par une réinjection de tissu adipeux [18]. Cicatriciel De nombreuses cicatrices (morsures, brûlures, séquelles d’infection cutanée avec parfois défect sous-cutané, séquelles de purpura fulminans) s’associent à une rétraction et une invagination des tissus avoisinants. Ces séquelles sont majorées par la croissance de l’enfant. Le lipofilling, associé à la libération des adhérences, est indiqué afin de remettre à niveau le tissu cutané, améliorer la trophicité cutanée et l’aspect cicatriciel. L’exemple type est celui de la cicatrice de brûlure (rétraction, attraction, déformation) où le lipofilling n’est qu’une étape dans le processus de réparation, qui va exiger le recours à d’autres techniques [19].

735 Chez l’enfant, on rencontre également des séquelles cicatricielles de processus involutif comme dans le cas d’une involution d’hémangiome infantile ou de façon plus flagrante encore, lors de l’involution d’hémangiome congénital de type RICH, qui laissera souvent une atrophie sous-cutanée marquée associée à une dilatation du réseau veineux superficiel, pouvant compliquer la réalisation du geste de lipofilling (risque plus important d’injection intravasculaire). Certaines études montrent également l’intérêt du lipofilling dans la prise en charge des cicatrices douloureuses sur le long terme (après résolution de la phase d’hypertrophie cicatricielle) dans la diminution des douleurs résiduelles de cicatrices [20] (Fig. 3).

Défect sous-cutané congénital Au niveau craniofacial Les dysplasies otomandibulaires (ou microsomies hémifaciales). On regroupe sous le terme de « dysplasies otomandibulaires », l’ensemble des malformations associant hypoplasie ou agénésie de l’oreille et hypoplasie mandibulaire et des parties molles en regard. L’hypoplasie des tissus mous a des conséquences fonctionnelles et esthétiques. La peau est généralement de bonne qualité, mais peut présenter des plages hypotrophiques, dyschromiques, bien délimitées,

Figure 1 Patiente de 12 ans présentant un syndrome otomandibulaire droit : a : réinjection de tissu graisseux autologue afin de combler le défect sous-cutané hémimandibulaire après correction de l’hypoplasie mandibulaire par distraction (Pr Philippe Pellerin, Lille) ; b : aspect peropératoire (c et d) ; c : résultat postopératoire à distance (b).

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C. Baptista et al.

Figure 2 Patient âgé de 14 ans présentant une séquelle de craniosténose de type trigonocéphalie. Aspect préopératoire (a) et postopératoire (b) de la correction des creux temporaux par lipofilling.

souvent en rapport avec une atteinte des tissus sous-cutanés sous-jacents ; l’hypoplasie peut également concerner les muscles ou la parotide [21]. Classiquement proposée, la réinjection de tissu adipeux a prouvé son efficacité et aboutit à des résultats fiables et durables. Elle est adaptée aux déficits de faible volume ou en complément d’une autre méthode (lambeaux locaux ou microchirurgicaux). Dans les formes sévères, elle peut être proposée plutôt au cours de la croissance du visage de l’enfant mais nécessitera le plus souvent plusieurs temps opératoires [22—25] (Fig. 1). Craniosténose. Le lipofilling est une technique fréquemment utilisée dans le comblement des creux et/ou irrégularités résiduelles après correction chirurgicale initiale d’une craniosténose, visibles en région temporale ou frontale (trigonocéphalie, plagiocéphalie, faciocraniosténose) [26] (Fig. 2).

pectoralis major. Le traitement de ces anomalies thoracomammaires n’a pas de but fonctionnel; l’indication opératoire est justifiée par le caractère inesthétique de la malformation thoracique, source de retentissement psychologique important. Elle a pour but chez l’enfant de camoufler les côtes en augmentant l’épaisseur des tissus cutanéomusculaires et de remplir la dépression sous-claviculaire. Chez la jeune fille ou l’adolescente, il faudra restaurer un volume mammaire, repositionner le complexe aréolomamelonnaire. Il faut faire particulièrement attention à la position basse des vaisseaux sous-claviers et à la fréquence des malformations costales lors de la réinjection du tissu graisseux. Il faut définir en début de croissance mammaire (10—12 ans) les possibilités de correction du volume mammaire et assurer un suivi rapproché pendant toute la croissance mammaire. Les méthodes chirurgicales de correction

Syndrome de Parry Romberg. L’atrophie hémifaciale progressive ou syndrome de Parry-Romberg est une affection rare atrophiante caractérisée par une atteinte acquise, idiopathique, unilatérale et progressive des structures cutanées, sous-cutanées, voire osseuses de la face. Il peut se voir à tous les âges et touche principalement la population de sexe féminin durant les deux premières décennies. Généralement, une ou plusieurs plaques cutanées dyschromiques inaugurent le tableau clinique laissant apparaître une dégénérescence hypoplasique progressive et irréversible des différentes structures de la face. L’évolution est lente et progressive (2 à 10 ans) [27]. Afin de corriger les séquelles de ce syndrome, il est primordial de classifier et d’évaluer l’importance de l’atrophie des tissus cutanéograisseux, pour pouvoir proposer la bonne stratégie thérapeutique. Le lipofilling est une technique qui a révolutionné la prise en charge de ces patients qui pouvait faire appel à des techniques de reconstruction complexes [28—31]. Au niveau thoracique Syndrome de Poland. Le syndrome de Poland est une malformation rare (1 cas pour 30 000 naissances). Il associe à des degrés divers des anomalies thoracomammaires et des anomalies du membre supérieur homolatéral. L’anomalie constante est l’agénésie des faisceaux sternocostaux du

Figure 3 Défect volumique de la face externe du bras chez une adolescente 3 ans après exerèse d’une lésion cutanée. Résultat postopératoire à 1 an après une séance d’injection de tissu graisseux.

Les particularités du lipofilling chez l’enfant sont celles des reconstructions mammaires et/ou du comblement thoracique, diversement associées entre elles selon les cas [32] (Fig. 4). L’autogreffe de tissu adipeux est une technique qui convient parfaitement aux formes mineures. Elle peut également précéder la mise en place d’une prothèse afin d’étoffer l‘étui cutané, ou être associée à un lambeau musculaire afin d’augmenter le volume apporté. Dans certains cas, la totalité de la reconstruction mammaire pourrait être réalisée par lipofilling : petit volume controlatéral et zones de prélèvement suffisantes [33]. Pectus. Le pectus excavatum, ou thorax en « entonnoir », est la malformation thoracique congénitale la plus fréquente. Dans 86 % des cas, la déformation est visible dès la naissance. Elle se majore progressivement avec la croissance du sujet. La disgrâce esthétique se fait de plus en plus ressentir avec la scolarisation du patient et la demande de correction intervient généralement à l’adolescence. Il existe de nombreuses techniques chirurgicales différentes pour corriger cette malformation. Elles peuvent être classées en deux catégories :

737  les sternochondroplasties modelantes (Ravitch et Muss) ;  les techniques de comblement (matériel étranger ou autologue). Le lipofilling est une des techniques de comblement autologue, avec les lambeaux épiploïque et libre osseux (progressivement abandonnés car entraînant une morbidité importante). La technique de lipofilling est d’un grand apport, isolé dans les formes mineures ou les formes latéralisées, ou en complément d’une prothèse thoracique ou d’une technique de sternoplasties, afin de camoufler ses rebords ou de corriger les défects résiduels [34]. Malformations mammaires. Les seins tubéreux apparaissent au moment de la puberté, lors de la croissance mammaire. Cette malformation est due à un défaut de la base mammaire et prédomine dans la partie inférieure du sein. Le lipomodelage apporte un complément important, en volume et en amélioration de la forme. Il est le plus souvent combiné à un autre acte chirurgical, pour obtenir le résultat adéquat.

Figure 4 Patiente de 6 ans avec un syndrome de Poland à gauche : a : photographie préopératoire ; b : photographie à 6 mois d’un premier lipofilling de la région thoracique antérieure et du pilier axillaire antérieur. Épaississement du tissu sous-cutané et diminution du coup de hache axillaire antérieur ; c : photographie de la patiente à l’âge de 14 ans après 2e temps de lipofilling et avant mise en place d’un expandeur mammaire ; d : résultat à l’âge de 16 ans après mise en place de la prothèse définitive gauche et symétrisation.

738 Certaines déformations thoraciques, congénitales ou acquises, peuvent entraîner des déformations mammaires pouvant être corrigées par la réinjection de tissu adipeux [35]. Membres Le lipofilling peut permettre d’apporter de l’étoffe souscutanée lors des atrophies de muscles de la jambe, comme dans le cadre de séquelles musculaires d’un pied bot varus équin, par exemple.

Fonctionnelle L’insuffisance vélopharyngée (IVP) L’insuffisance vélaire est une incapacité du voile à fermer l’espace rhinopharyngé. Les causes de cette pathologie sont diverses : elle peut être primitive ou secondaire à la prise en charge d’une fente vélaire ou vélopalatine. La propulsion en avant du mur pharyngé postérieur fait partie des techniques classiques de traitement de l’incompétence vélopharyngée. L’injection de graisse autologue en arrière de la muqueuse pharyngée en constitue une évolution récente et est devenue une technique en complément ; elle s’utilise seule ou en association à d’autres techniques [36,37]. Il s’agit de réaliser une injection de graisse autologue soit dans les piliers pharyngés postérieurs et/ou le voile par ponction directe, soit au niveau de la paroi pharyngée latérale par ponction (risque de lésion des artères carotides internes, notamment chez les patients proteurs d’une microdeletion [Fig. 1c et d] 22q11). Cette technique est intéressante car elle épargne la musculature du pharynx et ne crée pas de nouvelles cicatrices [38].

La lagophtalmie (exemple : syndrome de Treacher Collins) Le syndrome de Treacher-Collins est une anomalie congénitale du développement crâniofacial caractérisée par une dysplasie otomandibulaire bilatérale et symétrique sans anomalies des extrémités, associée à diverses anomalies de la tête et du cou (Fig. 2—4). Dans ce syndrome, le lipofilling est indiqué dans le comblement des parties molles, mais aussi dans le traitement de la lagophtalmie : la réinjection sous-périostée (et non sous-cutanée) de graisse dans la région palpébrale inférieure permet de réascensionner le bord libre de la paupière inférieure corrigeant ainsi au moins partiellement la lagophtalmie.

Conclusion Le lipofilling est devenu une alternative de choix aux techniques classiques de par sa fiabilité, son innocuité, sa reproductibilité et ses bons résultats. Il s’est imposé dans la pratique pédiatrique dans un cadre cosmétologique mais aussi fonctionnelle. Le devenir du tissu graisseux réinjecté notamment lors de fortes variations pondérales reste un sujet d’étude actuel.

C. Baptista et al.

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

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