Revue du Rhumatisme 72 (2005) 884–886 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/
Colloque de recherche
Métabolisme osseux et balance énergétique : rôle de la leptine Bone metabolism and energetic balance: a role for leptin e Thierry Thomas *, Aline Martin Inserm E0366, service de rhumatologie, hôpital Bellevue, CHU de Saint-Étienne, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex 02, France Reçu le 20 juillet 2005 ; accepté le 7 septembre 2005 Disponible sur internet le 29 septembre 2005
Mots clés : Leptine ; Ostéoblaste ; Ostéoclaste ; RANKL ; Obésité Keywords: Leptin; Osteoblast; Osteoclast; RANKL; Obesity
L’obésité et l’ostéoporose sont deux problèmes majeurs de santé publique mutuellement exclusifs et la leptine apparaît maintenant comme l’un des médiateurs des effets protecteurs de la masse grasse exercés sur le squelette. Cette protéine circulante de 16 kDa, produit du gène obèse (ob), est principalement sécrétée par le tissu adipeux blanc et ses taux plasmatiques sont fortement corrélés avec la masse grasse corporelle. Elle a soulevé un intérêt considérable comme marqueur représentatif du statut énergique corporel [1]. Indépendamment de la boucle centrale de régulation de l’appétit, la leptine a montré sa capacité à agir sur la plupart des voies endocrines, au niveau de l’axe hypothalamohypophysaire mais aussi des glandes périphériques [2]. Le fait que l’insuffisance en leptine mène à une multitude d’anomalies phénotypiques, en plus de l’obésité, démontre le rôle de celle-ci comme une hormone pléiotrope impliquée dans la régulation d’un grand nombre de processus physiologiques, y compris celui du contrôle du métabolisme osseux [3]. Thomas et al. [4], puis d’autres auteurs [5,6], ont montré que les cellules de la lignée ostéoblastique, cellules stromales précurseurs ou ostéoblastes plus matures, constituaient une cible pour la leptine grâce à l’expression des formes courtes et longues de son récepteur, avec la capacité d’induire un signal par phosphorylation de STAT3 après leur activation [7]. Les études in vitro ont prouvé que la leptine induisait la prolifération MAPK-dépendante des cellules stromales plu* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (T. Thomas). e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le volume 6, 2005 de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2005.09.003
ripotentes murines C3H10T1/2 [8], aussi bien que celle de cellules ostéoblastiques plus différenciées [6]. Par ailleurs, la leptine augmente la différentiation ostéoblastique des cellules stromales humaines, induisant une augmentation de la minéralisation de la matrice extracellulaire [4]. Des résultats semblables ont été observés dans d’autres modèles cellulaires [5,9,10]. Ces effets stimulants in vitro ont été confirmés in vivo, l’administration intrapéritonéale de leptine prévenant partiellement la perte osseuse induite par le déficit estrogénique chez des rattes ovariectomisées [11]. De plus, l’administration systémique quotidienne de leptine à des souris mâles sexuellement matures a permis une augmentation de la résistance mécanique osseuse de plus de 20 % [6]. Ces effets osseux bénéfiques pourraient dépendre au moins en partie, de la capacité de la leptine à moduler de manière réciproque la différenciation des cellules stromales vers les voies ostéoblastiques et adipocytaires, avec l’inhibition de l’adipogenèse dans une boucle de rétroaction négative parallèle aux effets stimulants ostéoblastiques [4,12]. Cependant, les effets de la leptine sur l’os décrits à partir d’études sur des animaux dont la voie d’action de la leptine est altérée (soit par absence de leptine soit par mutation du récepteur de la leptine) semblent beaucoup moins clairs et parfois contradictoires à la fois avec les résultats in vitro et in vivo décrits plus haut mais aussi entre eux. Ainsi, les effets semblent tantôt bénéfiques, Steppan et al. [13] montrant par exemple que les souris ob/ob, déficientes en leptine, ont un contenu (BMC) et une densité minérale osseux (BMD) corporels total et fémoral plus faible que les souris normales ; tantôt délétères, Ducy et al. [14] décrivant les mêmes souris ob/ob avec un phénotype de « high bone mass » (HBM). De
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même, Lorentzon et al. [15] ont rapporté que les souris db/db, déficientes en récepteur fonctionnel de la leptine, étaient ostéopéniques, avec un os cortical fémoral plus mince et des travées plus fines et moins nombreuses que les souris normales, tandis que Ducy et al. [14] ont conclu que les souris db/db avaient une masse osseuse sensiblement plus élevée que les souris de type sauvage. Enfin, les rats obèses fa/fa Zucker, déficients en récepteur fonctionnel de la leptine, ont été décrits par Foldes et al. [16] et Mathey et al. [17] comme ayant un BMC et une BMD fémoraux total, diaphysaire et métaphysaire plus faibles que les rats normaux, alors que Schilling et al. [18] ont conclu que les rats Zucker présentaient un phénotype HBM comparable à celui des souris ob/ob. Une partie de ces contradictions apparentes pourrait être liée à un phénotype osseux différent selon que l’on étudie le squelette axial ou périphérique [19]. Ducy et al. [14] ont également démontré que les injections intracérébroventriculaires (icv) de leptine chez des souris ob/ob, diminuaient la densité osseuse, et les mêmes effets ont été retrouvés chez des souris sauvages [20]. Cette régulation centrale inhibitrice de la formation osseuse sous contrôle de la leptine est dépendante de la stimulation du système nerveux sympathique [21], agissant directement au niveau des cellules ostéoblastiques exprimant le récepteur b-2 adrénergique [22,23]. En revanche, d’autres études sur les souris ob/ob ont montré un effet stimulant de l’administration intrapéritonéale (ip) de leptine sur le tissu osseux, avec une augmentation importante de la formation d’os cortical [24], une augmentation de la formation osseuse endostéale associées à une diminution de la concentration adipocytaire médullaire [25] et une correction de l’ostéopénie et du déficit de croissance osseuse, par rapport aux animaux témoins, en dépit d’une diminution de la prise alimentaire et du poids corporel [13]. La leptine pourrait également contrôler l’activité des ostéoclastes, autre cible cellulaire osseuse potentielle. Il a en effet été démontré que la leptine avait la capacité de moduler le rapport RANK-L/ostéoprotégérine (OPG) en inhibant l’expression de RANK-L et en stimulant l’expression d’OPG dans les cellules stromales préostéoblastiques [11] et les cellules mononuclées circulantes [26]. Or, il est maintenant clairement établi que ce rapport est fondamental dans le contrôle de l’ostéoclastogenèse, RANK-L exprimé par les cellules de la lignée ostéoblastique se liant à RANK, à la surface des préostéoclastes et des ostéoclastes plus matures pour stimuler leur différenciation, maintenir leur activité cellulaire et inhiber leur apoptose. L’OPG, également exprimée par les ostéoblastes, agit quant à lui comme récepteur soluble piège empêchant RANK-L de se lier à RANK. Cet effet dual de la leptine, inhibiteur de la résorption et stimulant de la formation a été récemment confirmé in vivo dans un modèle animal d’ostéoporose d’immobilisation, en association avec la normalisation du rapport d’expression RANK-L/OPG au sein du tissu osseux [27]. Là encore, les différents modèles semblent contradictoires puisque les souris ob/ob caractérisées par une faible acti-
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vité sympathique ont également une résorption osseuse augmentée [28] alors que les agonistes adrénergiques ont montré leur capacité à stimuler la résorption osseuse dans les calvarias de souris [24] ainsi que l’expression de RANK-L dans les cellules ostéoblastiques MC3T3-E1 [29]. Le niveau de résorption élevée des souris ob/ob pourrait en fait dépendre de l’expression très basse chez ces souris du neuropeptide CART (cocaine amphetamine regulated transcript), un neuromédiateur également impliqué dans la régulation de l’appétit sous la dépendance de la leptine, CART étant capable d’inhiber la régulation de la résorption osseuse, par modulation de l’expression de RANK-L. De façon générale, ces données suggèrent fortement que la leptine puisse agir directement et indirectement sur l’os en modulant à la fois les activités ostéoblastiques et ostéoclastiques. Ainsi, en essayant de réconcilier ces données apparemment contradictoires, nous avons proposé l’hypothèse que les effets de la leptine sur l’os résultent de la balance entre deux voies d’action différentes : une voie centrale et inhibitrice agissant par le biais des noyaux hypothalamiques et du système b-adrénergique, et une voie périphérique et stimulatrice agissant directement par la liaison de la leptine à ses récepteurs spécifiques exprimés par les cellules ostéoblastiques. La part réciproque de ces différentes voies et leur mise en jeu respective dans les différentes situations de balance énergétique restent à démontrer.
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