Modulations pharmacologiques des systèmes dopaminergiques : des neuroleptiques à l’aripiprazole

Modulations pharmacologiques des systèmes dopaminergiques : des neuroleptiques à l’aripiprazole

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L’Encéphale (2007) Supplément 2, S46-S49

j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p

Modulations pharmacologiques des systèmes dopaminergiques : des neuroleptiques à l’aripiprazole J. Costentin CHU, 76031 Rouen

Les expressions productives de la schizophrénie procèdent d’une intensification des transmissions dopaminergiques. Il est donc logique pour les amender de s’opposer à cette hyperactivité dopaminergique. La responsabilité de l’hyperdopaminergie dans les expressions psychotiques est attestée par différentes observations. On rappellera qu’en clinique, les agonistes dopaminergiques indirects, comme la L-DOPA, les cocaïniques, les amphétaminiques, ou encore les antagonistes des récepteurs D3 (qui aux faibles doses bloquent les autorécepteurs, intensifiant de ce fait la libération de dopamine), induisent ou exacerbent des expressions psychotiques productives. À l’opposé, des agents comme l’alpha-méthyl p-tyrosine (qui inhibe la tyrosine-hydroxylase, l’enzyme clé de la synthèse de dopamine), la réserpine (qui s’oppose au stockage vésiculaire de la dopamine dans les neurones dopaminergiques), les agonistes des auto-récepteurs D2-D3 (qui inhibent l’activité électrique des neurones dopaminergiques, leur synthèse et leur libération de dopamine), les antagonistes des récepteurs D2 post-synaptiques et, dernier florilège de cette démarche, les agonistes partiels des récepteurs D2, réduisent les expressions psychotiques. Les neuroleptiques, y compris ceux mal nommés les « neuroleptiques atypiques », qui étaient perçus comme des antagonistes de la dopamine au niveau de ses récepteurs D2, apparaissent désormais comme des agonistes inverses [1] (notion que l’on va développer). Dans la schizophrénie on veut apaiser la transmission dopaminergique

qui est excessive, c’est-à-dire réduire les effets de la dopamine ; or, les neuroleptiques, au-delà du but recherché, inversent les effets de cette amine, faisant passer d’une extrême à l’autre, « de Charybde en Scylla ». Les récepteurs dopaminergiques de type D2 sont des récepteurs à 7 hélices transmembranaires couplés à des protéines G (RCPG). Ces sept hélices circonscrivent une cavité dans laquelle peut s’engager le ligand (ligand naturel qu’est la dopamine ou ligand psychotrope exogène). Ce faisant, le ligand interagit avec certains radicaux chimiques situés sur les hélices, à la surface des parois de la cavité qu’elles circonscrivent. Des liaisons sont brièvement contractées entre le ligand et le récepteur. Par le jeu de transferts de charges, vont être induites des modifications au niveau de la troisième boucle endo-membranaire. Or c’est à ce niveau que s’opère l’articulation fonctionnelle du récepteur avec la protéine G qui lui est associée (Fig. 1). Il existe 5 types principaux de récepteurs de la dopamine (désignés de D1 à D5) ; Ils diffèrent entre eux par le nombre des acides aminés qui les constituent et par la nature de ces acides aminés. La protéine G couplée à un récepteur est un ensemble hétérotrimérique, constitué donc de trois sous unités différentes : les sous-unités alpha, bêta et gamma. À l’état de repos, fixée au niveau de la troisième boucle endomembranaire du récepteur, elle est associée à un nucléotide : la Guanosine Di Phosphate = GDP. Lorsque le récepteur est stimulé par un agoniste, l’affinité pour le GDP de la sous-unité alpha diminue, tandis que son affinité pour la Guanosine Tri

* Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur a été rémunéré par le laboratoire Bristol-Myers Squibb pour ce rapport d’expertise. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.

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Modulations pharmacologiques des systèmes dopaminergiques ; des neuroleptiques à l’aripiprazole Récepteurs de la dopamine : 7 hélices transmembranaires couplés aux protéines ext. Memb. int.

D1 D2 D3 D4 D5

Figure 1 Les récepteurs de la dopamine.

Phosphate = GTP s’accroît. Le GTP se liant alors à la sous unité alpha de ce complexe hétérotrimérique le dissocie. De ce fait la sous-unité alpha, liée au GTP, va pouvoir se déplacer à la face interne de la membrane, en direction de son effecteur (qui, selon le récepteur peut être une adénylate cyclase, une guanylate cyclase, une phospholipase, un canal ionique…). Pour le récepteur D2 cet effecteur est l’adénylate-cyclase (enzyme qui convertit l’Adénosine Tri Phosphate = ATP, en Adénosine Mono Phosphate cyclique = AMPc = AMP3’-5’). La sous unité alpha de la protéine G est de type inhibitrice (sous unité alpha i). Aussi, lorsque le complexe sous-unité alpha i –GTP accède à l’adénylate cylase, il en inhibe l’activité et, partant, diminue la synthèse d’AMPc (Fig. 2). L’AMPc est un second messager responsable de nombreux événements cellulaires par une cascade de réactions biologiques.

γ

DA

β DA

Les récepteurs de la dopamine, autres que les D2, comportent d’autres systèmes de couplage : les récepteurs D1 et D5 sont, par exemple, couplés positivement à l’adénylate-cyclase par une protéine Gs (s comme stimulant ; puisqu’à leur stimulation est associé un accroissement de la synthèse endo-cellulaire de l’AMPc). Lorsqu’un ligand (L) interagit avec son récepteur (R), la réponse qui en émane dépend de l’activité intrinsèque (α) de ce ligand. Dans l’équilibre entre d’une part les récepteurs libres [R] et les molécules de ligand libre [L] et, d’autre part, les complexes récepteur-ligand [RL], la proportion de complexes [RL] est reliée à l’intensité de l’effet par un coefficient alpha (α) qui correspond à l’activité intrinsèque du ligand (Fig. 3). • Si le ligand produit une transconformation du récepteur qui génère un effet d’intensité maximale (α = 1), le ligand est un agoniste complet ; • si le ligand, en occupant le récepteur, ne le transconforme pas (α = 0), n’induisant aucun effet intrinsèque, ce ligand est un antagoniste neutre ; son seul effet est de s’opposer à ce que le ligand agoniste naturel, accédant au récepteur, développe son action ; • pour des valeurs d’alpha comprises entre 0 et 1 (0 < α < 1), les ligands sont dits « agonistes partiels » ; occupant le récepteur, ils suscitent à son niveau un certain degré de transconformation, génératrice d’un certain effet ; effet non nul, mais plus faible que celui de l’agoniste ; • enfin, certains récepteurs, en l’absence de toute occupation par leur ligand naturel, développent une activité spontanée (activité dite « constitutive ») ; certains ligands venant supprimer cette « activité constitutive », développent un effet de sens diamétralement opposé à celui d’un agoniste ou d’un agoniste partiel ; cela correspond à des valeurs négatives du coefficient d’activité intrinsèque (α < 0) ; les ligands qui agissent de cette façon sont dits agonistes inverses [3].

[R]

β αi GDP

Récepteur au repos

[L]

[RL] complexe ligand-récepteur

[RL] x α = effet

GDP

γ

+

récepteur ligand

GTP

GTP

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Récepteur stimulé Valeur de α

β DA

γ

1

αi GTP

0<α<1 αi GTP

ATP AMPC

0 Stimulation D2

X

AMPC

Figure 2 Couplage stimulation versus effection des RCPG.

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<0

Agoniste = « full agonist » Agoniste partiel = « agoniste–antagoniste » Antagoniste Agoniste inverse

Figure 3 Activité intrinsèque.

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On sait désormais que les neuroleptiques ne sont pas des antagonistes neutres, mais des agonistes inverses [1, 4] . Ainsi, à une dose élevée, occupant tous les récepteurs D2 de la dopamine, ils développent des effets d’un sens opposé à ceux de la dopamine, avec divers effets indésirables afférents à cette activité intrinsèque négative. En termes neurochimiques, lorsqu’on stimule les récepteurs dopaminergiques D2 par des doses croissantes de dopamine (agoniste complet), on inhibe l’activité adénylate-cyclase et on diminue de ce fait le taux d’AMPc endocellulaire. Lorsqu’on les occupe par un antagoniste neutre, on ne modifie pas le taux endo-cellulaire basal d’AMPc. Lorsque la stimulation est effectuée avec un agoniste partiel, le taux d’AMPc est intermédiaire entre la baisse marquée produite par l’agoniste et l’absence d’effet de l’antagoniste neutre. Enfin, quand les récepteurs sont occupés par un neuroleptique, celui-ci supprime l’activité constitutive du récepteur puisqu’il est un agoniste inverse, ce qui accroît l’activité adénylate cyclasique et partant le taux d’AMPc (Fig. 4).

Tableau 1 Réceptogramme aripiprazole Récepteur

α = activité intrinsèque

1-5 nM

• D2L • 5HT2B • D3

agoniste partiel agoniste inverse agoniste partiel

5-30 nM

• 5HT1A • 5HT2A • 5HT7 • α1A • H1

agoniste partiel agoniste partiel

30-200 nM

antagoniste antagoniste

• 5HT1D • 5HT2C • α1B • α2A • α2B • α2C • β1 • β2 • H3

AMPC α < 0 Agoniste

0

inverse

α = 0 Antagoniste

neutre 0 < α < 1 Agoniste partiel

α = 1 Agoniste

Neuroleptiques UH 232 Aripiprazole Dopamine

AMPC

Figure 4 Récepteur D2 avec une « activité constitutive » D.

Dans les psychoses, la transmission dopaminergique exagérée produit une stimulation excessive des récepteurs D2 ; on peut inverser cette situation en administrant des doses élevées d’un neuroleptique ; on peut aussi se contenter d’atténuer ce dysfonctionnement en recourant à des doses modérées de ces mêmes neuroleptiques ; on peut enfin, récente innovation, calmer cette hyperdopaminergie en recourant à des agonistes partiels des récepteurs D2 ; c’est ce que réalise l’aripiprazole. Avec l’aripiprazole, agoniste partiel des récepteurs dopaminergiques D2, l’activité apparaît pour des concentrations très faibles (Ki = 0,5 nmoles) [2]. Son activité de type agoniste partiel sur les récepteurs D2 est doublée d’une activité de type agoniste inverse sur les récepteurs 5HT2 [6] ; or on sait que leur stimulation participe aux troubles hallucinatoires de l’affection et aux troubles extrapyramidaux des neuroleptiques. Cette deuxième propriété contribuera à l’efficacité antipsychotique et à la prévention des troubles extrapyramidaux qui résulteraient d’une insuffisante stimulation des récepteurs D2 striataux À des concentrations plus élevées que celles développant les effets précédents, l’aripiprazole se lie aux récepteurs sérotonergiques du type 5HT1a, pour lesquels il est un

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agoniste partiel [6], ce faisant il peut influer de façon bénéfique sur la régulation de l’humeur (Tableau 1). Puisqu’il ne bloque pas, mais stimule faiblement les récepteurs D2, l’aripiprazole n’entraînera pas, ou n’induira que très peu, d’effets extra-pyramidaux. Là où le blocage au long cours des récepteurs D2 déréprime l’expression du gène codant les récepteurs D2, avec pour corollaire une augmentation du nombre des ces récepteurs dans le striatum, à l’origine des dyskinésies persistantes tardives des traitements neuroleptiques au long cours, la stimulation faible des récepteurs D2 par l’aripirazole doit mettre à l’abri de cet effet adverse ; cet agoniste partiel ne devrait pas développer d’hypersensibilité, puisqu’il n’induit pas de désuétude de la transmission dopaminergique. Ne bloquant pas les récepteurs D2 au niveau de l’antéhypophyse l’aripiprazole ne suscitera pas d’hyperprolactinémie, responsable d’effets indésirables tels que gynécomastie, galactorrhée, impuissance, baisse de la libido, trouble du cycle menstruel… Ne bloquant pas les récepteurs D2 qui influent sur les mécanismes de la satiété, mais au contraire les stimulant légèrement, l’aripiprazole n’entraînera pas les effets orexigènes des neuroleptiques et des nouveaux antipsychotiques, parfois générateurs de prises de poids monstrueuses et de syndromes métaboliques. En ce qui concerne l’action de l’aripiprazole sur d’autres récepteurs, il est important de souligner qu’il est dépourvu d’activité anticholinergique muscarinique ; cela met à l’abri de la longue liste des effets adverses attachés à une telle activité (hypertonie oculaire, asialie, hypochlorhydrie gastrique, inhibition des sécrétions et du péristaltisme intestinal, troubles de la vidange vésicale, tachycardie, troubles mnésiques…).

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Modulations pharmacologiques des systèmes dopaminergiques ; des neuroleptiques à l’aripiprazole Cette nouvelle stratégie du recours aux agonistes partiels des récepteurs dopaminergiques D2 destinée à maîtriser l’hyperdopaminergie qui est consubstantielle des formes productives de la schizophrénie, s’affranchit ainsi de divers effets adverses des neuroleptiques [5]. Avec l’aripiprazole cette stratégie s’enrichit d’activités supplémentaires (vs les récepteurs 5HT2 et 5HT1a, voir aussi le Tableau 1) qui complètent de façon intéressante l’action antipsychotique.

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Références [1] Akam E, Strange PG. Inverse agonist properties of atypical antipsychotic drugs. Biomedical Pharmacol 2004 ; 67 : 2039-45. [2] Burris KD, Molski TF, Xu C et al. Aripiprazole, a novel antipsychotic, is a high-affinity partial agonist at human dopamine D2 receptors. J Pharmacol Exp Ther. 2002 ; 302 : 381. [3] Daeffler L, Landry Y. Inverse agonism at heptahelical receptors : Concept, experimental approach and therapeutic potential. Fund. Clin. Pharmacol. 2000 ; 14 : 73-87. [4] Hall DA, Strange PG. Evidence that antipsychotic drugs are inverse agonists at D2 dopamine receptors. Brit. J. Pharmacol. 1997 ; 121 : 731-6. [5] Lieberman JA. Dopamine Partial Agonists. A New Class of Antipsychotic. CNS Drugs 2004 ; 18 (4) : 251-67. [6] Shapirao DA, Renock S, Arrington E et al. Aripiprazole, a novel atypical antipsychotic drug with unique and robust pharmacology. Neuropsychopharmacol 2003 ; 8 : 1400-11.

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