Maladie de Kikuchi-Fujimoto et connectivite : à propos de trois observations

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La Revue de médecine interne 29 (2008) 129–134

Communication brève

Maladie de Kikuchi-Fujimoto et connectivite : à propos de trois observations Kikuchi-Fujimoto’s disease and connective tissue disease: A report of three cases F. Frikha a,∗ , S. Marzouk a , M. Frigui a , M. Jallouli a , M. Kechaou a , N. Kaddour a , T. Boudawara b , R. Jlidi b , Z. Bahloul a b

a Service de médecine interne, CHU d’Hédi-Chaker, Sfax 3029, Tunisie Laboratoire d’anatomie pathologique, CHU d’Habib-Bourguiba, Sfax 3029, Tunisie

Rec¸u le 23 mars 2007 ; accepté le 26 juillet 2007 Disponible sur Internet le 21 septembre 2007

Résumé Introduction. – La maladie de Kikuchi-Fujimoto ou lymphadénite histiocytaire nécrosante, entité anatomoclinique d’étiologie inconnue, constitue une cause rare et bénigne d’adénopathies cervicales. Elle peut survenir au cours de diverses maladies auto-immunes telle que le lupus érythémateux systémique (LES) ou de diverses pathologies infectieuses. Exégèse. – Nous rapportons dans cette étude trois observations de patientes ayant développé une maladie de Kikuchi avec découverte concomitante d’une connectivite associée : il s’agit d’un LES dans deux cas et d’une connectivite indéterminée dans le troisième cas. L’analyse des données cliniques, histopathologiques et évolutives, comparées à la littérature permet de dégager les principales caractéristiques de cette affection : survenue chez un adulte jeune fréquemment de sexe féminin ; présentation clinique comportant des adénopathies cervicales associées à des signes généraux : fièvre et asthénie. La confirmation du diagnostic est toujours apportée par l’étude histologique ganglionnaire. L’évolution est, généralement, favorable avec guérison spontanée au bout de quelques semaines, parfois influencée par une corticothérapie générale en cas de maladie systémique. Le pronostic reste dominé par la maladie associée. Conclusion. – La maladie de Kikuchi constitue une étiologie relativement rare d’adénopathie chez l’adulte jeune qui peut simuler en tout point un lymphome, une tuberculose ganglionnaire ou une adénite lupique et qui est peut être associée à une maladie auto-immune. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – Kikuchi-Fujimoto’s disease or histiocytic necrotizing lymphadenitis, clinicopathological entity of unknown aetiology, is a rare and benign cause of cervical lymphadenopathies. It can be associated with various auto-immune diseases especially systemic lupus erythematous (SLE) or with some infectious agents. Exegesis. – This report describes a survey of three patients who developed Kikuchi’s lymphadenitis occurring concomitantly with connective tissue disease: LES in two cases and non determined connective tissue disease in the other case. Comparing the clinical, histopathological and evolutionary findings to the literature allows to identify the main features of this self-limiting disorder: occurrence in young women; clinical presentation with cervical lymphadenopathy in a context of fever and asthenia. The definite diagnosis is usually made through histopathological examination of a lymph node biopsy. Disease course is generally favourable with spontaneous resolution within few weeks. It may be improved with corticosteroid treatment in patients with systemic involvement. Prognosis is related to the associated disease. Conclusion. – Kikuchi-Fujimoto’s disease is a rare and benign cause of cervical lymphadenopathy that could resemble lymphoma, tuberculosis and may be associated with a characterized systemic disease. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Maladie de Kikuchi ; Lymphadénite nécrosante ; Connectivite ; Lupus érythémateux systémique Keywords: Kikuchi’s disease; Necrotizing lymphadenitis; Connective tissue disease; Systemic lupus erythematous ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Frikha).

0248-8663/$ – see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2007.07.012

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1. Introduction La maladie de Kikuchi-Fujimoto ou lymphadénite histiocytaire nécrosante est une affection rare et bénigne se manifestant par des adénopathies cervicales fréquemment associées à un cortège de manifestations systémiques. Sa physiopathologie reste discutée et elle peut être associée à plusieurs maladies auto-immunes ou à quelques agents infectieux. Au cours de cette étude, nous rapportons trois observations de patientes hospitalisées dans le service de médecine interne de l’hôpital de Sfax en Tunisie, chez lesquelles le diagnostic d’une maladie de Kikuchi et d’une connectivité a été posé de fac¸on concomitante. À travers ces observations et une revue de la littérature, nous rappelons les caractéristiques épidémiologiques, cliniques, histologiques et étiopathogéniques de la maladie de Kikuchi et ses particularités lors de son association à une connectivité en particulier au lupus érythémateux systémique (LES). 2. Observations 2.1. Observation no 1 Une jeune fille âgée de 14 ans est hospitalisée en juillet 2001 pour une fièvre avec altération de l’état général associée à des adénopathies superficielles. À l’entrée, la patiente est fébrile à 38,5◦ C. L’examen met en évidence une adénopathie axillaire gauche faisant 1 cm de grand axe, une adénopathie susclaviculaire gauche de 2 cm de diamètre et deux adénopathies inguinales bilatérales. Ces adénopathies sont fermes, mobiles, indolores et sans signes inflammatoires locaux. Le diagnostic d’une maladie lupique est posé devant une atteinte cutanée à type d’érythème du visage en aile de papillon de caractère photosensible, une atteinte articulaire avec des polyarthralgies inflammatoires des grosses et petites articulations, une leucopénie à 3500 éléments/mm3 et enfin des anticorps antinucléaires positifs à 1/1280 de type moucheté et des anti-ADN natifs, anti-RNP et anti-SSA positifs. Elle présente aussi une atteinte oculaire à type de vascularite bilatérale objectivée par une angiographie rétinienne. La radiographie du thorax et l’échographie abdominale sont normales. Une enquête infectieuse met en évidence une sérologie du cytomégalovirus (CMV) positive type IgM. Le myélogramme est normal. La biopsie ganglionnaire de l’adénopathie sus-claviculaire montre des plages de nécrose fibrinoïde incluant quelques débris nucléaires et entourées d’une importante réaction histiocytaire avec présence de cellules plasmocytoïdes dans les espaces interfolliculaires. À l’étude immunohistochimique, les cellules sont positives pour le CD3. Cet aspect est en faveur d’une lymphadénite histiocytaire de Kikuchi. Le diagnostic d’un LES selon les critères de l’ACR, associé à une lymphadénite nécrosante histiocytaire de Kikuchi et à une infection à CMV, est retenu. La patiente est traitée par trois bolus de méthylprednisolone (1 g par bolus) relayés par une corticothérapie à forte dose

maintenue durant six semaines puis dégression jusqu’à 10 mg/j, associée à un antipaludéen de synthèse. L’évolution clinique est marquée par l’obtention de l’apyrexie, disparition des adénopathies et régression des lésions cutanées dans un délai d’un mois. L’amélioration de l’acuité visuelle est lente et tardive. Sur le plan biologique, on assiste à la régression du syndrome inflammatoire et la correction de la leucopénie. Le recul actuel est de 57 mois. 2.2. Observation no 2 Une patiente de 30 ans, aux antécédents de tuberculose ganglionnaire cervicale droite à l’âge de 13 ans traitée, est hospitalisée en mai 2006 pour enquête étiologique d’adénopathies latérocervicales gauches associées à une fébricule, une diarrhée et un amaigrissement modéré non chiffré. À l’interrogatoire, la patiente signale la notion d’un syndrome de Raynaud des quatre extrémités évoluant depuis huit ans, non exploré. L’examen clinique met en évidence des adénopathies de siège spinal, sus-claviculaire et jugulocarotidien gauches. On note la présence de télangiectasies de la face palmaire des mains avec des mégacapillaires à la capillaroscopie. Le reste de l’examen clinique est sans anomalie, par ailleurs. À la biologie, on note une vitesse de sédimentation (VS) légèrement augmentée à 40 mm à la première heure, une anémie microcytaire à 11,3 g/dl et une lymphopénie à 900 éléments/mm3 . Le bilan hépatique révèle une cytolyse avec des ASAT à 110 unités et des ALAT à 210 unités (N < 40). Le bilan rénal est normal. Le bilan tuberculeux (intradermoréaction à la tuberculine, recherche de BK dans les crachats et les urines) ainsi que les sérologies des hépatites B et C, du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et le MNI test sont négatifs. Les sérologies de la rubéole, de la toxoplasmose et du virus Epstein-Barr (EBV) sont positives en faveur d’une infection ancienne, alors que la sérologie du CMV est positive de type IgM à des taux faibles. Les anticorps antinucléaires sont positifs à 1/640 de type anticentromères. La sérologie rhumatoïde est positive aussi. Le complément hémolytique total CH50 et la fraction C4 sont abaissés et les anticorps anticardiolipines sont positifs à 79 UI/ml, de type IgM. La radiographie du thorax, l’échographie abdominale et le scanner thoraco-abdominopelvien sont normaux. L’échographie cervicale objective deux adénopathies spinales et sus-claviculaire gauches faisant respectivement 22 et 21 mm de grand axe, ainsi que quatre petites adénopathies de l’axe jugulocarotidien gauche. Le reste des explorations montre l’existence d’anomalies œsophagiennes avec atonie complète du sphincter inférieur de l’œsophage à la manométrie œsophagienne. Les épreuves fonctionnelles respiratoires objectivent une diminution discrète de la capacité de diffusion de l’oxyde de carbone. L’échographie cardiaque est normale. Les radiographies des mains sont normales aussi. Le diagnostic d’une connectivité indéterminée proche de la sclérodermie est porté devant l’association d’un syndrome de Raynaud avec des anomalies capillaroscopiques et des anticorps antinucléaires ayant une spécificité anticentromères. L’examen histologique d’un ganglion cervical montre un ganglion lymphatique remanié par une zone de nécrose corticale et sous-capsulaire riche en débris

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nucléaires sans granulocytes. La nécrose est bordée par une réaction histiocytaire associée à des cellules blastiques et monocytes plasmocytoïdes avec de nombreuses mitoses. Il existe aussi une périadénite légère. Il n’y a pas de granulome tuberculoïde ni de nécrose caséeuse. À l’étude immunohistochimique, les cellules lymphoïdes T sont positives pour les CD3 et CD43. Elles sont associées à des cellules B positives pour le CD20, à des monocytes et histiocytes positifs pour le CD68. Cet aspect est en faveur d’une lymphadénite nécrosante de Kikuchi. Un traitement par corticothérapie générale à la posologie de 1 mg/kg/j et dégressive après six semaines est instauré, permettant une amélioration des symptômes et du bilan biologique. Après trois mois d’évolution, la VS est à 15 mm à la première heure, le taux de l’hémoglobine est à 12,4 g/dl et les lymphocytes sont à un taux normal. Le bilan hépatique se normalise rapidement avec des ASAT à 21 unités et des ALAT à 37 unités. Après un recul moyen de six mois, et sous 10 mg de prednisone par jour, la patiente est en bon état clinique. 2.3. Observation no 3 Une patiente âgée de 23 ans est hospitalisée en mai 2006 pour un œdème généralisé installé de fac¸on brutale associé à des polyarthralgies de caractère inflammatoire. L’examen clinique met en évidence des œdèmes des membres inférieurs blancs prenant le godet avec un œdème palpébral bilatéral et objective la présence de multiples adénopathies superficielles bilatérales siégeant au niveau cervical et axillaire. Le bilan biologique montre une VS à 155 mm à la première heure alors que la protéine C réactive (CRP) est normale, une anémie à 9,4 g/dl, une lymphopénie à 1200 éléments/mm3 et un syndrome néphrotique pur (hypoprotidémie à 48 g/l, hypoalbuminémie à 25 g/l, protéinurie des 24 heures à 6 g). Les gammaglobulines sont à 15,7 g/l. Il n’y a pas d’insuffisance rénale et le bilan hépatique est normal. Les sérologies (toxoplasmose, EBV, HSV, Wright et Vidal, hépatites B et C, CMV et VIH) ainsi que le bilan tuberculeux sont négatifs. Les anticorps antinucléaires sont à 1/1280, de type mouchetés, avec des anti-ADN natifs, anti-Sm, anti-RNP, anti-SSA et anti-SSB positifs. La recherche du facteur rhumatoïde, d’une cryoglobulinémie, de complexes immuns circulants ainsi que le test de Coombs direct sont positifs. Les fractions du complément sérique (CH50, C3 et C4) sont abaissées. La radiographie du thorax, l’échographie abdominale et cardiaque sont sans anomalie. La ponction-biopsie rénale conclut à une néphropathie lupique stade III et V de l’OMS. L’étude anatomopathologique d’une biopsie ganglionnaire conclue à une lymphadénite histiocytaire dans sa forme peu nécrotique. Au terme de ces données, le diagnostic d’un LES associé à une maladie de Kikuchi est retenu. Le traitement consiste en une corticothérapie à fortes doses (1mg/kg/j), initiée par trois bolus de méthylprednisolone et maintenue pendant deux mois. À la fin du traitement d’attaque, on assiste à une disparition totale des adénopathies et à une normalisation de la formule leucocytaire. Le dernier bilan retrouve une VS à 85 mm à la première heure, des globules blancs à 8000 éléments/mm3 , une

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protidémie à 69 g/l et une protéinurie à 1,28 g par 24 heures. Le recul moyen est de six mois. 3. Discussion La maladie de Kikuchi-Fujimoto a été décrite pour la première fois en 1972 au Japon simultanément par deux anatomopathologistes Kikuchi [1] et Fujimoto [2]. Depuis, elle est rapportée de fac¸on sporadique dans divers pays et les cas les plus nombreux proviennent du Japon et des États-Unis. Elle semble plus fréquente dans les pays asiatiques (80 % des cas) [3,4]. En Tunisie, une dizaine d’observations sont décrites [5–7]. C’est une affection de l’adulte jeune avec un âge moyen de 25 à 30 ans [3,4,8–11] avec deux pics vers 20 et 30 ans [12] et des extrêmes entre cinq et 75 ans. La prédominance féminine est retrouvée dans la majorité des séries [8,13–15]. Nos observations présentent les critères épidémiologiques décrits dans la littérature : trois femmes âgées respectivement de 14, 30 et 23 ans. La symptomatologie clinique est dominée par la présence d’adénopathies généralement cervicales dans plus de 80 % des cas, localisées à un ou deux territoires le plus souvent la chaîne trapézienne ou jugulocarotidienne [16]. Ces adénopathies sont fermes, parfois volumineuses pouvant mesurer 2 à 6 cm de diamètre [17], mobiles, rarement douloureuses [8,14] et ne s’ulcèrent jamais [3,4,18]. Les adénopathies sont présentes chez nos trois patientes : il s’agit d’adénopathies généralisées dans le premier cas, cervicales isolées dans le second, cervicale et axillaire dans le dernier cas. Des signes généraux peuvent se voir, représentés essentiellement par la fièvre dans 30 à 50 % des cas [12]. Ces signes sont retrouvés chez deux de nos patientes, sans que l’on puisse dire s’ils sont liés à la maladie de Kikuchi ou à la maladie causale. Sur le plan biologique, les perturbations sont peu spécifiques et aucun stigmate n’est pathognomonique. La VS est fréquemment élevée comme cela a été constaté chez nos patientes [14]. On observe le plus souvent une leucopénie, parfois une lymphocytose, rarement une anémie ou une thrombopénie. Le bilan hépatique peut être perturbé : cytolyse (7 %) ou cholestase [12,14]. Les anomalies hématologiques retrouvées chez nos patientes à type d’anémie modérée dans tous les cas, leucopénie dans deux cas et lymphopénie dans un cas, peuvent être liées, soit à la pathologie associée (LED dans deux cas et connectivité indéterminée proche de la sclérodermie dans un cas), soit à la maladie de Kikuchi. Classiquement, la présence d’anticorps antinucléaires est exceptionnelle au cours de cette affection [14,15] sauf dans les quelques observations associées à une connectivité comme chez nos patientes [3,5,19–23]. Différents diagnostics peuvent être évoqués devant l’association d’adénopathies et de fièvre tant sur le plan clinique qu’histologique. Cette association peut se voir au cours des néoplasies notamment les lymphomes Hodgkiniens ou non, au cours de certaines pathologies infectieuses ou au cours d’affections auto-immunes comme le LES. Les principales causes d’adénopathies infectieuses sont la tuberculose, la maladie des griffes de chat, la mononucléose infectieuse, la toxoplasmose, la yersiniose, l’infection par le virus de

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l’herpès, le cytomégalovirus ou le virus l’immunodéficience humaine. Dans l’observation no 2, le diagnostic différentiel avec la tuberculose peut être difficile du fait de l’antécédent de tuberculose ganglionnaire de siège cervical dans l’enfance, ayant nécessité une enquête bactériologique systématique qui s’est révélée négative. La confirmation diagnostique de cette affection repose sur l’examen anatomopathologique d’une biopsie ganglionnaire et un complément d’étude immunohistochimique est souvent nécessaire. Les principales caractéristiques histologiques ont été résumées par Diebold [24]. L’architecture ganglionnaire est respectée avec hyperplasie folliculaire. Les lésions comportent une nécrose acidophile de la zone paracorticale, avec coexistence en bordure de la nécrose de nombreux histiocytes, dont des cellules plasmocytoïdes et de grandes cellules lymphoïdes T CD8 en transformation immunoblastique. Il n’y a pas de polynucléaires neutrophiles ni de nécrose caséeuse. Ces critères histologiques étaient présents chez toutes nos patientes, et c’est l’étude immunohistochimique qui a permis de résoudre le problème de diagnostic différentiel avec d’autres affections dans deux cas en montrant la prédominance des cellules de type T exprimant le CD3 et des cellules histiocytaires positives pour le CD68. L’étiopathogénie de la maladie de Kikuchi demeure encore inconnue et malgré les hypothèses étiologiques avancées, aucune n’a fait la preuve de sa responsabilité. Pour certains auteurs, il pourrait s’agir d’une réaction immune non spécifique contre différents antigènes infectieux, telle que Toxoplasma gondii, Yersinia enterocolitica, des virus du groupe herpès HHV6 et HHV8, l’EBV [25], le parvovirus B19 [10,25] et le CMV [26]. D’autres auteurs pensent que cette affection a également une origine dysimmunitaire probable devant l’association chez plusieurs patients à une maladie systémique : polymyosite [27], connectivité mixte [19,28], panuveite [29], syndrome des anticorps antiphospholipides [30] ou polyarthrite rhumatoïde [6]. L’association à un LES est plus classique et à peu près une trentaine d’observations sont rapportées dans la littérature [5,17,20–23,26,31–36]. Il existe en fait une étroite relation entre le syndrome de Kikuchi et le LES [14,35] et pour certains auteurs la maladie de Kikuchi n’est qu’une forme ganglionnaire limitée de lupus pouvant évoluer vers un lupus systémique. Ces deux maladies partagent un certain nombre de caractéristiques communes, que sont la prédominance féminine, le jeune âge, les adénopathies, la leucopénie, les arthralgies et la présence de structures tubuloréticulées en microscopie électronique dans les ganglions. Selon Ohta et al. [37], la lymphadénite nécrosante résulterait d’une réaction hyperimmune localisée aux ganglions lymphatiques. Lorsque la réaction de l’hôte est faible, la maladie resterait limitée ; en revanche, si la régulation immunologique de l’hôte est anormale, il pourrait développer un lupus systémique. La maladie de Kikuchi peut être antérieure à l’apparition du LES, ou bien survenir simultanément au diagnostic de la maladie lupique comme dans nos deux cas, ou encore survenir au décours de celui-ci, quelques semaines à plusieurs années après le diagnostic initial. Au cours du LES, des adénopathies sont retrouvées dans 19 à 67 % des cas selon les séries. Les sites ganglionnaires

les plus fréquents sont cervicaux (43 %). Cependant, au cours du LES, les adénopathies sont rarement présentes au début de la maladie. La fréquence des adénopathies cervicales comme première manifestation du LES est d’environ 2 % [10]. Habituellement, l’histopathologie des adénopathies au cours du LES révèle une lymphadénite non spécifique. Cependant, un aspect de lymphadénite nécrosante similaire à la maladie de Kikuchi, peut être observé. Ces deux entités peuvent être différenciées par la présence d’une hyperplasie folliculaire, la présence plus importante de plasmocytes et de polynucléaires neutrophiles dans la lymphadénite lupique. C’est, principalement, la présence de corps hématoxyliques, de polynucléaires neutrophiles et d’une réaction plasmocytaire marquée qui seraient davantage en faveur du lupus [3,35,38]. Pour d’autres auteurs encore, c’est la prédominance des lymphocytes T dans la maladie de Kikuchi, qui serait un critère important pour distinguer les deux entités, alors qu’à l’inverse dans le LES, prédominent les lymphocytes B. Certains auteurs considèrent que la découverte d’une lymphadénite nécrosante chez un patient présentant une symptomatologie clinique et biologique de LES doit faire abandonner le terme de lymphadénite de Kikuchi et préférer celui de lymphadénite lupique nécrosante [24]. Cependant, la présence d’une maladie de Kikuchi antérieure au LES ou inversement, ainsi que parfois l’apparition d’une maladie de Kikuchi au cours d’un lupus en dehors d’une poussée de celuici vont plutôt dans le sens d’une association de deux maladies distinctes. Nos trois observations ont en commun d’associer une nécrose ganglionnaire et une connectivité. Le diagnostic de LES est certain chez deux de nos patientes (observations 1 et 3). Dans l’observation no 2, les signes cliniques et biologiques sont en faveur d’une connectivité associée même si tous les critères d’un LES ou d’un CREST syndrome ne sont pas réunis. L’association d’une maladie de Kikuchi à une sclérodermie a déjà été rapportée dans la littérature [39]. En plus, deux de nos observations apportent un argument supplémentaire à l’origine virale possible des nécroses ganglionnaires puisque les deux avaient une sérologie IgM anti-CMV positive. Dans la littérature, des infections sont rapportées en même temps que cette association entre maladie de Kikuchi et LES. Le rôle de trois agents viraux est principalement discuté : le virus d’EBV, l’HHV6 et l’HHV8 [25]. Une infection par le parvovirus B19, avec présence d’IgM est rapportée dans trois cas d’association d’une maladie de Kikuchi et LES [10]. Des cas rares de la maladie de Kikuchi avec des IgM anti-CMV sans ou avec virémie sont rapportés dans la littérature et s’associent alors à un LES [23,26]. Une des hypothèses proposée par Imamura et al. [40] serait que ces agents infectieux pourraient provoquer une maladie lupique limitée à la sphère ganglionnaire et que la nécrose pourrait favoriser l’expression d’auto-antigènes nucléaires à la surface des lymphocytes apoptotiques et stimuler l’émergence de clones autoréactifs. L’évolution de la maladie de Kikuchi est favorable dans la majorité des cas et la guérison survient spontanément dans un délai moyen de trois mois (d’un à 24 mois) [3,41] avec régression des adénopathies et disparition des signes généraux.

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En cas d’association à une maladie systémique, la corticothérapie est considérée comme un traitement de choix permettant d’améliorer les signes systémiques [42]. Dans la littérature, il n’existe pas de consensus sur les posologies : certains auteurs utilisent la prednisone (20 mg/j à 1 mg/kg/j), d’autres préconisent de la méthylprednisolone par voie intraveineuse (500 à 1000 mg/j) [3]. En fait, les attitudes thérapeutiques dépendent de la sévérité et du type de l’atteinte systémique. Dans notre étude, la pierre angulaire du traitement reposait sur une corticothérapie à forte dose chez toutes nos patientes, initiée par des bolus de méthylprednisolone dans deux cas devant une vascularite rétinienne et une atteinte rénale de la maladie associées. Les récidives sont rares, observées dans 3 % des cas, parfois tardives, nécessitant à chaque fois une confirmation histologique. Après un recul moyen de 23 mois, nos trois patientes n’ont pas présenté de récidive de la maladie. 4. Conclusion La maladie de Kikuchi constitue une étiologie relativement rare et probablement méconnue d’adénopathie chez l’adulte jeune. Elle pose essentiellement le problème du diagnostic différentiel avec diverses affections car elle peut simuler en tout point un lymphome, une tuberculose ganglionnaire ou une adénite lupique. La confirmation diagnostique repose sur l’examen anatomopathologique en particulier immunohistochimique ganglionnaire. Son évolution est le plus souvent spontanément favorable, influencée par une corticothérapie en cas de maladie systémique associée. Références [1] Kikuchi M. Lymphadenitis showing focal reticulum cell hyperplasia with nuclear debris and phagocytosis. Nippon Ketsueki Gakkai Zasshi 1972;35:379–80. [2] Fujimoto Y, Kozima Y, Yamaguchi K. Cervical subacute necrotizing lymphadenitis: a new clinicopathologic entity. Naika 1997;30:920–7. [3] Meyer O. La maladie de Kikuchi. Ann Med Interne 1999;150:199–204. [4] Norris AH, Krasinskas AM, Salhany KE, Gluckman SJ. Kikuchi-Fujimoto disease: a benign cause of fever and lymphadenopathy. Am J Med 1996;101:401–5. [5] Ben Ghorbel I, Houman MH, Lamloum M, Kanfir M, Miled M, Kchir N, et al. Association concomitante d’une maladie de Kikuchi et d’un lupus érythémateux systémique. À propos d’une observation. Rev Med Interne 2002;23:797–9. [6] Ben Taarit C, Tuki S, Ben Maiz H. Maladie de Kikuchi et polyarthrite rhumatoïde : à propos d’une observation et revue de la littérature. Rev Med Interne 2004;25:677–9. [7] Mseddi S, Makni S, Elloumi M, Boudawara T, Frikha M, Souissi T. La maladie de Kikuchi-Fujimoto : observation d’une forme généralisée. Rev Rhum 2006;73:498–501. [8] Kuo TT. Kikuchi’s disease (histiocytic necrotizing lymphadenitis), a clinicopathologic study of 79 cases with an analysis of histologic subtypes, immunohistology and DNA ploidy. Am J Surg Pathol 1995;19:798–809. [9] Lin HC, Su CY, Huang CC, et al. Kikuchi’s disease: a review and analysis of 61 cases. Otolaryngol Head Neck Surg 2003;128:650–3. [10] Meyer O, Kahn MF, Grossin M, Ribard P, Belmatoug N, Morinet F, et al. Parvovirus B19 infection can induce histiocytic necrotizing lymphadenitis (Kikuchi’s disease) associated with systemic lupus erythematosus. Lupus 1991;1:37–41.

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