Présentations orales L’action des lipides sur l’élimination ou sur les effets de certains médicaments a commencé à être discutée dès les années 1960. La notion de séquestration éventuelle de molécules liposolubles dans un « compartiment » lipidique était une hypothèse mise en avant dès les années 1970. Après un temps de silence scientifique, il faudra toutefois attendre les premières observations de Weinberg chez l’animal à partir de 1998. Celui-ci montre l’efficacité des émulsions lipidiques sur la toxicité des anesthésiques locaux. Rosenblatt et Litz [1] publient en 2006 les premiers cas cliniques d’effets toxiques majeurs des anesthésiques locaux corrigés par une émulsion lipidique. Enfin, Sirianni publie en 2008 [2] le premier cas clinique d’intoxication aiguë par bupropion et lamotrigine avec des convulsions et un collapsus cardiovasculaire corrigés par une émulsion lipidique après échec de la réanimation conventionnelle. Depuis cette date de nombreuses études animales ainsi que des cas cliniques, ou de courtes séries cliniques, ont été publiées. Pour résumer l’ensemble de ces études et cas cliniques, on peut insister sur leur très faible niveau de preuve. Avec en plus un très probable biais de publication en faveur des succès aux dépens des échecs. Les mécanismes évoqués pour tenter d’expliquer l’efficacité des émulsions lipidiques sont nombreux. Le mécanisme le plus souvent évoqué, le plus généraliste, est celui d’un compartiment lipidique piégeant les molécules liposolubles (lipid sink). Il permet d’expliquer l’efficacité des émulsions lipidiques à la fois sur les effets cardiaques et sur les effets neurologiques des molécules toxiques incriminées. Le coefficient de partage huile/eau et le volume de distribution des molécules semblent être de bons facteurs prédictifs de l’efficacité des émulsions lipidiques. D’autres mécanismes sont proposés, pour tenter d’expliquer la rapidité d’action des émulsions lipidiques et leur efficacité cardiaque. On peut citer l’apport mitochondrial d’acides gras libres comme substrats énergétiques ou l’augmentation de l’entrée du calcium dans les cellules myocardiques. Des recommandations seront prochainement proposées cette année en toxicologie clinique. S’appuyant sur des publications à faible niveau de preuve, elles ne pourront sans doute pas être d’un grand formalisme ni d’une très grande précision. Un certain flou persistera sans doute encore quelques temps. La mise à jour 2015 des recommandations internationales sur la prise en charge de l’arrêt cardiaque mentionnent maintenant les émulsions lipidiques dans l’arrêt cardiaque d’origine toxique. Elles correspondent au niveau de preuve des publications sur lesquelles elles reposent : it may be reasonable. . . Les modalités d’administration des émulsions lipidiques sont assez consensuelles. S’agissant de l’intralipid 20 %, il est recommandé d’administrer tôt dans la séquence thérapeutique un bolus de 1,5 mL/kg suivi d’une perfusion de 0,25 à 0,50 mL/kg/min, sans dépasser une dose totale de 12 mL/kg. Enfin, il faut insister sur l’indispensable attention qu’il faudrait porter à l’utilisation des émulsions lipidiques : seules des observations parfaitement documentées pourraient faire progresser les connaissances sur ce sujet largement débattu. Déclaration de liens d’intérêts L’auteur déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Rosenblatt MA, Abel M, Fisher GW, et al. Successful use of a 20% lipide mulsion to resuscitate a patient after a presumed bupivacaine related cardiac arrets. Anesthesiology 2006;105: 217—8. [2] Sirianni AJ, Osterhoudt KC, Calello DP, et al. Use of lipid emulsion in the resuscitation of a patient with prolonged cardiovascular collapse after overdose of bupropion and lamotrigine. Ann Emerg Med 2008;51:412—5. Pour en savoir plus Weinberg GL. Lipid emulsion infusion. Anesthesiology 2012;117: 180—7. Circulation. 2015;132(Suppl 2):S501—S518. Levine M. Clin Tox 2016;54:194—221. http://dx.doi.org/10.1016/j.toxac.2016.05.015
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Mécanismes de détoxification attendus des technologies nouvelles J.-C. Leroux Institut des sciences pharmaceutiques, ETH Zürich, Zürich, Suisse Adresse e-mail :
[email protected] En sciences pharmaceutiques, les particules colloïdales (diamètre inférieur à 1 micromètre) servent essentiellement à véhiculer des principes actifs vers leur site d’action ou à contrôler leur libération sur une période prolongée. Il existe toutefois des indications où les systèmes colloïdaux sont utilisés pour accélérer l’élimination de composés toxiques endogènes ou exogènes du corps humain [1]. Par exemple, le charbon actif, en raison de sa grande surface spécifique, est employé comme agent adsorbant oral pour le traitement non spécifique d’intoxications médicamenteuses modérées. Plus récemment, il a été observé que les émulsions lipidiques utilisées normalement en alimentation parentérale pouvaient améliorer le temps de récupération de patients ayant rec ¸u une dose trop élevée de principes actifs tels que les anesthésiques locaux [2]. Cependant, bien que les émulsions lipidiques aient, dans certains cas, démontré une efficacité clinique, leur capacité à capter les médicaments demeure relativement faible et leur mécanisme d’action n’est que partiellement élucidé [2]. Grâce aux progrès réalisés dans les domaines de la chimie des matériaux et de la technologie pharmaceutique, il est maintenant possible de concevoir des systèmes colloïdaux capables de d’éliminer de manière efficace un grand nombre de composés potentiellement toxiques. Certains groupes de recherche développent des nanoparticules polymères ayant la propriété de séquestrer ou de métaboliser des agents toxiques (e.g. toxines bactérienne, alcools, etc.) avec des degrés de sélectivité divers [2]. Dans notre laboratoire, nous mettons au point des liposomes (vésicules lipidiques ayant une taille de 100 nm à plusieurs micromètres) pouvant extraire des médicaments ionisables (bases ou acides faibles) au moyen d’un gradient de pH transmembranaire. Sous leur forme neutre, les médicaments diffusent dans les liposomes et se retrouvent piégés dans la cavité aqueuse de ces derniers suite à leur ionisation. Nous avons démontré chez le rongeur que l’injection intraveineuse de tels liposomes permettait d’atténuer les effets cardiovasculaires liés à une intoxication aux bloqueurs de canaux calciques (diltiazem et vérapamil) et de raccourcir temps de récupération de plusieurs heures [3,4]. L’effet observé était supérieur à celui des émulsions lipidiques. Suite à leur administration parentérale, les liposomes modifient la pharmacocinétique du principe actif en capturant une fraction de ce dernier dans le compartiment vasculaire, le rendant moins accessible aux tissus périphériques. Nous avons par la suite amélioré le procédé et développé une formulation destinée à être administrée par la voie intrapéritonéale [5]. Les liposomes ont été incorporés à une solution de dialyse péritonéale puis injectés dans la cavité péritonéale. Pendant la dialyse, les principes actifs se sont concentrés dans l’espace péritonéal et ont ensuite été retirés de l’organisme en collectant le dialysat. Cette approche s’est avérée plus efficace que l’administration intraveineuse des liposomes et que la dialyse péritonéale classique. Elle permet également d’éliminer des toxines endogènes telles que l’ammoniac [5] qui s’accumulent notamment en cas de problèmes métaboliques. Outre le traitement des intoxications aiguës, ce nouveau type de dialyse péritonéale pourrait être utilisé dans les cas d’insuffisance hépatique sévère. Déclaration de liens d’intérêts Ces travaux ont été financés en partie par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Commission pour la technologie et l’innovation et le Conseil de recherche en sciences naturelles et génie du Canada. J.-C. L. est le co-fondateur de Versantis AG. Pour en savoir plus [1] Leroux JC. Nature Nanotechnol 2007;2:679—84. [2] Forster V, Leroux J-C. Sci Transl Med 2015;7:290ps14. [3] Bertrand N, et al. ACS Nano 2010;4:7552—8.
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54e Congrès de la Société de toxicologie clinique — Nancy 2016
[4] Forster V, et al. Biomaterials 2012;33:3578—85. [5] Forster V, et al. Sci Transl Med 2014;6:258ra141. http://dx.doi.org/10.1016/j.toxac.2016.05.016 P14
Épidémiologie « moderne » des surdosages digitaliques. Étude « DigoLabo » J. Calmels 1,∗ , A. Delahaye 2 , F. Lapostolle 3 Urgences, Rodez, France 2 Réanimation, Rodez, France 3 Groupe de travail « DigoLabo », Bobigny, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J. Calmels)
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Introduction L’intoxication digitalique est peu fréquente, mais potentiellement grave. Il s’agit aujourd’hui, le plus souvent, de surdosages dont le profil épidémiologique demeure incertain. Dans les intoxications aiguës la kaliémie est un reflet direct de la toxicité des digitaliques. Mais concernant les surdosages est-ce toujours aussi vrai ? Objectifs de l’étude Décrire l’épidémiologie des surdosages digitaliques et préciser leurs déterminants. Étudier la corrélation entre kaliémie, digoxinémie et créatininémie en cas de surdosage. Méthodes Étude descriptive, rétrospective, multicentrique, Européenne. Recueil des données à partir de tous les dosages de digoxinémie réalisés au cours de l’année 2014 dans les laboratoires des centres participants. Un surdosage se définissant par une digoxinémie supérieure à 1,2 ng/mL. Paramètres recueillis : données sur les centres, nombre de dosages et de surdosages. Concernant les patients/dosages : âge, sexe, service d’origine, digoxinémie, kaliémie et créatininémie. Analyse statistique : Les variables qualitatives ont été comparées par un test de Chi2 et les variables quantitatives par un test de Mann et Whitney. L’étude des corrélations a été associée à la détermination des coefficients R2 . Les variables qualitatives sont présentées en N ( %) et les variables quantitatives en médiane (25e —75e percentiles). Résultats Dix-neuf hôpitaux ont participé et 8,436 dosages ont été analysés dont 2,535 (30 %) surdosages. Trois cent cinquantecinq (20 %) surdosages venaient des SAU. Population : 3,440 (41 %) hommes et 4,997 (59 %) femmes, d’âge médian 84 (7589) ans. Kaliémie et créatininémie étaient plus élevées chez les patients avec surdosage, respectivement : 4,2 (3,8—4,6) vs 4,0 (3,7—4,4) mmol/L ; p < 10−5 et 106 (77—148) vs 84 (66—114) mol/L ; p < 10−5 . La corrélation entre nombre de dosages et pourcentage de surdosages était inexistante (R2 = 0,08) alors que la corrélation entre nombre de dosages et nombre de surdosages était forte (R2 = 0,84) (Fig. 1). La kaliémie était très médiocrement corrélée à la digoxinémie (R2 = 0,02 ; p < 10−5 ) et à la créatininémie (R2 = 0,07 ; p < 10−5 ) (Fig. 2). Les corrélations n’étaient pas augmentées en ne considérant que les patients avec un surdosage digitalique, une insuffisance rénale ou une hyperkaliémie. Conclusion Augmenter le nombre de dosage semble augmenter le nombre de surdosages digitaliques mais sans en réduire le taux. La kaliémie n’était pas cliniquement discriminante. Elle n’était pas non plus un bon reflet des surdosages digitaliques. Elle n’était expliquée ni par la digoxinémie ni par la créatininémie. Le rôle de la kaliémie dans le diagnostic, le pronostic et la décision thérapeutique doit donc être questionné. La fonction rénale doit être aussi considérée.
Figure 1
Figure 2
Déclaration de liens d’intérêts de liens d’intérêts.
Les auteurs déclarent ne pas avoir
http://dx.doi.org/10.1016/j.toxac.2016.05.017 P15
Enzalutamide (Xtandi® ) et interférence analytique lors du dosage de la digoxinémie M. Brunet 1 , B. Lelièvre 2 , F. Jegou 1 , G. Le Roux 1 , C. Abbara 2 , A. Turcant 2 , M. Bretaudeau Deguigne 1,∗ 1 CAPTV, CHU, Angers, France 2 Laboratoire de pharmacotoxicologie, CHU, Angers, France ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Bretaudeau Deguigne) Introduction L’enzalutamide (Xtandi® ), inhibiteur de la voie de signalisation des récepteurs aux androgènes, est un médicament indiqué dans le traitement du cancer métastatique de la prostate et commercialisé depuis juin 2013. Nous rapportons ici 2 cas d’élévation de la digoxinémie chez des patients traités par enzalutamide. Cas rapportés Le 1er patient, un homme de 84 ans, traité habituellement par enzalutamide, est hospitalisé pour une altération de l’état général. Une fibrillation auriculaire lente non connue est découverte et un traitement par digoxine est instauré. Au cours de l’hospitalisation, une digoxinémie suprathérapeutique (4 g/L) conduit à la suspension du traitement. Le résultat du dosage de contrôle effectué 3 jours plus tard étant toujours très élevé (3,5 g/L), l’arrêt définitif de la digoxine est décidé malgré l’absence de signe clinique ou paraclinique de surdosage. Le traitement par enzalutamide est également interrompu temporairement et le patient sort après 43 jours d’hospitalisation. Le 2e patient, un homme de 84 ans habituellement traité par digoxine