Journal français d’ophtalmologie (2010) 33, 122—124
ENTRETIENS ANNUELS D’OPHTALMOLOGIE/les taches oculaires suspectes
Les taches suspectes palpébrales Suspicious eyelid spots J.P. Adenis ∗, C. Izambart Service d’ophtalmologie, CHU Dupuytren, Limoges Rec ¸u le 28 juin 2009 ; accepté le 9 novembre 2009
MOT CLÉ Tumeurs malignes palpébrales
KEYWORDS Malignant tumor; Eyelids
Résumé Les taches palpébrales suspectes sont en général en rapport avec la survenue d’une lésion précancéreuse ou d’une tumeur maligne des paupières. Très rarement elles sont en rapport avec une alcaptonurie, une maladie d’Addison, une argyrose, une pathologie iatrogène médicamenteuse. © 2010 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.
Summary Flat lesions of the eyelids are in most cases related to precancerous skin lesions or malignant tumors of the eyelids. Rarely, the following diagnoses can be established: alkaptonuria, Addison disease, argyrosis, or toxicity to systemic medications. © 2010 Published by Elsevier Masson SAS.
La plupart des cellules adultes ont gardé la capacité de se diviser. Chaque étape de la croissance et de la différentiation cellulaire est sujette à altération. Un néoplasme est un tissu anormal composé de cellules définitivement altérées de croissance incontrôlée. Il est bénin si sa croissance est lente et bien circonscrite. Il est malin si sa croissance est rapide, non circonscrite, infiltrante, ulcérante ou s’il possède la capacité de métastaser. Chaque type histologique palpébral peut proliférer et entraîner une tumeur. En général, une évolution lente est en
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.P. Adenis).
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faveur d’une lésion bénigne ; une madarose (perte des cils) est suspecte de malignité. Au moindre doute, une biopsie est nécessaire. Nous décrivons dans cet article les lésions planes ou « taches » palpébrales. Les lésions nodulaires ou ulcérantes ne sont donc pas abordées.
Kératose actinique Due à l’exposition prolongée au soleil, c’est la plus fréquente des dermatoses précancéreuses. On estime que, dans les régions ensoleillées, plus de 80 % des sujets à peau claire en présentent après l’âge de 60 ans, alors que les
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sujets mélanodermes ou asiatiques n’en présentent que rarement [1,2]. Le risque d’évolution vers un carcinome épidermoïde varie selon les études de 0,1 % à 20 % par an et par lésion [1,2]. Certaines lésions peuvent montrer une régression spontanée. Les lésions, qui surviennent dans les zones cutanées photo-exposées, se présentent souvent comme des lésions planes érythémato-squameuses, de moins de 1 cm, et sont recouvertes d’un enduit kératosique adhérant fermement. En dehors des localisations palpébrales, les petites kératoses actiniques peuvent être observées. En région périoculaire toutefois, et au vu du risque réel de transformation, il est recommandé d’établir le diagnostic par une biopsie puis, soit de procéder à l’excision simple, soit de traiter par cryothérapie [1,2].
Radiodermite Généralement, la peau irradiée développe après quelques jours un érythème et un œdème auxquels succèdent après quelques semaines une hyperpigmentation et une desquamation, puis une atrophie progressive des annexes pilo-sébacéo-sudoripares (perte des cils, télangiectasies du bord libre), et un cortège de complications kératoconjonctivales. Sur ce terrain, l’apparition de tumeur basocellulaire ou spinocellulaire est très fréquente [1,2].
Carcinome basocellulaire de type sclérodermiforme Le carcinome basocellulaire est la plus fréquente des tumeurs malignes des paupières et de la peau (Figures 1 et 2). Par ordre de fréquence, les localisations préférentielles sont la paupière inférieure, le canthus interne, la paupière supérieure, puis le canthus externe. Les facteurs de risque sont le phototype clair et l’exposition solaire cumulée. C’est une tumeur du sujet âgé, de sorte que sa survenue chez un enfant impose une surveillance au long terme et suggère d’exclure un syndrome des hamartomes basocellulaires [1,2]. Le type sclérodermiforme se distingue par son aspect d’induration plane et pâle, aux contours mal définis ; son taux de récidive élevé en cas d’excision incomplète (60 à 75 % versus 8 % pour les formes nodulaires) [1,2].
Figure 1.
Épithélioma basocellulaire de type «perlé».
Figure 2.
Épithélioma basocellulaire de type ulcéré.
Carcinome intraépidermique ou maladie de Bowen C’est le stade précoce de du carcinome épidermoïde, in situ (respectant la membrane basale) [1,2].
Carcinome épidermoïde ou spinocellulaire Il se développe le plus souvent sur des lésions préexistantes : maladie de Bowen, kératose actinique, radiodermite, cicatrices de brulures ou lésions inflammatoires. Les lésions apparues de novo sont plus agressives. Il touche le plus fréquemment l’homme (2:1) de plus de 70 ans [1,2]. Le phototype clair et l’exposition solaire chronique sont des facteurs de risque. La localisation préférentielle est le bord libre de la paupière inférieure. Dans sa forme plane, c’est un placard indolore avec des squames ou une croûte [1,2]. Le pronostic est corrélé à l’épaisseur tumorale. Des tumeurs de moins de 2 mm ne métastasent pratiquement jamais. Entre 2 et 6 mm, le risque est d’environ 4,5 %, et au-delà de 6 mm, particulièrement en cas d’infiltration musculaire ou périostée, le risque atteint environ 15 % [1,2].
Mélanome Depuis ces dernières décennies, la fréquence du mélanome croît régulièrement, et c’est actuellement la première tumeur cutanée d’issue fatale. Toutefois, au niveau palpébral, cela reste une tumeur rare. Au niveau de la face, le mélanome peut revêtir un aspect nodulaire ou à extension superficielle, ou encore survenir sur une lésion de mélanose de Dubreuilh préexistante. L’extension superficielle se distingue par une tendance marquée à essaimer des mélanocytes atypiques dans l’épaisseur de l’épiderme ou de l’épithélium conjonctival (invasion « pagétoïde »). Les principaux indicateurs pronostiques sont le niveau histologique d’invasion cutanée d’après Clark et l’épaisseur maximale de la tumeur d’après Breslow. En effet, en fonction de l’indice de Breslow, si la profondeur d’envahissement est inférieure à 0,76 mm, la survie est de 100 %. Si elle se situe entre 0,76 et 1,49 mm, le risque du
124 patient de présenter des adénopathies est de 25 % et des métastases de 10 %. Si elle est supérieure à 1,5 mm, le risque s’élève à 50 % pour les adénopathies et 15 % pour les métastases [1,2]. Les lésions prédisposantes sont le naevus congénital géant, le naevus dysplasique et la mélanose d’extension superficielle de Dubreuilh. Les critères de suspicion de transformation maligne d’un naevus sont un aspect asymétrique, des bords irréguliers, une hétérochromie, un diamètre supérieur à 8 ou 10 mm, une épaisseur d’augmentation récente [1,2]. Le traitement est chirurgical avec examen extemporané des berges d’exérèse. La procédure du ganglion sentinelle dans la prise en charge du mélanome développée au milieu des années 1990 n’est toujours pas un standard reconnu. La recherche du ganglion sentinelle a une valeur pronostique prouvée [3—6]. Sa positivité entraîne la réalisation d’un curage ganglionnaire dont l’intérêt thérapeutique n’est pas démontré. Elle permet au moins de déterminer des groupes homogènes de patients afin de les inclure dans des protocoles thérapeutiques. Malgré cela, de plus en plus d’équipes l’intègrent dans leur protocole de traitement [3—6].
J.P. Adenis, C. Izambart sement, une hypotension orthostatique, des hypoglycémies, des nausées, vomissements, diarrhées [7]. L’argyrose, due à l’exposition aux sels d’argent, provoque une hyperpigmentation cutanée. Enfin, des colorations cutanées iatrogènes sont possibles lors de la prise de phénothiazines, anti-malariques de synthèse, amiodarone. . .
Conclusion Les tumeurs palpébrales sont extrêmement variées dans leur nature et dans leur pronostic. Leur prise en charge débute par l’éducation de la population contre l’exposition solaire chronique. La précocité du traitement permet de réduire la mutilation et d’améliorer le pronostic. Une biopsie doit être réalisée au moindre doute. Le traitement est chirurgical avec un examen extemporané des berges d’exérèse, sans considération esthétique. La reconstruction est alors effectuée sur un terrain sain.
Références Anomalies cutanées liées à une maladie systémique et iatrogènes L’alcaptonurie, maladie rare, est caractérisée par l’accumulation d’acide homogentisique et de son produit d’oxydation (acide benzoquinone acétique) conduisant à une hyperpigmentation généralisée, une coloration foncée des urines après émission, une pigmentation grisbleu des sclérotiques et de l’hélix (ochronose) et une maladie articulaire handicapante avec atteinte axiale et périphérique. La maladie d’Addison est une insuffisance surrénalienne lente primaire causée par la destruction de la surrénale par un processus infectieux, tumoral ou auto-immun. Le signe physique le plus précoce est l’acquisition d’une pigmentation de type bronzage prédominant aux régions découvertes, sur les muqueuses, les plis de flexion, les cicatrices et les mamelons. Les autres signes sont une asthénie, un amaigris-
[1] Adenis JP, Morax S. Pathologie orbito-palpébrale. Editions Masson; 1998. [2] Lasudry J, Adenis JP, Robert PY. Tumeurs palpébrales: aspects cliniques, diagnostiques et thérapeutiques. Encyclopédie médico-chirurgicale 2000. [3] Ho VH, Ross MI, Prieto VG, Khaleeq A, Kim S, Esmaeli B. Sentinel lymph node biopsy for sebaceous cell carcinoma and melanoma of the ocular adnexa. Arch Otolaryngol Head Neck Surg 2007;133:820—6. [4] Ranieri JM, Wagner JD, Azuaje R, Davidson D, Wenck S, Fyffe J, Coleman JJ 3rd. [5] Prognostic importance of lymph node tumor burden in melanoma patients staged by sentinel mode biopsy. Ann Surg Oncol. 2002; 9:975-81. in press. [6] Garrido I, Wagner A, Gangloff D, Chevreau C, Courbon F, Maisongrosse V, Ferron G, Martel P, Dalac-Rat S, Danino A. Mélanome et ganglion sentinelle. Encyclopédie médico-chirurgicale 2008. [7] Gatta B, Monsaingeon M, Tabarin A. Insuffisance surrénalienne. Encyclopédie médico-chirurgicale 2003.