Loreleiella nov. gen., nouvel éodévonariidé(Chonetacea, Brachiopoda) du Dévonien

L O R E L E I E L L A NOV. GEN., NOUVEL I~ODI~VONARIIDI~

(CHONETACEA, BRACHIOPODA) DU DI~,VONIEN

par PATRICK R. RACHEBOEUF *

RI~SUMI~

ABSTRACT

L'analyse d6taill6e des structures internes de la valve brachiale de Chonetes arcuatus HALL, 1857, esp6ce type du genre Eodevonaria (D6vonien inf6rieur d'Am6rique du Nord) et leur comparaison avec celles des esp~ces du D6vonien inf6rieur d'Europe, classiquement rapport6es g ce genre, r6vblent des diff6rences significatives au niveau g6n6rique. La position de Loreleiella nov. gen. au sein de la famille Eodevonariidae et l'incidence pal6obiog6ographique du nouveau taxon sont discut6es.

The detailed morphological analysis of the dorsal interior of Chonetes arcuatus HALL, 1857, typespecies of the genus Eodevonaria (North American Lower Devonian), compared with those of the European species classically assigned to this genus, allows the erection of a new genus for the European eodevonariids. The phylogenetic relations of Loreleiella nov. gen. and its paleobiogeographic implication are discussed.

MOTS-CLI~S : BRACHIOPODA, CHONETACEA, DEVONIEN, SYSTI~MATIQUE,PALI~OBIOGI~OGRAPHIE. KEY-WORDS : BRACHIOPODA, CHONETACEA, DEVONIAN, SYSTEMATICS,PALAEOBIOGEOGRAPHY.

INTRODUCTION

Avec Chonetes, Eodevonaria est sans conteste le genre de Chonetac6 le plus fr6quemment cit6 dans la litt6rature traitant de Brachiopodes 6od6voniens. Pendant longtemps, en effet, toutes les esp~ces poss~dant simultan6ment des Spines au bord post6rieur de la valve p6donculaire et une charni~re denticul6e lui ont 6t6 rapport6es. Le genre Eodevonaria a ainsi acquis progressivement une distribution g6ographique tr~s vaste recouvrant le NE de l'Am6rique du Nord (Canada, l~tats-Unis), le Nord et le centre-ouest de

l'Am6rique du Sud (Colombie, V6n6zu61a, Bolivie), l'Afrique du Sud, le NW africain (Maroc, Alg6rie), l'Europe (P6ninsule Ib6rique, Pyr6n6es, Massif armoricain, Ardennes, Massif schisteux-rh6nan, Harz, Moravie) et la Plate-forme russe pendant le D6vonien inf6rieur. Partant de consid6rations d'ordre pal6og6ographique (61oignement des Provinces appalachienne et rh6no-boh6mienne au D6vonien inf6rieur), Boucot & Harper (1968) ont cherch6 ~ d6finir deux groupes

* Universit6de BretagneOccidentale,Facult6des Scienceset des Techniques,Laboratoirede Pal6ontologieet de Stratigraphiedu Pal6ozoique, Avenue Le Gorgeu, 29287 Brest Cedex, et GRECO 7 du CNRS. Geobios, n ° 19, fasc. 5

p. 641-646, 1 fig.

Lyon, octobre 1986

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d'esp6ces au sein du genre Eodevonaria. Ils ont ainsi 6t6 amen6s h distinguer un ensemble <~appalachien >) regroupant des esp~ces proches de Chonetes arcuatus HALL, 1857 (esp~ce-type d'Eodevonaria, D6vonien inf6rieur du NE des /~tats-Unis), d'un ensemble <
Dans le cadre de la r6vision des Chonetac6s du D6vonien inf6rieur de l'Eifel et des r6gions voisines (Racheboeuf & Fuchs, en cours), parmi lesquels les formes classiquement rapport6es au genre Eodevonaria sont abondantes, il convenait de poser ~ nouveau le probl~me de l'attribution g6n6rique des grands Eodevonariid6s 6od6voniens d'Europe. Les observations effectu6es sur plus de 150 moules internes et externes des deux valves de la coquille de Chonetes arcuatus prOt6s par le Dr. A.J. Boucot, montrent qu'une distinction g6n6rique peut ~tre 6tablie ~t partir des structures dorsales internes (cardinalia), justifiant la d6finition du taxon Loreleiella nov. gen.

LE GENRE E O D E V O N A R I A BREGER, 1906 : HISTORIQUE SUCCINCT

En 1906, Breger propose le sous-genre Chonetes (Eodevonaria) pour regrouper des Chonetac6s chez lesquels <<... the dentieulated hinge line is a very prominent and characteristic peculiarity. >> (p. 534). L'auteur ne donne pas de diagnose mais une description synth6tique reposant sur Ies caract~res communs aux six esp6ces qu'il place dans le nouveau taxon, ajoutant qu'elles sont si 6troitement li6es qu'elles ne peuvent etre distingu6es sans quelque difficult6 (p. 536). Schubert & Levene (1929, p. 57) d6signent Chonetes arcuatus HALL, 1857 comme esp~ce-type de Eodevonaria qu'ils 61~vent au rang de genre, mais il faut attendre 1962 pour que Muir-Wood (p. 92-93) en 6tablisse la diagnose. Boucot & Harper (1968, p. 151-159) donnent une diagnose plus succincte dans laquelle seule la pr6sence de denticules ~t la charni6re constitue le caract6re discriminant d'Eodevonaria. Cette diagnose est cependant compl6t6e par une description synth6tique de la coquille, suivie par la description d6taill6e de cinq esp6ces que les auteurs reconnaissent comme appartenant au genre Eodevonaria. Les caract~res propres ~t chacune de ces esp6ces sont regroup6s en un tableau (p. 152) ; ils concernent la convexit6 de la coquille, son contour, sa taille maximale et la pr6sence ou l'absence de septa accessoires. C'est ~t partir de ces seuls crit~res que Boucot & Harper distinguent, sans les nommer, un groupe d'esp~ces de type ~d'un autre de type

<~Eod6vonariid6s d'Europe r6v61e par contre d'importantes diff6rences au niveau des cardinalia (forme et disposition relatives du processus cardinal, du myophore et de la partie proximale des cristae internes) ; ces diff6rences sont suffisantes pour 6tablir une distinction entre Eodevonaria BREGER, 1906 et Loreleiella nov. gen. ; elles confortent par ailleurs le rang hi6rarchique 61ev6 des structures dorsales internes (Racheboeuf 1981, p. 25) dans la syst6matique des Chonetac6s.

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I~TUDE SYSTI~MATIQUE Famille EODEVONARIIDAE SOKOLSKAJA, 1960

Loreleiella nov. sp. ESP~CE-TYPE : Eodevonaria jahnkei RACHEBOEUF, 1981

rieure s'6tendant au-del/l de la charni~re, lEpines de type cyrtomorphe extravers6, implant6es sym6triquemerit ; coquille ~ ornementation capill6e, tr~s variable dans la taille, le contour et le profil. COMPARAISON :

ORIGINE DU NOM :

Lorelei, personnage f6minin 16gendaire de la vall6e du Rhin; ondine qui attirait les bateaux sur les 6cueils. DIAGNOSE :

Genre d'Eodevonariid6 caract6ris6 par les structures de la r6gion post6ro-m6diane de la valve brachiale : processus cardinal profond6ment bilob6, p6doncul6, avec deux lobes massifs, arrondis, 61argis et divergents post6ro-lat6ralement ; lobes entaill6s longitudinalement par les profondes goutti~res d'insertion des muscles diducteurs ; myophore en position post6-

Loreleiella nov. gen. diff~re fondamentalement de Eodevonaria BREGER, 1905 par la forme et la position du processus cardinal (Racheboeuf 1981, pl. 1, fig. 35 et pl. 32-33). Chez l'esp~ce-type d'Eodevonaria (Chonetes arcuatus HALL, 1857), le processus cardinal est court, trapu et tL contour triangulaire non ~largi vers l'arri~re, ses flancs 6rant dans le prolongement du bord post6rieur des cristae internes. De plus, chez Eodevonaria, le processus cardinal n'est que mod6r6ment bilob~ et les lobes du myophore, mal individualis6s et faiblement d6prim6s longitudinalement, sont dispos6s dans le plan de l'interar6a de la valve brachiale qu'ils ne dSpassent pas, ou peu, vers l'arri~re.

Aspect g~n~ral et taille maximale de la coquille.

Morphologie du processus cardinal rue dorsale

profil vue post~rieure

EODEVONARIA I 0-20 nm

Praguien sup.-Emsien

LORELEIELLANOV.

-i~-~}

¢

. . . ..... .

GEN.

Emsien

A /l -s0 o

REHAUDIA Praguien supgrieur

i

15. ram

I

DAVOUSTIA

~

! Fig. 1 - -

Reconstitution sch6matique de ia morphologie externe de la coquille (le tiret6 figure le plan de sym6trie) et de la r6gion post6ro-

m4diane de la valve brachiale des quatre genres constituant la famille Eodevonariidae. Reconstruction o f the exterior of the shell (the broken line represents the plane of symmetry) and of the postero-median part of the

brachial valve for the four genera of the family Eodevonariidae.

-- 644 -Loreleiella nov. gen. s'61oigne des autres genres d'Eodevonariid6s d6voniens d'Europe (Davoustia RACHEBOEUF, 1976 ; R e n a u d i a RACHEBOEUF,1976) ~t la fois par la forme et l'ornementation de la coquille (jamais de sinus ~ la valve p6donculaire et ornementation toujours capill6e) et par la morphologie et l'implantation des 6pines ; celles-ci sont de type cyrtomorphe extravers6 et sym6triques chez Loreleiella nov. gen. alors qu'elles sont asym&riques et de type

orthomorphe droit chez D a v o u s t i a ; sym&riques et de type cyrtomorphe intravers6 chez R e n a u d i a . Les caract6res du processus cardinal permettent 6galement de diff6rencier rapidement Loreleiella nov. gen. de ces deux genres. Les caract~res de ces quatre genres qui constituent actuellement la Famille Eodevonariidae sont r6sum6s dans la figure 1.

ESPt~CES RAPPORTI~ES AU GENRE L O R E L E I E L L A

NOV. GEN.

- E o d e v o n a r i a j a h n k e i RACHEBOEUF, 1981 (esp6cetype): Emsien sup6rieur de la P6ninsule Ib6rique (Cha~nes cantabriques, Chaines ib6riques) et du Massif armoricain.

incompl6te. Son ornementation relativement forte, l'absence d'informations sur les 6pines et l'allure du processus cardinal vont plut6t ~ l'encontre d'une telle attribution.

Orthis clilatata ROEMER, 1844, de l'Emsien du Massif schisteux rh6nan.

E o d e v o n a r i a imperialis CASTER, 1939 du D6vonien inf6rieur de Colombie et du V6n6zu~la, poss~de 6galement une ornementation plus forte ; les 6pines et la structure du processus cardinal sont inconnues.

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- C h o n e t e s e x t e n s u s KAVSER, 1889, du Siegenien terminal et de l'Emsien du Massif schisteux rh6nan et du Harz. - C h o n e t e s millestria FUCHS, 1909 : Emsien de la

vall6e du Rhin. - Eodevonaria

distincta

RACHEBOEUF, 1981:

Emsien sup6rieur du Massif armoricain. E o d e v o n a r i a of. dilatata (ROEMER) in Racheboeuf, 1981 : Emsien inf6rieur du Massif armoricain et de la P6ninsule ib6rique. - E o d e v o n a r i a sp. cf. m e l o n i c a (BILLINGS)in Racheboeuf, 1981 : Emsien du Massif armoricain, des Pyr6n6es et des Cha~nes ib6riques. Loreleiella nov. gen. est 6galement repr6sent6 par diverses formes, non encore d6crites, du D6vonien inf6rieur du Maroc. I1 est possible que E o d e v o n a r i a choperica LJASCHENKO& SCHEVTSCHENKO,1969, du D6vonien de la Plate-forme russe appartienne au nouveau genre; sa description est cependant trop

Enfin E o d e v o n a r i a inca ISAACSON, 1977, du P6rou, et peut-&re aussi d'Argentine et d'Afrique du Sud (Isaacson, p. 174), montre 6galement une ornementation trop forte pour &re rapport6e au nouveau genre sans observations compl6mentaires ; de plus les 6pines sont 1~ encore inconnues. En cons6quence, et dans un souci d'objectivit6, il serait pr6f6rable de ne pas continuer h rapporter syst6matiquement au genre E o d e v o n a r i a tousles Chonetac6s dont la coquille pr6sente une charni~re denticul6e. En l'absence d'observations fines et compl6tes, portant en particulier sur la forme et l'implantation des 6pines ainsi que sur la morphologie et la disposition du processus cardinal et des structures annexes, il conviendrait de d6terminer provisoirement <( E o d e v o n a ria >>les formes et esp6ces insuffisamment bien pr6serv6es.

RELATIONS PHYLOGI~NI~.TIQUES ET PALt~OBIOGEOGRAPHIE L'origine de la famille Eodevonariidae demeure incertaine. Trois hypoth6ses ont 6t6 formul6es : un anc~tre strophodontac6 ~tcharni~re denticul6e (Julkov

1984) ; une origine au sein du genre C h o n e t e s (Boucot & Harper 1968) ; une souche ancestrale voisine des Anopliid6s (Racheboeuf 1981).

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Une origine strophodontac6e semble peu plausible dans la mesure o3 l'acquisition de la charni~re denticul6e para~t ~tre progressive ~ partir du Praguien ~ inf6rieur ~ dans le SW de l'Europe ; la denticulation de la charni~re repr6senterait donc une convergence adaptative des Chonetac6s plut6t que l'h6ritage d'un caract~re acquis chez tes Strophodontac6s. Un anc~tre dans le genre Chonetes pourrait Otre envisag6 pour Loreleiella nov. gen. car Chonetes existe darts le D6vonien inf6rieur d'Europe. Par contre la pr6sence de Chonetes dans le NE am6ricain demeure incertaine et il serait hasardeux d'y voir l'origine du genre Eodevonaria. De plus, les cardinalia de Chonetes ont des structures tr~s diff6rentes (processus cardinal long et 6troit, cristae internes courtes et arqu6es, etc...). Enfin dans le SW de l'Europe les premiers Chonetac6s ~ charni~re denticul6e rapport6s ~t la famille Eodevonariidae apparaissent d~s le Praguien ~ inf6rieur ~ alors que le type Chonetes n'est r6alis6 qu'h partir de l'Emsien inf6rieur. Quant ~ l'origine anopliid6e, elle repose sur les 6troites similitudes morphologiques constat6es entre Davoustia davousti (RACHEBOEUF, 1976), premiere forme poss6dant des denticules, et les Anopliid6s 6od6voniens d'Europe [Celtanoplia boblayei (VERNEUIL, 1850), notamment]. Le sch6ma phylog6n6tique esquiss6 pr6c6demment (Racheboeuf 1981) qui envisageait la succession Davoustia (Praguien ~ inf6rieur ~ et ~ moyen ~>) Renaudia ( P r a g u i e n sup6rieur) - Eodevonaria (Emsien) para~t ~tre confort6 par l'analyse morphologique du processus cardinal de ces genres qui se succ6dent, ainsi que par l'6tude des 6pines et d'autres caract~res de rang hi6rarchique moins 61ev6. Si une d6rive progressive de ces caract~res ne peut ~tre 6tablie, il n'en demeure pas moins que l'encha~nement des genres Davoustia, Renaudia et Loreleiella

nov. gen. ( = Eodevonaria des sch6mas pr6c6dents) constitue une lign6e phylog6n6tique hypoth6tique logique avec une tendance 6volutive unidirectionnelle des caractbres : d6veloppement vers l'arri6re du processus cardinal s'accompagnant d'une rotation du myophore ; diminution de l'angle des anderidia et des cristae internes ; d6veloppement des denticules le long de la charnibre et r6duction des fossettes dentales ; accroissement de la taille des coquilles s'accompagnant d'une ornementation de plus en plus fine et d'une augmentation du nombre d'6pines. Ce sch6ma hypoth6tique conduit donc ~ voir dans le genre Renaudia l'origine probable de Loreleiella nov. gen. Reste le probl6me de Eodevonaria: par ses caract6res morphologiques externes, il est tout ~ fait semblable ~t Loreleiella nov. gen., ~t la taille pros, les diff6rences se situant au niveau du processus cardinal. Dans le NE am6ricain, Eodevonaria n'est connu qu'~ partir du Praguien sup6rieur (Johnson 1979 ; Racheboeuf 1981) et aucun anc&re potentiel ne peut ~tre propos6 actuellement. Eodevonaria est-il l'aboutissement d'une convergence adaptative avec les Eodevonariid6s du Vieux Monde, dans ce cas son anc6tre potentiel demeure inconnu, ou bien a-t-il son origine en Europe ? Ses caract6res morphologiques, y compris ceux du processus cardinal, n'excluent pas un anc&re appartenant au genre Renaudia, ou une des premieres formes du genre Loreleiella (dont il pourrait d6river par paedomorphose) impliquant ainsi une migration de l'Europe vers l'Am6rique du Nord comme cela a d6j~t ~t6 envisag6 (Johnson 1979; Racheboeuf 1981). Une telle hypoth6se s'accorderait mieux avec une reconstitution pal6og6ographique pang6iste (Boucot & Gray 1979) du fait de l'61oignement moindre des aires de r6partition respectives des deux genres. Les modalit6s d'une telle migration demeurent cependant tr6s impr6cises.

Remerciements

L'auteur tient ~ exprimer ici sa tr~s vive reconnaissance ~t A.J. Boucot (Oregon State University, U.S.A.) pour le pr& d'6chantillons d'Am6rique du Nord ainsi que pour les

nombreuses discussions et remarques 6chang6es lors de la pr6paration de ce travail.

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M a n u s c r i t d6finitif re~u le 20.08.1986