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Presse Med. 2007; 36: 512–8 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.
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Dossier thématique
Méthodologie des essais thérapeutiques : les règles de base sont-elles applicables aux essais en médecine interne ? Isabelle Mahé1,2, Antoine Bosquet2, Pablo Bartolucci2, Stéphanie Rist2, Jean-François Bergmann1
1. Service de médecine A, Hôpital Lariboisière, AP-HP, Paris (75) 2. Service de médecine interne V, Hôpital Louis Mourier, Colombes (92)
Correspondance : Isabelle Mahé, Service de médecine interne V, Hôpital Louis Mourier, 178 rue des Renouillers, 92700 Colombes. Tél. : 01 47 60 64 90 Fax : 01 47 60 64 91
[email protected]
■ Key-points
■ Points essentiels
Treatment trial methodology in internal medicine
L’évaluation des médicaments repose sur la réalisation d’essais thérapeutiques. Pour être interprétables, ces essais doivent obéir à des règles méthodologiques strictes. La médecine interne a la particularité d’accueillir des patients atteints de maladies très variées, ce qui pose la question de la faisabilité des essais cliniques sous la forme habituelle. En médecine interne il est essentiel de respecter les principes méthodologiques qui sous-tendent les essais thérapeutiques et qui en garantissent leur validité et leur fiabilité : l’essai clinique prospectif randomisé en double aveugle est l’essai clinique idéal et de référence. Cependant, il existe des difficultés spécifiques aux services de médecine interne, rendant la réalisation d’essais thérapeutiques particulièrement difficile dans ces services. Les maladies rares et les maladies transversales contribuent à la richesse de la médecine interne mais les essais thérapeutiques réalisés dans ce contexte comportent des spécificités, même s’ils obéissent aux règles méthodologiques classiques.
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Clinical trials are the foundation of therapeutic evaluation. Their interpretation and usefulness depend on their compliance with strict methodological rules. Departments of internal medicine admit patients with many different diseases, a variety that makes it difficult to organize and conduct clinical trials in their standard form. This article reviews the rules of clinical trials that are essential to their validity and reliability. The prospective randomized doubleblinded clinical trial is the most scientifically rigorous method for assessing treatment. Rare diseases and those involving several specialties can and should be performed in accordance with the standard methodological rules, despite their particular aspects. This article considers ways to improve the participation of departments of internal medicine to future clinical trials.
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Pourquoi des essais thérapeutiques ? La réalisation d’essais thérapeutiques répond à la prise de conscience de la nécessité d’adopter l’Evidence Based Medicine dans la pratique quotidienne. Cette approche consiste, devant un patient donné, à fonder chaque étape de la décision clinique et thérapeutique sur les meilleures preuves disponibles à cet instant. Cette médecine factuelle fondée sur les preuves a fait son apparition en 1992 et propose une pratique privilégiant l’examen critique des résultats issus de la recherche clinique et de diminuer la part de l’expérience, de la mémoire et de l’expérience clinique individuelle [1-4]. L’essai thérapeutique se propose d’évaluer de manière objective l’efficacité d’un médicament par rapport à un traitement de référence (ou un placebo). Il doit répondre à une hypothèse formulée avant le début de l’étude. Les agences d’enregistrement s’attachent à la qualité méthodologique des essais du dossier d’enregistrement pour délivrer une éventuelle autorisation [3].
Principes méthodologiques des essais thérapeutiques Afin de pouvoir éventuellement répondre à la question posée, l’essai thérapeutique doit répondre à plusieurs règles [5] et l’application de ces principes garantit la représentativité et la fiabilité d’un essai thérapeutique. L’essai thérapeutique doit être contrôlé (groupe avec traitement de référence ou placebo) L’essai contrôlé consiste à comparer l’évolution de la maladie dans une population de patients malades mais traités par le nouveau médicament à celle de la même maladie dans un groupe contrôle ne recevant pas le médicament à l’étude. C’est la seule méthode pour s’assurer que l’effet observé sur le critère d’évaluation est vraiment lié au médicament à l’étude et non pas à l’évolution spontanée de la maladie. L’essai thérapeutique doit être randomisé La création du groupe traité et du groupe contrôle doit se faire par tirage au sort, c’est-à-dire par randomisation, afin de former des groupes comparables dont l’évolution naturelle de la maladie sera identique grâce à ce tirage au sort. Cette comparabilité des groupes est indispensable pour permettre les calculs statistiques en fin d’essai. L’essai thérapeutique doit se faire en double aveugle Le double aveugle, où ni le médecin ni le malade ne savent si ce dernier reçoit le traitement à l’étude ou le traitement contrôle, est un gage d’objectivité dans la mesure de l’effet thérapeutique et évite des biais intergroupes liés à des comtome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 2
portements différents en fonction du traitement que l’on sait avoir reçu. L’absence de double aveugle menace la réalité de la différence observée en fin d’essai. Le nombre de sujets nécessaires à inclure doit être calculé avant le début de l’étude
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Bases méthodologiques des essais thérapeutiques
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Ce calcul du nombre de sujets nécessaires est basé sur les risques statistiques de première et de deuxième espèce que l’on concède de prendre et sur la différence d’efficacité escomptée entre le groupe traité et le groupe contrôle. Ce calcul se doit d’être fait avant le début de l’essai pour être certain de ne pas passer à côté d’une différence par manque d’effectifs. En début de développement d’un nouveau médicament, l’essai versus placebo est le plus puissant pour s’assurer de la supériorité du médicament par rapport à un placebo. Les essais versus des traitements comparateurs sont souvent des essais de non-infériorité, très difficiles à mener car nécessitant des effectifs importants et toujours à la merci de nombreux biais de réalisation. La population à l’étude doit être définie pour sélectionner une population d’étude homogène et représentative La population d’inclusion doit être clairement définie sur des critères cliniquement signifiants et admis par tous. Il faut trouver un juste compromis entre le choix d’une population bien précise de sujets les plus atteints, chez qui le résultat risque d’être plus facilement mis en évidence et de l’autre côté l’inclusion d’une population large de malades de gravité diverse, plus facile à inclure mais chez qui la mise en évidence d’une efficacité thérapeutique sera plus difficile. Le critère principal d’évaluation doit être défini a priori Le critère d’évaluation principal de l’essai doit être déterminé avant le début de l’étude par les experts cliniciens, il doit avoir une pertinence clinique et se doit d’être unique pour éviter les comparaisons multiples. L’analyse doit se faire en intention de traiter, c’est-à-dire sur l’ensemble de la population incluse Tous les malades inclus dans l’étude doivent être gardés dans l’analyse, même s’ils n’ont pas respecté scrupuleusement le protocole. Elle s’appuie sur le principe de la randomisation qui a créé des groupes comparables qu’il faut laisser comparables jusqu’à la fin de l’étude, n’excluant aucun malade préalablement inclus. Si une supériorité d’un nouveau médicament est observée lors d’une analyse en intention de traiter, on peut être absolument certain que cette supériorité existe réellement. L’analyse doit porter sur le critère principal d’évaluation en fin d’étude L’analyse doit se faire sur le critère d’évaluation principal de l’essai, qui doit être déterminé avant le début de l’étude par les experts cliniciens.
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Méthodologie des essais thérapeutiques : les règles de base sont-elles applicables aux essais en médecine interne ?
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L’obtention d’une différence significative sur le critère principal permet de conclure à une différence en faveur du traitement à l’étude Au terme de l’essai thérapeutique, un calcul statistique simple devra être fait sur l’ensemble de la population incluse (analyse en intention de traiter) sur le critère principal d’évaluation défini au préalable, en faisant cette mesure pour toute la population au terme de l’essai. La différence doit être statistiquement significative, avec un p < 0,05. Il convient en fin d’étude d’évaluer la pertinence clinique de la différence observée Un essai thérapeutique et son analyse statistique ne dispensent pas de l’analyse sémiologique clinique de la différence escomptée. Cette différence a-t-elle vraiment une signification pour le malade et pour le pronostic global de la maladie ?
Thérapeutique et médecine interne : des liens naturels L’essai thérapeutique repose sur l’évaluation du médicament chez l’homme. Il est au service de toutes les disciplines médicales et, à ce titre, de la médecine interne. La médecine interne est une discipline hospitalière au carrefour des spécialités. Les fonctions de l’interniste sont multiples ; elles ont été rappelées dans le livre blanc de la médecine interne [6] : prise en charge des malades en aval des urgences, des patients sans diagnostic, de patients polypathologiques sans spécificité d’organe, des pathologies des personnes âgées, des patients ne nécessitant pas une hospitalisation dans un service hautement spécialisé, des patients relevant d’une spécialité d’organe non présente dans l’hôpital. Les questions thérapeutiques se posent quotidiennement dans les services de médecine interne. La variété et la complexité des patients mais aussi de leurs pathologies génèrent le plus souvent des choix thérapeutiques difficiles. Ces choix reposent sur l’évaluation du rapport bénéfice/risque d’un médicament chez un patient donné. Ainsi, le thérapeute fait l’inventaire du terrain du patient avant de hiérarchiser les traitements à prescrire chez ce patient en fonction de la maladie à traiter.
La réalité des essais cliniques en médecine interne Il existe plusieurs difficultés rencontrées pour la réalisation d’essais cliniques en médecine interne.
Difficultés générales
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Le recueil du consentement éclairé et signé est une étape incontournable de l’essai thérapeutique : il marque l’entrée du patient dans l’essai. L’obtention de ce consentement chez les sujets âgés pose des problèmes éthiques [7, 8]. En cas de déficience cognitive, le consentement ne peut être éclairé,
mais l’absence d’essais chez ces patients freine les avancées thérapeutiques dans cette population. Autre limite à l’obtention du consentement, l’image de la recherche clinique en France n’est pas bonne [7]. En effet, les volontaires sont souvent considérés comme des “cobayes” par le grand public. Il est indispensable que les essais thérapeutiques et leur intérêt soient expliqués. De plus, l’encadrement réglementaire qui les régit doit être précisé afin que la crainte ressentie et le refus prodigué lors de la présentation de l’essai disparaissent au profit d’un souhait de participer au progrès thérapeutique dans une pathologie dont souffrent précisément ces patients. Le bon fonctionnement d’un essai clinique nécessite une participation active des investigateurs [7]. Or cette charge d’investigateur s’ajoute le plus souvent aux charges cliniques, voire d’enseignement, souvent prioritaires, reléguant la recherche clinique au dernier plan. C’est particulièrement le cas lorsque l’investigateur n’obtient pas de reconnaissance directe de cette fonction.
Difficultés spécifiques à la médecine interne La nécessité de réaliser des essais thérapeutiques pour rationaliser les décisions thérapeutiques au lit du patient se heurte à des difficultés de réalisation particulièrement lourdes en médecine interne [7]. La grande variété des patients hospitalisés dans les services de médecine interne rend plus difficile le recrutement dans des essais thérapeutiques que dans des services dits de spécialité qui accueillent des patients dont les affections principales sont moins variées. Par ailleurs, au sein même des services de médecine interne, il y a une grande variabilité de recrutement. Il s’ensuit un allongement de la phase de sélection des centres participant à l’étude. En fait, aussi bien des patients atteints de maladies rares que des patients polypathologiques atteints de pathologies communes sont rencontrés dans les services de médecine interne. Cette richesse de recrutement est une force pour la médecine interne mais aussi une limite en matière d’essai thérapeutique. Le problème posé par l’évaluation des traitements dans les maladies rares est celui de leur incidence très faible (< 1/2 000, soit en France < 30 000 personnes pour une maladie donnée) [9]. Même si les patients atteints par ces maladies sont moins nombreux, il n’en reste pas moins important de les traiter de manière optimale : en effet, 65 % des maladies rares sont graves et invalidantes. Elles sont caractérisées par un début précoce dans la vie dans 2 cas sur 3, elles génèrent des douleurs chroniques dans 1 cas sur 5. Mais encore et surtout, dans 1 cas sur 2 survient un déficit moteur, sensoriel ou intellectuel, à l’origine d’une réduction d’autonomie dans 1 cas sur 3. Le pronostic vital est en jeu dans 1 cas sur 2, ces maladies expliquent 35 % des décès avant 1 an, 10 % entre 1 et 5 ans et 12 % entre 5 et 15 ans. tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 2
Méthodologie des essais thérapeutiques : les règles de base sont-elles applicables aux essais en médecine interne ?
Essais thérapeutiques : comment faire dans les maladies rares ? Règles méthodologiques Les règles de base des essais thérapeutiques peuvent être appliquées aux maladies rares [10]. Essai contrôlé Le principe de l’essai contrôlé doit le plus souvent être respecté, comparant l’effet du médicament (malades traités) à celui du traitement de référence ou celui du placebo (malades tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 2
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contrôles). Dans quelques très rares cas, l’étude peut ne pas être contrôlée en suivant un seul groupe de patients dont tous les membres seront traités sans comparateur. Ceci n’est acceptable que si l’histoire naturelle et l’évolution de la maladie sont parfaitement connues en l’absence de traitement et s’il s’agit d’une maladie grave. Il faut de plus que le traitement proposé soit supposé extrêmement actif et ayant d’emblée un rapport bénéfice/risque très favorable pour ne pas justifier d’un groupe contrôle. Ces conditions sont en fait extrêmement rarement réunies. Il est notamment nécessaire de faire des essais contrôlés si l’on veut avoir une appréciation correcte du rapport bénéfice/risque. Essai randomisé Les essais se doivent d’être randomisés sauf si, dans de très rares cas, on veut comparer le groupe traité à un groupe contrôle qui est en fait une autre série de malades sur la base d’une comparaison historique. La validité méthodologique de cette comparaison historique est toujours très hypothétique car, en dehors de l’efficacité du médicament, des facteurs confondants comme la non-comparabilité des patients et de leur prise en charge et la non-identité des outils de mesure menacent la mise en évidence d’une différence. Il est donc toujours préférable de faire des essais prospectifs randomisés. Essai en double aveugle L’essai ne peut être mené en ouvert au lieu du double aveugle que lorsque le produit contrôle est impossible à rendre indiscernable. Dans ce cas, il est indispensable que l’évaluateur de l’effet thérapeutique ne soit pas au courant du traitement reçu et il faudra aussi s’assurer que les comportements des patients ne soient pas modifiés par la connaissance du groupe dans lequel ils ont été randomisés [4]. Essai versus placebo Dans le cas des maladies rares, il est habituel de faire les essais de début de développement versus placebo. Un essai versus un traitement de référence n’est concevable que si ce traitement de référence est réellement efficace dans le cas d’une maladie grave, pour laquelle il y aurait un risque réel à ne pas recevoir un des traitements disponibles. Il faudra alors espérer une supériorité sur un des critères d’évaluation ou définir des bornes d’équivalence ou de non-infériorité statistiquement légitimes, ce qui est toujours difficile dans le cas des maladies rares, car ce type d’essai nécessite souvent des effectifs très importants. Inclusion d’une population précise La rareté des patients incite parfois à élargir les critères d’inclusion à toutes les formes cliniques de la maladie. Ceci n’est pas dénué de risque car en incluant des malades peu symptomatiques, on risque de ne pas mettre en évidence une différence qui aurait été observée chez des malades plus sérieusement
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Afin de progresser dans la compréhension et la prise en charge thérapeutique de ces maladies, les principes des essais thérapeutiques doivent également s’appliquer à ces maladies, même si les patients sont plus rares. En effet, des études de cohortes ou des séries de patients ayant reçu un traitement ou un autre, à des posologies variables, ne permettent pas de conclure à l’efficacité ou au contraire à l’absence d’efficacité, quels que soient les résultats observés sur ces séries. À l’opposé des maladies rares, de nombreux patients hospitalisés en médecine interne sont polypathologiques et polymédicamentés. Cela pose le problème des conditions de l’inclusion dans l’essai. En effet, l’essai thérapeutique se place en général dans les meilleures conditions possibles pour évaluer l’efficacité et la tolérance d’un médicament. Les patients à risque d’effet indésirable sont le plus souvent exclus de l’évaluation. C’est le cas des patients avec insuffisance rénale, insuffisance hépatique, des sujets âgés en général. C’est également le cas de patients polymédicamentés, dont certains traitements sont fréquemment prescrits (anti-inflammatoires par exemple). La possibilité de recruter ces patients dans les essais cliniques est donc réduite. Autre conséquence, les données apportées par les essais thérapeutiques qui ne portent que sur la population étudiée ne peuvent être extrapolées à la population générale et encore moins aux patients dits fragiles. En pratique, cela pose le problème de la prise en charge thérapeutique des patients polypathologiques qui n’ont pas été évalués dans les essais et pour lesquels on ne dispose donc pas d’élément concret permettant de justifier le choix thérapeutique chez de tels patients. Les difficultés majeures de réalisation énoncées ci-dessus limitent considérablement les essais cliniques en médecine interne. Et pourtant, ils sont incontournables, sous peine de ne pas pouvoir répondre à la (ou les) question(s) thérapeutique(s) posée(s) par chaque patient. Les différentes situations rencontrées doivent être envisagées et traitées différemment : le cas de la maladie rare et celui du patient âgé insuffisant rénal polymédicamenté ne sont pas comparables, pourtant tous 2 aspirent à un choix thérapeutique rationalisé et justifié par un essai thérapeutique rigoureusement mené.
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Mahé I, Bosquet A, Bartolucci P, Rist S, Bergmann JF
atteints. Dans tous les cas, l’AMM (autorisation de mise sur le marché) ne sera obtenue que pour le type de population incluse dans les essais cliniques. Critère d’évaluation unique connu à l’avance et signifiant Dans le cas des maladies orphelines, ces règles restent de mise et il est absolument nécessaire de définir avant le début de l’essai un seul critère principal d’évaluation. S’il s’agit d’un score, il doit être validé et son évolution doit correspondre à une évolution clinique réellement perceptible par le malade. Calcul du nombre de sujets nécessaires Il peut paraître utopique de vouloir calculer un nombre de sujets nécessaires. Cependant il est légitime de tenter d’approcher ce calcul en faisant des hypothèses d’efficacité raisonnables. Le nombre de malades à inclure sera d’autant plus faible que le nouveau médicament est très actif. L’inclusion des malades les plus graves risque de faciliter la mise en évidence d’un effet thérapeutique significatif. Pour atteindre le nombre de malades calculés dans un essai thérapeutique, il est évidemment préférable de générer des essais multicentriques avec des suivis très prolongés (pour qu’un maximum d’événements soient observés) en choisissant des critères d’évaluation très prédictifs et en randomisant le plus tôt possible dans le plan de développement du nouveau médicament. Analyse en intention de traiter L’analyse doit être faite en intention de traiter, en évitant au maximum les malades perdus de vue. Il faut souligner que lorsqu’un malade pour une raison quelconque décide d’arrêter un traitement à l’étude, il n’est pas pour autant perdu de vue et doit rester dans l’étude pour l’analyse finale de l’effet du traitement. Différence statistiquement significative
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Les principes statistiques se doivent d’être respectés en totalité. Les analyses par sous-groupes ou les analyses intermédiaires ne remplaceront jamais l’analyse globale sur le critère principal. Elles ne sont à faire que si elles sont logiques, légitimes et justifiées au préalable. Lorsqu’il existe une différence statistiquement significative sur le critère principal d’évaluation, l’analyse par sous-groupes permet de vérifier que cette différence est observée dans certains sous-groupes ayant des différences épidémiologiques. Lorsqu’il n’y a pas de différence significative sur l’ensemble de la population incluse mais uniquement des différences observées dans certains sousgroupes, ces résultats ne peuvent en aucun cas remplacer le résultat négatif de l’essai sur l’ensemble de la population et ces analyses par sous-groupes sont alors exploratoires pour conduire à de nouveaux essais thérapeutiques dans les sousgroupes efficacement traités, mais ne doivent pas conduire à des conclusions définitives dans des sous-groupes de faible
puissance statistique. À côté de l’analyse d’efficacité sur le critère principal d’évaluation, il est absolument indispensable de recueillir des données de sécurité sur la tolérance et les effets indésirables induits par les médicaments. La réelle évaluation du bénéfice thérapeutique repose sur la mesure du rapport bénéfice/risque. Pertinence clinique de la différence Les exigences de pertinence clinique restent bien évidemment de mise.
Essais cliniques dans les maladies rares : en pratique Ces dernières années ont été marquées par les remarquables avancées observées dans la connaissance et la prise en charge thérapeutique de pathologies de médecine interne. Cela a été rendu possible par le dynamisme et les travaux réalisés par des centres de référence et la création de registres. Ainsi, des centres de référence pour la prise en charge des maladies rares ont été labellisés en France depuis 2004 (annexe disponible en complément électronique). L’existence de structures de références dans les maladies rares permet de proposer une prise en charge globale, d’être un recours pour les malades difficiles à traiter. Pour la recherche clinique, elles permettent de centraliser les informations sur les essais en cours, de créer des cohortes de patients, de développer des protocoles d’investigation thérapeutique. Ces centres d’expertise ont la responsabilité de définir les critères d’inclusion et d’évaluation des essais cliniques qu’ils vont coordonner. Les essais cliniques dans ces maladies rares ont été menés conformément aux règles méthodologiques de bases. Ils ont conduit à un choix thérapeutique fondé sur une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie. Les essais réalisés ont également apporté une meilleure connaissance des effets secondaires potentiels des traitements. Au total, l’évaluation des bénéfices et des risques induits par le traitement a permis d’améliorer le pronostic des patients atteints de ces maladies. Les exemples représentés par ces centres de référence ne sont pas exhaustifs. D’autres domaines de la médecine interne ont fait des progrès thérapeutiques considérables ces dernières années, grâce à des essais cliniques prospectifs respectant les principes énoncés en première partie [11]. Il s’agit de domaines variés : les myosites inflammatoires, la polychondrite atrophiante, les mastocytoses, la maladie de Horton, les œdèmes angioneurotiques, les histiocytoses, le syndrome de Gougerot Sjögren, le purpura thrombocytopénique auto-immun, les amyloses, les maladies de surcharge, les granulomes malins, la maladie de Behçet, l’hépatite C, le virus de l’immunodéficience humaine, les endocardites et la maladie de Whipple, les abcès aseptiques abdominaux, la thrombose et la thrombophilie, la précarité. tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 2
Méthodologie des essais thérapeutiques : les règles de base sont-elles applicables aux essais en médecine interne ?
Essais thérapeutiques en médecine interne : comment faire dans les maladies transversales ?
fréquente. Par ailleurs, étant donné que le critère d’évaluation est souvent simple et pertinent, les résultats sont pertinents cliniquement. De plus, le suivi est le plus souvent proche de la pratique habituelle. Les résultats sont donc extrapolables à une large population vue en pratique courante, d’autant plus que la diversité des patients inclus est importante. Les méga-essais ont aussi leurs inconvénients : le premier est la faisabilité et les problèmes pratiques, financiers de réalisation. De plus, la réponse obtenue au terme de l’essai concerne le critère principal et ne permet pas de répondre à la question du mécanisme d’action du traitement ; c’est pourquoi des études ancillaires sont fréquemment associées. Si le critère principal est composite, l’effet du traitement est évalué sur ce critère ; cela ne permet pas de conclure sur chacun des items de ce critère principal composite. Le méga-essai ne permettra pas de répondre à la question de l’effet d’un médicament dans un sous-groupe ou une population particulière. Les résultats doivent être préférentiellement exprimés en termes de réduction absolue de risque (ou en nombre de patients à traiter pour éviter un événement) plutôt qu’en réduction relative pour mieux apprécier l’effet réel du traitement.
Les maladies et traitements “transversaux” sont fréquemment rencontrés en médecine interne : il s’agit de la maladie veineuse thromboembolique, des maladies infectieuses, de l’évaluation de l’effet des corticoïdes.
Règles méthodologiques L’application des règles méthodologiques de base ne pose pas trop de problème. Le seul écueil rencontré dans les affections transversales est celui de l’effectif de patients nécessaire à inclure : en effet, des effectifs de patients importants sont souvent nécessaires pour pouvoir mettre en évidence une différence. Par ailleurs la notion de critère composite d’évaluation fait son apparition : compte tenu de la difficulté croissante de mettre en évidence un effet supplémentaire pour un traitement à l’étude, l’effet du traitement est mesuré sur un critère composite. Il est alors primordial que ce critère soit défini a priori et intègre des composantes pertinentes de “poids” égal.
Méga-essais
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Essais cliniques dans les maladies transversales : en pratique
Actuellement, les méga-essais sont de plus en plus fréquemment mis en place : il s’agit d’essais thérapeutiques avec les propriétés habituellement recommandées (contrôlé, randomisé, multicentrique, en double aveugle), caractérisés par des effectifs importants (plusieurs milliers) de patients atteints d’une pathologie médicale fréquente [12]. L’objectif principal est de mettre en évidence un bénéfice avec une haute pertinence clinique. Les caractéristiques des méga-essais par rapport aux essais classiques sont représentées sur le tableau I. Ces méga-essais ont des avantages et des inconvénients. Le premier avantage est de pouvoir mettre en évidence une petite différence grâce à la puissance apportée par l’effectif important. S’il s’agit d’une réduction de mortalité, les implications cliniques seront importantes s’il s’agit d’une pathologie
En pratique, les patients sont reçus dans de nombreux services de médecine interne. Le problème n’est donc pas leur faible prévalence mais leur faible nombre dans chaque service. Il faut donc y penser au quotidien : le rôle de fiches résumant les critères d’inclusion peut être important ; le rôle de l’informatique également en permettant de “repérer” plus facilement les patients pouvant être inclus. Il est important de développer des structures de recherche clinique qui mettent à disposition de certains essais thérapeutiques un personnel dédié à la recherche clinique (assistant de recherche clinique, infirmière de recherche clinique) qui allège pour l’investigateur le travail de recrutement, d’inclusion et de suivi du patient.
Ta bl e au I
Inclusion Plan expérimental
Essai contrôlé classique
Méga-essai
Critères nombreux, cliniques et paracliniques
Simple, clinique
Parallèle ou croisé
Parallèle
Centralisée ou préétablie
Par bloc centralisée
Stratification
Variable
Rare (critère clinique)
Nombre de sujets
10-103
103-104
Clinique ou paraclinique
Clinique : morbimortalité
Randomisation
Critère d’évaluation principal Comités indépendants Phases de développement
tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 2
±
+++
I-II-III
III-IV
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Principales caractéristiques des essais thérapeutiques contrôlés et des méga-essais
Mahé I, Bosquet A, Bartolucci P, Rist S, Bergmann JF
La création de réseaux est une voie prometteuse. Elle paraît importante en médecine interne, du fait de la variété des patients rencontrés. C’est la seule manière d’avoir le recrutement suffisant pour répondre à la question posée. Le développement des unités de recherche clinique pourrait être un appui pour ces réseaux et les services cliniques. Pour les maladies plus courantes, il est tout aussi nécessaire d’entreprendre des essais cliniques. Dans ce cas, la coopération entre les différentes équipes est particulièrement importante. Cette coopération devrait dépasser le cadre de la spécialité d’organe (rhumatologie, cancérologie, hématologie, cardiologie, etc.) pour au contraire aboutir à l’union des forces dans la conception de l’essai et le recrutement des patients. Le rôle des sociétés nationales ou internationales est important pour développer cette voie.
Financement Une question thérapeutique posée en pratique clinique doit appeler un synopsis et un protocole thérapeutique destinés à apporter une réponse à la question posée [4]. Se pose alors la question du financement qui n’est pas la plus simple. Des offres de financement publiques et privées sont régulièrement disponibles : la recherche institutionnelle (par exemple le Département de la recherche clinique et du développement DRRC Île-de-France), les sociétés savantes, la recherche publique (CNRS, Inserm), les associations de malades, l’industrie pharmaceutique peuvent également participer au financement
d’une étude, sous forme de don ou de promotion de l’étude. Plus récemment s’est créé l’EPHP (Établissement public des hôpitaux de Paris) dont l’activité est représentée par les médicaments orphelins destinés au traitement des maladies rares.
Conclusion Quelle que soit la maladie considérée, la réalisation d’essais cliniques est le fondement du progrès thérapeutique. Les règles de base sont applicables aux différentes affections rencontrées en médecine interne, qu’il s’agisse des maladies rares, fréquentes ou transversales. Cependant, il ne faut pas oublier les patients âgés et polypathologiques qui, quant à eux, ne posent pas le problème de leur petit nombre, au contraire. Il est nécessaire de s’intéresser au traitement spécifique des maladies concernant la population âgée, auquel les essais thérapeutiques actuellement disponibles ne répondent pas le plus souvent pas. Certains effets secondaires seront certes peut-être plus fréquemment observés, mais des réponses seront enfin disponibles pour mieux prendre en charge les plus de 75 ans. En définitive, les essais cliniques sont le garant de résultats fiables sur l’efficacité et la tolérance d’un médicament dans une population donnée. Seule leur réalisation dans des conditions rigoureuses malgré les difficultés spécifiques permettra d’améliorer la prise en charge thérapeutique des patients en médecine interne. Conflits d’intérêts : aucun
Complément électronique disponible sur le site Internet de La Presse Médicale www.masson.fr/ revues/pm • La liste des centres de référence pour la prise en charge des maladies rares.
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