Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1117–1119 www.elsevier.com/locate/arcped
Éditorial
L’infection à VIH chez l’adolescent dans le tiers monde HIV infections in adolescents living in developing countries Mots clés: Adolescent; Infection à VIH; Pays en développement; Sexualité; Sida Keywords: Adolescent medicine; HIV infections; Sexuality; Sexually transmitted diseases, viral; Developing countries
1. Introduction La survie et le développement d’une nation reposent essentiellement sur le dynamisme de sa jeunesse. Or, celle du tiers-monde est particulièrement menacée par le sida. Dans certains pays africains par exemple, où la prévalence de l’infection à VIH est supérieure à 15 %, le sida pourrait provoquer le décès d’un tiers environ de jeunes aujourd’hui âgés de 15 ans [1]. Selon l’Organisation mondiale de la santé, les adolescents sont des personnes âgées de 10 à 19 ans et les jeunes des personnes âgées de 15 à 24 ans. Le présent travail s’intéresse aux personnes de 10 à 24 ans : elles sont jeunes au début de leur vie sexuelle, jeunes en période de mutations physiologiques et sociopsychologiques, jeunes au seuil de la responsabilité civile et morale. Si les aspects médicaux et les incidences psychologiques ne sont pas tellement différents de ce que l’on observe dans les pays développés, les aspects socio-démographiques, culturels et socioépidémiologiques en font toute la particularité.
2. Données sociodémographiques et culturelles Trois facteurs caractérisent le tiers monde : la jeunesse de sa population, un faible taux de fréquentation scolaire, une sexualité précoce. Sur un milliard et demi de jeunes de 10 à 24 ans que compte aujourd’hui le monde entier, 85 % résident dans les pays en développement. On estime qu’entre 1970 et 2025, le nombre d’adolescents de 10 à 19 ans vivant en ville dans ces pays aura augmenté de 600 % [1]. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 9 2 9 - 6 9 3 X ( 0 2 ) 0 0 0 8 9 - 1
L’accès à l’éducation classique est encore limité surtout pour les filles. Seulement 13 % des filles et 22 % des garçons sont inscrits dans les établissements d’enseignement secondaire. Les jeunes Africains évoluent dans un système éducatif où s’exercent plusieurs interactions : l’éducation familiale et communautaire, l’éducation scolaire, médiatique, traditionnelle et religieuse. Ces différents niveaux d’éducation se sont insuffisamment adaptés aux changements qui interviennent dans la société et particulièrement au problème du VIH/sida. Les jeunes sont ainsi tiraillés entre des méthodes, des pratiques et des valeurs hétérogènes [2]. La sexualité est précoce. Dans la grande majorité des cas, les relations sexuelles commencent avant l’âge de 15 ans et les adolescentes se trouvent particulièrement exposées aux risques de grossesse non désirée parce qu’elles ne connaissent pas les préservatifs et/ou ne peuvent s’en procurer. Elles peuvent être par ailleurs, facilement l’objet de violences sexuelles.
3. Données socioépidémiologiques de l’infection à VIH Dans les pays du tiers monde où la probabilité de rencontrer un partenaire infecté est grande, les taux d’infection à VIH chez les jeunes sont souvent très élevés. On estime à 1,7 millions, le nombre de nouveaux cas d’infection à VIH par an chez les jeunes africains de 15 à 24 ans, soit 80 % de tous les cas [2]. Les filles semblent particulièrement vulnérables. Dans les sites à haute prévalence, les adolescentes de 15 à 19 ans ont des taux d’infection quatre à six fois plus élevés que
1118
Éditorial / Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1117–1119
ceux des garçons du même âge. Une étude multi-sites réalisée en Afrique en 1998 a mis en évidence des taux d’infection de 15 à 23 % chez les adolescentes de 15 à 19 ans et seulement de 3 à 4 % chez les adolescents de même âge [3]. De multiples facteurs contribuent à accroître le risque de contamination chez les jeunes : désinformation, déni de l’infection, comportements sexuels à risque, subordination socioéconomique des femmes, pauvreté. La plupart des jeunes ne savent rien du VIH ou des maladies sexuellement transmissibles (MST) ou, s’ils en ont entendu parler, ils ne savent pas comment éviter l’infection. En Afrique subsaharienne, la moitié des adolescentes n’imaginent pas qu’une personne apparemment en bonne santé puisse être porteuse du VIH. Au Mozambique, 74 % des filles et 62 % des garçons ignorent tout des moyens de se protéger [2]. Le déni de l’infection est courant. Bien des jeunes ne se croient pas menacés par le VIH. Au Bénin et au Malawi par exemple, la plupart des jeunes des deux sexes savent comment se transmet le sida et comment empêcher sa transmission mais beaucoup sont convaincus qu’ils ne peuvent pas être contaminés par le VIH [3]. En Haïti, près des deux tiers des jeunes filles de 15 à 19 ans ayant une vie sexuelle active ne pensent pas courir le risque d’être infectées par le VIH [1]. Les comportements sexuels à risque sont très répandus. L’activité sexuelle est très intense chez les adolescents et les jeunes. Ils s’engagent dans les relations sexuelles antérieures au mariage en ayant plusieurs partenaires. Une enquête réalisée au Bénin a révélé qu’une fille sur deux de 15 à 19 ans a au moins un partenaire sexuel. Neuf filles de 20 à 24 ans sur dix ont au moins deux partenaires sexuels. La situation est encore plus préoccupante chez les garçons : un garçon de 15 à 19 ans sur deux a au moins deux partenaires sexuels et neuf sur dix garçons de 20 à 24 ans ont au moins cinq partenaires sexuels [3]. Des facteurs biologiques, sociaux et économiques rendent les jeunes femmes particulièrement vulnérables au VIH, et il peut arriver que celles-ci soient infectées dès qu’elles entament leur vie sexuelle active. Il est de plus en plus établi que ce sont des hommes plus âgés qui sont responsables de ces infections. Les jeunes marginaux (enfants de rue, réfugiés et migrants) sont particulièrement en danger du fait de la stigmatisation des risques qu’ils encourent lors des rapports sexuels non protégés (en échange de nourriture, d’une protection ou d’argent) et de leur consommation de drogues illicites. Les jeunes soumis à l’exploitation et à l’abus sexuel (inceste, viol, prostitution forcée) sont particulièrement
exposés. Au Cambodge, 30 % des « professionnel(le)s » du sexe de 13 à 19 ans sont infectés par le VIH [1].
4. Obstacles au changement Plusieurs phénomènes constituent des obstacles au changement de comportement chez les jeunes face à la pandémie du sida. Il s’agit entre autres de : • l’absence de communication entre parents et enfants sur la sexualité en général et les MST/sida en particulier, la diffusion de faux messages sur le préservatif, l’inexistence ou l’insuffisance de structures et programmes appropriés d’information, de sensibilisation et d’éducation des jeunes et surtout des enfants en situation difficile et des enfants non scolarisés sur les MST/sida et l’éducation sexuelle ; • l’insuffisance de coordination des actions en direction des jeunes du milieu informel ; • les nouvelles technologies de l’information et de la communication qui facilitent l’accès des jeunes aux films pornographiques [4].
5. Conclusion Les droits fondamentaux des adolescents à la vie, à la santé et à la santé de la reproduction sont gravement compromis dans les pays du tiers monde. Les adolescentes sont plus vulnérables aux VIH/sida et aux maladies sexuellement transmissibles que leurs partenaires masculins. Cette vulnérabilité peut être attribuée à des facteurs qu’elles ne maîtrisent pas, tels que la violence et l’exploitation sexuelle, le manque d’éducation sexuelle et le manque d’accès à la contraception et à des services de santé de la reproduction. Le sida est devenu le plus grand challenge des jeunes dans les pays du tiers monde. Face à cette situation, la plupart de ces pays s’intéressent de plus en plus à la vie sexuelle des adolescents. En Ouganda par exemple, grâce à des programmes de prévention énergiques, la prévalence du VIH parmi les adolescentes de 13 à 19 ans est passée en huit ans de près de 4,5 % à moins de 1,5 %. Le pourcentage des adolescents ayant déjà utilisé un préservatif a triplé entre 1994 et 1997 [5].
Références [1]
ONUSIDA : le VIH/Sida en Afrique. Session extraordinaire des Nations Unies sur le VIH/Sida. 25–27 juin 2001, New York.
[2]
UNICEF. Le VIH-Sida chez les jeunes et les enfants – Journée Mondiale contre le Sida 2001.
Éditorial / Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1117–1119 [3]
Programme National de Lutte contre le Sida et les IST au Bénin. Étude multicentrique sur les facteurs qui déterminent les différences de niveaux de l’infection à VIH en Afrique. Résultats du Bénin. Cotonou – décembre 1999.
[4]
Programme National de Lutte contre le Sida et les IST au Bénin. Planification stratégique de la riposte nationale contre le VIH/Sida. Analyse de la situation avril 2000.
[5]
ONUSIDA – Rapport sur l’épidémie mondiale du VIH/Sida juin 2000.
1119
S. Adeothy-Koumakpaï* Pédiatrie, faculté des sciences de la santé, 01 BP 188, Cotonou, Bénin
[email protected] * Auteur correspondant Reçu le 20 avril 2002; accepté le 20 juillet 2002