Métamorphoses du réalisme: Dostoevskij et Faulkner

Métamorphoses du réalisme: Dostoevskij et Faulkner

MfiTAMORPHOSES DU RGALISME: DOSTOEVSKIJ ET FAULKNER JEAN WEISGERBER Dostoevskij se voulait realiste et, en definitive, la posterite n’a guere contes...

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MfiTAMORPHOSES DU RGALISME: DOSTOEVSKIJ ET FAULKNER

JEAN WEISGERBER

Dostoevskij se voulait realiste et, en definitive, la posterite n’a guere contest6 le bien-fond6 de cette pretention; sur le realisme de Faulkner, par contre, la critique a fait de serieuses r6serves.l Pourtant, a l’examen, leurs methodes artistiques se ressemblent a tel point qu’il serait illogique de refuser a l’un l’etiquette accordee a l’autre. Si le realisme de Champflew-y et de Duranty a, de toute evidence, fait son temps, celui de Dostoevskij apparait do& dune capacite de survie qui ne laisse pas d’intriguer. Tel est le but qu’on se propose dans ces pages: estimer dans quelle mesure Dostoevskij et Faulkner peuvent se r&lamer du realisme, les confronter au ‘canon’ du XIXe siecle, relever leurs affinites dans ce domaine, expliquer enfin pourquoi leur conception a subsist6 plutot qu’une autre. Parler de ‘canon’ realiste est pour le moins exagere. On en a propose, au siecle passe, de nombreuses definitions dont le denominateur commun se ram&ire, en fin de compte, a bien peu de chose: l’art comme “representation objective de la realite sociale de l’6poqueyy2 ou, d’apres le Petit Robert, “description minutieuse et objective des fans et des personnages de la real&e banale et quotidienne”. Rene Wellek fait remarquer a juste titre que pare& enonces laissent la Porte ouverte a toutes les interpretations puisqu’ils ne nous disent rien de l’essentiel, a savoir ce que sont 1’ ‘objectivite’, les ‘faits’, la ‘realm?‘. 11 est vain de vouloir definir le realisme litteraire en le dissociant de la philosophie oti il prend racine, et les equivoques qui en entachent la formule expliquent aussi sa variete et ses metamorphoses. J’ai montre naguere3 que Dostoevskij et Faulkner se servaient souvent 1 Cf. notamment J.-J. Mayoux, “The Creation of the Real in William Faulkner”, William Faulkner: Three Decades of Criticism, ed. by Frederick J. Hoffman and Olga W. Vickery (Michigan State University Press, 1960), 156-73; p. 168. z R. Wellek, Concepts of Criticism (New Haven-London: Yale University Press, 1963), pp. 240,242 et 253. 3 Cf. J. Weisgerber, Faulkner et Dostoievski: Confluences et influences (= Universiti

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des mcmes procedes romanesques. L’action, chez eux, est non pas mise directement sous nos yeux, mais rapport&e par l’entremise d’un recitant; la chronologie se voit bouleversee; Zeitmotive et juxtapositions de tableaux remplacent l’enchamement rationnel et temporel des faits. Leurs romans se presentent, dans bien des cas, comme conjectures, hypotheses, presomptions qui font appel a la collaboration active du lecteur, mEI6 en quelque sorte a une enqui%e. A nous de juger, en definitive, les Sutpen et les Karamazov: le r&it n’est plus qu’un dossier. Au surplus, il n’est pas difficile de rattacher cette technique a une vision du monde d’ou seraient bannis le joug de la Raison, les idles reGues sur la V&rite et sur le Temps. Avec Dostoevskij, la narration s’installe dans l’ambigu, proclame sa dependance vis-a-vis d’optiques divergentes; le temps s’interiorise et la logique quotidienne s’evanouit : ainsi s’ebauche la ligne qui de Henry James, en passant par Conrad, Virginia Woolf et Joyce, m&e a William Faulkner. Ce n’est cependant pas au niveau des procedes que je voudrais cette fois situer le parallele, mais bien plutot sur le plan des theories, des courants et tendances litteraires, en utilisant a cet effet tant les declarations des romanciers que les observations qui se deduisent de leurs oeuvres. A remarquer tout d’abord qu’au cas oti Faulkner et Dostoevskij seraient rf5alistes au sens du XIXe siecle, ils ne sont pas que cela. R& duire leur art a ce seul element en trahirait la complexite, l’ampleur, la richesse. Sven Linner, dans son ouvrage Dostoevskij on Realism,4 y insiste plusieurs fois. Chez Pun comme chez l’autre, le romantisme a laisse d’abondants vestiges. Passe encore pour Dostoevskij qui fut, bien que leur cadet, le contemporain de Puskin et de Lermontov; mais chez Faulkner, en plein XXe siecle, la chose est plus surprenante. . . Neanmoins, leur predilection pour l’atmosphere ‘gothique’ est indubitable. Dostoevskij avait lu Ann Radcliffe, Maturin et Hoffmann, disciple de Lewis; naturellement, il connaissait Walter Scott qui subit l’influence du genre et qui devait recolter un succes considerable dans le Sud des fitats-Unis: Faulkner cite Scott a diverses reprises.5 Au Gothic Libre de Bruxelles, Travaux de la Facult.4 de Philosophic et Lettres XXXIX) (Bruxelles: Presses Universitaires de Bruxelles, Paris: Presses Universitaires de France, 1968). 4 Cf. Sven Linn&r, Dostoevskq on Real&n (= Acta Universitatis Stockhobniensis, Stockholm Slavic Studies 1) (Stockholm: Almqvist and Wiksell, 1967), pp. 182, 185, 195 et 202. s Cf. le prknom de Quentin Compson. Cf. Faulkner in the University: Class Conferences at the University of Virginia 1957-I958, ed. by Frederick L. Gwynn and Joseph L. Blotner (Charlottesville, Virginia: The University of Virginia Press, 1959), pp. 38 et 135.

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Novel s’apparentent les s&es macabres et la n&rophilie qui marquent l’epilogue de l’I&of, le r&e de Svidrigajlov et “A Rose for Emily”, mais encore des sc&%ats diaboliques comme Sutpen et Stavrogin ou les orgueilleux qui, & l’instar de Quentin Compson et de Raskol’nikov, lancent un dHi aux moeurs ou aux lois. Bien sCir, le surnaturel fait dkfaut chez l’Amt?icain, et ses doubles sont moins inquietants que Goljadkin. Mais entre tel ou tel passage d’Absalom, Absalom! et The Castle of Otranto, la distance est minime. Le type du tyran, Sutpen ou Manfred, qui r& pudie sa femme pour assurer l’avenir de sa dynastic, sa qualit de parvenu ou d’usurpateur, son t5chec et l’apprr5hension qu’ont les personnages d’&re les jouets d’une force - Destin ou Providence - qui les ecrase, le th&me de l’injustice, le cadre historique, le mystgre et le drame oti baigne l’intrigue : c’est par ces aspects-lh que le roman de 1936 semble descendre en droite ligne de celui de 1764. On pourrait signaler bien d’autres exemples encore chez Faulkner - voyez notamment Sanctuary que David L. Frazier a &udi& sous cet angle6 -, mais prhcisons plutGt les registres ‘gothiques’ qu’ont choisis, comme de commun accord, nos romanciers. En premier lieu, ils ont le mGme goat de l’horreur, qu’il s’agisse du viol de Temple Drake ou de la sc&ne, presque insupportable, oti Svidrigajlov tente de st5duire Dunja; ils sont, tous deux, i l’afffit du sensationnel et du sordide: crimes ou suicides, et, comme toile de fond, taudis crasseux, masures A quoi s’opposent les salons des g&&aux et des banquiers. Dostoevskij, en particulier, est le peintre incomparable de la hideur urbaine, et Faulkner ne le lui cede en rien sur ce terrain, encore qu’il rkussisse aussi bien dans la man&e bucolique. La violence, qui fait le piment du mklodrame romantique, est cultivt5e par eux avec un souci quasi constant: pour le Russe, c’&ait un signe des temps, le symptame d’une maladie sociale;’ parall&lement, Faulkner y voit l’expression Curie mentaliti locale : The spirit that moves a man to put on a sheet and burn sticks in your yard is pretty prevalent in Mississippi, but not all Mississippians wear the sheet and burn the sticks. That they scorn and hate and look with contempt on the people that do, but the same spirit, the same impulse is in them too, but they are going to use a different method from wearing a nightshirt and burning sticks.*

De l& les esclandres qui imaillent l’Mot, e Cf. David L. Frazier, ‘X’utilisation critique de William Faulkner (I), La 86 .3L sqq. ’ Cf. Sven Linnck, 1967: 54-56. S Gwynn and Blotner, 1959: 94.

et la chasse & l’homme -

du gothique dam Revue des Lettres

Sanctuary”, Modernes

tous

in: Conjiguration IV: 27-29 (1957),

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contre un - dans Light in August. Honteuse de voir ses plaies mises a nu, la societe s’insurge contre l’outrance, et sa vengeance est toujours terrible lorsque la liberte ne peut s’exprimer saris provoquer. 11 faudrait parler encore du grotesque, cher a Hugo, cette caricature ‘serieuse’ poussee jusqu’a l’irreel et qui atteint des dimensions mythiques dans l’histoire d’Ike Snopes, l’idiot amoureux d’une vache (The Humlet) grotesque que Dostoevskij affectionne lui aussi, car on pourrait, sous ce rapport, rapprocher l’enterrement de Red dans Sanctuary de celui de Marmeladov dans Crime et ch6timent.O Parmi ces composants romantiques, sans doute faudrait-il reserver une place au melange du tragique et du comique, a l’antithese du melodrame et de la farce, et au gout du clair-obscur. Mais ce ne sont la, au fond, que les corollaires dune WeZtanschauung dialectique, basee sur la perception de contrastes, et a quoi correspond, sur le plan des formes, la composition polyphonique. Au reste, cet anticlassicisme a marque egalement Balzac, Dickens, Flaubert et bien d’autres realistes encore. Mieux vaut souligner la propension de Faulkner et de Dostoevskij a exploiter l’anormal: l’exception, dit a peu pres un des personnages de Crime et chztiment, est la regle. On est loin de la ‘realite banale et quotidienne’ du real&me orthodoxe. La sensibilite s’exacerbe, les situations sont dramatisees. Tout se passe comme si l’univers de Champfleury connaissait un brusque survoltage. Kirilov et Quentin Compson ne meurent pas entre deux draps, comme la F&cite de Flaubert, mais il est vrai que ce ne sont pas des coeurs simples. En fait, le romantisme ‘gothique’ de ces romanciers decoule de leur idealisme; par la, ils se rattachent a l’esthetique, don&ante a l’epoque de Novalis et de Coleridge, qui assigne a l’ecrivain la representation dune nature non pas sensible, mais fictive, imaginaire, spirituelle. On se souvient que le conflit entre l’Idea1 et l’esprit scientifique constitua pun des grands debats du siecle passe. Hostile a tout materialisme, admirateur de Schiller, de &helling et de Raphael, adorateur dune Beaute transcendante, Dostoevskij demeura sa vie durant partage, comme l’avait et6 Belinskij, entre le realisme et l’idt5alisme.10 A premiere vue, la synthese operee n’a rien de neuf: si, en theorie, la contradiction est flagrante, il n’en est pas mains vrai qu’en pratique, ces extremes coexistent souvent, l’expression de ~‘ESSENCE du r6el ne * Sur le grotesque chez Dostoevskij, voyez l’excellente &de de D. Fanger, Dostoevsky and Romantic Realism: A Study of Dostoevsky in Relation to Balzac, Dickens, and GogoZ (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 196.5), pp. 228-40. m Cf. Sven Linnkr, 1967: 101-02, 111-13 et pp. 36 et 43.

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faisant nullement obstacle a la reproduction fiddle des PHI?NO&NES, d?autant plus que Dostoevskij s’efforce de materialiser 1’Idee et que celle-ci resulte pour lm de l’observation. l1 Selon Dostoevskij, l’idealite;

dit Linner, implique la “concentration de qualites presentes dans la realite”.lz La controverse sur le realisme, le desir de se justifier a son egard: rien de tout cela ne se rencontre chez Faulkner.

La question de

principe a perdu son inter&, et pourtant l’Americain la r&out - implicitement - de man&e analogue dans ses r&its. Parlant de “Carcassonne”, une de ses short stories ‘poetiques’, il specific que le realisme pur et simple n’aurait pas fait l’affaire et que, dans ce cas, il lui a prefer6 la ‘fantaisie’.13 Tout comme Dostoevskij, mais sur un plan mains philosophique, situ6 dans les spheres affectives des grandes ‘v&rites du coeur’, il concretise les forces spirituelles avec un luxe de touches concretes. A cet egard, Jean-Jacques Mayoux va mEme jusqu’a dire que ses persormages sent des representations,

et sa &alit6 le v6tement d’Id6es: a

la limite, on songe, conclut-il, a Platon.ld On aurait tort, neanmoins, de croire que, pour Faulkner, seul le monde interieur existe: certes, ses r&its font la part belle a la vision subjective, mais ils n’en sent pas moins axes aussi sur le non-moi. Ce n’est certes pas par hasard que les deux hommes s’expriment en termes curieusement semblables sur des chasseurs de chimeres comme le comte de Chambord, Don Quichotte ou Quentin Compson: It seems solemn, and only, maybe, a little funny, but without comicality there is no lifeI

dit Dostoevskij et Faulkner: Q. . . . They [Gavin Stevens et Quentin Compson] both seemed a little bit like Don Quixote A. Yes. Q. - fighting for the honor of a lady. Is there any such similarity there, in character, between the two men at that time? A. No, that’s a constant sad and funny picture too. It is the knight that goes out to defend somebody who don’t want to be defended and don’t need it. But it’s a very fine quality in human nature. I hope it will always endure. It is comical and a little sad. And Quentin and Stevens were that much alike.16 I1 Cf. Linner, 1967: 118-19: “With his idealism, Dostoevskij was after the &cls no less than were the so-called realists, and he claimed for his idealism their methods of observation and prediction: only he saw a hundred times more than they did.” u Linner, 1967: 136. I3 Gwymr and Blotner, 1959: 22. I4 Mayoux, 1960: 166 et 171-72. I5 Cite par Sven Linner, 1967: 154. I8 Gwynn and Blamer, 1959: 141.

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L’admiration perce a travers la concession au ‘bon se&: la sympatbie est evidente pour les paladins qui substituent le r&e aux opinions regues. Faulkner et Dostoevskij trahissent en somme le realisme orthodoxe dans la mesure ou ils recusent les valeurs ordinairement informulees qu’admettent leur milieu et leur temps. C’est bien un des fondements de cette ‘doctrine’ qu’ils contestent de la sorte, car l’objectivite pro&e par elle a l’origine supposait une entente preaiable entre l’auteur et ses lecteurs sur la nature, la validite et les instruments de la connaissance: idealement, la communication litteraire tendait alors vers l’universalite qui caracterise la science. Elle n’y atteignit pourtant jamais, tant s’en faut: en temoignent les tendances reformatrices de Dickens et de Zola, leur sentimentalite et la caricature qu’ils offrent de l’experience quotidienne du reel. L’objectivite scientifique fut sans doute Yune des illusions les plus naIves du realisme, mais il est rare que ce dernier soit aussi intimement me16 a l’idealisme romantique et que ses principes soient aussi radicalement mis en question que chew l’auteur des F&es Karamazov. Le plus curieux, c’est peut-&re que ces memes principes soient asset souples et solides pour resister A pareil assaut. Voyons plutot de quelle faGon Dostoevskij et Faulkner les conGoivent et y obeissent. Parmi les elements qui lient Yecrivain aux lecteurs et ceux-ci les uns aux autres, et qui assurent a la litterature un degre de generalite, les moyens d’expression - on vient d’y faire allusion - jouent un role essentiel. Pas plus que les grands romanciers de son temps, Dostoevskij n’a fait violence au langage. 11 ne s’ecarte pas davantage des normes semantiques et syntaxiques que ne l’autorise une intelligibilite rapide du texte. Neanmoins, il se peut que la v&it6 - psychologique, par exemple - soit saisie sous des aspects tellement insolites et que le souci de s’y conformer prime a tel point que les formes et l’idiome traditionnels doivent subir de profondes transformations. C’est ce que James Joyce et William Burroughs ont tres bien vu. Le real&me n’exclut pas l’herm&me, a condition d’admettre que le ‘reel’ et 1“objectif’ ne sont pas n&:essairement accessibles a tous, ni de la mcme maniere. Voila bien ce que Faulkner fait remarquer a propos de Joyce: Well, the writer, actually, that’s an obligation that he assumes with his vocation, that he’s going to write it in a way that people can understand it. He doesn’t have to write it in the way that every idiot can understand it - every imbecile in the third grade can understand it, but he’s got to use a language which is accepted and in which the words have specific meanings that everybody agrees on. I think that Finnegans Wake and Ulysseswere justified, but then it’s hard to say on what terms they were justified.l’ l7 Gwynn and Motner, 1959: 52-53.

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L?intelligibilit&au-premier-coup-d’ail - mais n’est-ce pas l& un autre mirage? - diminue au fur et & mesure que s’individualise la vision objective de l’artiste et que s’int&iorise le champ semantique de la realit& Songeons aux trois monologues de The Sound and the Fury. Ni Dostoevskij ni Faulkner n’ont cultivk le roman documentaire de Flaubert, des Goncourt, de Zola, encore que le Journal d’un krivain et les lettres publit+es par James B. Meriwetherl* prouvent leur vif in&et pour le fait divers, l’actualitd sociale et politique. Dostoevskij a pu se targuer de peindre non pas d’apr& nature, mais en la devanGant, quand la justice fut saisie, apr&s Crime et chztiment, d’une affaire semblable au crime de Raskol’nikov. Faulkner, quant ?I lui, affecte de ne s%tre jamais livrd h des recherches historiques.19 Au demeurant, leurs oeuvres decoulent de sources bien diffkrentes: d’idkes et de sentiments, auxquels les faits servent tout au plus de trame. Rien ne rappelle ici les enquztes historiques et sociologiques des Goncourt. Meme l’argent, l’amour et la mort, les ‘th$mes’ majeurs du XIXe sikcle, ceux de Balzac, de Dickens, de Flaubert, de Hardy, de Tolstoj - et de Dostoevskij et de Faulkner eux-mEmes -, sent, & en croire celui-ci, subordonn& h la butte que l’homme m&e “with his nature, with his own heart, with his fellows, and with his environment”.ao L’essentiel, c’est d’atteindre, selon les cas, les profondeurs m&aphysiques ou les ressorts secrets du coeur, c’est d’&udier l’homme face au choix ou au Destin, c’est de proclamer enfin l’immortalit& soit de l’gme, soit de l’espcce. Non que le roman doive dkg&&er en trait& : les donnies immat&ielles sont indissolublement unies ti des images, situations, personnages, etc.,z1 apprbhendhes i travers la realit& contemporaine. Pour Faulkner, la c&$bre ‘tranche de vie’ vise h d&oiler l’homme &ernel,zs et Dostoevskij a kcrit que Le romancier . . . peut avoir d’autres tsches que la peinture du milieu social. II y a des profondeurs de caractkre et d’esprit humain qui sont universelles, bternelles et, semble-t-il, pour toujours imp&%rables.z3 Aussi ne s’ktonnera-t-on pas de ce qu’ils estiment, au moins autant’ que l’observation, l’imagination qui est, pour Dostoevskij, intuition du u Cf. William Faulkner, Essays, Speeches wether (New York: Random House, 1965). ID Gwynn and Blotner, 1959: 251. xs *I a2

Idern, Idem, Idem,

& Public

132. 19. 239.

zs Cite par J. van der Eng, Dostoevskij (“Journal d’un &rivain”).

romancier

Letters,

ed. by James B. Meri-

(La Haye: Mouton, 1957), p. 13

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rnyst6re de la Vie et, pour Faulkner, 24facultd de susciter le riel: Quentin Compson et Shreve inventant, reconstituant, exhumant - on ne sait au juste - le pass6 du Sud. Faulkner dit qu’& ses dkbuts, l’6crivain n’icrit jamais que sa propre biographie;25 attentif & s’oi, il n’utilise gu&re que l’exp6rience v&ue. Avec le temps, l’observation et - chose bien plus &range - l’imagination le font sortir de sa coquille. Que la fantaisie puisse &re moins subjective que l’expkrience: voil& qui indique & quel point la connaissance du monde extirieur s’icarte aujourd’hui du rr5alisme ‘scientiste’: . . . it still remains to be seen if art can be made of authentic experienie transferred to paper word for word . .. That does not make a book. No matter how vivid it be, somewhere between the experience and the blank page and the pencil, it dies.z6 M2me l’observation,

dit encore Faulkner, n’est pas nicessaire:

So the observation don’t hurt you - you may need it, but you can get along without it if you have to if [you have] the imagination and experience.z7

La stricte objectivitb d’autrefois est, dans ces conditions, d6pourvue de sens; bien mieux que la pratique de la vie, l’invention rapproche des autres.. . Le dilemme - ‘photographie’ ou ‘psychographie’ - disparait. L’art photographique implique en effet qu’est reconnue la validit universelle du monde sensible, prkmisse sur laquelle repose la MIMESIS traditionnelle; reste la solution inverse, la seule possible parce que l’individu demeure, irrhmidiablement, prisonnier de lui-meme. D’oti l’habitude qu’a Faulkner d’interposer un filtre entre le lecteur et les faits: dans les trois premitires parties de The Sound and the Fury, dans As I Lay Dying, dans The Reivers et les innombrables r&its cont& par des personnages, il ne peint pas directement, mais ne fait que rapporter les opinions d’un tempkrament. La Ich-ErziihZung et les monologues des rkcitants trahissent en somme son souci d’honnEtet6: vu la relativit6 de la connaissance, il n’est d’autre objectivitd que celle qui s’avoue illusoire et affiche en quelque s,orte ses couleurs subjectives. Avec Faulkner, le rialisme s’adapte 21la philosophie nouvelle. La v&it6 n’est plus une et indivisible, certes, mais l’&rivain

en d&ient, comme nous, des fragments qu’il lui

est loisible d’accumuler et de recoiler les uns aux autres en imaginant une multiplicit6 de points de vue. La monodie du dimiurge, Balzac ou Dickens, se d6compose en une foule de voix in&ieures que le romancier ”

Gwynn and Blotner, 1959: 172.

86 Idem, 103.

26 William Faulkner, Essays, Speeches & PubZic Letters, p. 187. !z’ Gwynn and Blotner, 1959: 172.

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tente de traduire avec un maximum de probite en leur cedant sa place. Or ce sent la des pro&d& auxquels Dostoevskij a eu frequemment recours: narrations indirectes, r&its ecrits a la premiere personne (LeS pauvres gens, Humilk& et oflens&, Le sowsol, Les posskdh, L’adolescent, Les frhes Karamazov), aveux d’ignorance, independance des heros

vis-a-vis de l’auteur, juxtapositions d’avis contradictoires - rien ne denote ici l’infaillibilite, ni la clarte, ni la toute-puissance dun Tolstoj. Deja triomphent le relatif, l’ambigu, le polyvalent, tandis que s’a@rme le desir de les rendre fidelement. Inutile de dire que l’impassibilite scientifique dont revait Flaubert s’effondre automatiquement, puisque chaque personnage temoigne par lui-meme et seulement pour lui-meme. Mais, a tout prendre, ses sentiments colorent ses discours bien plus ouvertement et legitimement que ne le faisaient la pitie de Dickens, l’ironie de Thackeray, c’est-a-dire ces commentaires dent les prejuges d’un observateur soi-disant impartial ornaient les faits et gestes des marionnettes. Le detachement absolu fut du reste, au XIXe siecle, une man&e de Pierre philosophale que les realistes s’acharnerent en vain - et pour cause - a rechercher. Et la oti Faulkner et Dostoevskij prennent euxmemes la parole, comme dans leurs descriptions d’evenements, ils ne se montrent ni plus ni moins ‘engages’ que leurs devanciers. Pas plus que le vitriol ou le sucre, le vice et la vertu ne laissent indifferent: on s’en sert ou 1’011s’en passe selon les circonstances. Et Dostoevskij savait deja ce dont nous sommes tous bien convaincus aujourd’hui : l’art et la science ne se confondent point. Imaginer, pour Faulkner, c’est sortir de la stricte subjectivite; de meme, l’intuition, la ‘vision’ dosto1evskienne pretendait decouvrir des traits objectifs du reel.2* Le romantisme se voit ainsi justifie au nom des formules realistes. L’attention que les realistes accord&rent a la societe, l’influence qu’ils subirent de Comte et de Taine posent le probleme crucial du determinisme. Dans quelle mesure faut-il considerer l’individu comme le produit du milieu, comme lie au passe. ‘7 Faulkner, on le sait, tranche la question en affirmant que le passe ne s’efface pas et que l’homme est “the sum of his past”,2s quoiqu’avec l%ge et sous l’emprise de Dostoevskij, le libre arbitre ait month dans son estime. Le fatalisme faulknerien est bien dans la hgne de Hardy, de Couperus et d’autres heritiers du XIXe siecle. Mais qu’en est-il de Dostoevskij a cet egard? Encore que son propos ne soit pas au premier chef de nature sociale, ses personnages sont dotes de coordonnees precises: origine, rang, profession, fortune, -aa Cf. Sven Lirm&, 1.967: 145. D Gwynn and Blotner, 1959: 84”

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etc. Ecoutons-le s’adresser a son heros dans l’epilogue de 1’Adolescent: Oui, Arkadij Makarovic, vous i%esun membre d’une famille de hasard, en opposition aux types encore recents de tils nobles qui ont eu une enfance et une adolescence si differentes des v6tresso Et d’ajouter que des gens comme Dolgorukij, contrairement aux types fixes, accomplis, deja historiques de Tolstoj, sont justement empruntes a ‘la vie courante’, en dautres termes au mouvant et a l’actuel, et que “par consequent, [ils] ne peuvent pas &re esthetiquement ache&“. Dolgorukij est done l’indice dune societe en formation, theme que le romancier exploite dans ce qu’il a de plus dynamique, de plus neuf, et, des lors, de plus distinctif; moderne au plus haut degre et, partant, exceptionnel, son heros annonce l’avenir. De l’epoque, Dostoevskij meprise les normes, les faits ordinaires et archiconnus, lesquels ne constituent que les residus fig& d’hier et d’avant-bier, pour mettre en relief les anomalies, les mutations encore singulieres, mais appelees a se generaliser. Pour pr&her la liberte morale, il n’en reconnagt pas moins l’importance des ‘situations’ et des circonstances agissant sur ses personnages31 Ceux-ci, precise m2me Bachtin, rejoignant par la l’idee maitresse de Faulkner, n’ont conscience du passe que pour autant qu’il n’a cesse de les obst5der:32 ce sera, pour Raskol’nikov, un meurtre et, pour Ivan Karamazov, les souffrances infligees aux enfants. Pour eux non plus, le passe - ce passe-la - n’est pas mort. Dostoevskij ne tree pas ses personnages in vitro, coupes de la realite sociale; ils y renvoient et sont determines par elle au meme titre que Mme Bovary ou David Copperfield, mais dune tout autre man&e. Banals et quotidiens, ils ne le sont evidemment pas encore, mais ils le deviendront bientot: l’exception d’aujourd’hui est la moyenne de l’avenir. La vogue que Dostoevskij allait connaitre au XXe siecle n’est pas un effet du hasard: il l’a en quelque sorte desiree, et si Stendhal ecrivait pour la posterite, Dostoevskij entendait, quant a lui, la peindre par anticipation. Par contre, Faulkner, qui vecut dans le monde pressenti par son ame, est toujours en prise directe sur son temps - disons: sur sa jeunesse. L’arriere-plan historique n’est jamais, chez lui, que pretexte a jauger la pression du passe sur le present ou bien encore a en critiquer l’heritage. 11 n’est pas de recusation plus virulente de la legende doree du Sud que les atrocites de Thomas Sutpen; il n’y a pas de prophetic plus perspicace de l’univers so DostoIevski, L’adoZescent (trad. P. Pascal) (Paris: Gailimard, 1949), p. 524. 31 Cf. Sven Linn&, 1967: 40 et 196-97. sa M. Bachtin, Dostoevskg: Poetic0 e stilistica (= Piccola Biblioteca Einaudi 109) (Torino: Einaudi, 1968), p. 42.

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concentrationnaire que les plans des ‘possedes’. Force est de souligner que l’historisme de Faulkner et celui de Dostoevskij sont des chases bien differentes. Pour le premier, I’Histoire est un fardeau: elle ecrase - voyez Quentin Compson; pour le second, elle est une force contraignante, sans doute, mais assurant neanmoins une marge de manoeuvre appreciable. The Sound &d the Fury, Absalom, Absalom !, Cadolescent et Les fr&es Karamazov sont autant de chroniques de famille, mais la decadence de la Russie imperiale Porte en elle des germes de vie que les blancs du Sud n’ont pas eu l’occasion de cultiver. Pourtant, que Dostoevskij nous fasse miroiter des chances nouvelles, que Faulkner s’interroge sur nos irreversibles defaites: peu importe. De part et d’autre, le culte de l’exceptionnef met 6, nu les forces sous-jacentes, profondes, essentielles - vues tantot comme presages, tantot comme heritages qui agissent sur les contemporains. Le fantastique mis au service de la sociologic, voila qui eclaire sous un jour realiste le romantisme ‘gothique’ de ces auteurs. Mais voyons a present comment Dostoevskij et Faulkner entendent traduire leur vision individuelle de la r&alit& Autant que les Goncourt, ils sont tous deux epris de v&it& Ce qui compte, pour Dostoevskij, c’est la fidelit a son diagnostic de l’homme contemporain - et eternel.33 L’ecrivain, declare Faulkner, n’a d’autre morale que celle du temoin, il s’en tient a ce qu’il estime vrai: . . . I think the writer is not really interested in bettering man’s condition. He really doesn’t care a damn about man’s condition. He’s interested in all man’s behavior with no judgment whatever. . . . Maybe the writer has no concept of morality at all, only an integrity to hold always to what he believes to be the facts and truths of human behavior, not moral standards at all. But that man in his books does what man will do, not what man should do but what he wiIl do, maybe what he can’t help but do.3*

N’empsche que la verite doit bien tenir compte des exigences de l’art. Le Russe, par exemple, n’a jamais abjure l’ideal esthetique. La deposition du romancier,

le dossier qu’il &ablit,

se compose non pas de d6-

clarations et de pieces eparses, mais d’episodes structures. En p&&rant dans l’univers du reman, le reel perd en valeur historique ce qu’il gagne en valeur epique. Point n’est besoin, par consequent, qu’une don&e soit attest&e par I’Histoire pour que l’ecrivain se l’annexe.36 Toutefois, Dostoevskij et Faulkner tombent d’accord pour souligner l’etroite interddpendance de l’art et de la vie: aa Cf. Sven Linmk, 1967: 157. u Gwynn and Biotner, 1959: 267. 3s Cf. Gwyan and Blotner, 1959: 251; et Sven Linner, 1967: 59.

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JEAN

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He did not give up his claims that the picture he presented of his times was objectively true, i.e., that it could be compared by others to non-literary reality and be recognized as true.36 . . . my people are no more real than the actual world, but no less real. That is, they have their place in life too, to me.s7 Chaque conscience &ant saturee de ses propres songes, il faudra, rep& tons-le, pour restituer une realm5 qui ne peut desormais s’embrasser d’un seul coup d’oeil, imaginer une plural% de temoignages, c’est-a-dire d’acteurs, et d’optiques toujours fragmentaires et partiales. La subjectivite de la connaissance, jointe au souci d’objectivite, m&e a l’emploi dune technique d’accumulation et d’assemblage : proliferation des incidents et des protagonistes, mise en parallele des caracteres et des scenes, montage ‘polyphonique’, enfin, comme dans Les fr&es Karamazov, As I Lay Dying et The Wild Palms. Cette forme merite qu’on s’y attarde, car elle decoule immediatement des principes qu’on vient de decrire. Parlant des images de Sutpen qui se superposent peu a peu dans Absalom, Absalom! Faulkner dit que: . . . no one individual can look at truth. It blinds you. You look at it and you see one phase of it. Someone else looks at it and sees a slightly awry phase of it. But taken all together, the truth is in what they saw though nobody saw the truth intact. . . . But the truth, I would like to think, comes out, that when the reader has read all these thirteen different ways of looking at the blackbird, the reader has his own fourteenth image of that blackbird which I would like to think is the truth.38 La V&rite est insaisissable et l’esprit humain substance, Dostoevskij :

borne, affirme deja, en

And if, in this chaos which has long prevailed - but which is particularly noticeabie at present - in our social life, as yet, the normal law and guiding thread cannot be discovered, perhaps, even by an artist of Shakespearean magnitude, - who is going to elucidate at least a fraction of this chaos, even without the hope of finding the leading thread?39 N’oublions pas que les mobiles des actions humaines sont habituellement beaucoup plus complexes et plus varies qu’on ne se le figure apres coup; il est rare qu’ils se dessinent avec nettete40 Du mcme coup, la position du narrateur

omniscient et omnipresent se

M SvenLint&, 1967: 207. 37 Gwynn and Blotner, 1959: 86. a

Idem, 273-74.

XI Cite par Sven Linner, 1967: 160. *LJ DostoIevski, L’idiof, etc. (= BibZio&que 1953), p. 588.

de Zu PZ&de

94) (Paris: Gallimard,

ti~AM0~~~0.5~33

rm ~&4r.~3m

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trouve indefendable: l’auteur s’efface en tant que rapporteur des faits et confie ce role a quelqu’un qui, integre dans le monde fictif, le decrit de l’interieur. Non seulement les personnages, mais encore la source meme du discours se voient ainsi parfois coupes de l’ecrivain. Flaubert et Maupassant, notamment, avaient cru &niner l’auteur en lui defendant d’approuver ou de blamer. De fait, ils ne l’avaient prive que de sa faculte judiciaire. Dostoevskij va plus loin: il met en doute sa facultt5 cognitive ou, plutot, son infailhbilite. Pour bien en accentuer l’inanite, il reduit la port&e de l’information romanesque a celle dun simple avis dont il localise l’origine et delimite prudemment la valeur. Cornme, pas plus que Faulkner, il n’admet de divorce entre le fictif et le reel, entre le roman et la societe, il additionne, compare et combine plusieurs avis, tournant autour des facettes de la &rite, un peu comme feront les peintres cubistes. Les longs dialogues de Dostoevskij, la facilite relative avec laquelle on a pu porter a la scene tel ou tel de ses remans, les passages dramatiques de Requiem for a Nun, la composition de As I Lay Dying, les inventions a deux ou trois voix (Ivan et le diable, “Old Man” et “Wild Palms”; Ivan, Dmitrij et Alega; Benjy, Quentin et Jason), les jugements divergents port& sur les faits et les gestes: partout et toujours s’exprime la meme volonte d’objectivite, le meme desir de voir les personnages se presenter saris intermediaire ni explication, comme au theatre. On reconnait la les grandes lignes de la structure polyphonique, telle que l’a definie Bachtin, ou d’un realisme adapt6 a une optique pluraliste de la realite.41 Nous l’avons dit en commencant: vague par definition, le realisme admet des acceptions differentes selon les temperaments, les lieux, les epoques. Qu’il ait pu se maintenir jusqu’a nos jours, n’a rien de surprenant: il ne se survit pas, il rena3t de ses cendres. L’inattendu, c’est que Dostoevskij a entrevu, d&s la dew&me moitie du XIXe siecle, des facons de concevoir la realit et l’objectivite qui n’allaient tomber que bien plus tard dans le domaine public. Richard Brinkmann a raison de soutenir que l’experience subjective est seule authentiquement objective,4z mais encore faut-il rappeler que cette idee est aux antipodes de la philosophic du realisme orthodoxe. ReconnaTtre que la connaissance s’atomise, c’est aussi renoncer a tout recours au consensus omnium de la science et tomber, de proche en proche, dans l’hermetisme de Joyce. G Bachtiu signale Zi ce propos les conditions suscit6es dam un monde agraire, post-f6odal. Cf. M. Bachtin, u Cf. Richard Brinkmann, Wirklichkeit und Illusion:

par l’intrusion pp. 45 et 85.

du capital&me

Studien iiber Gehalt und Grenzen des Begriffs Realismus J??r die erzchlende Dichtang des neunzehnten Jahrhunderts (Ttibingen:

Max

Niemeyer

Verlag,

1957),

p. 298.

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J!IAN

WEISGERBER

11 n’etait pourtant pas difficile de passer du premier realisme au second, bien que l’evolution fat lourde de consequences. 11 suffisait, en effet, de se souvenir que tout phenomene n’existe jamais que comme chose percue et de s’interroger sur le rapport que cette perception implique entre le sujet et l’objet. De cette interrogation naquirent, entre autres, l’impressionnisme qui, deja, met l’accent sur la reaction individuelle aux faits, ainsi que le real&me de Dostoevskij: tous deux contestent l’universalite propre a la connaissance scientifique. Dans ces hrnites, L,‘adolescent n’est pas une oeuvre moins ‘vraie’ ni moins ‘probe’ que Madame Bovary, et l’intuition que Bergson assimile A la “sympathie intellectuelle par laquelle on se transporte a l’interieur d’un objet pour coincider avec ce qu’il a d’unique et par consequent d’inexprimable”, l’intuition se soustrait mieux que l’observation a l’emprise du subjectif. Real&me au sens profond, done, plongeant ses antennes jusque dans les ‘souterrains’, mais attentif, neanmoins, aux faits sociaux et historiques, de mSme qu’a la surface des chases, par exemple a la forme du couteau de RogoZin - “le manche etait fait d’un pied de cerf, la lame etait longue de trois verchoks et demi, et large en proportion”43 - et, simultanement, aux idles et sentiments que ces chases cristalhsent. L’ideal, le fantastique, l’horreur, l’extraordinaire, tout ce ‘romantisme’ est legitime d&s lors que je le percois ou l’eprouve. La gamme des sujets reahstes en vient ainsi a coIncider avec tout ce que saisit ma conscience. Cette extension de la MIMESIS classique, prophetique pour l’epoque, devait encore porter ses fruits cinquante an&es plus tard. Universit& de Bruxelles

a

DostoTevski,

1953:

264.