Main en miroir : une nouvelle forme avec revue de la littérature

Main en miroir : une nouvelle forme avec revue de la littérature

Revue de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’appareil moteur (2008) 94, 174—178 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com FAIT CLINIQUE M...

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Revue de chirurgie orthopédique et réparatrice de l’appareil moteur (2008) 94, 174—178 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

FAIT CLINIQUE

Main en miroir : une nouvelle forme avec revue de la littérature Mirror hand deformity: A new phenotype with literature review S. El Hage a, I. Ghanem a,∗, A. Megarbané b, C. Razzouk c, F. Dagher a, K. Kharrat a a

Département de chirurgie orthopédique, hôpital Hôtel-Dieu-de-France, université Saint-Joseph, boulevard Alfred-Naccache-Achrafieh, Beyrouth, Liban b Département de génétique, hôpital Hôtel-Dieu-de-France, université Saint-Joseph, Beyrouth, Liban c Département de radiologie, hôpital Hôtel-Dieu-de-France, université Saint-Joseph, Beyrouth, Liban Acceptation définitive le : 24 septembre 2007 Disponible sur Internet le 1 f´ evrier 2008

MOTS CLÉS Malformations congénitales du membre supérieur ; Ulna ; Dimélie ulnaire ; Main en miroir

KEYWORDS Congenital upper extremity deformities; Ulna; Ulnar dimelia; Mirror hand



Résumé Nous rapportons le cas d’un enfant présentant une polydactylie formée de huit doigts triphalangiens avec absence de pouce et du radius et duplication de l’ulna. Les fonctions de la main, du poignet, de l’avant-bras et du coude étaient perturbées, avec notamment une raideur du poignet en flexion, une absence de pronosupination de l’avant-bras et une limitation sévère du secteur de mobilité du coude. Par ailleurs, l’enfant a été opéré d’une sténose hypertrophique du pylore et l’on a découvert chez lui un rein multikystique. Nous présentons les particularités cliniques, anatomiques, électromyographiques, génétiques et thérapeutiques de cette anomalie rare, à partir du cas clinique présenté et des données de la littérature. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary We report the case of a child who presented polydactyly with eight triphalangeal fingers, no thumb or radius and ulnar dimelia. Hand, wrist, forearm and elbow function was compromised, particularly due to wrist stiffness in flexion, the absence of forearm pronation supination and severe limitation of elbow motion. In addition, the child underwent surgery for pyloric hypertrophy and also presented a multicystic kidney. We present the clinical, anatomic, electromyographic, genetic and therapeutic aspects of this rare deformity and discuss data presented in the literature. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Ghanem).

0035-1040/$ — see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rco.2007.09.003

Main en miroir

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Introduction La main en miroir est une malformation congénitale très rare du membre supérieur. Ses principales caractéristiques sont une duplication de l’ulna avec absence de radius et polydactylie symétrique. Elle est également connue sous le terme de dimélie ulnaire du fait de l’anomalie de l’avant-bras qui la caractérise. Plusieurs variantes ont été décrites et certains cas sont associés à d’autres malformations congénitales. Ces variantes intéressent aussi bien les éléments osseux que les éléments musculaires, vasculaires et nerveux [1,2]. Nous rapportons un nouveau cas de main en miroir associée à des malformations viscérales.

Cas clinique Il s’agit du premier-né de parents non consanguins libanais. L’histoire familiale est négative en ce qui concerne la présence de malformations congénitales ou de déformations squelettiques. La grossesse et l’accouchement étaient sans particularités. Une échographie anténatale avait été faite dans un autre pays, lieu de résidence permanente des parents, mais ses données ne sont pas disponibles. Le score d’Apgar était de neuf à une et cinq minutes et un souffle cardiaque était présent à la naissance en plus d’une malformation évidente du membre supérieur droit. La longueur crâniocaudale était de 51 cm avec un périmètre crânien de 34 cm et un poids de 4400 g. L’enfant nous a été adressé à l’âge de 13 jours pour l’évaluation de la malformation du membre supérieur droit. La malformation consistait en une polydactylie de la main droite avec huit doigts courts et raides (Fig. 1a). La paume était large et plate sans l’aspect habituel d’éminences thénar et hypothénar. Le poignet était en déviation radiale et palmaire et hyperfléchi à 100 degrés (Fig. 1b). Le coude était raide en extension et le secteur de mobilité était limité à 20—30 degrés de flexion. Les plis de flexion à la face antérieure du coude étaient absents. L’avant-bras apparaissait plus court que le côté opposé (Fig. 2) et la pronosupination était sévèrement limitée. L’examen de l’épaule montrait une absence d’abduction et de rotation externe actives, alors que l’adduction et la rotation interne étaient conservées ce qui nous a poussé à évoquer une paralysie obstétricale du plexus brachial de type Erb-Duchenne. L’examen radiologique révélait la présence de huit doigts triphalangiens avec absence du pouce. Chaque doigt était accompagné d’un métacarpien et tous ces métacarpiens étaient dotés d’une physe et d’un noyau d’ossification distaux. Les deux os de l’avant-bras avaient des extrémités proximales ressemblant à celle d’un ulna (deux olécrânes). L’extrémité distale de l’os médial rappelait celle d’un ulna alors que celle de l’os latéral était plus large, évoquant celle d’un radius (Fig. 3a et b). Une kinésithérapie et une attelle brachiopalmaire de nuit ont été prescrites en préparation à une correction chirurgicale prévue vers l’âge de huit à dix mois. L’enfant s’est par la suite fait opérer d’une sténose hypertrophique du pylore. Son échographie abdominale préopératoire a révélé la présence d’un rein gauche multikystique. Il fut alors réexaminé à l’âge de trois mois, date à laquelle a été notée une légère amélioration dans la mobilité du poignet, alors que

Figure 1 A : aspect clinique de la main droite avec polydactylie symétrique formée de huit doigts triphalangiens ; B : aspect clinique du poignet montrant la déviation palmaire du poignet.

Figure 2 Aspect clinique global du membre supérieur droit. À noter le raccourcissement au dépens de l’avant-bras, la position du poignet et l’aspect caractéristique des doigts.

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S. El Hage et al.

Figure 3 A et B : radiographies montrant la présence de deux os dans l’avant-bras ressemblant à deux ulna avec absence de radius. À noter la présence de huit doigts triphalangiens avec absence de pouce.

le coude restait raide. À l’âge de cinq mois, il n’y avait pas d’amélioration de l’abduction active de l’épaule, du secteur de mobilité du coude et de la force du poignet et des doigts. Une étude électromyographique faite à ce stade a montré que l’innervation sensitive de tous les doigts était tributaire des deux nerfs ulnaire et médian et que le nerf radial n’avait pas de territoire sensitif sur le dos de la main. Les réponses motrices recueillies dans la région palmaire latérale (correspondant normalement aux muscles thénariens), suite à la stimulation de la région antérolatérale du poignet (qui correspond normalement au passage du nerf médian) étaient atténuées alors que celles recueillies dans la région palmaire médiale (correspondant aux muscles de l’éminence hypothénar) étaient normales. La stimulation de la région antéromédiale du poignet (correspondant au passage du nerf ulnaire) montrait une diminution de la conduction nerveuse vers la région palmaire médiale (correspondant aux muscles hypothénariens). Il n’y avait pas d’activité spontanée et par conséquent pas de signe en faveur d’une dénervation proximale du membre supérieur pouvant être en rapport avec une paralysie obstétricale du plexus brachial. Le caryotype effectué à la même date était normal. À l’âge de 14 mois, les trois doigts médiaux et les deuxième et troisième doigts à partir du bord latéral étaient les plus fonctionnels. Le poignet était raide en flexion et l’extension active du poignet était limitée à 20 degrés à partir de la position de flexion maximale. Les mouvements actifs et passifs du coude étaient tous les deux améliorés avec un secteur de mobilité de 70 degrés. Les mouvements de pronation et de supination étaient toujours impossibles. Le développement psychomoteur était strictement normal. À l’âge de 16 mois, l’enfant fut opéré d’une excision des premier, quatrième et cinquième doigts (les moins actifs) avec une reconstruction commissurale entre le troisième et le sixième doigts devenus les deuxième et troisième doigts, respectivement. Le membre était alors traité en postopé-

ratoire par plâtres successifs suivis par une kinésithérapie intensive et attelles de nuit afin d’améliorer l’extension du poignet et la mobilité du premier doigt radial dans l’espoir d’une possible pollicisation ultérieure. L’enfant a été revu à l’âge de 30 mois. Il n’existait aucune amélioration des mobilités active et passive des doigts et du poignet ni de la mobilité en abduction et rotation externe de l’épaule droite. Il continue à être régulièrement suivi en physiothérapie.

Discussion La dimélie ulnaire est une malformation congénitale très rare. Depuis sa première description en 1587 [2,3], elle n’a été rapportée dans la littérature qu’environ 60 fois. Cette anomalie n’est pas spécifique à l’espèce humaine : elle avait été rapportée chez les vaches par Ueshima et Uehara et chez les volailles par Gorriz au début des années 1980 [4]. Sa cause n’est pas bien établie. Elle résulterait probablement d’une mutation somatique intéressant les cellules souches du membre supérieur, mettant en jeu des gènes spécifiques qui contrôlent le développement de l’axe antéropostérieur (préaxial—postaxial) du membre, notamment des gènes de la superfamille des Homeobox (qui codent pour des facteurs de transcription). Plus de 20 cas de dimélie ulnaire isolée ont été rapportés dans la littérature [2,5]. Elle est souvent bilatérale et intéresse plus fréquemment le membre supérieur gauche. Le syndrome de Laurin-Sandrow est une association d’une duplication ulnaire et fibulaire avec absence de radius et de tibia, avec polysyndactylie des mains et des pieds et anomalies faciales au niveau des narines, du philtrum et de la columelle nasale. Ce syndrome comprend habituellement une polydactylie préaxiale avec un aspect en miroir typique des doigts triphalangiens. Il est extrêmement rare et la littérature compte une dizaine de cas [6—13].

Main en miroir Le syndrome de Bardet-Biedl fut discuté parmi les diagnostics différentiels. Il associe une polydactylie postaxiale, une polykystose rénale, une obésité, mais est caractérisé par la présence d’un retard mental, d’une hypoplasie génitale et d’une rétinite pigmentaire cause de cécité, qui n’existent pas dans notre cas [14]. Le cas que nous présentons est original de par la rareté de l’atteinte de l’épaule, du côté droit, ainsi que l’association à d’autres atteintes viscérales telles que le rein multikystique et la sténose hypertrophique du pylore. Sans éliminer la possibilité d’une pure coïncidence, nous soulevons l’hypothèse de cette association comme étant un nouveau syndrome dans le large éventail des syndromes de main en miroir. La main en miroir présente plusieurs difficultés concernant son traitement médical et chirurgical. L’excision des doigts surnuméraires et la reconstruction du pouce sont les grandes lignes d’un traitement visant une restitution de l’aspect esthétique et surtout fonctionnel de la main. Un autre objectif du traitement est d’améliorer la flexion—extension du coude et les mouvements de pronation—supination de l’avant-bras. Les quelques publications ayant trait aux modalités thérapeutiques de la dimélie ulnaire n’aboutissent pas à une recommandation précise pour le traitement de cette anomalie [2,15—17]. De plus de nombreuses variantes anatomiques imprédictibles sont parfois découvertes au cours de la chirurgie ce qui peut pousser le chirurgien à changer son plan chirurgical pendant l’intervention [1]. Cela est confirmé par les données électromyographiques chez notre patient jamais rapportées auparavant. Malgré une variabilité dans les présentations anatomique et clinique de la dimélie ulnaire, un plan pour le traitement de cette condition a été proposé par Wood [18] en s’appuyant sur leur expérience et une revue de la littérature. La main est traitée par une amputation des doigts surnuméraires avec pollicisation du premier doigt radial. La mobilité du poignet est améliorée par des gestes sur les parties molles (libérations, transferts tendineux) ou osseux en vue d’augmenter la stabilité (résection de la première rangée du carpe, arthrodèses). La mobilité du coude et la pronation—supination de l’avant-bras peuvent être traitées par une résection de l’extrémité proximale de l’ulna latéral [18]. Si la plupart des auteurs rapportent un bon résultat concernant les gestes digitaux et commissuraux, la situation est toute différente en ce qui concerne le traitement des autres problèmes plus proximaux associés [19]. Les résultats de ces interventions sont satisfaisants sur le plan esthétique, mais le sont moins sur le plan fonctionnel. Dans un cas suivi pour une longue durée après l’intervention [2] une amputation des doigts surnuméraires avec pollicisation selon les principes établis par Buck-Gramcko a été associée à un transfert des tendons extenseurs des doigts amputés sur la face dorsale des métacarpiens restants. À trois mois de recul, la fonction du pouce était satisfaisante contrairement à celle du poignet qui restait fixé en déviation palmaire « radiale ». Dix-sept ans après, la fonction du pouce demeurait acceptable. Une légère amélioration de l’extension du poignet fut obtenue après transfert du fléchisseur radial du carpe sur la face dorsale du carpe. La fonction du coude fut ensuite améliorée par transfert partiel du grand pectoral. Les mouvements de rotation au niveau de l’avant-bras demeuraient absents à cause de la présence de

177 deux olécrânes et de l’absence d’articulations radio-ulnaires proximale et distale [2]. Notre cas a été traité par une kinésithérapie intensive et des attelles en vue de réduire la raideur et d’attendre le moment optimal pour une intervention à visée fonctionnelle. Malgré l’amélioration esthétique, les doigts restaient raides au dernier recul, empêchant toute possibilité de pollicisation à visée fonctionnelle. Nous prévoyons la continuation de la physiothérapie et projetons de faire soit une réanimation de l’extension du poignet, soit une arthrodèse en bonne position à un stade plus avancé. Les problèmes proximaux (à savoir la mobilité de l’avant-bras et du coude) seront également traités plus tard, en raison des résultats médiocres des transferts tendineux pratiqués chez le tout petit, et les complications connues de l’excision de l’extrémité proximale de l’ulna « radial » à cet âge (équivalente à l’excision de la tête radiale chez le jeune enfant).

Conclusion La dimélie ulnaire est une malformation rare pouvant être isolée ou syndromique. Son traitement est chirurgical basé sur l’excision des trois doigts les moins fonctionnels, la pollicisation du premier doigt radial quand cela est possible, ainsi que la réanimation de l’extension du poignet et de la flexion du coude. La particularité du cas présenté ci-dessus est son association avec une atteinte de l’épaule, des malformations viscérales et des anomalies électromyographiques.

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