Médecine du sommeil (2015) 12, 156—160
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MISE AU POINT
Les précurseurs du diagnostic du syndrome d’apnées du sommeil : hommage au Pr Bernard Duron The precursors of the sleep apneas syndrome diagnosis: Tribute to Pr Bernard Duron F. Martin Centre hospitalier intercommunal Compiègne-Noyon, pneumologie et pathologies du sommeil, 60321 Compiègne cedex, France Rec ¸u le 31 aoˆ ut 2015 ; accepté le 13 octobre 2015 Disponible sur Internet le 11 novembre 2015
MOTS CLÉS Apnées du sommeil ; Histoire
KEYWORDS Sleep apnea; History
Résumé La première description du syndrome d’apnées au cours du sommeil fut littéraire et publiée par Charles Dickens en 1836, au travers d’un des personnages de « The Posthumous Papers of the Pickwick Club » ; il fallut attendre 120 ans pour sa caractérisation scientifique, puisque le syndrome de Pickwick a été décrit en 1956 par C.S. Burwell. Une décennie plus tard c’est une équipe de neurophysiologistes franc ¸ais, de Marseille, dirigée par H. Gastaut qui, avec B. Duron et C.A. Tassinari, réalisa en 1965 les premiers enregistrements polygraphiques des apnées au cours du sommeil et décrivit l’essentiel des mécanismes physiopathologiques. Bernard Duron poursuivit sa carrière universitaire à Amiens où son équipe fut parmi les pionnières en France pour le diagnostic et le traitement de cette affection dont la gravité et la fréquence sont maintenant reconnues. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Summary The first description of apneas during sleep was literary and published by Charles Dickens in 1836 through a character in ‘‘The Posthumous Papers of the Pickwick Club’’; it took 120 years for its scientific publication, since the Pickwick syndrome was described in 1956 by C.S. Burwell. A decade later a team of French neurophysiologists in Marseille, headed
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Les précurseurs du diagnostic du syndrome d’apnées du sommeil
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by H. Gastaut working with B. Duron and C.A. Tassinari, realized in 1965 the first polygraphic recordings of apneas during sleep and described the essential pathophysiological mechanisms. Bernard Duron continued his academic career in Amiens where his team was among the pioneers in France for the diagnosis and treatment of this condition whose severity and frequency are now recognized. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Dès le 18e siècle, certains écrits médicaux franc ¸ais mentionnent déjà un syndrome diagnostiqué : la « tombée de la luette ». Il y est question d’une luette enflée, d’un manque de sommeil et d’une santé générale altérée. Quelques chirurgiens téméraires vont même déjà jusqu’à faire l’ablation de la luette. En matière d’historique du syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) nos références sont Christian Guilleminault qui en 1972 a défini l’entité clinique, la caractérisant par la présence de plus de 5 apnées par heure de sommeil, que le patient souffre ou non, en plus, d’une hypoventilation alvéolaire ou d’obésité. On ne peut passer sous silence Colin Sullivan qui montra le premier en 1981 l’efficacité de l’aide ventilatoire nocturne en pression positive qui reste le traitement de référence des formes sévères. Mais d’autres précurseurs, chacun à leur manière, sont trop rarement cités.
Première description sémiologique
tonnerre du canon aussi profondément que si cela avait été la chanson habituelle de sa nourrice. » « Damn that boy, » said the old gentleman, « he’s gone to sleep again. » « Very extraordinary boy, that, » said Mr. Pickwick ; « does he always sleep in this way? » « Sleep! » said the old gentleman, « he’s always asleep. Goes on errands fast asleep, and snores as he waits at table. » « How very odd! » said Mr. Pickwick (Fig. 1).
Première description médicale La première description médicale, scientifique, est due à Burwell et al. sous la dénomination : « syndrome de Pickwick » [2]. Ils comparent alors la maladie du personnage des romans de Dickens, au syndrome d’obésité extrême associée à l’hypoventilation alvéolaire auquel ils donnent le nom de syndrome Pickwickien.
Première description polysomnographique
La première description sémiologique fut littéraire par Charles Dickens dans « The Posthumous Papers of the Pickwick Club » en 1837 [1] ; Charles Dickens publie une série d’histoires se déroulant au Pickwick Club, qui seront par la suite regroupées dans un roman appelé « The Pickwick Papers ». Un des personnages de ce livre, prénommé « Fat Joe », est domestique à l’auberge de la Croix d’Or de Rochester. Dickens le décrit comme une curiosité de la nature, un jeune garc ¸on étonnamment gras, rougeaud, goinfre, mais surtout atteint d’une somnolence invincible, incontrôlable : à tout moment, même en parlant, il s’assoupit et se met à ronfler doucement, menton sur la poitrine.
Mais c’est en France, à Marseille, en 1965, qu’Henri Gastaut, un médecin spécialiste de l’épilepsie, remarque chez des patients endormis atteints du « syndrome de Pickwick » des arrêts répétés de la respiration, ce qui sera défini comme les apnées du sommeil. Avec ses deux jeunes collaborateurs Carlo Alberto Tassinari et Bernard Duron, ils firent une communication extraordinaire lors de la séance du 3 juin 1965 de la Société franc ¸aise de neurologie (Fig. 2) : « Nous avons eu le privilège de faire, chez deux pickwickiens, des observations qui nous semblent aptes à porter quelques retouches au tableau séméiologique et surtout à fournir quelques explications supplémentaires au mécanisme physiopathogénique du syndrome de Pickwick ».
« Sa tête était affaissée sur sa poitrine ; seuls un ronflement continu et, de temps à autre, un bruit d’étouffement partiel, révélaient à l’ouïe la présence du grand homme. Le gros garc¸on se leva, ouvrit les yeux, avala l’énorme bouchée de pâté qu’il avait commencé à mastiquer la dernière fois qu’il s’était endormi, et obéit lentement aux ordres de son maître. Les chevaux furent attelés, le cocher prit place, le gros garc¸on à côté de lui. . . Le soleil couchant tombait sur la silhouette du gros garc¸on. Sa tête s’était abattue sur sa poitrine ; et de nouveau, il dormait. » « Enfin tout le monde éprouvait une exaltation prodigieuse, excepté le groom joufflu, qui dormait au
« Dans la plupart des cas (80 % des épisodes d’assoupissement), il s’agit d’une interruption, pendant 30 à 40 secondes, de la mobilisation aérienne hors des voies respiratoires, avec diminution d’amplitude puis disparition des ondes aériennes sur le spirogramme buccal. Il est remarquable que ce phénomène survienne alors que l’électromyogramme diaphragmatique et le pneumogramme abdominal témoignent d’une persistance des mouvements respiratoires qui s’avèrent inefficaces. Une telle condition nous semble devoir dépendre d’un mécanisme obstructif du carrefour supérieur et plus particulièrement d’une chute en arrière de la langue. »
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F. Martin
Figure 1.
« Les aventures de M. Pickwick » par Charles Dickens.
Figure 2.
Publication princeps lors de la séance du 3 juin 1965 de la Société franc ¸aise de neurologie.
Les précurseurs du diagnostic du syndrome d’apnées du sommeil
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Figure 3. Tracés polygraphiques. a : épisode de somnolence avec apnée obstructive ; b : reprise respiratoire et éveil EEG après apnée obstructive. H. Gastaut, C.A. Tassinari, B. Duron.
Ils décrivirent ainsi hypopnées et apnées : « diminution d’amplitude puis disparition des ondes aériennes sur le spirogramme buccal », repérèrent la persistance d’efforts respiratoires : « l’électromyogramme diaphragmatique et le pneumogramme abdominal témoignent d’une persistance des mouvements respiratoires » et mirent en évidence leur lien avec une obstruction des voies aériennes supérieures : « mécanisme obstructif du carrefour supérieur et plus particulièrement d’une chute en arrière de la langue », ainsi que la reprise respiratoire avec éveil : « après cet épisode d’assoupissement, qui n’a duré que 25 secondes, le réveil est purement électroencéphalographique et non clinique. . . (Fig. 3) ».
Cette équipe disposait déjà de la mesure de l’oxymétrie par la méthode de la « pince d’oreille » et avait également bien démontré les conséquences hypoxiques : « les épisodes d’apnées qui accompagnent les assoupissements diurnes du syndrome de Pickwick entraînent une désaturation oxyhémoglobinique », qu’ils rendent responsable de l’éveil du sujet par l’intermédiaire d’une « activation des chémorécepteurs aortiques et sino-carotidiens » (Fig. 4).
Des précurseurs oubliés Ainsi en 1965 « la messe était dite » à Marseille quant à l’essentiel de la physiopathologie des apnées obstructives
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Figure 4.
F. Martin
Tracés polygraphiques. Enregistrement de la SpO2 par « pince d’oreille ». H. Gastaut, C.A. Tassinari, B. Duron.
au cours du sommeil ! Ces découvertes furent publiées avec Bernard Duron comme premier auteur [3,4], mais passèrent presque inaperc ¸ues. Au milieu des années 1970, Bernard Duron, alors devenu professeur de physiologie à l’université Jules-Verne d’Amiens, dirigeait le laboratoire de recherches neurophysiologiques et le service d’explorations fonctionnelles neurologiques et expliquait avec son enthousiasme méridional à ses étudiants, dont j’étais, ces mécanismes. Cela passait bien au-dessus de nos têtes et ce n’est que plusieurs années après que nous en perc ¸ûmes l’importance et le caractère précurseur ! Bernard Duron fit une brillante carrière universitaire, devint doyen de la faculté de médecine d’Amiens. Avec l’équipe du service de pneumologie (Pierre Lévi-Valensi, Jean Franc ¸ois Muir. . .), ils menèrent de nombreux travaux sur les troubles respiratoires au cours du sommeil [5,6] et organisèrent à Amiens en 1987 un des tous premiers grands colloques internationaux sur le sujet [7].
Conclusion Bernard Duron a profité de sa retraite pour satisfaire deux autres de ses passions : le bateau et la peinture. Il est décédé à Marseille le 25 juillet 2015, à l’âge de 82 ans.
Il convenait, à mon sens, de rappeler l’importance qu’il a eue dans la mise en évidence des troubles respiratoires au cours du sommeil.
Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références [1] Dickens C. The Posthumous Papers of the Pickwick Club. Londres: Éditeur Chapman & Hal; 1836—1837. [2] Burwell CS, Robin ED, Whaley RD, Bickelmann AG. Extreme obesity associated with alveolar hypoventilation; pickwickian syndrome. Am J Med 1956;21:811. [3] Duron B, Tassinari CA. Syndrome cardio-respiratoire de l’obésité. J Med Chir Thor 1966;20:207—22. [4] Duron B, Tassinari A, Laval P, Gastaud H. Les pauses respiratoires survenant au cours du sommeil chez l’homme. C R Soc Biol (Paris) 1967:634—9. [5] Duron B. La fonction respiratoire pendant le sommeil. Bull Phys Path Resp 1972;8:1031—57. [6] Duron B, Quichaud J, Fullana N. Nouvelles recherches sur les apnées du syndrome de Pickwick. Bull Phys Path Resp 1972;8:1277—88. [7] Levi-Valensi P, Duron B. Les événements respiratoires du sommeil. Paris: John Libbey, Inserm éd.; 1988.