Cancer/Radiothérapie 15 (2011) 365–375
Revue générale
Mécanismes de carcinogenèse des cancers du pancréas : quelles pistes pour la radiosensibilisation ? New perspectives for radiosensitization in pancreatic carcinoma: A review of mechanisms involved in pancreatic tumorigenesis F. Huguet a,b,c,d,∗ , M. Fernet c,d , L. Monnier a,b , E. Touboul a,b , V. Favaudon c,d a
Service d’oncologie-radiothérapie, hôpital Tenon, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Université Pierre-et-Marie-Curie Paris 6, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France c Centre de recherche, institut Curie, campus universitaire, 91898 Orsay cedex, France d Inserm U612, campus universitaire, 91898 Orsay cedex, France b
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 14 mars 2011 Rec¸u sous la forme révisée 30 mars 2011 Accepté le 6 avril 2011 Disponible sur Internet le 12 juin 2011 Mots clés : Cancer du pancréas Radiothérapie Radiorésistance Biomodulation Carcinogenèse KRAS
r é s u m é Le cancer du pancréas est la cinquième cause de décès par cancer. Le taux de survie à cinq ans est inférieur à 5 %. Ce très mauvais pronostic est dû à la fois à un diagnostic tardif et à une résistance de l’adénocarcinome aux traitements, notamment à la radiothérapie. Les progrès faits dans la connaissance de la carcinogenèse pancréatique et l’identification des mutations génétiques les plus fréquentes dans ce type de tumeur (KRAS, p16, TP53, Smad4) ouvrent de nouvelles voies de recherche permettant d’espérer des traitements plus efficaces. Cette revue présente les principales altérations génétiques et moléculaires présentes dans les cancers du pancréas et pouvant représenter de nouvelles pistes de radiosensibilisation. © 2011 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
a b s t r a c t Keywords: Pancreatic cancer Radiation therapy Radioresistance Biomodulation KRAS
Pancreatic carcinoma is the fifth leading cause of cancer-related mortality. The 5-year overall survival is less than 5 %. This very poor prognosis can be explained both by late diagnosis and by treatment resistance, including resistance to radiation therapy. A better understanding of the pancreatic tumorigenesis and knowledge of the most frequent mutations in pancreatic adenocarcinoma (KRAS, p16, TP53, Smad4) open new perspectives for the development of more effective treatments. This review presents the major genetic and molecular alterations in pancreatic cancer that could be targeted to improve radiosensitization. © 2011 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
1. Introduction Le nombre de nouveaux cancers du pancréas exocrine diagnostiqués en France, en 2009, est estimé à 7700 [1]. C’est la cinquième cause de décès par cancer avec 8623 décès observés en 2007 (5,3 % des décès par cancer). Le taux de survie à cinq ans est inférieur
∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : fl
[email protected] (F. Huguet).
à 5 % [2]. La place de la radiothérapie chez les patients atteints de cancer du pancréas opérable ou localement avancé est actuellement controversée [3]. En situation adjuvante, le traitement standard est une chimiothérapie par acide folinique et 5-fluorouracile ou gemcitabine pendant six mois. En association avec une chimiothérapie concomitante, la radiothérapie postopératoire permettrait d’améliorer la probabilité de survie des patients ayant eu une résection tumorale incomplète (R1). Cela reste à démontrer dans un essai prospectif. La chimioradiothérapie néoadjuvante est une approche prometteuse mais non validée à ce jour. Pour les
1278-3218/$ – see front matter © 2011 Société française de radiothérapie oncologique (SFRO). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.canrad.2011.04.001
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tumeurs localement évoluées, il n’existe pas de standard thérapeutique [4]. Une chimiothérapie première par gemcitabine suivie en l’absence de progression tumorale d’une chimioradiothérapie avec 5-fluoro-uracile concomitant représente une stratégie thérapeutique séduisante qui est en cours de validation dans l’essai international multicentrique de phase III LAP07. Le pronostic défavorable des cancers du pancréas pourrait être lié à un diagnostic tardif et/ou à une dissémination métastatique précoce. Une équipe du John Hopkins Hospital s’est penchée sur la question en réalisant une étude autopsique de sept patients atteints d’un cancer du pancréas [5]. L’intervalle moyen entre l’apparition de la première cellule tumorale et la formation d’une tumeur a été estimé à 11,7 ans, le temps moyen entre la formation de la tumeur et l’apparition de métastases à 6,8 ans et le temps moyen entre l’apparition des métastases et le décès du patient à 2,7 ans. Par conséquent, le pronostic défavorable des adénocarcinomes pancréatiques serait plutôt lié à un diagnostic tardif lié à la topographie anatomique profonde du pancréas. De plus, ces tumeurs résistent à la fois à la chimiothérapie et à la radiothérapie. La résistance des cancers du pancréas aux traitements anticancéreux peut être expliquée par l’activation constitutive de voies de signalisation responsables d’une survie cellulaire (activation d’oncogènes et inactivation de gènes suppresseurs de tumeur), l’hypovascularisation de ces tumeurs corrélée avec l’importance du stroma, la surexpression de mucines à la surface cellulaire et la présence de cellules souches tumorales. En effet, le développement, la croissance et le potentiel métastatique des cancers du pancréas sont sous l’influence de multiples altérations génétiques. Une analyse extensive du transcriptome de 24 adénocarcinomes pancréatiques a permis de mettre en évidence en moyenne 63 altérations génétiques par tumeur, majoritairement des mutations ponctuelles [6]. Ainsi, 12 voies de signalisation ou mécanismes cellulaires sont altérés dans 67 à 100 % de ces tumeurs (Fig. 1). Les mutations les plus fréquentes sont celles des gènes KRAS, TP53, CDKN2A (appelé aussi p16 ou INK4A) et Smad4 (appelé aussi DPC4) [7]. Le Tableau 1 présente les mutations les mieux connues et leur fréquence [80]. Le meilleur espoir d’améliorer la survie des patients est de mieux comprendre les modifications génétiques des cancers du pancréas afin d’améliorer leur sensibilité aux traitements. Dans cette revue, nous nous proposons d’exposer les principales altérations génétiques et épi-
Fig. 1. Voies de signalisation et mécanismes cellulaires génétiquement altérés dans la majorité des cancers du pancréas. D’après Jones et al. [6].
Tableau 1 Fréquence des mutations dans les cancers du pancréas. Fréquence de mutation ou expression anormale (%) KRAS CDKN2A/p16 Télomérase Mésothéline VEGF MUC1 COX-2 EGFR Sonic Hedgehog Notch3 NFB IGF1R TP53 mTOR Smad4/DPC4 HER2 AKT2
98 98 95 90–100 93 90 67–90 42–95 75 69–74 67 64 50 50–55 48–55 10–42 10–20
D’après Danovi et al. [80]. VEGF : vascular endothelial growth factor ; CDK : cyclin dependent kinase ; MUC : mucine ; COX : cyclo-oxygénase ; EGFR : récepteur de l’epidermal growth factor ; IGF : insulin-like growth factor ; mTOR : mammalian target of rapamycin ; Smad : homologue de mothers against decapentaplegic ; HER2 : human epidermal growth factor receptor-2 ; AKT : protéine kinase B.
génétiques des cancers du pancréas afin de mettre en évidence de nouvelles pistes de radiosensibilisation. 2. Lésions précancéreuses et carcinogenèse
La carcinogenèse est l’ensemble de phénomènes transformant une cellule normale en cellule cancéreuse. La formation d’une tumeur maligne est le résultat d’un processus multiétapes aboutissant à une prolifération incontrôlée de cellules tumorales douées d’un potentiel invasif. L’adénocarcinome du pancréas présente un phénotype glandulaire avec des structures canalaires présentant différents degrés d’atypie cellulaire et de différenciation. Il infiltre les tissus environnants et est associé à une très forte réaction fibreuse et inflammatoire, appelée desmoplasie. Le phénotype canalaire des cellules cancéreuses pancréatiques laisserait penser qu’une prolifération anarchique des cellules canalaires est à l’origine de l’adénocarcinome pancréatique. Ainsi, le cancer du pancréas est très souvent associé à des lésions dysplasiques des canaux pancréatiques. Trois types de lésions précancéreuses ont été décrits : les néoplasmes pancréatiques intraépithéliaux (PanINs), les plus fréquents, les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses pancréatiques et les cystadénomes mucineux [8]. Les PanINs sont des lésions papillaires microscopiques et sont classés en trois grades, 1, 2 et 3, qui reflètent la progression histologique jusqu’à l’adénocarcinome invasif. Les PanINs sont souvent retrouvées dans les tissus adjacents aux adénocarcinomes. Des études moléculaires ont montré que les PanINs et les adénocarcinomes pancréatiques partagent des altérations génétiques communes, avec une augmentation croissante de ces altérations au cours des différents stades de PanIN (Fig. 2). Les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses pancréatiques sont des tumeurs épithéliales, de type papillaire, sécrétant du mucus, très proches des PanINs. Enfin, les cystadénomes mucineux sont des lésions papillaires macrokystiques sécrétant des mucines. Des études d’expression génique ont montré que les PanINs, les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses pancréatiques et les adénocarcinomes présentent des altérations génétiques communes. L’ensemble de ces données suggère que le cancer du pancréas pourrait trouver son origine dans la prolifération anormale de cellules canalaires. D’autres études utilisant des modèles animaux ont suggéré
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Fig. 2. Modèle de progression génétique d’un adénocarcinome pancréatique. La progression d’un épithelium histologiquement normal vers une néoplasie intrapancréatique (PanIN) de bas grade, puis de haut grade, puis vers un adénocarcinome invasif (de droite à gauche) est associée à une accumulation d’altérations génétiques spécifiques. D’après Maitra et Hruban [8].
que l’adénocarcinome pourrait dériver de cellules endocrines ou acinaires [9]. De nouvelles théories ont émergé ces dernières années supportant l’existence de cellules souches cancéreuses à l’origine des cancers solides. Li et al. ont récemment identifié ces cellules souches cancéreuses dans les cancers pancréatiques, caractérisées par l’expression des marqueurs de surface CD44, CD24 et ESA [10]. Ces cellules représentent moins de 1 % de la population cellulaire tumorale mais possèdent un potentiel tumorigène 100 fois supérieur. La caractérisation de ces cellules représente un enjeu majeur dans le traitement des cancers du pancréas. En effet, il a été démontré que ces cellules souches cancéreuses étaient résistantes aux agents cytotoxiques classiques et aux radiations [11]. Le problème reste de savoir comment les cibler. 3. Altérations génétiques 3.1. Activation de l’oncogène KRAS Les mutations de KRAS sont très fréquentes dans les cancers du pancréas, présentes dans presque toutes les tumeurs primitives et survenant précocement dans la progression de la maladie, puisqu’elle est présente dans les PanINs. Il semble qu’une mutation de KRAS soit l’évènement initiateur de la carcinogenèse, étape indispensable à la formation d’une tumeur. La survenue de mutations au niveau des codons 12, 13 ou 61 de KRAS inhibe l’activité GTPase de Ras, conduisant à une protéine Ras oncogénique constitutivement activée [12]. La famille des oncogènes RAS comprend trois gènes bien caractérisés : HRAS, NRAF et KRAS. Les protéines issues de ces gènes sont localisées à la face interne de la membrane cytoplasmique. Les protéines Ras font partie de la famille des GTPases et jouent un rôle important dans la transmission des signaux extracellulaires provenant des récepteurs membranaires vers le noyau, aboutissant à la régulation de la prolifération, de la survie, de la différenciation, de la migration cellulaire ainsi que de l’angiogenèse. Leur activation est déclenchée par l’intermédiaire de récepteurs membranaires. Ras joue un rôle d’« interrupteur » au sein des voies de signalisation et oscille entre deux états : un état inactif où elle est liée au guanine diphosphate (GDP) et un état actif où elle est liée au guanine triphosphate (GTP), ce qui permet transitoirement l’interaction de Ras avec d’autres molécules intracellulaires effectrices et l’activation de différentes voies de signalisation (Fig. 3). Les effecteurs de Ras peuvent être divisés en trois sous-groupes. Le premier est celui des protéines de la famille Raf-1 ; une fois activée,
Raf phosphoryle MEK, qui elle-même phosphoryle ERK. Le second sous-groupe est représenté par la famille phosphatidylinositol-3OH kinase (PI3K). Le troisième sous-groupe inclut un membre de la famille des phospholipases C (PLC-), tiam1, qui active RalGDS, ainsi que les GTPases Rac et Rho, Rassf1. La présence d’une mutation de KRAS au niveau tumoral est responsable d’une activation acquise de la voie RAS/MAPK en aval du récepteur de l’epidermal growth factor (EGFR) et totalement indépendante de la fixation du ligand à ce dernier. Le rôle de RAS dans la radiosensibilité a été étudié dans de nombreux travaux mais reste controversé. Les premières études menées sur des cellules de rongeur ont montré que les cellules transfectées avec le gène RAS étaient plus radiorésistantes. Les premiers résultats observés dans des cellules humaines étaient moins concluants. Plusieurs approches ont été utilisées pour inhiber l’activité ou l’expression de Ras dont l’utilisation d’oligonucléotides antisens, d’anticorps simple chaîne dans un adénovirus et d’inhibiteurs de la farnésyltransférase, permettant d’obtenir une radiosensibilisation [13,14]. Des données comparatives provenant de différents modèles cellulaires concluent que la présence de protéines Ras mutées protège les cellules de l’effet toxique des radiations ionisantes en activant la voie PI3K [15]. Par conséquent, l’identification des voies de signalisation activées par RAS et induisant une réponse altérée des cellules tumorales à l’irradiation est d’un intérêt majeur, ces voies pouvant être les cibles potentielles de manipulations visant à accroître la radiosensibilité tumorale. 3.2. Gènes suppresseurs de tumeurs inactivés 3.2.1. CDKN2A/p16 Le gène p16/CDKN2A, aussi nommé INK4A, est le gène suppresseur de tumeur le plus souvent inactivé dans les cancers du pancréas, dans environ 90 % des cas, par mutation, délétion homozygote ou méthylation anormale. La protéine codée par ce gène appartient à la famille des inhibiteurs de cyclin-dependent kinase (CDK) et inhibe la progression dans le cycle cellulaire au niveau de la transition G1-S. Par conséquent, la perte de fonction de p16/CDKN2A entraîne une dérégulation d’un point clé de contrôle du cycle cellulaire. L’inactivation du gène suppresseur de tumeur p16/CDKN2A survient précocément dans l’oncogenèse pancréatique car elle est observée dans 30 % des PanINs de grade 1 et dans 70 % des PanINs de grade 3 [16]. Récemment, Chang et al. ont montré que l’expression de p16 était un facteur de pronostic favorable après résection pancréatique [17].
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Fig. 3. Voie de signalisation de Ras. AKT : protéine kinase B ; BAD : BCL2 antagonist of cell death ; ERK : extracellular signal-regulated kinase ; GAP : GTPase-activating proteins ; GDP : guanine diphosphate ; GTP : guanine triphosphate ; IKK : I kappa B kinase ; MEK : mitogen activated protein kinase ; NFB : nuclear factor kappa B ; PI3K : phosphatidylinositol3 kinase ; RAC : RAS-related c3 botulinum toxin substrate 1 ; RAL : RAS-like protein ; RALGDS : RAL guanine nucleotide dissociation stimulator. D’après Hruban et al. [18].
3.2.2. TP53 Des mutations du gène suppresseur de tumeur TP53 sont retrouvées dans 50 à 75 % des cancers du pancréas [18]. La protéine p53 est, avant tout, un facteur de transcription : elle fonctionne en se fixant de manière spécifique sur les régions régulatrices de gènes dont elle contrôle ainsi l’expression. L’exposition de cellules à un stress génotoxique induit une stabilisation de la protéine p53 qui subit alors de nombreuses modifications post-traductionnelles, conduisant à son activation et ainsi à la régulation de l’expression d’un grand nombre de gènes impliqués dans le contrôle du cycle cellulaire et l’apoptose. Les arrêts du cycle cellulaire permettent à la cellule de réparer les lésions de l’ADN, si ces dommages ne peuvent pas être réparés, la cellule déclenche l’apoptose, ce qui conduit à l’élimination de la cellule endommagée. Si p53 est inactivée, la cellule ne peut plus répondre au stress génotoxique et aucun arrêt du cycle cellulaire ou apoptose ne sont observés. p53 est donc indispensable au maintien de l’intégrité génomique, ce qui lui vaut l’appellation de « gardienne du génome ». Les mutations de TP53 surviennent tardivement dans la progression des cancers du pancréas et jouent un rôle d’accélérateur de la carcinogenèse [19]. 3.2.3. Smad4/DPC4 Smad4/DPC4 est aussi un gène suppresseur de tumeur qui est inactivé dans 48 à 55 % des cancers du pancréas [20]. La perte de fonction de Smad4 survient tardivement dans l’oncogenèse pancréatique. Les Smads font partie de la voie de signalisation activée par le TGF (transforming growth factor ˇ). Le TGF joue un double rôle : lors de la phase d’initiation tumorale et de progression précoce, il inhibe la prolifération et accélère l’apoptose, jouant un rôle de suppresseur de tumeur veillant à l’homéostasie du milieu. Plus tardivement, le TGF facilite la migration cellulaire, l’invasion tumorale et l’angiogenèse. Les Smads sont des médiateurs clés de le réponse transcriptionnelle au TGF. Smad4, en particulier,
est un facteur transcriptionnel (Fig. 4). Il a été rapporté que le niveau d’expression de Smad4 était inversement proportionnel au grade tumoral. Pour certains auteurs, la perte de l’expression de Smad4 signerait la phase métastatique. Iacobuzio-Donahue et al. ont réalisé une étude autopsique sur 76 patients décédés d’un cancer du pancréas et ont montré que 30 % d’entre eux présentaient une évolution tumorale locale destructive et 70 % une diffusion métastatique [21]. Des mutations de KRAS et de TP53 étaient retrouvées dans 95 et 79 % des cas, respectivement. Smad4 était inactivé dans 35 % des formes localisées et dans 72 % des formes métastatiques (p = 0,007). Crane et al. ont confirmé ces résultats en étudiant l’expression de Smad4 par immunohistochimie chez 41 patients atteints d’un cancer du pancréas localement évolué inclus dans un essai de phase II : l’expression de Smad4 était intacte chez 11 des 15 patients ayant une maladie localisée et dix des 14 patients atteints de métastases avaient une perte de Smad4 (p = 0,016) [22]. La durée médiane de survie sans métastase était de 18 mois si Smad4 était exprimé et de 12,5 mois sinon. La survie globale était identique. Certains groupes, dont le Radiation Therapy Oncology Group (RTOG), proposent de baser la stratégie thérapeutique sur le statut de Smad4. 3.2.4. Autres Le gène suppresseur de tumeur phosphatase and tensin homolog (PTEN) joue un rôle majeur dans le développement embryonnaire, la migration cellulaire et l’apoptose. PTEN est une phosphatase lipidique qui régule des voies de signalisation importantes, notamment la voie PI3K. Les mutations de PTEN entraînent une activation constitutive de la voie PI3K/Akt, engendrant des tumeurs résistantes à l’apoptose. Dans le cancer du pancréas, PTEN n’est pas muté, cependant, sa fonction est inhibée par une perte d’expression. Environ 60 % des cancers du pancréas ont une expression diminuée ou abolie de PTEN [23].
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Fig. 4. Voie de signalisation du TGF. TGF : transforming growth factor ˇ ; Smad : homologue de Mothers against decapentaplegic ; SARA : SAMD anchor for receptor activation. D’après Hruban et al. [18].
Pour finir, on retrouve d’autres mutations dans les cancers pancréatiques affectant des gènes suppresseurs de tumeurs comme deleted in colon cancer (DCC), growth arrest and DNA damageinducible gene 45a (Gadd45a), ou encore adenomatous polyposis coli (APC) et breast cancer 2 (BRCA2), ces deux dernières altérations étant responsables, respectivement, de polyposes adénomateuses familliales et de cancers familiaux du sein et des ovaires, et augmentant également le risque de cancer pancréatique. 4. Facteurs de croissance et autres voies de signalisation 4.1. Récepteur de l’epidermal growth factor et human epidermal growth factor receptor-2 Une surexpression des récepteurs à l’EGF (EGFR, HER2 et HER3) ainsi que de leurs ligands (EGF et TGF␣) a été observée dans une majorité de cancers pancréatiques. Elle entraîne une boucle autocrine positive et est impliquée dans la croissance tumorale ainsi que la diffusion métastatique. Une surexpression d’EGFR est rapportée dans 42 à 95 % des cancers pancréatiques [23]. Contrairement aux cancers pulmonaires, aucune mutation d’EGFR n’a été mise en évidence dans le cancer du pancréas. La surexpression d’EGFR paraît être un évènement tardif dans la carcinogenèse et un facteur de mauvais pronostic [24]. In vitro, l’inhibition d’EGFR augmente la sensibilité des cellules pancréatiques à la gemcitabine [25]. En clinique, un essai de phase III en situation métastatique a montré la supériorité de l’association gemcitabine–erlotinib par rapport à la gemcitabine seule, même si le bénéfice observé était modeste [26]. Dans cette étude, l’analyse des échantillons tumoraux disponibles a permis de retrouver 53 % de surexpression d’EGFR. Les taux de réponse et de survie des patients n’étaient pas corrélés avec niveau d’expression d’EGFR ni le statut KRAS [27]. L’effet radiosensibilisa-
teur de l’inhibition d’EGFR a d’abord été montré dans des cellules de carcinome épidermoïde de la sphère ORL. Cette radiosensibilisation est dûe à une augmentation du taux d’apoptose, à un arrêt prolongé dans le cycle cellulaire et à une altération de la réparation des cassures de l’ADN double-brin radio-induites [28]. L’inhibition de la voie PI3K/Akt joue un rôle majeur dans cette radiosensibilisation. Alors que les études précliniques avaient mis en évidence l’intérêt thérapeutique potentiel d’associer inhibiteur d’EGFR et irradiation, la meilleure validation de cette association est venue des essais cliniques chez les patients ayant un cancer de la sphère ORL inopérable. Ainsi, une étude de phase III randomisée a mis en évidence un doublement de la durée médiane de survie des patients traités pour un cancer de la sphère ORL localement évolué par irradiation et cetuximab concomitant en comparaison avec la radiothérapie seule [29]. Depuis, les inhibiteurs d’EGFR ont été étudiés en association avec la radiothérapie dans de nombreuses localisations tumorales, dont le cancer du pancréas. Deux essais de phase I ont évalué la tolérance et l’efficacité d’inhibiteurs de tyrosine kinase anti-EGFR associés à une chimioradiothérapie pour des cancers du pancréas localement évolués. L’erlotinib permettait d’obtenir un taux de réponse de 32 % avec une tolérance correcte [30]. En revanche, le gefitinib entraînait une toxicité digestive élevée avec 30 % d’effets secondaires de grade 3 ou 4 [31]. Plusieurs essais de phase II associant chimioradiothérapie et erlotinib sont en cours [81]. Une surexpression d’HER2 est retrouvée dans 10 à 42 % des adénocarcinomes pancréatiques [23]. Elle n’a pas de valeur pronostique. L’inhibition d’HER2 par le trastuzumab n’a pas d’effet sur la croissance cellulaire pancréatique quel que soit le niveau d’expression d’HER2 [32]. Safran et al. ont évalué l’efficacité d’un traitement par gemcitabine associée à du trastuzumab chez 34 patients atteints d’un adénocarcinome pancréatique métasta-
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tique surexprimant HER2. Les taux de réponse et de survie étaient identiques à ceux observés avec la gemcitabine seule [33]. En revanche, l’association d’un inhibiteur d’EGFR avec un inhibiteur d’HER2 semble prometteuse in vivo [34]. Le pouvoir radiosensibilisateur de cette double inhibition est en cours d’étude. La voie des récepteurs au fibroblast growth factor (FGF) est également impliquée dans la croissance tumorale pancréatique ainsi que dans la réaction desmoplasique associée. D’autres facteurs de croissance tels que le nerve growth factor (NGF), la gastrine ou encore la bombésine participent également à la croissance tumorale pancréatique [35].
1R ou d’un dominant négatif du récepteur inhibe la croissance tumorale et sensibilise les cellules cancéreuses pancréatiques à la chimiothérapie et à la radiothérapie [43,44]. Un essai de phase I mené par le RTOG avec un anti-IGF-1R, le ganitumab (AMG 479), vient de débuter incluant des patients atteints d’un cancer du pancréas localement évolué [81]. Ceux-ci rec¸oivent une chimiothérapie d’induction associant gemcitabine et ganitumab pendant deux mois, puis une chimioradiothérapie avec capécitabine et ganitumab concomitants, puis une chimiothérapie de maintenance par gemcitabine et ganitumab. Quarante-deux patients doivent être inclus.
4.2. PI3K/Akt/mTOR
4.5. Voie de signalisation Hedgehog
Des mutations du gène PI3KCA ont été également retrouvées dans des tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses pancréatiques. La voie PI3K représente l’une des voies majeures impliquée dans la carcinogenèse pancréatique [35]. Une activation anormale de cette voie, qui favorise la prolifération cellulaire et l’inhibition de l’apoptose, a été montrée dans les cancers pancréatiques, indépendamment de l’activation de Ras. Il a notamment, été observé une surexpression d’Akt, l’effecteur de PI3K, dans 10 à 20 % des adénocarcinomes pancréatiques, associée à un pronostic défavorable. Son ciblage inhibe la croissance tumorale in vitro et in vivo [36]. De manière intéressante, le nelfinavir, un antirétroviral utilisé dans le traitement du virus de l’immnudéficience humaine, inhibe l’activité d’Akt et entraîne une radiosensibilisation des cellules tumorales pancréatiques in vitro et in vivo, indépendamment de leur statut KRAS [37]. Un essai de phase I est en cours associant une irradiation pancréatique en conditions stéréotaxiques et un traitement par nelfinavir [81]. Mammalian target of rapamycin (mTOR) est également un acteur important de la voie PI3K, son activation implique Akt et peut conduire à l’activation de hypoxia-inducible factor 1 (HIF1). La voie mTOR est également impliquée dans la production de facteurs proangiogéniques, notamment le vascular endothelial growth factor (VEGF), qui augmente la prolifération endothéliale. L’inhibition de mTOR dans les cancers pancréatiques était prometteuse en préclinique mais s’est avérée décevante dans deux essais de phase II [38].
La voie de signalisation Hedgehog joue un rôle majeur dans le développement embryonnaire mais aussi dans le maintien de l’homéostasie des tissus matures, notamment en agissant sur les cellules souches [45]. Dans les cellules tumorales, l’activation anormale de la voie Hedgehog (Hh) provient d’une surexpression des ligands Hh. Il en existe trois, codés par trois gènes différents : Sonic Hh, Indian Hh, Desert Hh. Ces ligands inactivent les récepteurs transmembranaires Patched (Ptch) permettant l’activation des protéines transmembranaires Smoothed (Smo). Smo inhibe la formation du complexe Gli-Fused-SUFU et permet la translocation nucléaire de Gli, facteur de transcription (Fig. 5). Gli induit la transcription de facteurs prolifératifs comme la cycline D1 et Myc, de facteurs antiapoptotiques tels Bcl2 et de facteurs impliqués dans la différenciation cellulaire [46]. Une surexpression des ligands Hh est observée précocément dans les PanIns et dans environ 75 % des adénocarcinomes pancréatiques. Elle est associée à une surexpression de Gli. De plus, l’hypovascularisation des tumeurs pancréatiques serait liée à l’activation de la voie Hh. En effet, la voie Hh promeut la prolifération stromale desmoplasique et l’angiogenèse tumorale. Dans un modèle de souris, l’administration d’un inhibiteur de Smo, le cyclopamine, provoque une diminution de l’expression de Gli, une diminution de la prolifération des myofibroblastes du stroma, une augmentation de la densité vasculaire par prolifération endothéliale et une diminution du processus métastatique [47]. De manière intéressante, l’administration combinée de cyclopamine et de gemcitabine majore l’efficacité de cette dernière, en augmentant sa diffusion intratumorale par l’amélioration de la vascularisation. Cet effet pourrait être exploité en combinaison avec l’irradiation. Une étude in vitro a confirmé cette hypothèse dans des cellules de cancer du pancréas surexprimant Hh [48]. De nombreuses études de phase I sont en cours pour évaluer la tolérance et l’efficacité des inhibiteurs de la voie Hedgehog, tels que le GDC-0449, mais pas en association avec une irradiation.
4.3. NFB NFB est un facteur de transcription. Dans la majorité des cellules, NFB est séquestré dans le cytoplasme sous forme inactive, liée à son inhibiteur IKB. NFB est constitutivement activé dans 67 % des cancers pancréatiques et joue un rôle important dans la résistance tumorale à l’apoptose induite par les agents génotoxiques [39]. Les cellules pancréatiques résistantes à la gemcitabine ont un haut niveau basal de NFB [40]. Récemment, Pan et al. ont montré qu’il n’y avait pas de corrélation entre la sensibilité à la gemcitabine et le niveau basal d’activité de NFB. En revanche, l’inhibition de NFB par un siRNA augmenterait le taux d’apoptose dans les cellules sensibles à la gemcitabine [41]. 4.4. Insulin-like growth factor-1R Parmi les autres facteurs de croissance identifiés, il a été observé une surexpression de l’insulin-like growth factor (IGF) par les cellules cancéreuses pancréatiques et le stroma environnant entraînant une suractivation de son récepteur, IGF-1R [42]. La fixation de l’IGF sur l’IGF-1R entraîne une activation des voies Ras/MAPK et PI3K/Akt responsables d’une prolifération cellulaire, de la modulation de la différenciation cellulaire et d’une inhibition de l’apoptose. L’inhibition de cette voie par l’utilisation d’anticorps anti-IGF-
4.6. Voie de signalisation Notch La voie de signalisation Notch-1 joue un rôle central lors du développement embryonnaire du pancréas où elle contrôle la différenciation cellulaire. Notch est réprimée à l’âge adulte mais activée pendant la carcinogenèse. L’expression élevée de Notch1 dans le cancer du pancréas entraîne une accumulation de cellules indifférencées tandis que la diminution de l’expression de Notch1 diminue l’expression des protéines cyclin D1 et Bcl-2 et contribue à l’apoptose des cellules pancréatiques [49]. Plusieurs publications suggèrent que la voie Notch pourrait être une voie essentielle dans l’initiation et la progression des cancers du pancréas, en faisant une cible thérapeutique intéressante. L’inhibition de la voie Notch par siRNA ou par des agents pharmacologiques tels que le curcumin entraîne une inhibition de la croissance des cellules d’adénocarcinome pancréatique et augmente l’apoptose. Ces effets
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Fig. 5. Voie de signalisation Hedgehog. Hh : ligand Hedgehog (Sonic, Indian ou Desert Hedgehog) ; Ptch : récepteur transmembranaire Patched ; Smo : protéine transmembranaire Smoothened ; SUFU : suppressor of fused. D’après Pasca di Magliano et Hebrok [45].
seraient liés à une interaction de Notch avec NFB [50]. La voie Notch est liée avec les voies KRAS, TGF, Hedgehog et Wnt.
5. Autres anomalies 5.1. Télomères
4.7. Voie de signalisation Wnt/ˇ-caténine Comme la voie Hedgehog, la voie de signalisation Wnt/caténine joue un rôle important dans l’embryogenèse. Il existe 19 ligands Wnt différents. Quand l’un d’eux se fixe sur un récepteur de la famille Frizzled, il entraîne une inactivation d’un complexe de protéines cytoplasmiques (dont APC et GSK3) qui est responsable de la dégradation de la -caténine par le protéasome. Par conséquent, la -caténine s’accumule dans le cytoplasme, puis est transloquée dans le noyau où elle active des gènes cibles [46]. La dérégulation de la voie Wnt par délétion des protéines de contrôle telles qu’APC ou par mutation activatrice de la caténine provoque une accumulation cytoplasmique et nucléaire de -caténine. Elle peut aussi être activée par la voie Hedgehog. Le niveau d’accumulation de la -caténine est corrélé au grade des PanINs et de l’adénocarcinome pancréatique. En revanche, la surexpression de la -caténine ne suffit pas à induire la carcionogenèse pancréatique même si elle y participe. L’inhibition de l’activité de la -caténine dans des lignées cellulaires pancréatiques provoque une inhibition de la prolifération cellulaire et une augmentation de l’apoptose [51]. Il a été montré dans des modèles de carcinome mammaire chez la souris que la surexpression de la -caténine était liée à la radiorésistance des cellules tumorales progénitrices [52]. Plusieurs inhibiteurs de la voie Wnt sont en cours de développement, il serait intéressant de les étudier en association avec les radiations ionisantes dans le cancer du pancréas.
Des réarrangements chromosomiques sont fréquemment observés dans les cancers, et participent à l’instabilité génétique, favorisant notamment la perte de fonction de gènes suppresseurs de tumeur ou la duplication de gènes oncogéniques. Le raccourcissement des télomères, séquences répétées à l’extrémité des chromosomes, participe à ces phénomènes. En effet, il rend les chromosomes hautement « recombinogéniques » et entraîne la formation de ponts anaphasiques entre les extrémités des chromosomes au cours de la division cellulaire. Un raccourcissement des télomères est fréquemment observé dans les cellules cancéreuses, dans les cellules saines, il est compensé par l’activité des télomérases. Il a notamment été montré que le raccourcissement des télomères était une des premières altérations observées au cours de la carcinocérogenèse pancréatique, survenant dans plus de 90 % des cas de PanINs de faible grade et permettant la création d’un environnement propice aux réarrangements chromosomiques. Normalement, les cellules arborant de telles aberrations sont éliminées par p53, mais la perte de ce dernier dans les cancers plus évolués accentue le phénomène. En revanche, dans les stades de cancers pancréatiques invasifs, les télomérases sont réactivées et stabilisent alors les cellules néoplasiques. Il est intéressant de noter que le raccourcissement des télomères précède les mutations de TP53, suggérant que d’autres voies pourraient être impliquées dans le « checkpoint » induit par l’altération des télomères et inhibées dans les premiers stades de la cancérogenèse pancréatique.
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L’identification de ces voies pourrait ainsi représenter de nouvelles cibles thérapeutiques pour le cancer du pancréas.
cancer du pancréas dans un essai de phase I [61]. Un essai de phase II est en cours.
5.2. Histone désacétylase
5.5. Mucines MUC1 et MUC4
Une autre altération épigénétique identifiée dans les cancers pancréatiques et participant à la prolifération des cellules tumorales pancréatiques est la désacétylation des histones par des désacétylases (histone désacétylase [HDAC]). Ces enzymes enlèvent le groupement acétyl des histones, ce qui entraîne la condensation de la chromatine et inhibe la transcription de certains gènes [53]. L’acétylation des histones joue ainsi un rôle primordial dans la régulation de la structure de la chromatine et dans l’expression génique, deux paramètres associés depuis longtemps à la réponse aux radiations ionisantes. Arundel et al. ont montré, dans les années 1980, que le butyrate de sodium (NaB), un inhibiteur d’HDAC, augmentait la radiosensibilité de cellules de cancer colique. Plus récemment, les nouvelles générations d’inhibiteurs d’HDAC ont fait preuve d’un pouvoir radiosensibilisateur in vitro et in vivo dont le mécanisme n’est pas parfaitement élucidé [54]. De nombreux essais cliniques de phase I sont en cours étudiant l’association d’un inhibiteur d’HDAC à la radiothérapie dont deux portant sur le cancer du pancréas localement avancé.
Les mucines (MUC) sont des glycoprotéines transmembranaires de haut poids moléculaire exprimées par la plupart des épithéliums glandulaires et canalaires qui ont une fonction de protection et de lubrification. Les mucines MUC1, MUC4 et MUC16 sont les mieux connues. Elles sont surexprimées dans une grande variété de cancers, dont le cancer du pancréas. Le rôle des mucines dans la pathogénie des cancers a récemment été mis en évidence. Ces mucines possèdent des domaines spécifiques capables d’interagir avec diverses voies de signalisation, influant sur la survie cellulaire, la prolifération, la mort et l’autophagie [62]. Le domaine cytoplasmique de MUC1 interagit avec de nombreuses protéines signalisatrices. MUC1 active la prolifération cellulaire en activant la voie EGFR et en empêchant la dégradation de la caténine via l’inhibition de GSK3. De plus, elle inhibe la mort cellulaire par son action sur p53, c-Abl et NFB. MUC4 agit en stabilisant et augmentant l’activité d’HER2. Un niveau d’expression élevé de MUC4 a été associé à un mauvais pronostic [63]. Il a été récemment montré que MUC1 jouerait un rôle dans la radiorésistance en interagissant directement avec ataxia telangiectasia mutated (ATM), kinase essentielle de la réponse aux radiations ionisantes, dans des lignées de carcinome mammaire [64]. Ces données restent à confirmer dans le cancer du pancréas.
5.3. Cyclo-oxygénases 2 Les cyclo-oxygénases (COX) sont des enzymes qui catalysent la conversion de l’acide arachidonique en prostaglandines et thromboxane. Elles ont un rôle-clé dans l’inflammation et la régulation de diverses fonctions physiologiques. Il existe deux isoformes : COX-1 et COX-2 ; COX-1 est présente dans les tissus avec les prostaglandines pour assurer le maintien de fonctions organiques alors que COX-2 se comporte plutôt comme un gène précoce avec des variations transcriptionnelles rapides en réponse à l’inflammation, aux facteurs de croissance, aux cytokines et à la croissance tumorale. À la différence de COX-1, l’expression de COX-2 est induite dans de nombreux types de cancers. Il a notamment été rapporté une expression de COX-2 dans environ 75 % des cancers du pancréas [55]. Plusieurs études ont montré que les anti-inflammatoires non stéroïdiens et les inhibiteurs de COX-2 inhibaient la croissance de cellules tumorales pancréatiques in vitro et in vivo avec un effet plus marqué sur les cellules exprimant COX-2 [56]. L’effet antiprolifératif des inhibiteurs de COX-2 provient de leur effet sur le cycle cellulaire avec l’induction d’un arrêt en G1 et peut-être également de leur pouvoir antiangiogénique [56]. En effet, le celecoxib, un inhibiteur de COX-2 induirait l’apoptose des cellules endothéliales [57]. De plus, une étude in vitro associant erlotinib et celecoxib dans des lignées pancréatiques a montré que la cytotoxicité et l’apoptose induite par l’erlotinib étaient majorées en présence de celecoxib dans les cellules surexprimant EGFR, probablement en rapport avec une inhibition de l’activité de NFB [58]. 5.4. Mésothéline La mésothéline est une glycoprotéine de surface exprimée normalement par les cellules mésothéliales. Elle peut aussi être exprimée par des tumeurs comme les cancers du pancréas où elle est retrouvée dans près de 100 % des tumeurs, à la différence des tissus pancréatiques sains [59]. Récemment a été mis en évidence l’importance de la réponse immunitaire dans la pathogénie des cancers pancréatiques. Celle-ci est médiée par des antigènes tumoraux, dont la mésothéline. In vivo, l’immunotoxine SS1P antimésothéline associée à l’irradiation entraîne un retard de croissance tumorale [60]. Un anticorps monoclonal chimérique dirigé contre la mésothéline, le MORAb-009, a été administré à des patients avec un
5.6. Aurora Les kinases Aurora A et B sont fréquemment surexprimées dans les cancers du pancréas et jouent un rôle majeur dans la mitose [65,66]. Schématiquement, Aurora A contrôle la formation des centrosomes et du fuseau mitotique tandis qu’Aurora B joue un rôle majeur dans la cytocinèse [67]. La surexpression d’Aurora A entraîne une instabilité chromosomique avec la formation de cellules aneuploïdes. L’inhibition d’Aurora A et B entraîne un arrêt dans le cycle cellulaire en G2/M et une mort cellulaire. Tao et al. ont montré que l’inhibition de l’activité d’Aurora B par l’AZD1152 provoquait in vitro et in vivo une radiosensibilisation et que celle-ci était plus marquée dans les cellules présentant une protéine p53 mutée [68]. Par conséquent, il semblerait intéressant d’étudier ce type d’inhibiteurs en association avec la radiothérapie dans le cancer du pancréas. 5.7. Angiogenèse Le vascular endothelial growth factor (VEGF) est une glycoprotéine régulant l’angiogenèse, il est responsable de la prolifération et de la migration des cellules endothéliales, du remodelage de la matrice extracellulaire, de l’augmentation de la perméabilité vasculaire et de la maintenance des vaisseaux sanguins nouvellement formés [69]. Il a été observé dans la majorité des tumeurs une surexpression de VEGF, corrélée avec l’invasion, la densité vasculaire, la présence de métastases et la rechute. Le bevacizumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le VEGF, il empêche sa fixation sur les récepteurs VEGF-R1 et VEGF-R2. Des études in vivo ont montré que l’inhibition de l’activité du VEGF pouvait entraîner une radiosensibilisation [70]. Cette radiosensibilisation serait due à une normalisation de la vascularisation tumorale provoquée par les traitements antiangiogéniques améliorant l’oxygénation tumorale [71]. Un autre mécanisme d’action potentiel serait une majoration directe de la cytotoxicité sur les cellules endothéliales et les cellules tumorales. Une surexpression du VEGF et de ses récepteurs est retrouvée dans 90 % des adénocarcinomes pancréatiques [35].
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Le bevacizumab a été étudié en association avec la radiothérapie dans les cancers pancréatiques dans deux essais de phase II avec des résultats décevants : des taux de réponse faibles, une survie globale courte ainsi qu’une toxicité importante (35 % de toxicité digestive de grade 3 ou 4, cinq hémorragies digestives et trois perforations dans l’essai de Crane et al.) [72,73]. 5.8. Métabolisme de la gemcitabine La gemcitabine est actuellement le traitement de référence des cancers du pancréas métastatiques [74]. Elle est aussi utilisée en association avec la radiothérapie en raison de son fort pouvoir radiosensibilisateur, mais uniquement dans le cadre d’essais thérapeutiques [75]. La gemcitabine est un analogue synthétique de la déoxycitidine, elle pénètre dans la cellule à travers la membrane plasmique soit par diffusion, facilitée par des transporteurs nucléosidiques spécifiques appelés human equilibrative nucleoside transporter (hENT), soit par des transporteurs actifs Na+ dépendants. Une fois dans la cellule, la gemcitabine est métabolisée pour générer ses dérivés cytotoxiques actifs. Elle agit alors en bloquant la synthèse de l’ADN par compétition avec la déoxycytidine triphosphate et en inhibant la ribonucléotide diphosphate réductase, enzyme clé de la synthèse d’ADN [35]. Le transporteur transmembranaire principal de la gemcitabine est hENT1. Plusieurs études ont montré que la survie des patients traités par gemcitabine était meilleure si le niveau d’expression d’hENT1 était élevé [76,77]. Il en est de même pour les patients recevant une chimioradiothérapie avec gemcitabine concomitante [78]. Il paraîtrait logique de choisir le type de chimiothérapie concomitante à l’irradiation en fonction de l’efficacité potentielle de celle-ci. Cela a été fait récemment dans les cancers du rectum avec des résultats encourageants [79]. 6. Conclusion La progression de nos connaissances sur les mécanismes de carcinogenèse pancréatique et des altérations génétiques dans les adénocarcinomes pancréatiques permet d’espérer une amélioraTableau 2 Cibles potentielles et avérées pour la radiosensibilisation des adénocarcinomes pancréatiques. Cibles potentielles
Voie Notch Voie Wnt Télomérase Mésothéline Mucines
Cibles ayant un effet radiosensibilisant en préclinique
KRAS TP53 HER2 (lapatinib, afatinib) NFB COX-2 (celecoxib) Voie Hedgehog (GDC-0449) Aurora (AZD1152)
Cibles évaluées dans des essais cliniques
Phase 1 Akt (nelfinavir) HDAC (vorinostat) IGF-1R (ganitumab) mTOR (everolimus, temsirolimus) Phase 2 EGFR (erlotinib, gefitinib) VEGF (bevacizumab)
Biomarqueurs
Smad4 hENT1
HER2 : human epidermal growth factor receptor-2 ; COX : cyclo-oxygénase ; AKT : protéine kinase B ; HDAC : histone désacétylase ; IGF : insulin-like growth factor ; mTOR : mammalian target of rapamycin ; EGF : epidermal growth factor ; VEGF : vascular endothelial growth factor ; Smad : homologue de mothers against decapentaplegic.
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tion de la réponse de ces tumeurs à la radiothérapie. L’identification de cibles potentielles pour la radiosensibilisation des tumeurs pancréatiques ouvre de nombreuses voies de recherche (Tableau 2). Certaines sont déjà en cours d’étude au laboratoire, voire même en clinique dans des essais de phase I et II dont les résultats devraient être disponibles rapidement. Une étroite collaboration est plus que jamais nécessaire entre chercheurs et cliniciens afin d’évaluer ces nouvelles pistes et d’identifier des biomarqueurs, indispensables à l’évaluation de l’efficacité de ces nouveaux traitements. La multiplicité des voies impliquées pourrait nous orienter vers une combinaison de plusieurs inhibiteurs. Le ciblage des cellules souches cancéreuses est une voie de recherche prometteuse. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Les auteurs remercient la Fondation pour la recherche NuovoSoldati pour son soutien. Références [1] Guérin S, Hill C. L’épidémiologie des cancers en France en 2010 : comparaison avec les États-Unis. Bull Cancer 2010;97:47–54. [2] Jemal A, Siegel R, Xu J, Ward E. Cancer statistics, 2010. CA Cancer J Clin 2010;60:277–300. [3] Huguet F, Orthuon A, Touboul E, Marseguerra R, Mornex F. Pancreatic cancer. Cancer Radiother 2010;14:S94–102. [4] Huguet F, Girard N, Guerche CS, Hennequin C, Mornex F, Azria D. Chemoradiotherapy in the management of locally advanced pancreatic carcinoma: a qualitative systematic review. J Clin Oncol 2009;27:2269–77. [5] Yachida S, Jones S, Bozic I, Antal T, Leary R, Fu B, et al. Distant metastasis occurs late during the genetic evolution of pancreatic cancer. Nature 2010;467:1114–7. [6] Jones S, Zhang X, Parsons DW, Lin JC, Leary RJ, Angenendt P, et al. Core signaling pathways in human pancreatic cancers revealed by global genomic analyses. Science 2008;321:1801–6. [7] Cowgill SM, Muscarella P. The genetics of pancreatic cancer. Am J Surg 2003;186:279–86. [8] Maitra A, Hruban RH. Pancreatic cancer. Annu Rev Pathol 2008;3:157–88. [9] Murtaugh LC, Leach SD. A case of mistaken identity? Non ductal origins of pancreatic “ductal” cancers. Cancer Cell 2007;11:211–3. [10] Li C, Heidt DG, Dalerba P, Burant CF, Zhang L, Adsay V, et al. Identification of pancreatic cancer stem cells. Cancer Res 2007;67:1030–7. [11] Simeone DM. Pancreatic cancer stem cells: implications for the treatment of pancreatic cancer. Clin Cancer Res 2008;14:5646–8. [12] Bos JL. Ras oncogenes in human cancer: a review. Cancer Res 1989;49:4682–9. [13] Bernhard EJ, Kao G, Cox AD, Sebti SM, Hamilton AD, Muschel RJ, et al. The farnesyltransferase inhibitor FTI-277 radiosensitizes H-ras-transformed rat embryo fibroblasts. Cancer Res 1996;56:1727–30. [14] Russell JS, Lang FF, Huet T, Janicot M, Chada S, Wilson DR, et al. Radiosensitization of human tumor cell lines induced by the adenovirus-mediated expression of an anti-Ras single-chain antibody fragment. Cancer Res 1999;59:5239–44. [15] Gupta AK, Bakanauskas VJ, Cerniglia GJ, Cheng Y, Bernhard EJ, Muschel RJ, et al. The Ras radiation resistance pathway. Cancer Res 2001;61:4278–82. [16] Fukushima N, Sato N, Ueki T, Rosty C, Walter KM, Wilentz RE, et al. Aberrant methylation of preproenkephalin and p16 genes in pancreatic intraepithelial neoplasia and pancreatic ductal adenocarcinoma. Am J Pathol 2002;160:1573–81. [17] Chang DT, Chapman CH, Norton JA, Visser B, Fisher GA, Kunz P, et al. Expression of p16(INK4A) but not hypoxia markers or poly-adenosine diphosphate-ribose polymerase is associated with improved survival in patients with pancreatic adenocarcinoma. Cancer 2010;116:5179–87. [18] Hruban RH, Maitra A, Schulick R, Laheru D, Herman J, Kern SE, et al. Emerging molecular biology of pancreatic cancer. Gastrointest Cancer Res 2008;2:S10–5. [19] Moore PS, Beghelli S, Zamboni G, Scarpa A. Genetic abnormalities in pancreatic cancer. Mol Cancer 2003;2:7. [20] Schutte M, Hruban RH, Hedrick L, Cho KR, Nadasdy GM, Weinstein CL, et al. DPC4 gene in various tumor types. Cancer Res 1996;56:2527–30. [21] Iacobuzio-Donahue CA, Fu B, Yachida S, Luo M, Abe H, Henderson CM, et al. DPC4 gene status of the primary carcinoma correlates with patterns of failure in patients with pancreatic cancer. J Clin Oncol 2009;27:1806–13. [22] Crane CH, Yordy JS, Varadhachary GR, Haque W, Wolff RA, Das P, et al. Use of DPC-4 immunostaining of diagnostic cytology specimens to predict the pat-
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