Manifestations rhumatologiques du scorbut

Manifestations rhumatologiques du scorbut

Revue du Rhumatisme 72 (2005) 201–206 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/ Mise au point Manifestations rhumatologiques du scorbut Musculoskele...

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Revue du Rhumatisme 72 (2005) 201–206 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/

Mise au point

Manifestations rhumatologiques du scorbut Musculoskeletal manifestations of Scurvy e Olivier Fain Service de médecine interne, hôpital Jean-Verdier, assistance-publique-hôpitaux-de-Paris, faculté de médecine, université Paris-Nord, UPRES EA 3409, 93143 Bondy cedex, France Reçu le 20 octobre 2003 ; accepté le 8 janvier 2004 Disponible sur internet le 9 avril 2004

Résumé Le scorbut atteint préférentiellement mais pas uniquement les sujets âgés et les exclus, par consommation insuffisante de fruits et légumes frais. Les manifestations cliniques sont une asthénie, un purpura vasculaire, un syndrome hémorragique, une atteinte stomatologique. Les manifestations articulaires sont présentes dans 80 % des cas : arthralgies, myalgies, hémarthroses associées à des hématomes intramusculaires. La déplétion vitaminique entraîne une altération de la structure du collagène, un défaut de formation de la matrice ostéoïde et une augmentation de la résorption osseuse. Les signes radiologiques sont variés : ostéolyse avec parfois pincement articulaire, ostéonécrose, ostéopénie, prolifération périostée. L’ostéoporose trabéculaire et corticale est fréquente. Chez l’enfant, le scorbut est responsable de douleurs intenses des membres inférieurs liées à des hémorragies sous-périostées. Les signes biologiques sont non spécifiques : anémie, hypocholestérolémie, hypoalbuminémie. Le diagnostic est confirmé par le dosage d’ascorbémie (inférieur à 2,5 mg/l). L’administration de vitamine C corrige rapidement les symptômes. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Scurvy occurs in individuals who eat inadequate amounts of fresh fruit or vegetables, often because of dietary imbalances related to advanced age or homelessness. Asthenia, vascular purpura, bleeding, and gum abnormalities are the main symptoms. In 80% of cases, the manifestations of scurvy include musculoskeletal symptoms consisting of arthralgia, myalgia, hemarthrosis, and muscular hematomas. Vitamin C depletion is responsible for structural collagen alterations, defective osteoid matrix formation, and increased bone resorption. Imaging studies may show osteolysis, joint space loss, osteonecrosis, osteopenia, and/or periosteal proliferation. Trabecular and cortical osteoporosis is common. Children experience severe lower limb pain related to subperiosteal bleeding. Laboratory tests show nonspecific abnormalities including anemia and low levels of cholesterol and albumin. The finding of a serum ascorbic acid level lower than 2.5 mg/l confirms the diagnosis. Vitamin C supplementation ensures prompt resolution of the symptoms. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Scorbut ; Vitamine C ; Carence vitaminique ; Hémarthrose ; Ostéoporose ; Maladie de Barlow Keywords: Scurvy; Vitamin C; Vitamin deficiency; Hemarthrosis; Osteoporosis; Barlow’s disease

Le scorbut, conséquence clinique de la carence en vitamine C, est toujours d’actualité, comme le suggère la recrudescence des observations rapportées ces dernières années [1–12]. Cette affection touche certes des populations à ris-

ques, notamment du fait de problèmes sociaux, mais n’épargne pas la population générale. Les manifestations rhumatologiques peuvent être révélatrices. 1. Historique

Adresse e-mail : [email protected] (O. Fain). Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. e

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2004.01.007

Le scorbut est connu depuis l’antiquité puisque signalé en Égypte ancienne. L’une des premières descriptions est attribuée à Hippocrate : « ceux qui sont attaqués, ont une haleine

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puante, les gencives mollasses et sont sujets à l’hémorragie du nez ; ils ont parfois des ulcères de jambe ». Entre le XVe et le XVIIIe siècle, le scorbut décime les équipages des navigations au long cours avec une mortalité estimée entre 50 et 80 %. C’est en 1753 que le docteur James Lind, chirurgien de la Navy, publie un traité du scorbut mettant en évidence le rôle curatif de la consommation d’oranges et de citrons. En 1795, suite à ses travaux, les matelots anglais reçoivent préventivement du jus de citron. Les français ne bénéficieront de cette mesure qu’en 1856 [13]. En 1907, Holst et Frolisch provoquent un scorbut expérimental chez les cobayes qui reçoivent un régime carencé en légumes frais. En 1912, Zylva extrait du citron un principe actif contre le scorbut et en 1932, la structure précise de la vitamine C est établi par Haworth qui propose de lui donner le nom d’acide ascorbique. La synthèse sera réalisée par Reichstein quelques mois plus tard.

2. Métabolisme La vitamine C ou acide ascorbique est une vitamine hydrosoluble, sensible à la chaleur, aux rayons ultraviolets et à l’oxygène. Le pool total de l’organisme est de 1500 à 2500 mg. Le turn-over quotidien est de 45 à 60 mg/jour (soit 3 % du pool total) [14]. La demi-vie est de 10 à 20 jours. L’absorption de la vitamine C s’effectue au niveau de l’iléon, par un mécanisme de transport actif saturable au-delà de 180 mg/jour. Le coefficient d’absorption est de 85 p. 100. La concentration est basse (5 à 15 mg/l) dans le plasma et les globules rouges et très élevée dans les plaquettes et les globules blancs (80 fois supérieure). La concentration leucocytaire reflète celle des tissus. Il n’existe pas de stockage de la vitamine C dans l’organisme. Un apport quotidien minimal d’origine alimentaire est donc nécessaire, celui-ci provient essentiellement des fruits et légumes frais. Le lait, la viande et les poissons n’en contiennent qu’en très faible quantité (0 à 2 mg/100 g). Le besoin minimal, prévenant le scorbut est de 10 mg/jour, il suffit de maintenir un pool total de 350 mg [15]. La vitamine C intervient dans de nombreuses réactions biochimiques par un mécanisme d’hydroxylation. Elle est un cofacteur indispensable à la proline-oxydase et à la lysineoxydase qui agissent dans la biosynthèse du procollagène. La carence en vitamine C induit une altération de la structure du collagène, ce qui explique les manifestations cliniques du scorbut : altération de la formation de dentine et perte de dents, atteinte de la paroi vasculaire et syndrome hémorragique, purpura, œdèmes, remaniements osseux (chez l’enfant) par incapacité des ostéoblastes à former la bordure ostéoïde, altération cutanée par atteinte de la kératine. L’action de la vitamine C sur les dioxygénases, interférant dans le mécanisme de la carnitine, peut expliquer la fatigue décrite au cours du scorbut. La vitamine C a un rôle de cofacteur dans la synthèse des catécholamines, notamment dans la transformation de la dopamine en norépinéphrine, ce qui peut rendre

compte des troubles du comportement et de l’humeur observés en cas de carence. L’acide ascorbique favorise l’absorption du fer non héminique [15].

3. Épidémiologie La prévalence de la carence en vitamine C est importante. Les études faites dans les années 1970 au Royaume-Uni montrent que 50 % des personnes âgées vivant à domicile ont une ascorbémie inférieure à 2 mg/l [16]. Johnston identifie 6 % de sujets carencés (< 2 mg/l) et 30,4 % de sujets déplétés (< 5 mg/l) dans une population « en bonne santé » de la classe moyenne américaine en 1998 [17]. Dans une étude en région parisienne (Val-de-Marne), sur 1108 individus (non hospitalisés) Hercberg met en évidence une ascorbémie inférieure à 2 mg/l chez 5 % des femmes et 12 % des hommes, pourcentage atteignant 15 % des femmes et 20 % des hommes après 65 ans [18]. Nous rapportons dans une étude prospective de 184 patients hospitalisés dans un service de médecine interne de Seine-Saint-Denis [19], une hypovitaminose C dans 47,3 % des cas (ascorbémie < 5 mg/l) et une carence (ascorbémie < 2 mg/l) dans 16,9 % des cas. Dans certaines régions du monde le scorbut reste un fléau : plus de 100 000 cas ont été répertoriés dans les années 1990 parmi les réfugiés de la corne de l’Afrique [20]. Les taux d’ascorbémie varient en fonction de la saison, les valeurs sont plus basses pendant les périodes hivernales [21].

4. Facteurs favorisants La carence en vitamine C est principalement due à une diminution des apports alimentaires, du fait du mode de vie ou de conditions socioéconomiques particulières (hommes seuls, personnes âgées, éthyliques, sujets ayant des régimes alimentaires volontairement restrictifs, consommateurs exclusifs de « fast-food »). Les deux facteurs de risques de carence identifiés dans notre étude [19] étaient le statut de retraité et une consommation excessive d’alcool et de tabac. La prédominance masculine de l’hypovitaminose C est notée par Jacob [22] alors que Johnston [17] ne trouve pas de différence entre les deux sexes. Le tabac diminue l’absorption et augmente le catabolisme de la vitamine C. Le « turn over » journalier de vitamine C chez les fumeurs (> 20 cig/jour) est de 40 % supérieur à celui des non-fumeurs [23]. Schnectman [24] rapporte que les fumeurs ont trois fois plus de carence en vitamine C, et considère que leur apport quotidien doit être supérieur à 200 mg/jour. Kallner [23] montre de plus que l’alcool augmente les besoins en acide ascorbique. Une étude réalisée à Paris chez 87 sans domiciles fixes (depuis plus de 2 ans), ayant une consommation importante d’alcool (84 %) et de tabac (75,5 %), rapporte 95 % de sujets déplétés en vitamine C et 72 % ayant un taux inférieur au seuil de détection [26]. Des pathologies et certaines situa-

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tions favorisent la carence : les troubles psychiatriques (psychose, anorexie mentale), les affections cachectisantes : cancer [27], sida, les nutritions parentérales non supplémentées, l’hémodialyse ou la dialyse péritonéale par augmentation des besoins. La carence peut être liée à une diminution de l’absorption au cours de pathologies intestinales que ce soit la maladie de Crohn [28], la maladie de Whipple [29] et la maladie cœliaque [30]. Il existe une augmentation des besoins pendant la croissance, la grossesse, l’allaitement et le diabète. Le taux d’acide ascorbique leucocytaire [31] et l’ascorbémie [17] sont abaissés chez les diabétiques insulinodépendants malgré des apports quotidiens conformes aux recommandations. Enfin une augmentation de l’élimination rénale est possible dans les surcharges en fer [32]. 5. Manifestations cliniques Le modèle de scorbut expérimental permet de déterminer le délai d’apparition des signes cliniques. Si le régime restrictif débute à j0, l’ascorbémie devient nulle à j41, la déplétion cellulaire à j121 et les premiers signes cutanés à j132. Les anomalies dentaires n’apparaissent qu’après six mois. Le tableau clinique se constitue en un à trois mois de carence absolue en acide ascorbique quand le pool total de l’organisme est inférieur à 300 mg et que l’ascorbémie s’abaisse en dessous de 2,5 mg/l [17,19]. Hodges montre, en créant un scorbut expérimental chez cinq patients, que les premiers signes cliniques de scorbut apparaissent entre 1,3 et 2,4 mg/l [32]. Les manifestations cliniques sont initialement des signes généraux non spécifiques : asthénie, anorexie, amaigrissement. 5.1. Manifestations ostéoarticulaires Elles apparaissent secondairement : arthralgies des genoux, des chevilles, des épaules, des poignets, myalgies [33] et touchent 80 % des malades [34]. Les hémarthroses apparaissent secondairement et touchent préférentiellement les articulations coxo-fémorales, les genoux, les chevilles. Elles sont la conséquence d’un saignement synovial par atteinte de la paroi vasculaire mais aussi de microfractures [34]. L’atteinte coxo-fémorale peut se traduire radiologiquement par une ostéolyse [35,36] avec parfois pincement articulaire [36]. D’autres images ont été décrites : ostéonécrose, ostéopénie, amincissement cortical avec prolifération périostée [37]. Le scanner montre une raréfaction osseuse, une rupture corticale, un épanchement articulaire [35,36]. Il existe une hyperfixation scintigraphique. Les diagnostics évoqués sont alors une ostéolyse maligne, une arthrite septique, une ostéonécrose. L’étude histologique effectuée lors de la mise en place d’une prothèse de hanche [35] a mis en évidence un ramollissement hémorragique de l’os avec destruction cartilagineuse. L’analyse en microscopie électronique de la synoviale d’un patient scorbutique montre une diminution des fibres de collagène mature dans les régions interstitielles et périvasculaires [38].

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L’ostéoporose trabéculaire et corticale semble plus fréquente au cours du scorbut [39]. La déplétion en vitamine C entraîne un défaut de formation de la matrice ostéoïde et une augmentation de la résorption osseuse. Les radiographies ne sont pas spécifiques, elles peuvent donner un aspect biconcave des vertèbres avec condensation des bords [40]. Des tassements ostéoporotiques ont été rapportés [41,42], mais l’observation signalée par Barratt [43] prête à discussion quant à la responsabilité de la carence en vitamine C dans la survenue d’un tassement vertébral chez une femme de 71 ans ménopausée depuis l’âge de 43 ans. Chez les patients âgés, les carences sont le plus souvent multiples et une carence en vitamine D associée ne fait qu’augmenter le risque de tassement vertébral. Hall analyse les données de l’étude PEPI (Postmenopausal Estrogen/Progestin Interventions Trial) et ne montre pas d’augmentation de la densité minérale osseuse (DMO) en cas de supplémentation par 100 mg/jour de vitamine C, chez les femmes ayant un apport faible en calcium ( < 500 mg/jour), mais une augmentation significative de la DMO du col fémoral chez celle ayant un apport calcique suffisant [44]. Morton étudie l’apport d’un supplément en vitamine C (745 mg/jour en moyenne pendant plus de 3 ans) chez des femmes ménopausées et met en évidence une augmentation significative de la DMO par rapport au groupe témoin ainsi qu’un effet synergique avec les estrogènes et le calcium [25,45]. Concernant les relations entre arthrose et vitamine C, les données sont discordantes : si McAlindon [46] observe une diminution de la progression du pincement articulaire et des douleurs du genou arthrosique en cas de consommation importante de vitamine C et de micronutriments antioxydants (vitamine E, bêta-carotène), Wluka ne montre pas d’intérêt des antioxydants dans la prise en charge de l’arthrose du genou tant sur le volume du cartilage que sur les douleurs [47]. Les manifestations rhumatologiques sont au premier plan du scorbut de l’enfant : maladie de Barlow [48]. Thomas Barlow rapporte en 1883 31 cas de rachitisme et conclut que le « rachitisme aigu » est en fait un scorbut associé parfois à un rachitisme [49]. Par des constatations autopsiques, il précise que les douleurs intenses des membres sont liées à des hémorragies sous-périostées. Le scorbut touche les enfants de 6 à 18 mois s’ils ont une alimentation artificielle exclusive non supplémentée. Le lait maternel contient suffisamment de vitamine C, si la mère n’est pas carencée, pour prévenir le scorbut chez le nouveau-né. À côté des signes généraux : absence de prise de poids, perte d’appétit, irritabilité, sont décrites des douleurs intenses des cuisses et des jambes pouvant être à l’origine de pseudoparalysies. Les hémorragies sous-périostées sont parfois palpables sous la forme de tuméfactions douloureuses des extrémités inférieures des fémurs et des tibias. Les radiographies montrent un manchon périostéodiaphysaire, un élargissement de la zone de calcification de l’extrémité antérieure des côtes et des extrémités des métaphyses, et une déminéralisation avec fractures dans les zones métaphysaires.

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5.2. Autres manifestations cliniques

Tableau 1 Apports nutritionnels conseillés en acide ascorbique [61]

Le syndrome hémorragique, lié à la fragilité vasculaire, se traduit principalement par un purpura pétéchial des membres et du tronc centré sur les follicules pileux, des ecchymoses et hématomes. Des hémorragies des gaines des nerfs : « paralysie douloureuse du scorbut », des hématomes intramusculaires pouvant être à l’origine d’un syndrome des loges, des hémorragies digestives voire des hémorragies gynécologiques ou cérébrales sont décrits.

Terrain Nourrissons Enfants de 1–3 ans Enfants de 4–6 ans Enfants de 7–9 ans Enfants de 10–12 ans Adolescents 13–19 ans Adultes 20–60 ans Femmes enceintes Femmes allaitantes Personnes âgées Fumeurs Diabétiques

Une hyperkératose folliculaire, une ichtyose pigmentée peuvent apparaître associées à des œdèmes des membres inférieurs ainsi qu’une atteinte des phanères : « cheveux en tire-bouchon » et alopécie. Les manifestations stomatologiques sont inconstantes bien que caractéristiques. La gingivite hypertrophique et hémorragique, absente en cas d’édentation, est d’autant plus intense qu’existe un mauvais état dentaire. Une parodontolyse survient secondairement avec mobilité dentaire accrue et parfois une chute des dents. Un syndrome sec avec hypertrophie parotidienne est décrit. Des troubles psychiatriques à type de dépression, ne sont pas rares. L’association d’arthralgies, de myalgies, d’un syndrome sec, d’un purpura peut évoquer un syndrome de Sjögren [50] ou une vascularite [6]. L’existence d’un syndrome hémorragique oriente vers une hémopathie ou un trouble de la crase sanguine.

6. Signes biologiques Ils ne sont pas spécifiques. L’anémie est fréquente, hypochrome, normocytaire ou macrocytaire. Elle peut être secondaire aux hémorragies, et surtout liée à des carences associées en fer et en folates. Les folates ont la même origine alimentaire que la vitamine C et celle-ci est nécessaire à l’absorption du fer. Il peut exister également une hémolyse intravasculaire. La leucopénie n’est pas rare. L’hypocholestérolémie est souvent retrouvée, le taux de cholestérol plasmatique évolue parallèlement à l’ascorbémie. Une hypoalbuminémie, reflet de la malnutrition globale, est très fréquente [19]. Le diagnostic suspecté cliniquement est confirmé par le dosage de l’ascorbémie, qui reflète cependant plus les prises récentes d’acide ascorbique que le stock réel de l’organisme. Les normales d’acide ascorbique sérique varient de 5 à 16 mg/l, les symptômes cliniques n’apparaissent qu’en dessous de 2,5 mg/l. Ces valeurs ne peuvent être interprétées qu’en fonction de l’existence ou non d’un syndrome inflammatoire. Au cours du syndrome inflammatoire, il existe un transfert de la vitamine C du sérum vers les leucocytes ; l’ascorbémie baisse mais l’acide ascorbique leucocytaire augmente, sans modification du pool total de l’organisme [51]. Le dosage de l’acide ascorbique leucocytaire est plus performant car il représente les stocks de l’organisme mais il n’est pas réalisé en pratique courante.

mg/jour 50 60 75 90 100 110 110 120 130 120 140 140

7. Évolution L’évolution peut être défavorable si le diagnostic n’est pas fait et donc le patient non traité. Le syndrome hémorragique se majore de même que le risque infectieux lié au déficit de l’immunité cellulaire et aux troubles de la phagocytose. Des convulsions et des atteintes cardiaques peuvent survenir. Les modifications du segment ST et des ondes T ne sont pas rares et il a été décrit des morts subites [52]. Durant la dernière guerre d’Afghanistan, en quelques semaines, 40 décès dus au scorbut ont été recensés par l’OMS dans la région de Taiwara [53]. Les états de déplétion vitaminique (ascorbémie entre 2 à 5 mg/l) n’aboutissent pas constamment à un scorbut mais ils semblent être à l’origine d’une augmentation de risque d’infarctus du myocarde [54], de la sévérité des infections [55,56] et par l’intermédiaire de la diminution de l’effet antioxydant, d’une augmentation du risque de cancer [57], de cataracte [58] et de mortalité chez les hommes [59].

8. Traitement Le traitement du scorbut consiste en l’administration d’un gramme de vitamine C réparti en plusieurs prises quotidiennes (l’absorption intestinale et l’excrétion rénale sont saturables à partir de 100 mg d’apport), durant 15 jours per os ou par voie parentérale en cas de malabsorption. Le syndrome hémorragique disparaît en 48 heures et l’amélioration globale se fait en 15 jours. La prévention du scorbut est assurée par une alimentation équilibrée et riche en fruits et légumes. Les apports quotidiens recommandés en vitamine C étaient de 60 mg/jour pour un adulte, ils ont été augmentés depuis 1999 aussi bien en France (110 mg/jour) [60] qu’aux États-Unis (120 mg/jour) [13]. Ces recommandations tiennent compte de la prévention du scorbut et visent également à obtenir des concentrations plasmatiques suffisantes (de 9 et 12 mg/l) pour diminuer les risques cardiovasculaires et ceux de cancer et de cataracte. Ces apports sont variables selon l’âge et le terrain (Tableau 1).

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9. Conclusion Le scorbut atteint préférentiellement les exclus, les démunis et les sujets âgés. Les pathologies chroniques et cachectisantes, une alimentation déséquilibrée soit par choix délibéré soit du fait d’un manque d’éducation nutritionnelle, sont également des facteurs de risques. Les manifestations cliniques et notamment rhumatologiques peuvent être trompeuses, ce d’autant qu’elles ont été oubliées dans nos sociétés d’abondance. Un diagnostic précoce permet un traitement simple et peu coûteux et évite une évolution défavorable. Références [1] [2] [3] [4] [5]

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