L’évaluation à long terme des traitements antipsychotiques B. MILLET (1)
Le concept d’efficience est pertinent pour l’évaluation des prises en charge de pathologies psychiatriques complexes et chroniques : pourtant, l’efficacité reste le critère principal d’évaluation de la plupart des essais thérapeutiques, en particulier des études pivotales. La notion d’efficience permet d’intégrer à la notion d’efficacité d’autres dimensions : la tolérance et la sécurité d’emploi, le retentissement fonctionnel, la qualité de vie, la capacité à établir des relations sociales ou des liens familiaux, la capacité à s’insérer dans le fonctionnement social et celle d’acceptabilité du traitement par le patient et par le médecin. L’étude américaine CATIE, lancée sous l’égide du NIMH et incluant plus de 1800 patients, s’intéresse à l’efficience des traitements médicamenteux dans le domaine de la schizophrénie. Les patients étaient randomisés dans 5 groupes thérapeutiques, puis ont été suivis durant 18 mois. Le critère principal retenu était le délai écoulé entre l’initiation du traitement et son arrêt, quelle qu’en soit la raison : les résultats montrent un délai écoulé avant interruption du traitement plus long avec l’olanzapine qu’avec les autres produits. Les études d’efficience permettent, au plan méthodologique, la prise en compte de données à long terme, et accordent un poids plus important aux effets indésirables. Dans l’efficience intervient également la prise en compte de l’avis des patients : la satisfaction du patient, son bien-être par rapport au traitement, sa préférence. Par exemple dans l’étude STAR, une proportion importante de patients se trouvait mieux sous aripirazole que sous traitement de référence à 26 semaines. L’évaluation de l’efficience peut ainsi permettre de répondre à des questions sur l’usage pratique des antipsychotiques chez les patients. Dans les études sur la schizophrénie, les outils pertinents d’évaluation de l’efficience sont par exemple la CGI (Clinical Global Impression), le GOALS (Global Outcome Assessment of Life in Schizophrenia), l’IAQ (Investigator Assessment Questionnaire), et la POM (Preference of Medication). L’IAQ fournit un score moyen permettant de regrouper des items divers, tels que les symptômes positifs, les symptômes négatifs, les effets secondaires, la cognition, l’énergie vitale ressentie par le patient. L’étude STAR a évalué le score moyen à l’échelle IAQ – 10 items à 26 semaines et montre un score meilleur sous aripirazole par rapport aux traitements standards. En pratique clinique, l’association d’antipsychotiques est très largement répandue, malgré les recommandations qui suggèrent de recourir de préférence à une monothérapie antipsychotique. Cette question de l’association d’antipsychotiques, notamment dans la prise en charge au long cours des patients, doit être prise en compte dans les études d’efficience.
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Des articles récents tentent de définir des critères de rémission dans le domaine des psychoses. Dans une étude coordonnée par Nancy Andreasen sur des patients traités par antipsychotiques, les patients sans rémission après 6 semaines restaient, pour près de 80 % d’entre eux, sans rémission après un an, tandis que les patients en rémission à 6 semaines restaient pour 85 % d’entre eux en rémission à un an. Il faut désormais, en recherche, distinguer des groupes de patients symptomatiquement plus homogènes, en s’appuyant par exemple sur des analyses factorielles par soustypes de patients selon la dimension dominante, afin de mieux prédire la réponse au traitement. L’avènement d’études de pharmacogénétique devrait également permettre de mieux définir le choix de l’antipsychotique. Les études en ouvert à long terme permettent de choisir des critères d’inclusion plus larges, favorisant l’observation de patients plus « réels ». Enfin, il faut développer des panels ou des commissions d’experts partageant leur expérience clinique à un niveau national et européen.
Le concept d’efficience est très intéressant, et donne lieu actuellement à un grand nombre de publications. Il est particulièrement pertinent pour l’évaluation des prises en charge de pathologies psychiatriques, complexes et chroniques, comme la schizophrénie. EFFICACITÉ ET EFFICIENCE L’efficacité est le critère principal d’évaluation de la plupart des essais thérapeutiques, en particulier des études pivotales, c’est-à-dire des études qui permettent aux entreprises pharmaceutiques de présenter un produit à l’approbation des agences du médicament. L’objectif est de répondre à la question suivante : la molécule testée estelle aussi efficace que la molécule de référence et/ou plus efficace que le placebo ? Une des études d’efficacité à court terme de référence de l’aripiprazole versus placebo avec un bras contrôle rispéridone a par exemple été publiée par Potkin et al. (12) ; dans cette étude, la variation du score total à l’échelle PANSS sur 4 semaines montre une supériorité des 2 principes actifs par rapport au placebo. Un exemple d’étude d’efficacité est celle qui a comparé olanzapine et rispéridone sur le score total de la PANSS, mais aussi sur les différents sous-scores factoriels (positif, négatif, anxiodépressif, désorganisation, hostilité/excitation), montrant une efficacité globalement similaire (2). La notion d’efficience permet d’intégrer à la notion d’efficacité d’autres dimensions : la tolérance et la sécurité d’emploi, le retentissement fonctionnel en termes de qualité de vie, de capacité à établir des relations sociales ou des liens familiaux, de capacité à s’insérer dans le fonctionnement social et celle d’acceptabilité du traitement par le patient et par le médecin. Ces deux dernières dimensions sont généralement insuffisamment prises en compte dans les études d’efficacité. L’étude CATIE est la première grande étude dans le domaine de la schizophrénie qui s’intéresse non seulement à l’efficacité, mais également à l’efficience des traitements médicamenteux (9). Lancée sous l’égide du
NIMH (National Institute of Mental Health), cette étude a inclus plus de 1800 patients américains, âgés de 18 ans ou plus, présentant un diagnostic de schizophrénie selon le DSM IV : les patients présentant un premier épisode étaient exclus de l’étude, de même que ceux présentant une schizophrénie résistante, ceux nécessitant un neuroleptique d’action prolongée, ou bien les patients ayant présenté des effets secondaires connus. Les patients étaient randomisés dans l’un des 5 groupes thérapeutiques dont la rispéridone et l’olanzapine, puis ils ont été suivis durant 18 mois. Le critère principal retenu dans cette étude était le délai écoulé entre l’initiation du traitement et son arrêt quelle qu’en soit la raison. Une seconde phase de l’essai incluait les patients ayant arrêté leur traitement. Ces derniers étaient randomisés à nouveau soit dans un bras clozapine en ouvert, soit dans un bras ziprasidone ; la phase 3 consiste en un suivi au long cours en ouvert. Dans cette étude, parallèlement au critère primaire d’évaluation de l’efficience, des critères secondaires étaient également évalués : sévérité des symptômes à la PANSS et à la CGI, échelle de dépression de Calgary (1), échelle de Qualité de Vie (4), évaluation de l’insight et de la conscience de la maladie, prise en compte de l’utilisation d’alcool et de drogues, de la présence de comportement violent (13), ainsi qu’une échelle de fonctionnement général (15). Enfin, étaient également pris en compte les effets secondaires, ainsi qu’une évaluation de l’implication des soignants et de la famille du patient (3). Sur le critère principal, les résultats ont montré un délai écoulé avant interruption du traitement, quel qu’en soit le motif, significativement plus long avec l’olanzapine, en comparaison aux autres produits. UTILITÉ DES ÉTUDES D’EFFICIENCE Les études d’efficience permettent, au plan méthodologique, la prise en compte de données à long terme : en effet, les études pivotales d’efficacité sont généralement S 1073
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menées en aigu, sur 6 semaines, les études de tolérance seulement sur 6 mois, et les études de suivi à 24 mois restent rares et sont réalisées à partir de l’observation de patients souvent exclus ou non incluables dans les essais randomisés (11). Les effets indésirables ont un poids important dans l’efficience d’un produit. Avec les antipsychotiques, les effets principaux sont de type anticholinergiques, extrapyramidaux, de sédation, de prise de poids, d’hypotension orthostatique, et d’augmentation de la prolactine, variant selon les différents produits considérés. Par exemple, McQuade et al. (10) ont comparé aripirazole et olanzapine, montrant dès la quatrième semaine une augmentation du poids avec l’olanzapine qui se différencie significativement par rapport à l’aripiprazole. Dans l’efficience intervient également la prise en compte de l’avis des patients : la satisfaction du patient, son bien-être par rapport au traitement, sa préférence, sont évaluables. Ainsi, dans l’étude STAR, l’avis des patients a été demandé sur la molécule qu’ils recevaient : une proportion importante de patients se trouvait mieux sous aripirazole que sous traitement de référence ; en effet, à 26 semaines, un nombre significativement plus élevé de patients traités par aripiprazole (47 %) ont évalué leur traitement comme « beaucoup mieux » en comparaison au précédent, alors qu’ils n’étaient que 28 % dans le bras traitement de référence (p < 0,001) (6).
LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR L’ÉVALUATION DE L’EFFICIENCE L’évaluation de l’efficience peut ainsi permettre de répondre à des questions sur l’usage pratique des antipsychotiques chez les patients. Ceci soulève diverses questions, comme de savoir quels outils d’évaluation utiliser dans les psychoses chroniques, ce qu’il en est de la combinaison des antipsychotiques, de quelle manière obtenir une rémission sur le long terme, ou quel est le choix de l’antipsychotique le mieux adapté pour chaque patient souffrant de psychose. Outils d’évaluation de l’efficience Dans les études sur la schizophrénie, les outils d’évaluation de l’efficience qui peuvent être utilisés sont la CGI (Clinical Global Impression), le GOALS (Global Outcome Assessment of Life in Schizophrenia, évaluant quatre dimensions que sont l’efficacité du traitement, la bonne tolérance, le retentissement du traitement sur la vie quotidienne du sujet, et le bien-être du patient), l’IAQ (Investigator Assessment Questionnaire) (14), et la POM (Preference of Medication). L’IAQ est un bon outil d’évaluation de l’efficience : il conduit à un score moyen permettant de regrouper des items divers, tels que les symptômes positifs, les symptômes négatifs, les effets secondaires, la cognition, l’énergie vitale ressentie par le patient. L’étude STAR a évalué le score S 1074
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moyen à l’échelle IAQ-10 items à 26 semaines, et montre un score d’amélioration plus important sous aripirazole que sous traitement de référence (5). Association d’antipsychotiques En pratique clinique, l’association d’antipsychotiques est très largement répandue, malgré les recommandations qui suggèrent de recourir de préférence à une monothérapie antipsychotique. Dans l’enquête DOREMA, le taux de coprescription va de 88 à 97 % selon la molécule. Cette question de l’association d’antipsychotiques, notamment dans la prise en charge au long cours des patients, doit être prise en compte dans les études d’efficience, et contribuer à une réflexion sur nos pratiques. Obtention de la rémission à long terme La notion de rémission a été plus utilisée dans le domaine de la dépression que dans celui de la schizophrénie, mais des articles récents tentent de définir des critères de rémission également dans le domaine des psychoses. Une étude coordonnée par Nancy Andreasen a comparé des patients en rémission et des patients sans rémission après 6 semaines de traitement par un antipsychotique d’action prolongée. Les patients sans rémission après 6 semaines restaient, pour près de 80 % d’entre eux, sans rémission après un an, tandis que les patients en rémission à 6 semaines restaient, pour 85 % d’entre eux, en rémission à un an. Parallèlement à la notion d’efficience, il faudrait sans nul doute prendre en compte cette notion de maintien de la rémission dans les troubles schizophréniques. Quel antipsychotique pour quel patient psychotique ? Il paraît nécessaire, pour progresser dans la recherche thérapeutique de la schizophrénie, de distinguer des groupes de patients symptomatiquement plus homogènes, en s’appuyant par exemple sur des analyses factorielles par sous-types de patient selon la dimension dominante. Les sous-types actuellement utilisés de schizophrénie ne semblent pas capables de prédire de manière satisfaisante une réponse au traitement. L’avènement d’études de pharmacogénétique devrait également permettre, en pratique clinique, de mieux définir le choix d’un antipsychotique pour un patient en particulier.
CONCLUSION L’efficience doit prendre en compte les résultats obtenus en Phase IV, souvent négligés, mais qui rendent bien compte de ce qu’est la réalité d’un médicament en pratique.
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Ainsi, un intérêt plus important doit être apporté à la réalisation d’études centrées sur cette question : – les enquêtes pharmaco-épidémiologiques permettant de rendre compte de nos pratiques et de la façon dont nous utilisons les antipsychotiques, – les données de la pharmacovigilance devant inciter les praticiens à signaler les effets indésirables des médicaments qu’ils rencontrent – les études en ouvert à long terme permettant de choisir des critères d’inclusion plus larges favorisant l’observation de patients plus « réels ». Enfin, il apparaît nécessaire de développer des panels ou des commissions d’experts partageant leur expérience clinique à un niveau national mais aussi européen.
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L’évaluation à long terme des traitements antipsychotiques 5. KERWIN R et al. Reasons for Switching Among Community-Treated Schizophrenic Patients in a Naturalistic Setting – Schizophrenia Trial of Aripiprazole : STAR Study. Poster at Society of Biological Psychiatry 61st Annual Convention & Scientific Program, Toronto, Canada, May 18-20, 2006. 6. KERWIN R et al. Reasons for switching among communit. Psychiatry Research 2005 ; 136 : 211-21. 7. LALONDE P. Evaluating antipsychotic medication : predictors of clinical effectiveness. Report of an expert review panel on efficacy and effectiveness. Can J Psychiatry 2003 ; 48 (1) : 2S-12S. 8. LASSER RA et al. Remission in schizophrenia : Results from a 1year study of long-acting risperidone injection. Schizophrenia Research 2005 ; 77 : 215-27. 9. LIEBERMAN JA et al. Effectiveness of antipsychotic drugs in patients with chronic schizophrenia. N Engl J Med 2005 ; 353 : 1209-23. 10. MCQUADE et al. A comparison of weight change during the treatment with olanzapine and aripiprazole : results from a randomized double-blind study. J Clin Psychiatry 2004 ; 65 (Suppl 18). 11. NABER D, VITA A. Tools for measuring clinical effectiveness. Eur Neuropsychopharmacol 2004 ; 14 (Suppl 4) : S435-44. 12. POTKIN SG et al. Aripiprazole, an antipsychotic with a novel mechanism of action, and risperidone vs placebo in patients with schizophrenia and schizoaffective disorder. Arch Gen Psychiatry 2003 ; 60 : 681-90. 13. STEADMAN et al. Violence by people discharged from acute psychiatric inpatient facilities and by others in the same neighborhoods. Arch Gen Psychiatry 1998 ; 55 (5) : 393-401. 14. TANDON et al. Validation of the Investigator’s Assessment Questionnaire, a new clinical tool for relative assessment of response to antipsychotics in patients with schizophrenia and schizoaffective disorder. 15. WARE JE Jr, BAYLISS MS, ROGERS WH et al. Differences in 4year health outcomes for elderly and poor, chronically ill patients treated in HMO and fee-for-service systems. Results from the Medical Outcomes Study. JAMA 1996 ; 276 (13) : 1039-47.
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