ARTICLE DE FOND
L’accessibilité par la production de preuves : une démarche pour intégrer de nouvelles technologies prometteuses aux soins de santé Devidas Menon, Ph. D., MGSS; Tania Stafinski, M. Sc., Ph. D.; Alexa Nardelli, B. Sc.; Terri Jackson, Ph. D.; Jack Jhamandas, MD, Ph. D.
Résumé—L’évolution rapide des nouvelles technologies de la santé, pour lesquelles on dispose de preuves limitées, mais prometteuses, soulève un défi de taille, celui de dispenser des soins qui répondent aux besoins de santé de la population et optimisent l’issue des patients, qui démontrent une utilisation efficace des ressources en santé et qui respectent les principes fondamentaux d’équité, d’accès et de choix. Dans le présent article, nous proposons « l’accessibilité par la production de preuves » comme mécanisme possible pour relever ce défi et en exposons l’application à la « méthode Zamboni » pour le traitement de la sclérose en plaques.
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epuis plus de deux décennies, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada investissent dans l’évaluation des technologies de la santé (ÉTS) institutionnalisée pour étayer les décisions de financement à l’égard des nouvelles technologies de la santé. Ils ont ainsi créé l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (l’organisme national) et des entités provinciales en Alberta (l’Alberta Health Technologies Decision Process), au Québec (l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé, ou AETMIS, devenu l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux, ou INESSS) et en Ontario (le Comité consultatif ontarien des technologies de la santé et le Secrétariat des services consultatifs médicaux du ministère). Chaque organisme est responsable d’analyser l’information existante sur les répercussions cliniques, économiques et, dans certains cas, sociales, éthiques et juridiques de l’adoption et de l’utilisation de certaines technologies. Par conséquent, les technologies considérées comme candidates à l’ÉTS sont généralement celles pour lesquelles les données scientifiques disponibles sont considérées comme suffisantes pour former les assises d’une évaluation rigoureuse.
Du département des sciences de la santé publique et des divisions de médecine pulmonaire et de neurologie, université de l’Alberta, Edmonton (Alberta) Canada. Correspondance : Devidas Menon, Ph. D., MGSS, salle 3021, Research Transition Facility, 8308-114 Street, Edmonton (Alberta) Canada T6G 2V2 (courriel:
[email protected]). Forum Gestion des soins de sante´ 2011 24:49 –56 0840-4704/$ - voir les pages pre´liminaires © 2011 Collège canadien des leaders en santé. Publie´ par Elsevier Inc. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.hcmf.2011.05.002
Les quelques dernières années ont permis de constater une croissance sans précédent dans l’élaboration de technologies prometteuses pour traiter des pathologies pour lesquelles il existe peu d’options thérapeutiques. En raison de leur « nouveauté », les preuves quant à leur efficacité et leur efficience sont généralement limitées. Néanmoins, les patients désirent y avoir accès. L’angioplastie à ballonnet pour traiter l’insuffisance veineuse céphalorachidienne chronique (IVCC) en présence de la sclérose en plaques (SP), connue sous le nom de « méthode Zamboni » ou « thérapie de libération », en constitue un exemple récent. Parallèlement, les organisations de soins de santé du Canada et de l’étranger ont consenti des efforts importants pour mettre sur pied des processus de prise de décision sur les régimes publics d’assurance-maladie qui garantissent une utilisation prudente, fondée sur des principes, de ressources déjà lourdement mises à contribution. En toute légitimité, ces organisations cherchent à réduire au minimum le risque d’erreur, qui pourrait susciter de moins bonnes issues de santé et un gaspillage des ressources. Ce risque découle en partie des incertitudes à l’égard d’au moins un type d’information utilisé pour étayer les décisions. Dans le cas des nouvelles technologies, les incertitudes liées aux bienfaits cliniques sont inévitables. Cependant, le manque de preuve d’efficacité est parfois assimilé à une preuve de manque d’efficacité et donne lieu à la décision de ne pas intégrer la technologie au régime public et de la frustration de la part des patients, des dispensateurs et des innovateurs. Un éditorial publié dans le Journal de l’Association médicale canadienne, qui décrivait les pressions publiques et politiques en vue de financer la méthode Zamboni1, a mis en lumière la nécessité d’adopter un processus systématique pour évaluer et gérer l’intégration de nouvelles technologies comme l’IVCC. Pour résumer, les résultats préliminaires d’une étude du docteur Paolo Zamboni et de ses collaborateurs concluaient que chez certaines personnes
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atteintes de SP présentant une IVCC, l’angioplastie à ballonnet peut représenter un traitement efficace. L’étude a vite intéressé les médias internationaux et les patients. Ces résultats ont été suivis de témoignages personnels sur ses bienfaits cliniques2,3. Puisqu’il est déclaré que de 62 % à 100 % des personnes atteintes de SP peuvent avoir une IVCC4,5, les décideurs ont subi d’importantes pressions publiques et politiques pour rendre l’angioplastie à ballonnet accessible. Au Canada, la controverse a entraîné des demandes de débats d’urgence à la Chambre des communes, qui ont eu lieu en mai 20106, ainsi que des manifestations de patients dans plusieurs provinces. Les récents efforts en vue de réduire les incertitudes entourant les nouvelles technologies tout en y autorisant l’accès se sont concentrés sur des démarches novatrices désignées par le terme « mécanismes d’accessibilité par la production de preuves (APP) ». De tels mécanismes prennent la forme de dispositions d’assurance provisoires qui facilitent la production des preuves nécessaires pour prendre une décision définitive quant à l’intégration au régime public d’assurance-santé7–13. En général, ils se classent dans deux grandes catégories : ceux à l’égard desquels les organisations de soins de santé financent provisoirement une technologie (p. ex., un médicament, un dispositif, une intervention et ainsi de suite) qui sera utilisée dans une étude clinique conçue afin de colliger l’information nécessaire pour réduire les incertitudes liées à la prise de décision (c’est-à-dire l’assurance-santé accordée dans le cadre d’une étude clinique comme des évaluations sur le terrain) et ceux fondés sur une garantie de résultats, adoptés par suite d’ententes contractuelles entre des organisations de soins de santé et des fabricants (c’est-à-dire une assurancesanté sous réserve d’une garantie de résultats). Puisque la deuxième solution cherche à répartir entre les deux parties (le fournisseur et l’acheteur) la responsabilité et le risque encourus dans la prise de décisions sur l’assurance-santé, on la désigne par « partage du risque ». Malgré l’attrait de l’APP, les preuves de son efficacité sur le plan des politiques se sont surtout limitées à de brefs commentaires aux résultats contradictoires14. Ce constat a été mis en lumière dans une analyse internationale publiée récemment au sujet de ce type de mécanismes. Les résultats contradictoires sont largement attribués à l’absence de démarche systématique prévue pour déterminer les conditions dans lesquelles entreprendre l’APP et à l’omission de concevoir des moyens faisables et rigoureux de colliger l’information nécessaire pour corriger les lacunes actuelles en matière de preuves et ensuite prendre une décision définitive au sujet de l’assurance-santé. La plupart des mécanismes exigent l’affectation de ressources considérables. Afin de s’assurer de « l’optimisation des ressources », des dispositions officielles s’imposent afin d’aider les personnes qui s’y intéressent ou qui les planifient. 50
BUT Le présent projet vise à élaborer une liste fondée sur des preuves pour concevoir et évaluer les APP en vue d’intégrer de nouvelles technologies qui favorisent l’innovation et optimisent les issues de santé tout en en garantissant une utilisation sécuritaire et pertinente.
MÉTHODOLOGIE Les auteurs ont organisé un atelier international d’experts d’une durée de deux jours, réunissant des chercheurs et des décideurs expérimentés dans la conception et la mise en œuvre de mécanismes d’APP. Ils ont dressé la liste des participants en se fondant sur une analyse systématique récente des publications publiées ou internes sur les mécanismes d’APP14 et en puisant dans leurs contacts personnels. L’atelier comprenait la présentation d’études de cas émanant de l’Australie, du Canada, du Royaume-Uni et des États-Unis, en vue de faire ressortir les problèmes, les défis et les leçons apprises. Ces présentations étaient suivies d’exposés sur les forces, les faiblesses et les besoins en ressources pour implanter de tels mécanismes. Quatre chercheurs ont joué le rôle d’observateurs et de preneurs de notes pendant ces deux journées. À la fin de l’atelier, les auteurs ont compilé leurs notes et en ont fait une analyse qualitative par analyse de contenu. Les résultats ont formé une liste des grandes caractéristiques d’un mécanisme d’APP « efficace » (c’est-à-dire en mesure de colliger l’information nécessaire pour réduire les incertitudes liées aux décisions dans un délai précis). Ils ont ensuite recouru à la méthode Delphi pour réviser le tout et obtenir le consensus des participants à l’atelier afin de produire une liste définitive. Afin d’évaluer la pertinence et la faisabilité des résultats sur la scène locale, les auteurs ont organisé un atelier d’une journée et demie auprès de 16 décideurs haut gradés en planification des technologies de la santé ou en approvisionnements ainsi qu’auprès de leaders d’opinion clinique du ministère de la Santé de l’Alberta et d’Alberta Health Services (organisme provincial de prestation des services de santé). Notamment, l’atelier avait trois objectifs : 1) discuter de divers types et degrés d’incertitude dans les décisions de financement de nouvelles technologies de santé; 2) examiner les démarches pour gérer ces incertitudes; 3) déterminer ce qui pourrait être nécessaire pour adopter une démarche « fabriquée en Alberta » pour l’APP. L’atelier s’est ouvert par une présentation préliminaire sur l’APP afin d’en souligner les principaux concepts et d’exposer des exemples tirés de l’expérience internationale. Cette présentation a été suivie de séances en petits groupes, au cours desquelles les participants ont abordé diverses questions, y compris « Dans quelles situations utiliserait-on l’APP ? », « Qu’est-ce qui constitue des preuves suffisantes selon la démarche d’APP ? » et « De quoi faut-il tenir compte dans la gestion de l’APP ? » Les groupes se sont réunis en séance
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plénière pour partager leurs réponses et proposer des critères de sélection des technologies et de tenue d’APP. Ils ont également compilé les principaux problèmes d’ordre opérationnel. Quatre chercheurs ont pris des notes de façon indépendante pendant l’atelier, et celles-ci ont été utilisées pour préparer une première version des débats. Afin de s’assurer que ces débats reflétaient fidèlement les discussions, tous les participants à l’atelier en ont reçu un exemplaire afin de les commenter. Les auteurs ont combiné les résultats des deux ateliers pour créer une liste de vérification pour l’APP, dont la structure est similaire à celle des outils d’évaluation critique utilisés en médecine probante. Ils ont présenté cette liste à une conférence internationale sur les politiques de santé et les recherches par analyse de résultats. Ils se sont ensuite servis des commentaires des congressistes, composés de représentants de l’industrie, de décideurs, de représentants des patients et de chercheurs universitaires, pour y apporter des modifications définitives.
RÉSULTATS Les résultats de l’atelier Les résultats des deux ateliers ont fait ressortir la nécessité d’adopter des démarches novatrices pour gérer l’intégration de technologies de la santé prometteuses (notamment les dispositifs médicaux et les interventions cliniques) au système de soins de santé. Dans le cadre de l’atelier destiné aux décideurs de la santé locaux, aux administrateurs et aux leaders d’opinion clinique (les participants représentaient les points de vue concurrentiels d’intervenants), tous ces intervenants partageaient une perspective similaire sur 1) des facteurs à envisager au moment de sélectionner les technologies auxquelles appliquer l’APP, 2) l’importance d’établir clairement le point d’entrée du clinicien au processus d’APP, 3) la nécessité de s’assurer que les mécanismes d’APP respectent les échéanciers des prises de décision (p. ex., ils ont produit le type et le degré pertinents d’information voulue au moment de la décision définitive); 4) le rôle des enjeux éthiques dans l’initiation et la conception des mécanismes individuels d’APP. Les participants ont soulevé les points suivants, à la fois pendant les séances en petits groupes et les séances plénières : 1) il faudra établir des critères pour prioriser les APP lorsque de multiples technologies potentielles seront envisageables (p. ex., les pathologies qu’elles touchent mettent en jeu le pronostic vital, ont des répercussions marquées sur la qualité de vie et s’associent à de nombreux besoins non respectés); 2) afin de s’assurer que la production de preuves est bien liée au processus de prise de décision, il faudra évaluer attentivement les problèmes d’ordre opérationnel; 3) étant donné la nature pragmatique des conceptions d’étude d’APP qui visent à en comprendre l’efficacité réelle dans un système de soins complexe, les « preuves suffisantes » portent moins sur les
normes de recherche que sur l’acceptation, par les intervenants, des conclusions fondées sur l’APP; 4) pour chaque APP, il faudra créer des réseaux provinciaux et des groupes à intervenants multiples; 5) tous les groupes d’intervenants devraient connaître clairement le point d’entrée dans les processus de détermination et de sélection des APP; 6) il faudra incorporer au processus les questions éthiques, y compris le consentement en cas d’interventions à haut risque; 7) s’il y a lieu, il faudra envisager une collaboration interprovinciale aux APP; 8) il faudra clarifier le rôle du financement des APP par l’industrie et obtenir un consensus à cet égard. Les participants ont également proposé les critères suivants pour évaluer les technologies auxquelles faire subir l’APP : 1) la technologie doit être sécuritaire et prometteuse sur le plan clinique, 2) il est impossible de dissiper l’incertitude relative à son efficacité ou à sa rentabilité sans obtenir des preuves supplémentaires, 3) il est peu probable de parvenir à une décision définitive à partir d’autres raisonnements (politiques, sociaux ou éthiques), 4) l’échéancier de l’APP doit être le plus court possible, mais s’associer à un modèle de recherche capable de fournir des preuves de qualité qui documenteront une décision en matière d’assurance-santé, 5) la population de patients devrait être assez vaste pour produire des preuves suffisantes, mais pas au point de susciter la diffusion involontaire de la technologie par le biais de l’APP, 6) aucune autre technologie existante ou prévue n’est susceptible de supplanter la technologie candidate à l’APP.
Liste proposée Lorsqu’une technologie est considérée comme admissible, la liste exposée à la figure 1 permettrait d’orienter la conception du mécanisme d’APP.
La mise en application de la liste Dans la présente rubrique, les auteurs proposent un mode de mise en œuvre des critères et de la liste proposée en prenant pour exemple la méthode Zamboni. Les critères pour entreprendre une APP s’établissent comme suit : 1. Critères 1 et 2 : Deux études pilotes sur la méthode Zamboni auprès des personnes atteintes de SP (l’une auprès de 65 patients et l’autre, auprès de 31 patients) ont été publiées. Quatre autres sont en cours, y compris un essai aléatoire et contrôlé auprès de 20 patients2,3. On peut postuler que si on attendait les résultats de cet essai, on pourrait éviter une APP ou obtenir un aperçu de la conception d’une future APP. Cependant, les résultats de cette étude feront l’objet d’intenses critiques, comme on l’a constaté à la publication des données préliminaires de Zamboni, principalement à cause du petit échantillon
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Figure 1. Liste utilisée pour orienter la conception du mécanisme d’APP.
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de patients15. Bref, le manque de preuves sur ce traitement risque de perdurer un certain temps et la contestation quant à la quantité de preuves suffisantes pour prendre une décision définitive risque de se poursuivre. Critère 3 : On constate une importante controverse publique et politique mettant en cause divers groupes ayant des intérêts personnels à l’égard de la question. Les données scientifiques sont susceptibles d’avoir un poids important pour assurer la médiation de ces intérêts, réduisant la possibilité que les décisions en matière d’assurance-santé soient prises pour d’autres motifs. Critère 4 : D’après des études pilotes, le délai entre l’intervention et les bienfaits cliniques mesurables sont relativement courts (semaines). Critère 5 : Le groupe de patients atteints de SP est assez vaste pour produire des résultats solides, mais la conception de l’étude de recherche permet d’en limiter la diffusion à des sous-groupes de patients (p. ex., selon la phase de la maladie). Les preuves tirées d’essais chirurgicaux aléatoires faisant appel à de « fausses » chirurgies comme témoins placebo ont démontré que les patients, désireux d’essayer de nouveaux traitements, ont tendance à vouloir participer à de tels essais, ce qui laisse croire qu’il ne sera pas difficile d’obtenir l’échantillon souhaité16. Critère 6 : À part quelques pharmacothérapies de phase III, aucune technologie concurrentielle n’est annoncée.
Liste de vérification pour concevoir et évaluer l’APP L’admissibilité de la méthode Zamboni étant établie, toute APP devra être conçue de manière à porter au maximum l’utilité du volet de recherche, au moyen des critères suivants : 1. La spécification du problème lié à la décision : La nouvelle technologie ne respecte pas une norme généralement reconnue pour l’assurance-santé, et les preuves sont insuffisantes à l’égard de certains aspects de la technologie. Le problème lié à la décision doit être énoncé de manière explicite, afin que l’APP qui en découlera soit conçue en conséquence. Par exemple : déterminer les conditions (s’il y a lieu) dans lesquelles il faudrait administrer la méthode Zamboni dans le cadre d’un service de santé intégré au régime public d’assurance-santé. 2. L’incertitude : Il faut définir ce volet de manière explicite, afin que la population pertinente soit sélectionnée et que des mesures de résultats convenables soient utilisées pour la collecte de données. L’incertitude doit être définie de manière à respecter le problème lié à la décision pour que les résultats de l’APP puissent
documenter la décision définitive en matière d’assurance-santé. Par exemple : les incertitudes liées à la méthode Zamboni portent sur la sécurité, l’efficacité clinique et la rentabilité. L’APP doit être conçue pour répondre aux questions suivantes : a. Dans quelles conditions l’intervention est-elle sécuritaire (ses bienfaits cliniques sont-ils supérieurs à ses risques) ? b. L’intervention est-elle plausible sur le plan biologique ? (Cependant, l’importance de la plausibilité a été remise en question17, et il ne faut pas souligner cette incertitude au point d’exclure toute autre analyse de l’intervention). c. De quel type d’expérience clinique a-t-on besoin pour effectuer l’intervention ? d. L’intervention est-elle efficace sur le plan clinique tant à court qu’à long terme ? Son efficacité dépend-elle d’une pharmacothérapie de fond concomitante, telle que des immunomodulatoires déjà existants ? e. Y a-t-il un sous-groupe de patients (p. ex., ceux qui sont atteints de la forme rémittente-récurrente de SP plutôt que de la forme primaire ou secondaire) à qui l’intervention convient davantage ? Y a-t-il un moyen de repérer les patients qui profiteraient du dépistage de l’IVCC et d’un traitement subséquent ? f. Les patients doivent-ils poursuivre d’autres schémas thérapeutiques pendant ou après l’intervention? g. Les bienfaits sont-ils réalisables à des coûts acceptables ? 3. Groupes d’intervenants : Les groupes d’intervenants qui peuvent avoir participé à un mécanisme d’APP sont les patients, les fabricants et les médecins. Il faudrait définir le degré de participation de chaque groupe et conclure des ententes contractuelles, au besoin. Par exemple, en cas d’APP relative à la sclérose en plaques, les groupes potentiellement pertinents sont : a. des patients individuels : Pour participer à l’étude et contribuer à la sélection des mesures de résultats pertinentes. b. des groupes de défense d’intérêts des patients : Ils peuvent fournir un financement pour l’APP, mais ce doit être sans condition, et il faut définir clairement leur rôle. c. des dispensateurs de soins (p. ex., neurologues, radiologues interventionnistes, chirurgiens vasculaires, thérapeutes en réadaptation, pharmaciens et infirmières) doivent participer dès le départ. Ils peuvent documenter la conception de l’étude et participer à la prestation des services et à la collecte de données. Tout conflit (au sein d’une spécialité ou entre spécialités) lié à l’intervention doit être énoncé explicitement. Il peut être nécessaire de
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signer des ententes contractuelles entre patients et médecins, établissant les conditions dans lesquelles le traitement sera poursuivi ou non. d. des fabricants : À l’exception de fournir le dispositif (p. ex., l’angioplastie à ballonnet), leur participation n’est peut-être pas nécessaire, mais ils pourraient s’opposer à une APP s’ils pensent qu’elle risque de limiter l’accessibilité de leur produit au marché. e. le gouvernement ou les assureurs : À part préciser les preuves nécessaires pour que l’assurancesanté soit fournie, les payeurs devraient assurer l’intégralité du soutien financier nécessaire pour l’APP. Au Canada, ce soutien proviendra probablement des gouvernements provinciaux. 4. L’évaluation de l’APP : Les APP sont coûteuses et devront faire leurs preuves avant que tous les intervenants les considèrent comme une option raisonnable. Il faudrait déterminer d’avance les projets en vue d’évaluer le processus d’APP. Par exemple, il faudrait déterminer dès le départ l’engagement à évaluer l’APP à l’égard de la SP. Puisque les issues à court et à long terme sont remises en cause, il faut planifier soigneusement le moment et le nombre d’évaluations requises (les paramètres ultimes et la nécessité d’évaluations intermittentes). 5. La gouvernance et la supervision : Lorsqu’il y a de multiples groupes d’intervenants et des intérêts personnels divergents, il est essentiel que la gouvernance et le financement de l’APP soient approuvés et décrits en toute transparence. Il faut rendre publique la description du mode de gouvernance (qui doit être indépendant de tout groupe susceptible de profiter des résultats de l’APP), le financement, la propriété des données et le moment de la publication des résultats de l’étude d’APP. Par exemple, il faut s’entendre d’avance sur la supervision scientifique d’une APP à l’égard de la SP, la responsabilité de recrutement, la collecte de données, l’adhésion à une conception d’étude et la transparence. Pour réduire au minimum le risque de biais qui influera sur les résultats, un centre de recherche indépendant constituerait le choix le plus pertinent. Il faudrait également former et consulter un groupe consultatif incluant des représentants des milieux cliniques, de l’industrie, des gouvernements et des patients. Il faudrait préciser la propriété des données de l’étude et parvenir à des ententes autorisant la publication de l’information. Toutes les personnes associées à la tenue, à la supervision et à la diffusion des résultats de l’étude devraient déclarer leurs conflits d’intérêts. 6. La population de patients admissibles : Il faudrait préciser le groupe de patients qui peut participer à l’APP, conformément au problème original lié à la décision. Par exemple, dans ce cas, l’APP pourrait inclure tous les patients atteints de SP ayant une carence diagnosti54
quée de drainage veineux du cerveau (et des souspopulations établies selon la gravité) ou des souspopulations chez qui les études pilotes ont démontré des bienfaits jusqu’à présent. Les critères d’IVCC ont été utilisés pour confirmer un diagnostic d’IVCC, mais ils n’ont pas été validés, et le recours à d’autres mesures vasculaires peut être recommandé. Quelle que soit la conception de l’APP, la dimension de l’échantillon et du sous-échantillon doit permettre de résoudre les incertitudes pertinentes. 7. Les mesures de résultats : D’ordinaire, pour prendre une décision par suite d’une APP, il faudra que des mesures atteignent des valeurs prescrites au sein de la population de patients. Les mesures de résultats devraient être compatibles avec le problème lié à la décision, et il faudrait préciser s’il s’agit de résultats directs ou indirects. Il faudrait choisir les mesures de résultats d’une APP dès le départ avec sagesse. Par exemple : Il sera toujours difficile de sélectionner les résultats des traitements de la SP. Le suivi des patients doit être suffisant pour distinguer les bienfaits cliniques d’une rémission naturelle de la maladie. La sécurité pourrait être mesurée selon le taux de complications de l’intervention. Dans le cas de la méthode Zamboni, la sécurité peut varier selon le spécialiste clinique qui procède à l’intervention (p. ex., un chirurgien vasculaire au lieu d’un radiologue interventionniste). Il faut en tenir compte dans la conception de l’APP. L’efficacité clinique pourrait être mesurée selon l’exacerbation ou les taux de rechute, les données neurologiques (p. ex., résultats d’une imagerie par résonance magnétique), les tests de fonction neurologique ou la qualité de vie perçue par le patient. Il n’a pas de consensus universel quant à la fiabilité relative de ces diverses mesures. Par conséquent, il faut s’entendre au départ sur celles qui seront utilisées et sur les fondements nécessaires pour prendre la décision de l’intégrer ou non à l’assurance-santé. La rentabilité est souvent mesurée d’après le ratio de rentabilité incrémentielle, mais il faut le déterminer clairement lors de la phase de conception de l’étude. 8. Les critères d’arrêt : Les études d’APP sans moment d’arrêt établi risquent de se transformer en exercices de collecte de données qui consument des ressources, retardent la prise de décision et limitent l’accès aux seules personnes qui sont inscrites à l’APP. Il faudrait déterminer des critères d’arrêt explicites, en partie d’après l’efficacité statistique nécessaire pour obtenir des résultats fiables. On constate de l’incertitude à l’égard de l’efficacité à long terme de l’angioplastie à ballonnet pour la SP, et plusieurs années de suivi s’imposeraient. Il faudrait envisager les conditions qui permettraient de modifier le traitement des patients qui participent à l’APP selon la réponse au traitement dès le départ, afin d’assurer un accès pertinent au
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traitement et une utilisation efficace des ressources de l’étude. Ces conditions pourraient inclure l’efficacité clinique, la sécurité ou la rentabilité. Par exemple, il peut être entendu que si aucune preuve d’efficacité clinique n’est établie dans les six premiers mois de suivi, l’APP et le traitement pourront être abandonnés. Les sommes que le gouvernement s’engage à verser avant de prendre une décision définitive contribueront à déterminer ces conditions. Dans le cas de la SP, les intervenants devraient s’attendre à la possibilité de devoir reprendre l’intervention chez certains patients. 9. Les résultats de l’APP : Tous les intervenants voudront connaître les résultats de l’APP pour comprendre ce qui justifie la décision susceptible d’être prise. Les études d’APP devraient être signalées sous forme d’études de recherche valides, en mesure de subir la révision par les pairs et la critique. Une fois une APP terminée, les résultats devraient être publiés. Cependant, il est nécessaire d’assurer la diffusion opportune des résultats, sans restriction quant à la communication de l’information, afin de s’assurer que l’APP respecte des normes raisonnables de transparence. Notamment, aucune partie ne devrait avoir l’autorité de surseoir à la publication des résultats lorsque l’APP en arrive au point où il devient possible de prendre une décision stratégique. Par exemple : De multiples intervenants, aux intérêts personnels et parfois contradictoires, s’intéressent à la méthode Zamboni. Par conséquent, il faudrait s’entendre sur un plan de communication publique des résultats de l’APP à l’égard de la SP dès le début de l’étude. L’équipe de recherche doit être libre de publier tous les résultats de l’étude. Cependant, il faudrait également communiquer les résultats au public le plus rapidement possible une fois l’étude terminée. 10. La décision de l’intégrer à l’assurance-santé : Cette décision peut avoir d’importantes conséquences sur les patients, les fabricants, les médecins et les payeurs. Par conséquent, il faut la communiquer clairement et la fonder sur les résultats de l’APP. À la publication du rapport final de l’APP, il faudra prendre une décision stratégique quant aux conditions dans lesquelles la méthode Zamboni sera offerte (ou non) dans chaque territoire de compétence. Il faudra présenter les fondements de cette décision et établir clairement qu’elle reflète les résultats de l’APP. Cette réglementation devrait limiter au minimum les différences d’accès entre les provinces. Il faudra également tenir compte de la réaction à une situation où les recommandations sembleraient différer de ce à quoi on s’attendrait compte tenu des résultats de l’APP. Les démarches pour gérer une telle situation, si elle se produit, devraient être prévues prospectivement.
CONCLUSIONS Au Canada, l’ÉTS joue et continuera de jouer un rôle important pour étayer les décisions quant à l’intégration de certaines technologies à l’assurance-santé. Elle y parvient en fournissant des évaluations fondées sur la tradition de la médecine probante. Même si elle convient à de nombreuses technologies, sa valeur peut être limitée lorsqu’il faut prendre une décision à l’égard de nouvelles technologies qui se révèlent rapidement prometteuses. Dans le présent article, nous avons présenté l’APP comme une possibilité qui vise à bien équilibrer l’accessibilité à de nouvelles technologies prometteuses avec la nécessité de limiter les dommages au minimum et d’assurer une utilisation efficace des ressources de santé. Nous avons également décrit la préparation d’une liste pour mener des APP documentées, appuyée sur une analyse systématique des publications, les expériences des décideurs de pays qui ont piloté ou adopté ces mécanismes et les consultations avec des décideurs hauts gradés locaux et des leaders d’opinion clinique. Enfin, nous avons présenté une mise en application possible de cette liste en prenant l’exemple de la méthode Zamboni. Des options stratégiques, notamment à l’égard de technologies non pharmaceutiques, pourraient grandement contribuer à réduire les tensions entre les patients, les dispensateurs et les décideurs. Ces tensions proviennent du fait que, contrairement aux technologies pharmaceutiques hautement réglementées, les technologies non pharmaceutiques sont généralement intégrées aux systèmes de santé par des mécanismes officieux, implantés au sein des établissements ou par les régies régionales de la santé. Par conséquent, les preuves de leur sécurité et de leur efficacité sont souvent limitées. Cette situation représente un défi pour les décideurs du système de santé qui, même s’ils veulent fournir de nouvelles technologies de la santé susceptibles de procurer des bienfaits importants aux patients, ne connaissent pas les risques associés à leur intégration. L’angioplastie à ballonnet de l’IVCC constitue un exemple d’une telle intervention. C’est une situation impossible. En effet, un point de vue justifiable voudrait qu’on ne l’adopte pas sans obtenir des preuves pertinentes de sa sécurité et de son efficacité, mais pour produire de telles preuves, il faut l’utiliser. L’APP représente une solution possible en fournissant une démarche plus officielle de gérer l’intégration de ces technologies au système de santé, une démarche qui favorise l’innovation, permet l’accessibilité et garantit une utilisation pertinente des ressources de santé. Comme on l’a déjà dit, le succès des mécanismes d’APP dans les diverses régions du monde est mitigé. C’est pourquoi nous avons organisé un atelier international de personnes qui participent à la mise en œuvre de certains de ces mécanismes afin de nous assurer que l’élaboration de la liste incluait des possibilités de préemption et était
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documentée par une compréhension détaillée des défis, de la part des pionniers de cette démarche. Nous l’avons ensuite mise en contexte d’après les commentaires reçus dans un atelier local d’intervenants clés. Par conséquent, nous sommes d’avis que la liste constitue une plateforme probante pour orienter les APP pilotes visant à résoudre les situations impossibles lors des prises de décision. Même si elle est conçue pour des décideurs du Canada, elle contient des questions susceptibles de convenir à des territoires de compétences dotés de services de santé financés par l’État situés au-delà de nos frontières. De plus, puisque ces mécanismes se fondent sur la détermination d’incertitudes liées aux décisions et à la collecte subséquente de nouvelles données en vue de résoudre ces incertitudes, ils peuvent permettre de documenter l’évolution à plus long terme de ce que l’Institute of Medicine des États-Unis a qualifié de « système de soins de santé en apprentissage » du Canada (un système qui collige constamment de l’information et qui revoit ses politiques et ses pratiques en conséquence)18.
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Healthcare Management Forum ● Forum Gestion des soins de sante´ – Summer/Été 2011