Microbiote intestinal et antibiothérapie périnatale

Microbiote intestinal et antibiothérapie périnatale

BIOLOGIE ET PÉRINATALITÉ Microbiote intestinal et antibiothérapie périnatale Christèle Gras-Le Guena,c, Elise Launaya, Jocelyne Caillonb,c,* SUMMARY...

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BIOLOGIE ET PÉRINATALITÉ

Microbiote intestinal et antibiothérapie périnatale Christèle Gras-Le Guena,c, Elise Launaya, Jocelyne Caillonb,c,*

SUMMARY

RÉSUMÉ Le microbiote constitue un écosystème complexe dont l’implantation, dans les premières semaines de la vie, semble constituer une période critique de « programmation » du système immunitaire. Toute perturbation dans le processus initial de mise en place de la flore pourrait avoir des conséquences sur la survenue ultérieure de pathologies comme l’obésité, le diabète, les pathologies inflammatoires du tractus digestif ou encore la survenue d’allergies, dont l’incidence augmente depuis quelques années. L’hypothèse hygiéniste (Starchan) d’une part et l’hypothèse de programmation (Barker) d’autre part apportent de manière complémentaire des explications plausibles aux associations épidémiologiques mises en évidence dernièrement entre l’exposition précoce aux antibiotiques et la survenue de maladies allergiques. L’attention des cliniciens doit être fortement et rapidement attirée vers ces effets délétères de l’antibiothérapie, qui ne concernent plus uniquement l’émergence de mutations résistantes et l’altération de l’écologie bactérienne, mais aussi des pathologies « non infectieuses » tout aussi préoccupantes. Allergie – nouveau-né – programmation.

1. Le microbiote : un écosystème complexe Le microbiote constitue un écosystème complexe constitué d’un grand nombre de bactéries, 1014 environ, soit dix fois plus que le nombre des cellules constituant un individu [1]. Ces microorganismes sont répartis entre 400 à 500 espèces, dont 99 % sont anaérobie strictes. On distingue une flore dominante constituée de 109 à 1011 bactéries par gramme de selles, une flore sous dominante de 106 à 108 bactéries et une flore de passage inférieure à 106 par gramme. La composition de la flore d’un individu donné est très stable dans le temps, seule la flore de passage est habituellement affectée par les variations physiologiques de l’environnement [2]. Les cultures microbiologiques sur milieux de sélectif selon le type de bactérie à identifier, ont été d’abord utilisées pour caractériser la composition de

a Pédiatrie – Hôpital Mère Enfant Centre hospitalier universitaire de Nantes 9, quai Moncousu – 44093 Nantes cedex b Laboratoire de bactériologie Centre hospitalier universitaire de Nantes 9, quai Moncousu – 44093 Nantes cedex c Équipe d’accueil EA3826 – Faculté de médecine 1 rue Gaston-Veil – 44000 Nantes

* Correspondance

[email protected] article reçu le 23 octobre, accepté le 24 novembre 2014 © 2015 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Intestinal microbiota and perinatal antibiotic treatment The microbiote constitute a complex ecosystem. Its establishment in the first weeks of the life seems to constitute a critical period of “programming” of the immune system. Any disturbance in the initial process of colonization by the microbiote could impact longterm health and be implicated in several pathologies as obesity, diabetes, inflammatory pathologies of the digestive tract or allergies, with an increased prevalence observed during the past decades. The hygienist hypothesis on one hand (Starchan) and the programming hypothesis of on the other hand (Barker) constitute plausible explanations to the epidemiological associations reported recently between the premature exposure to antibiotic treatment and allergic diseases. Clinicians must be strongly and quickly awarded towards these deleterious effects of antibiotic treatments, which do not concern any more only the emergence of resistant mutations and the change of the bacterial ecology, but also “not infectious” pathologies even more worrisome. Allergy – new-born – programming.

la flore intestinale. Aujourd’hui, selon les études, certains auteurs soulignent que seulement 15 à 80 % des bactéries du microbiote seraient cultivables [3], et que 95 % des espèces bactériennes composant la flore intestinale dominante ne seraient pas répertoriées dans les collections de souches actuelles [4]. Des techniques de biologie moléculaire ont été développées ces dernières années. Les études utilisant des RT-PCR quantitatives, de l’hybridation in situ, des profils électrophorétiques en gradient dénaturant des ARN S16, ou encore le clonage et le séquençage haut débit de l’ARN ou ADN S 16 ribosomique, ont bouleversé les connaissances sur l’écosystème intestinal humain en permettant une description plus exhaustive du microbiote. Les fonctions connues du microbiote sont variées et concernent aussi bien le domaine métabolique (fermentation des glucides, dégradation des protéines, transformation des stérols, synthèse vitaminique), que le domaine immunitaire (effet barrière contre les organismes pathogènes) [5, 6]. Ces fonctions sont activées par l’installation de la flore dans les premières semaines de la vie, et permettent une modulation des réponses immunitaires spécifiques, mais aussi la mise en place de fonctions suppressives [7]. L’arrivée des bactéries dans l’intestin est un moment particulier, non seulement dans l’exposition immunologique du nouveau-né, établissant un dialogue entre le tube digestif et le reste de l’individu [8], mais aussi à l’origine de l’induction de l’expression de certains gènes REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2015 - N°470//

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de l’épithélium et du système immunitaire [9], établissant une « niche » permettant la colonisation au long terme. L’implantation du microbiote semble donc constituer un moment clef dans la mise en place du système immunitaire, sa maturation et l’acquisition d’une tolérance immunitaire [10], et toutes modifications ou altérations du processus d’implantation pourraient avoir de diverses conséquences pour l’homéostasie de l’organisme.

2. Effets de l’antibiothérapie sur la flore Parmi les nombreux facteurs environnementaux susceptibles de modifier le microbiote, l’antibiothérapie apparaît comme un des plus puissants [11]. Ces effets peuvent se porter sur un des composants spécifiques de la flore et induire l’émergence d’une population bactérienne, mais aussi ils peuvent aussi persister longtemps après l’arrêt d’un traitement antibiotique. Goldenberg et al. ont montré sur des profils de DHPLC (denaturing high performance liquid chromatography) obtenus après différentes antibiothérapies à large spectre chez un patient d’hématologie, des bouleversements tant dans la quantité que la qualité des espèces bactériennes de la flore fécale [12]. La flore fécale d’enfants âgés de 1 à 3 mois est apparue considérablement perturbée par la prise d’antibiotiques par voie orale avec une augmentation des entérobactéries alors que les espèces Bacteroides, Bifidobacterium et Lactobacillus étaient souvent indétectables [13]. Parmi une cohorte de 1 032 nouveau-nés, exposés à une antibiothérapie (amoxicilline le plus souvent), des modifications de la flore fécale ont été observées chez ces enfants à l’âge d’un mois par Penders et al, avec une diminution des genres Bifidobacterium et Bacteroides considérés comme des éléments « bénéfiques » de la flore, par opposition à Clostridium difficile et Escherichia coli [11].

3. Pratique antibiotique en périnatologie L’infection constitue la première cause de décès en période périnatale [14]. L’incidence des infections bactériennes et virales est élevée et le pronostic beaucoup plus sévère qu’au cours du reste de la vie, du fait de l’immaturité du système immunitaire. Cette immaturité est d’autant plus grande que l’enfant est prématuré, l’exposant à des formes fulminantes d’infection. Les bactéries en cause sont Streptococcus agalactiae ou streptocoque du groupe B, Escherichia coli et Listeria monocytogenes pour l’infection materno-fœtale. De plus, les nouveau-nés hospitalisés sont exposés au risque d’infection nosocomiale et les staphylocoques à coagulase négative sont les plus fréquemment rencontrés. Ces infections sont cependant cliniquement moins sévères que celles à bacilles à Gram négatif dont l’évolution est rapide et souvent fatale [15]. L’autre source d’exposition aux antibiotiques est anténatale. L’antibioprophylaxie per natale s’est montrée efficace dans la prévention des formes précoces d’infections à streptocoque du groupe B [16]. 10 % à 20 % des femmes

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reçoivent en cours de travail 2 doses d’amoxicilline, pénicilline G ou clindamycine en cas d’allergie qui diffusent par voie transplacentaire au fœtus [17]. Il faut noter aussi que durant la période néonatale, la symptomatologie évocatrice d’infection est quasiment absente et les signes d’appel sont aspécifiques (bradycardies, apnées, intolérance glucidique). Les néonatologues ont pour habitude alors de prescrire, précocement et dans le doute, un grand nombre d’antibiothérapies probabilistes (amoxicilline, céfotaxime et/ou aminoside). En cas de suspicion d’infection nosocomiale, le traitement consiste en une association de vancomycine et céphalosporine (ceftazidime, cefepime) ou uréidopénicilline (pipéracilline + tazobactam) ou carboxypénicilline (ticarcilline + ac. clavulanique). Dans une étude dans le service de néonatologie du CHU de Nantes, 83 % des prématurés et 100 % des extrêmes prématurés de moins de 28 semaines d’aménorrhée étaient exposés aux antibiotiques. Ces enfants souvent extraits par césarienne, alimentés avec difficulté et hébergés dans des incubateurs, cumulent les risques d’altération de l’implantation de leur microbiote [18].

4. Associations épidémiologiques Les modifications de flore induites par l’antibiothérapie ne sont pas sans conséquence. Ainsi, des associations entre antibiothérapie et obésité ont été observées et confortées par des études expérimentales dans un model murin où la flore d’animaux obèses transférée à des animaux sains induisait la survenue secondaire d’une obésité [19]. D’autres associations ont également été décrites comme antibiothérapie et survenue de maladies inflammatoires du tube digestif, ou survenue de diabète de type I [20]. Une des associations cependant la plus décrite concerne l’allergie, dont l’incidence a augmenté de manière très spectaculaire ces dernières années, avec toutefois des résultats parfois discordants d’une étude à l’autre. À partir de la cohorte KOALA de 2 764 nouveau-nés, Penders et al. ont établi un lien entre antibiothérapie dans les 6 premiers mois de vie et survenue d’une allergie à 2 ans [21]. Une méta analyse par Marra et al. [21] retrouvait un risque d’asthme chez les enfants exposés à une cure d’antibiotique dans la première année de vie. Dom et al. ont publié très récemment une association cette fois entre l’exposition prénatale aux antibiotiques et la survenue d’un eczéma parmi une cohorte de 773 nouveau-nés belges suivis pendant leurs quatre premières années [22]. À l’inverse, d’autres études ne retrouvent aucune association, attirant l’attention sur le risque de biais (existence d’antécédents familiaux, antibiothérapie cause ou conséquence de l’allergie chez des enfants plus souvent malades) [23]. Enfin, d’autres travaux semblent établir un lien entre les perturbations du microbiote et la survenue de symptômes allergiques [24] avec des enfants allergiques moins souvent colonisés avec les lactobacilles, et une flore aérobie plus importante riche en coliformes et en staphylocoques dorés, aux dépends des anaérobies comme Bacteroides. Penders et al. en 2007 ont montré à partir de 957 nouveau-nés de la cohorte KOALA que la présence d’Escherichia coli dans la flore fécale à 1 mois était associée à un risque de développer un eczéma

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alors que la présence de Clostridium difficile était associée à la survenue d’une allergie en général (eczéma, sifflements et sensibilisation) [25]. Les mécanismes en cause dans ces associations épidémiologiques sont de différentes natures, combinant pour l’essentiel l’hypothèse hygiéniste [26] et l’hypothèse de programmation [27].

Figure 1 – Facteurs modifiant l’implantation du microbiote.

4.1. L’hypothèse hygiéniste L’hypothèse hygiéniste a été formulée au début des années 90 par Strachan [26] et suggère que la maladie allergique pourrait résulter d’une diminution de l’exposition aux bactéries dans les premiers mois de vie. Les nouveau-nés ont une immunité de type Th2 en période périnatale, nécessaire au maintien de la grossesse in utero, mais aussi propice à la survenue d’une allergie. L’exposition précoce à certaines bactéries de la flore intestinale serait essentielle pour rétablir un équilibre en stimulant la réponse Th1 et permettrait la mise en place de cellules régulatrices afin de contrôler la réponse immunitaire et induire la tolérance aux antigènes étrangers. La supplémentation précoce en probiotiques semblerait réduire le risque ultérieur de manifestations atopiques [28] ; ce qui conforte l’hypothèse que le développement post natal et l’homéostasie du système immunitaire intestinal dépendent de la mise en place d’un microbiote commensal riche et complexe.

4.2. L’hypothèse de programmation L’hypothèse de la programmation anténatale de la pathologie a été formulée par Barker à la même époque [27]. Ce concept suggère qu’un événement, survenant durant une période particulière du développement, modifie de manière permanente la structure et/ou le fonctionnement de certains organes. Ces modifications favoriseraient l’expression de certaines maladies de l’adulte après une période silencieuse. Cette programmation est connue aujourd’hui comme résultant de mécanismes épigénétiques. Il a été rapporté des modifications de l’expression de certains gènes par des mécanismes de méthylation/ déméthylation des îlots CpG, acétylation/désacétylation des protéines histones et aussi par interférence entre ARN messager et micro-ARN [29]. Ainsi, la colonisation initiale du tube digestif constituerait un moment clef, jouant un rôle majeur dans la programmation immunologique et l’homéostasie systémique ultérieure (figure 1).

5. Quelles applications pour le clinicien ? Pour maintenir un équilibre hôte/bactérie, un consensus se dégage pour préserver le microbiote. Compte tenu des conséquences sur la survenue de pathologies à l’âge adulte, la période néonatale constitue un moment crucial dans l’implantation de cette flore. Les efforts doivent porter sur cette période de la vie durant laquelle les prescriptions

d’antibiotiques doivent être plus raisonnées. Focaliser l’attention des cliniciens sur les seuls effets à court terme des antibiotiques n’est plus suffisant. Des études sur l’épidémiologie des infections materno-fœtales ainsi que le développement de nouveaux marqueurs comme la procalcitonine sont indispensables pour aider le clinicien dans l’identification des seuls enfants infectés [30]. Les molécules d’antibiotiques utilisés doivent être revues, en particulier l’utilisation de molécule à large spectre comme les céphalosporines de 3e génération, et l’utilisation fréquente des aminosides. La durée des antibiothérapies pourrait être revue à la baisse. La limitation de ces traitements aux seuls enfants infectés est une véritable urgence [31]. Le cas des enfants prématurés hospitalisés en réanimation ou en soins intensifs de néonatologie est encore plus critique, puisque ces enfants, dont la flore est déjà pathologique, font l’objet d’antibiothérapies à encore plus large spectre. L’établissement de règles de décisions cliniques, basées sur de nouveaux marqueurs infectieux pourrait permettre d’améliorer nos pratiques en exposant moins d’enfants moins longtemps aux antibiotiques. Le cas des nourrissons recevant des antibiotiques pour des pathologies le plus souvent d’origine virale (angines, pharyngites, bronchites, otites moyennes), durant leurs premiers mois de vie, est tout aussi préoccupant. Il correspond aux deux années durant laquelle la flore s’implante avant de devenir de type « adulte », et cette situation concerne REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2015 - N°470//

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une proportion beaucoup plus grande de la population, exposée à des antibiothérapies souvent répétées et parfois à large spectre (céphalosporines par voie orale). La prévention passe ici par des mesures pédagogiques afin d’informer familles et prescripteurs des règles de bonne pratiques en matière d’antibiothérapie du jeune enfant, et des effets secondaires rapportés, qui ne concernent plus que la seule perturbation de l’écologie bactérienne avec l’émergence de mutants résistants, mais aussi la survenue ultérieure d’une morbidité non infectieuse tout aussi préoccupante. Quelle serait la place des pré et probiotiques ? Certaines études montrent en effet que les probiotiques administrés très précocement persistent plusieurs mois ou années dans la flore digestive [28]. Mais le bénéfice clinique de

ces thérapeutiques n’a pas été clairement établi à ce jour [31]. La place de l’allaitement maternel en revanche reste une évidence, sa promotion, particulièrement chez les nouveau-nés malades exposés aux antibiotiques, devant être favorisée [32]. Ainsi, les enjeux de la médecine périnatale ont changé. Il ne s’agit plus aujourd’hui que d’assurer la survie, la croissance et la santé des nourrissons, mais aussi de « régler les thermostats » qui détermineront, la vie durant, les risques de pathologies ultérieures de l’adulte. L’utilisation rationnelle et raisonnée des antibiotiques en pédiatrie prend bien ici tout son sens. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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