Métabolisme du sodium : une mise au point en 2019

Métabolisme du sodium : une mise au point en 2019

G Model NEPHRO-1163; No. of Pages 6 Ne´phrologie & The´rapeutique xxx (2019) xxx–xxx Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com R...

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NEPHRO-1163; No. of Pages 6 Ne´phrologie & The´rapeutique xxx (2019) xxx–xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

Revue ge´ne´rale

Me´tabolisme du sodium : une mise au point en 2019 Sodium metabolism: An update in 2019 Anne Robert a,*, Lynda Cheddani a,b, Alexandre Ebel a, Eve Vilaine a,b, Alexandre Seidowsky a, Ziad Massy a,b, Marie Essig a,c a

Hoˆpital Ambroise-Pare´, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92104 Boulogne-Billancourt, France Inserm U-1018, 94000 Villejuif, France c Inserm UMR 1248, 87000 Limoges, France b

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article : Rec¸u le 3 juin 2019 Accepte´ le 10 juin 2019 Mots cle´s : Aldoste´rone Pression arte´rielle Sodium Sodium non osmotique

Keywords: Aldosterone Blood pressure Non-osmotic sodium Sodium

R E´ S U M E´

La the´orie classique du me´tabolisme du sodium s’inte´resse principalement a` son roˆle sur le volume extracellulaire selon une re´gulation quotidienne rythme´e par les apports, et corre´le´e aux variations du volume d’eau. Les nouvelles donne´es conside`rent le stockage tissulaire du sodium. Ce pool sode´ non osmotique aurait toujours un lien avec la pression arte´rielle, mais jouerait e´galement un roˆle dans les me´canismes immunitaires. Les modalite´s de re´gulation seraient aussi plus complexes, organise´es sur un temps plus long, impliquant une modification des liens entre sodium et eau. Cet article a pour but de faire une revue des travaux re´cents sur le me´tabolisme du sodium avec une attention particulie`re porte´e aux roˆles et a` la re´gulation de sa forme tissulaire non osmotique.

C 2019 Socie ´ te´ francophone de ne´phrologie, dialyse et transplantation. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

A B S T R A C T

The classical theory of sodium metabolism considers mostly its role on the extracellular volume according to a daily response to the variations of salt intake, correlated to the variations of water volume. Recent works consider sodium tissular storage. This non-osmotic pool could play a role in blood pressure regulation and in immunity mechanisms. The regulation modalities could be more complex, organised over the long term, with a modification of the sodium-water relationship. The aim of this article is to give a new insight on sodium metabolism, based on recent works, especially on the role and regulation of non osmotic tissular sodium.

C 2019 Socie ´ te´ francophone de ne´phrologie, dialyse et transplantation. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Abre´viations

ADH CC DFG FAN GAG NO TCD

hormone antidiure´tique canal collecteur de´bit de filtration glome´rulaire facteur atrial natriure´tique glycosaminoglycanes monoxyde d’azote tube contourne´ distal

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Robert).

TCP TonEBP SD VCE

tube contourne´ proximal Tonicity-responsive Enhancer-Binding Protein Sprague Dawley volume circulant efficace

2. Introduction Le corps humain est constitue´ pour 60 % de liquide, dont un tiers est compris dans le secteur extracellulaire, re´parti entre secteurs plasmatique et interstitiel. De nombreux me´canismes hormonaux et nerveux, syste´miques et locore´gionaux, permettent de maintenir un bilan sode´

https://doi.org/10.1016/j.nephro.2019.06.004 C 2019 Socie ´ te´ francophone de ne´phrologie, dialyse et transplantation. Publie´ par Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 1769-7255/

Pour citer cet article : Robert A, et al. Me´tabolisme du sodium : une mise au point en 2019. Ne´phrol ther (2019), https://doi.org/10.1016/ j.nephro.2019.06.004

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nul, c’est-a`-dire que les entre´es de sodium, d’environ 150 a` 300 mmol/j dans les pays industrialise´s, sont e´gales aux sorties. Ces sorties sont re´parties entre sorties digestives (de l’ordre de 10 mmol/j), pertes cutane´es, notamment via la sudation (environ 15 mmol/j), et sorties re´nales qui en repre´sentent la majeure partie. Classiquement, il est conside´re´ qu’un bilan sode´ non nul s’accompagne syste´matiquement d’un trouble de l’hydratation extracellulaire, avec une inflation de 1 litre d’eau pour chaque 140 mmol de sodium en exce`s. En effet, toute augmentation des apports sode´s conduit a` une augmentation initiale de la tonicite´ extracellulaire qui induit alors se´cre´tion d’Hormone anti-diure´tique (ADH) et sensation de soif, ce qui provoque une re´absorption et une absorption d’eau pour re´e´quilibrer la tonicite´ extracellulaire, le tout concourant a` l’augmentation du volume extracellulaire. En l’absence de pathologie des boucles re´gulatrices, cette inflation du secteur extracellulaire est suivie d’une modification de l’e´limination re´nale de sodium pour re´e´quilibrer la balance sode´e et maintenir constant le volume du secteur extracellulaire (Fig. 1). Cette vision est remise en cause depuis quelques anne´es avec la (re)de´couverte des compartiments cutane´s et musculaires de stockage du sodium, et la mise en e´vidence de voies de re´gulation beaucoup plus complexes liant progressivement les apports sode´s aux syndromes dysme´taboliques et inflammatoires. Cette revue a pour but de faire un e´tat des lieux de la vision plus actuelle que l’on peut avoir des compartiments sode´s et de leurs re´gulations. Apre`s un bref rappel de la vision « classique » de la balance sode´e et de sa re´gulation, nous de´crirons les compartiments sode´s cutane´s et musculaires ainsi que les liens complexes entre balance sode´e,

balance hydrique et me´tabolisme ge´ne´ral que les e´tudes re´centes semblent mettre en e´vidence.

3. Vision classique de la balance sode´e L’inflation du secteur extracellulaire induite par une balance sode´e positive s’accompagne de signes cliniques traduisant l’expansion du secteur interstitiel (œde`mes ge´ne´ralise´s, classiquement de´clives, syme´triques, blancs, mous, indolores et prenant le godet, pour une augmentation d’au moins 10 % de ce secteur), avec un e´panchement possible des se´reuses, et du secteur plasmatique avec une hypertension arte´rielle, voire un œde`me aigu pulmonaire. Au sein du secteur extracellulaire, l’e´quilibre entre secteurs interstitiel et plasmatique de part et d’autre de la paroi capillaire est re´gi par la loi de Starling, qui fait intervenir pressions oncotique et hydrostatique. La re´gulation du secteur extracellulaire, en re´ponse aux variations du bilan sode´, fait appel a` la notion de volume sanguin efficace, ou Volume circulant efficace (VCE), qui permet de diffe´rencier la notion de volume en tant que tel et ses implications he´modynamiques. En effet, si des variations de volume extracellulaire sont observe´es, ce sont essentiellement leurs conse´quences sur la pression arte´rielle, et non les variations de volume en tant que telles, qui sont prises en compte dans le cadre des me´canismes de re´gulation. En sens inverse, la de´compensation cardiaque aigue¨ permet d’illustrer la concomitance d’une augmentation de la vole´mie avec une diminution du VCE [1]. Ces me´canismes de

Fig. 1. Physiologie de la re´action a` l’augmentation des apports sode´s en vision classique. L’augmentation des apports sode´s entraıˆne l’augmentation de l’osmolarite´ extracellulaire. L’augmentation de l’osmolarite´ extracellulaire entraıˆne, via l’ADH et la sensation de soif, l’augmentation du volume extracellulaire pour re´tablir l’e´quilibre osmotique entre secteurs intra- et extracellulaire. L’augmentation de l’e´limination sode´e permet le re´tablissement du volume extracellulaire ante´rieur. SEC : secteur extracellulaire ; SIC : secteur intracellulaire.

Pour citer cet article : Robert A, et al. Me´tabolisme du sodium : une mise au point en 2019. Ne´phrol ther (2019), https://doi.org/10.1016/ j.nephro.2019.06.004

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re´gulation sont de deux types : intrinse`que re´nal et extrinse`que hormonal. Toute modification de la perfusion re´nale ou de la filtration glome´rulaire s’accompagne d’adaptation intrinse`que du fonctionnement re´nal pour limiter ou favoriser l’e´limination sode´e dans le but de maintenir constant le VCE. Ainsi, la natriure`se de pression permet l’augmentation de l’excre´tion de sodium lorsque la pression arte´rielle augmente. Cette natriure`se permet de diminuer le stock sode´ et limite ainsi l’inflation du VCE. En sens inverse, la balance glome´rulo-tubulaire et le re´trocontroˆle tubulo-glome´rulaire permettent de limiter l’excre´tion sode´e en cas de diminution de la filtration glome´rulaire dans le but de maintenir le stock sode´ global de l’organisme et par la`-meˆme, le VCE [2]. La majeure partie de la re´gulation re´nale de l’excre´tion sode´e re´sulte d’un controˆle neuro-hormonal en re´ponse aux modifications du VCE, spe´cifique de chaque segment du ne´phron [3] :  lors d’une diminution du VCE, l’activation du syste`me sympathique et la se´cre´tion d’ADH via les barore´cepteurs aortiques et carotidiens, d’une part, et l’activation du SRAA via les barore´cepteurs intrare´naux, d’autre part, entraıˆnent l’augmentation de la re´absorption de sodium dans le Tube contourne´ proximal (TCP) via le syste`me nerveux sympathique et l’angiotensine II, et dans le Tube contourne´ distal (TCD) et le canal collecteur (CC) via l’aldoste´rone et l’ADH ;  en revanche, en cas d’inflation du secteur extracellulaire, la dilatation de l’oreille droite perc¸ue par les volore´cepteurs atriaux via l’e´tirement parie´tal auriculaire est responsable de la libe´ration de Facteur atrial natriure´tique (FAN) qui augmente alors le De´bit de filtration glome´rulaire (DFG) par vasodilatation de l’arte´riole affe´rente et vasoconstriction de l’arte´riole effe´rente, et inhibe les re´absorptions proximales et distales de sodium, en partie par l’inhibition de la se´cre´tion de re´nine, de la synthe`se d’aldoste´rone induite par l’angiotensine II, et de l’action de l’ADH sur les cellules principales du canal collecteur.

4. La (re)de´couverte des multiples compartiments du sodium : l’importance du pool sode´ sous-cutane´ C’est en 1993 qu’une e´tude mene´e sur les facteurs natriure´tiques constate de manie`re fortuite, chez 6 sujets sains, l’absence d’augmentation du volume extracellulaire et de l’eau totale malgre´ l’augmentation des apports sode´s [4]. Ces re´sultats sont confirme´s en 2000 par la meˆme e´quipe chez 32 hommes volontaires sains, perfuse´s par des solute´s sale´s de concentrations croissantes. L’augmentation des apports sode´s est associe´e a` une augmentation du volume plasmatique, mais sans augmentation du volume extracellulaire total ni de l’eau corporelle totale [5]. L’inflation du stock sode´ n’entraıˆne donc pas syste´matiquement d’inflation du stock hydrique, ou en tous cas pas autant que l’inflation attendue en regard de l’augmentation du stock sode´ [6], ce qui remet en question la vision classique du lien simple entre stock sode´ et stock hydrique, entre balance sode´e et pression arte´rielle. L’analyse des souches de rats Dahl sensibles ou non au sel a e´te´ la seconde e´tape dans la description du roˆle des diffe´rents compartiments de stockage du sel, en particulier cutane´ et musculaire. Chez les rats Dahl « sensibles au sel », la majoration des apports sode´s induit une re´tention sode´e qui n’est pas observe´e dans la souche Sprague Dawley (SD), et qui est responsable d’une augmentation de la pression arte´rielle plus importante que chez les rats SD. L’analyse fine de la re´partition du stock sode´ par des techniques de dessiccation montre qu’il existe, dans la souche Dahl, une moindre capacite´ a` stocker le sodium dans une forme osmotiquement inactive, c’est-a`-dire, dans une forme qui n’induit

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pas de mouvement d’eau. Lors d’un re´gime riche en sel, cette diminution des capacite´s de stockage osmotiquement inactif du sodium est associe´e a` une inflation hydrique et une augmentation de la pression arte´rielle plus importante que celle observe´e dans la souche de rats SD dont la capacite´ de stockage osmotiquement inactif du sodium est trois fois plus importante [7]. Ce stockage de sodium sous forme osmotiquement inactive apparaıˆt donc comme une composante supple´mentaire dans la relation entre balance sode´e et pression arte´rielle. Les e´tudes chez l’animal et l’acce`s a` l’IRM sodium de dernie`re ge´ne´ration (3T puis 7T) ont permis de pre´ciser la localisation de ces stocks sode´s osmotiquement inactifs et leur re´gulation. Cet examen permet en effet de suivre de fac¸on non invasive l’e´volution des pools sode´s musculaires et sous-cutane´s [8]. C’est particulie`rement dans la re´gion sous-cutane´e que l’augmentation des apports sode´s semble s’accompagner d’une accumulation non osmotique du sodium, c’est-a`-dire, sans mouvement d’eau associe´ [6,9]. Ce stockage sous forme osmotiquement inactive est rendu possible par la pre´sence de glycosaminoglycanes (GAG) dans la matrice extracellulaire. Le GAG pre´sente la caracte´ristique d’eˆtre charge´ ne´gativement, ce qui permet un stockage d’ions positifs a` son niveau. La densite´ de charges ne´gatives du GAG semble pouvoir faire l’objet d’une re´gulation pour augmenter ou diminuer la capacite´ de stockage du sodium dans ce secteur [10]. La diminution des apports sode´s alimentaires entraıˆne l’augmentation de la proportion d’acide hyaluronique et la diminution de prote´oglycanes sulfate´s lie´s aux GAG, ce qui conduit a` une diminution de la densite´ en charges ne´gatives et de la capacite´ de stockage du sodium. A` l’inverse, un re´gime riche en sel augmente la sulfatation des GAG et ainsi la capacite´ de stockage de sodium [11]. En dehors de son implication dans la gestion globale de la balance sode´e, le roˆle physiologique de ce stock sode´ sous-cutane´ est sugge´re´ par son mode de re´gulation qui fait appel aux cellules de l’immunite´ inne´e, notamment les macrophages et les cellules dendritiques [12]. L’accumulation de sel dans la re´gion souscutane´e conduit a` un environnement hypertonique qui pourrait eˆtre une premie`re ligne de de´fense contre d’e´ventuelles bacte´ries qui auraient franchi la barrie`re cutane´e [13]. Par la stimulation de l’e´le´ment de re´ponse NFAT-5, aussi de´nomme´ TonEBP (Tonicityresponsive Enhancer-Binding Protein) pour son roˆle de capteur des modifications de tonicite´, cet environnement hypertonique active les macrophages cutane´s et stimule la production de monoxyde d’azote (NO), ce qui participe a` la de´fense antibacte´rienne [14]. L’activation de NFAT-5 augmente e´galement la se´cre´tion de VEGF-C, ce qui stimule la lymphangiogene`se du re´seau lymphatique sous-cutane´ et ainsi le retour du sodium sous-cutane´ dans la circulation ge´ne´rale [15]. En sens inverse, la de´ple´tion en macrophages interstitiels s’accompagne d’une absence d’augmentation du VEGF-C et de la NO synthase endothe´liale en re´ponse a` un re´gime riche en sel, avec apparition d’une hypertension arte´rielle sensible au sel [16]. Les macrophages sous-cutane´s apparaissent donc comme des osmore´cepteurs qui controˆlent le pool sous-cutane´ de sodium, en partie en fonction des besoins de de´fense de l’organisme, avec un lien entre inflammation et controˆle de la pression arte´rielle [17,18].

5. Une re´gulation sur le temps long Dans la vision classique de la physiologie, la natriure`se suit un rythme circadien et s’adapte au jour le jour aux besoins de la balance sode´e pour la maintenir constante [19]. Lors d’une modification des apports sode´s, le nouvel e´tat d’e´quilibre est atteint en 3 a` 4 jours. Les e´tudes mene´es sur un groupe de spationautes russes, enferme´s dans un espace clos en simulation

Pour citer cet article : Robert A, et al. Me´tabolisme du sodium : une mise au point en 2019. Ne´phrol ther (2019), https://doi.org/10.1016/ j.nephro.2019.06.004

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de mission spatiale, ce qui permettait un controˆle strict des apports et des pertes en sel, ont de´montre´ l’existence de re´gulations beaucoup plus lentes expliquant des re´sultats parfois surprenants de dissociation entre les apports et l’excre´tion sode´e observe´e dans diffe´rents travaux ante´rieurs. La premie`re e´tude mene´e durant 135 jours a mis en e´vidence une accumulation initiale de sel et d’eau en re´ponse a` l’augmentation des apports en sodium, suivie d’une dissociation entre stockage sode´ et stockage hydrique, confortant le concept d’un stockage osmotiquement inactif du sodium [20]. Dans une seconde e´tude, trois groupes de sujets ont suivi des re´gimes sode´s diffe´rents (6, 9 et 12 g/j) sur des pe´riodes successives de 35 jours, et ont e´te´ suivis pendant 105 ou 205 jours [21]. Les augmentations brutales d’apport sode´ e´taient suivies a` court terme d’augmentations du sodium corporel total, de l’eau extracellulaire, d’une suppression de l’excre´tion urinaire d’aldoste´rone, mais aussi d’une augmentation de l’excre´tion urinaire de cortisol (traduisant probablement une diminution de l’activite´ de la 11 beˆta-deshydroge´nase). A` plus long terme, et a` apports sode´s constants, les sujets pre´sentaient des variations hebdomadaires de la natriure`se proportionnelles aux concentrations se´riques et urinaires de cortisol, et inversement proportionnelles aux concentrations d’aldoste´rone. Le sodium corporel total suivait aussi un rythme de re´gulation plus lent, pouvant atteindre plusieurs semaines (rythme circa-lunaire), sans rapport direct avec les apports sode´s, l’eau extracellulaire, le poids ou la pression arte´rielle, mais la` aussi relie´ aux rythmes lents de se´cre´tion de l’aldoste´rone et du cortisol. Ces re´sultats remettent donc en question la corre´lation simple entre apports et excre´tion sode´s a` un moment donne´. Le stockage tissulaire non osmotiquement efficace du sodium pourrait ainsi servir de me´canisme adaptatif capable de tamponner l’inade´quation entre les apports alimentaires pluriquotidiens de sodium et la re´gulation cyclique de son excre´tion [22].

re´sultant d’apports hydriques diminue´s et d’un volume urinaire e´leve´. Cependant, l’effet catabolique des corticoı¨des permettrait une production endoge`ne d’eau qui participerait aussi a` l’augmentation du volume urinaire. Au total, le re´gime sode´ semble conduire l’organisme dans une situation me´tabolique connue, dans les re´gions arides, sous le nom d’estivation ou` le me´tabolisme global est redirige´ vers une strate´gie de lutte contre une e´ventuelle de´shydratation. Cet e´tat est caracte´rise´ par une production endoge`ne d’ure´e par l’activation d’un catabolisme musculaire et du cycle he´patique de l’ure´e, production endoge`ne d’ure´e qui est associe´e a` une augmentation du recyclage re´nal de l’ure´e, l’ensemble ayant pour but de permettre une conservation hydrique tout en e´liminant une charge sode´e. Ainsi, chez la souris, le re´gime sode´ est associe´ a` une augmentation des apports alimentaires de 20 a` 30 %, alors que le poids reste stable. Si les apports alimentaires sont maintenus inchange´s, les souris en re´gime sode´ perdent alors 10 % de leur poids, au de´triment de la masse musculaire, par rapport aux souris nourries en re´gime de´sode´. L’ide´e est donc celle d’un catabolisme musculaire induit par le re´gime enrichi en sel. Ces modifications me´taboliques sont e´galement associe´es a` une diminution de la de´pense e´nerge´tique cardiaque avec un ralentissement du rythme cardiaque, une baisse de la pression arte´rielle et une activite´ locomotrice faible [24]. L’un des points cle´s de l’estivation est que, contrairement a` l’hibernation, les animaux restent en semi-e´veil et ces modifications me´taboliques peuvent eˆtre tre`s rapidement inverse´es lors d’un stress. Ainsi, la pression arte´rielle qui est globalement abaisse´e en situation d’estivation bascule tre`s rapidement vers un phe´notype d’hypertension arte´rielle sensible au sel en situation de stress. Ce phe´nome`ne d’estivation induit par le re´gime sode´ laisse ainsi apparaıˆtre un lien entre apports sode´s et pathologies dysme´taboliques (Fig. 2).

6. Un lien entre balance sode´e et balance hydrique plus complexe

7. Implications e´ventuelles en pathologie ?

Un autre re´sultat majeur de cette e´tude e´tait l’observation que les variations du stock sode´ de l’organisme ne s’accompagnaient pas de modification du poids sugge´rant ainsi une constance du stock hydrique des sujets tout au long de l’e´tude, ce qui interrogeait la vision classique du lien entre apports sode´s et modification de la balance hydrique [23]. De fac¸on contre-intuitive, l’analyse plus fine des apports hydriques durant le suivi des sujets montrait une augmentation des apports hydriques sur les pe´riodes ou` l’e´limination re´nale de sodium e´tait faible, en re´ponse a` une diminution des apports sode´s et une diminution des apports hydriques lorsque l’apport sode´ e´tait e´leve´. Au contraire, le volume urinaire e´tait plus important lorsque l’e´limination urinaire de sel e´tait e´leve´e. De plus, pour tous les sujets, les modifications des apports sode´s s’accompagnaient de modifications paralle`les de la quantite´ totale d’osmoles e´limine´es, mais e´galement de la concentration urinaire. Ainsi, l’organisme adapte la concentration urinaire pour permettre d’e´liminer une charge sode´e en l’absence d’apports hydriques disponibles. Cependant, un degre´ de complexite´ supple´mentaire est atteint avec l’analyse des effets propres des concentrations respectives de l’aldoste´rone et du cortisol. En effet, l’excre´tion urinaire d’aldoste´rone e´tait associe´e a` une augmentation des apports hydriques, mais aussi a` une diminution du volume urinaire tandis que l’augmentation de l’excre´tion urinaire de cortisol e´tait associe´e a` une augmentation du volume urinaire sans modification des apports hydriques. Par ces effets directs et combine´s par le biais de ses actions sur les tonus mine´ralo- et glucocorticoı¨des, le re´gime riche en sel pourrait conduire a` une balance hydrique ne´gative

Les connaissances de l’implication de ces compartiments sode´s en physiopathologie restent encore parcellaires car leur e´tude ne´cessite l’utilisation d’une IRM 3 T Na. Les premiers re´sultats des e´tudes effectue´es chez l’homme montrent que la quantite´ de sodium sous-cutane´ et musculaire augmente avec l’aˆge et est plus e´leve´e chez l’homme. Plusieurs situations pathologiques sont associe´es a` une augmentation du secteur sode´ sous-cutane´ :  l’hypertension re´sistante [8] ;  l’hyperaldoste´ronisme [25] ;  l’insuffisance cardiaque aigue¨ [26]. Au cours de la scle´rodermie syste´mique, les zones de fibrose cutane´e pre´sentent aussi une augmentation de leur contenu en sel. Cette augmentation du sodium sous-cutane´ est associe´e a` la progression ulte´rieure de la fibrose [27]. Un de´faut de stockage sous-cutane´ du sodium pourrait eˆtre implique´ dans la gene`se de l’hypertension sensible au sel [28]. Une augmentation du sodium sous-cutane´ est e´galement observe´e chez des patients he´modialyse´s, augmentation d’autant plus importante que les patients sont diabe´tiques [29], avec une diminution de 19 % observe´e apre`s la se´ance d’he´modialyse [30]. Cette augmentation du sodium sous-cutane´ en he´modialyse pourrait eˆtre implique´e dans les phe´nome`nes d’insulinore´sistance de ces patients [31]. En dehors de l’he´modialyse, deux the´rapeutiques ont de´ja` montre´ une action sur le stockage sous-cutane´ su sodium :  les diure´tiques dans la situation d’insuffisance cardiaque [26] ;  les inhibiteurs de SGLT2 chez des patients diabe´tiques [32].

Pour citer cet article : Robert A, et al. Me´tabolisme du sodium : une mise au point en 2019. Ne´phrol ther (2019), https://doi.org/10.1016/ j.nephro.2019.06.004

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Fig. 2. Physiologie de la re´action a` l’augmentation propose´e par les travaux re´cents faisant intervenir le stockage tissulaire non osmotiquement efficace et la re´gulation inde´pendante sur le plus long terme. Les apports sode´s sont ainsi destine´s, d’une part, aux secteurs plasmatique et interstitiel, assurant une re´gulation imme´diate de la vole´mie par action osmotique, et, d’autre part, a` une forme de stockage tissulaire osmotiquement inactive. Cette seconde partie, maintenue dans le secteur sous-cutane´ par les charges ne´gatives des glycosaminoglycanes, joue un roˆle dans les me´canismes de de´fense immunitaire via l’activation des macrophages par TonEBP, la vasodilatation via la NO synthase et la lymphangiogene`se via le VEGF-C. La re´gulation sur le plus long terme consiste en un phe´nome`ne d’estivation, avec production endoge`ne d’ure´e par activation d’un catabolisme musculaire cortico-induit et du cycle he´patique de l’ure´e, associe´e a` une augmentation du recyclage re´nal de l’ure´e, a` vise´e d’e´pargne hydrique, tout en e´liminant la charge sode´e. VEC : volume extracellulaire ; PA : pression arte´rielle.

En revanche, le traitement de l’hypertension arte´rielle re´sistante par de´nervation re´nale ne s’accompagne d’aucune modification du sodium sous-cutane´ [33]. 8. Conclusion L’augmentation directement proportionnelle de l’hydratation extracellulaire attendue en cas d’augmentation des apports sode´s est remise en question avec la (re)de´couverte des capacite´s de stockage tissulaire du sodium. Cette forme de stockage non osmotiquement efficace est capable de tamponner les inade´quations entre apports pluriquotidiens en sodium et e´limination cyclique selon un rythme hormonal plus lent et inde´pendant des apports. Les me´canismes de re´gulation de cette forme de stockage font intervenir pour le stockage la matrice extracellulaire, dont les composants varient en fonction des apports sode´s, et pour le relargage les cellules de l’immunite´ inne´e, notamment via la se´cre´tion de facteurs de croissance lymphatiques. L’accumulation tissulaire de sodium entraıˆne une augmentation du catabolisme he´patique et musculaire avec majoration de la production d’ure´e endoge`ne pour augmenter les capacite´s de concentration des urines, permettant l’e´pargne hydrique pour e´liminer le sodium en exce`s, inde´pendamment de l’eau. Les conse´quences de ce stockage tissulaire de sodium peuvent se traduire en pathologies, notamment dans l’hypertension arte´rielle re´sistante, l’hyperaldoste´ronisme, l’insuffisance cardiaque aigue¨, l’insulinore´sistance, le catabolisme musculaire accru. Ainsi, le stockage tissulaire du sodium permet la re´gulation diffe´re´e des inade´quations apports/pertes de sodium, mais au prix de conse´quences parfois pathologiques, notamment cardiovasculaires, dont l’ampleur reste a` de´couvrir. Contribution des auteurs A.R. : conceptualisation, investigation, re´daction.

M.E. : conceptualisation, supervision, correction, validation. L.C., A.E., E.V., A.S., R.N.R., Z.M. : conceptualisation, correction, validation. De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts. Re´fe´rences [1] Kalra PR, Anagnostopoulos C, Bolger AP, Coats AJS, Anker SD. The regulation and measurement of plasma volume in heart failure. J Am Coll Cardiol 2002;39:1901–8. [2] Singh P, Thomson SC. Renal homeostasis and tubuloglomerular feedback. Curr Opin Nephrol Hypertens 2010;19:59–64. [3] Fe´raille E, Doucet A. Sodium-potassium-adenosinetriphosphatase-dependent sodium transport in the kidney: hormonal control. Physiol Rev 2001;81:345– 418. [4] Heer M, Drummer C, Baisch F, Gerzer R. Long-term elevations of dietary sodium produce parallel increases in the renal excretion of urodilatin and sodium. Pflugers Arch 1993;425:390–4. [5] Heer M, Baisch F, Kropp J, Gerzer R, Drummer C. High dietary sodium chloride consumption may not induce body fluid retention in humans. Am J PhysiolRenal Physiol 2000;278:F585–95. [6] Titze J, Bauer K, Schafflhuber M, Dietsch P, Lang R, Schwind KH, et al. Internal sodium balance in DOCA-salt rats: a body composition study. Am J PhysiolRenal Physiol 2005;289:F793–802. [7] Titze J, Krause H, Hecht H, Dietsch P, Rittweger J, Lang R, et al. Reduced osmotically inactive Na storage capacity and hypertension in the Dahl model. Am J Physiol-Renal Physiol 2002;283:F134–41. [8] Kopp C, Linz P, Dahlmann A, Hammon M, Jantsch J, Muller DN, et al. 23Na magnetic resonance imaging-determined tissue sodium in healthy subjects and hypertensive patients. Hypertension 2013;61:635–40. [9] Titze J, Lang R, Ilies C, Schwind KH, Kirsch KA, Dietsch P, et al. Osmotically inactive skin Na+ storage in rats. Am J Physiol-Renal Physiol 2003;285:F1108– 17. [10] Titze J, Shakibaei M, Schafflhuber M, Schulze-Tanzil G, Porst M, Schwind KH, et al. Glycosaminoglycan polymerization may enable osmotically inactive Na+ storage in the skin. Am J Physiol-Heart Circul Physiol 2004;287:H203–8. [11] Schafflhuber M, Volpi N, Dahlmann A, Hilgers KF, Maccari F, Dietsch P, et al. Mobilization of osmotically inactive Na+ by growth and by dietary salt restriction in rats. Am J Physiol-Renal Physiol 2007;292:F1490–500. [12] Wiig H, Luft FC, Titze JM. The interstitium conducts extrarenal storage of sodium and represents a third compartment essential for extracellular volume and blood pressure homeostasis. Acta Physiologica 2018;222:e13006.

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