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Article original
Presse Med. 2007; 36: 383–7 © 2007 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.
Mortalité par cancer en France : le nombre de décès augmente, mais le risque de décès par cancer diminue Catherine Hill1, Françoise Doyon2
1. Institut Gustave Roussy, Villejuif (94) 2. Inserm U605, Villejuif (94)
Correspondance :
■ Summary
■ Résumé
Cancer mortality in France: the number of deaths is increasing but the risk of dying from cancer is decreasing
Introduction > Pour étudier la variation du risque de décès par cancer entre 1980 et 2000, il faut tenir compte de l’augmentation et du vieillissement de la population qui entraînent une augmentation mécanique du nombre de décès. Méthode > Les variations du nombre de décès par cancer en France entre 1980 et 2000 ont été décomposées en fonction des 2 sources de variation qui étaient 1) l’effet démographique, c’est-à-dire l’effet de l’augmentation de la taille de la population et celui de son vieillissement et 2) la variation du risque de décès par cancer. Résultats > Le nombre de décès par cancer a augmenté de 15,5 % entre 1980 et 2000. Les changements démographiques auraient dû conduire à une augmentation de 29,1 % : 10,3 % à cause de l’accroissement de la population et 18,8 % à cause de son vieillissement. L’augmentation observée est donc inférieure à celle attendue parce que les effets démographiques ont été en grande partie compensés par la réduction du risque de décès par cancer. Cette réduction a été de 13,6 % (c’est-à-dire 29,1 moins 15,5 %). Discussion > C’est une erreur de décrire l’accroissement du nombre de décès par cancer comme inquiétant quand cet accroissement n’est que le reflet des changements démographiques. Le risque de mourir d’un cancer n’augmente pas en France, au contraire il diminue nettement.
Introduction > To analyze the trends in cancer mortality between 1968 and 2000, one needs to consider both the increase in the size of the population and the ageing of this population, since both phenomena lead to a mechanical increase in the number of deaths. Methods > We describe the analysis of the variation in number of deaths to distinguish the demographic effects from the variation in risk. This variation in risk must be studied, controlling for both the size and the age of the population. Results > The number of cancer deaths in France increased by 15.5% between 1980 and 2000. Based on the demographic changes, one would have expected an increase of 29.1%: 10.3% because the population has grown and 18.8% because it has aged. The observed increase is less than expected because the demographic effects have been canceled out in large measure by a decrease in the risk of cancer, which fell by 13.6% (29.1% minus 15.5%) between 1980 and 2000. Discussion > It is a mistake to describe the increase in the number of cancer deaths as worrisome when it is due only to demographic changes. The risk of dying from cancer is not rising in France: it is clearly falling.
tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 1 doi: 10.1016/j.lpm.2006.12.022
383
Catherine Hill, Service d’épidémiologie et biostatistique, Institut Gustave Roussy, 39 rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif Cedex.
[email protected]
Hill C, Doyon F
P
lusieurs indicateurs permettent d’étudier la mortalité par cancer : le nombre de décès annuel, le taux de décès obtenu en divisant le nombre de décès par l’effectif de la population, et, pour comparer 2 années, des taux à structure d’âge identique (taux comparatifs ou standardisés). Ces 3 indicateurs donnent des résultats différents, ce qui est logique car les nombres de décès sont des données brutes, alors que les taux tiennent compte de la taille de la population et que les taux standardisés tiennent compte en plus des effets de l’âge. Nous avons étudié les composantes de la variation du nombre de décès par cancer. La méthode est simple et nous l’avons exposée pour les variations entre 1980 et 2000. Elle a été décrite plus en détail dans Bashir et Estève [1].
Méthodes Les nombres de décès par cancer, toutes localisations confondues (CIM-9 : 140 à 208, CIM-10 : C00 à C97) et par classes d’âge de 5 ans en 1980 et en 2000, ont été obtenus sur le site du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès de l’Inserm (www.cepidc.vesinet.inserm.fr). Ils sont dans les colonnes (1) à (6) du tableau I. La population moyenne en 1980 a été calculée en faisant la moyenne de la population au 1er janvier 1980 et au 1er janvier 1981. La population moyenne en 2000 a été calculée de la même façon. Ces populations moyennes exprimées en milliers sont dans les colonnes (7) à (12) du tableau I. Les populations au 1er janvier de chaque année sont publiées tous les ans par l’Insee [2-4]. Nous avons décomposé les variations du nombre de décès par cancer en France entre 1980 et 2000 en fonction de deux sources de variation qui étaient : • l’effet démographique, c’est-à-dire l’effet de l’augmentation de la taille de la population et celui de son vieillissement ; • la variation du risque de décès par cancer.
Ce qui était connu • Le nombre de décès par cancer a augmenté en France entre 1980 et 2000. • La population a augmenté entre 1980 et 2000. • La population a aussi vieilli.
Ce qu’apporte l’article • Une étude des effets démographiques sur l’évolution du nombre de décès. • La mesure de la réduction du risque de décès par cancer :
384
14 % en 20 ans.
Résultats Les calculs sont présentés dans le tableau II, pour chaque sexe et pour la population totale. Entre 1980 et 2000, le nombre de décès par cancer est passé de 124 347 à 143 644, soit une augmentation de 15,5 %. Simultanément, la population est passée de 53 880 000 à 59 131 000, ce qui représente une augmentation de 9,7 %. Dans la même période, le taux brut qui est le rapport entre le nombre de décès et l’effectif de la population est passé de 230,8 à 242,9 pour 100 000, ce qui représente une augmentation de 5,3 %. La différence entre la variation des nombres de décès et la variation des taux bruts est de 10,3 %, elle résulte de l’augmentation de la population. Non seulement la population a augmenté mais elle a aussi vieilli, or la mortalité par cancer augmente beaucoup avec l’âge (figure 1) : par exemple en 1980 chez les hommes, le taux de décès entre 65 et 74 ans était le double du taux entre 55 et 64 ans (1 297,0 versus 619,4 p. 100 000). Pour éliminer l’effet du vieillissement entre 1980 et 2000, nous avons calculé la mortalité que l’on aurait observée en 2000 si les taux par sexe et âge étaient restés ceux observés en 1980. En termes techniques, ceci consiste à calculer le taux standardisé pour 1980 en utilisant la population de 2000 comme population de référence. Les formules sont indiquées dans le tableau I : il suffit de multiplier dans chaque classe d’âge le taux en 1980 par la population de 2000. Aux risques de 1980, on attendrait 162 156 décès par cancer en 2000, ce nombre rapporté à la population de 2000 donnant un taux de décès attendu de 274,2 pour 100 000. L’effet attendu du vieillissement se mesure en calculant la variation entre le taux observé en 1980 (230,8) et le taux attendu en 2000 aux risques de 1980 (274,2), cette variation étant égale à 18,8 %. À cause de l’augmentation de la population, passée de 53,9 à 59,1 millions, et à cause de son vieillissement, on aurait dû observer, en 2000, 29,1 % de décès par cancer de plus qu’en 1980 : 10,3 % à cause de l’augmentation de la population et 18,8 % à cause de son vieillissement. Or on a observé seulement 15,5 % d’augmentation du nombre, parce que le risque de mourir d’un cancer, à taille de population égale et à âge égal (seule façon de mesurer le risque), a diminué. La diminution du risque se calcule en soustrayant l’effet démographique (29,1 %) de la variation observée pour le nombre de décès (15,5 %), on obtient -13,6 % soit une réduction du risque de 13,6 % (figure 2). On peut faire les mêmes calculs séparément chez les hommes et chez les femmes. Les résultats sont assez proches. L’effet du vieillissement a été plus prononcé chez les hommes que chez les femmes (20,6 % versus 16,4 %), et l’effet de la taille de la population a été un peu plus faible (9,9 % versus 10,5 %). La diminution du risque a été un peu plus importante chez les hommes que chez les femmes (14,1 % versus 12,9 %). tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 1
Nombre de décès par cancer et population moyenne en France pour 1980 et 2000 Âge
Nombre de décès par cancer en France CIM-9 : 140 à 208 1980 H
385
F
Population moyenne en milliers
Nombre de décès attendus en 2000 aux risques de 1980
CIM-10 : C00 à C97 2000
Total
H
F
1980 Total
H
F
2000 Total
H
F
Total
H
F
Total
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)
(9)
(10)
(11)
(12)
(13)= (1)*(10)/(7)
(14)= (2)*(11)/(8)
(13)+(14)
0-4
104
105
209
58
55
113
1 860
1 773
3 633
1 864
1 776
3 640
104,2
105,2
209,4
5-14
300
160
460
98
76
174
4 318
4 106
8 424
3 836
3 663
7 499
266,5
142,7
409,3
15-24
344
249
593
216
126
342
4 330
4 228
8 557
3 901
3 780
7 682
310,0
222,7
532,6
25-34
628
608
1 236
431
408
839
4 342
4 184
8 527
4 234
4 216
8 450
612,4
612,6
1 224,9
35-44
2 038
1 374
3 412
2 171
1 952
4 123
3 074
2 944
6 018
4 269
4 353
8 622
2 830,5
2 031,9
4 862,3
45-54
9 268
4 564
13 832
9 464
5 044
14 508
3 186
3 214
6 400
4 121
4 166
8 287
11 989,3
5 915,6
17 904,9
55-64
14 144
6 870
21 014
14 660
6 881
21 541
2 283
2 535
4 819
2 682
2 797
5 480
16 615,0
7 579,8
24 194,8
65-74
24 366
13 183
37 549
26 226
13 310
39 536
1 879
2 506
4 384
2 317
2 854
5 170
30 046,6
15 014,3
45 060,9
75-84
19 205
15 877
35 082
22 380
15 309
37 689
903
1 640
2 543
1 186
1 871
3 058
25 226,3
18 113,8
43 340,1
85-94
3 921
6 516
10 437
10 424
12 414
22 838
133
418
551
327
825
1 152
9 668,3
12 853,1
22 521,4
95+
141
382
523
609
1 332
1 941
5
20
25
18
73
90
501,3
1 394,2
1 895,4
Total
74 459
49 888
124 347
86 737
56 907
143 644
26 312
27 568
53 880
28 756
30 374
59 131
98 170
63 986
162 156
Article original
Mortalité par cancer en France : le nombre de décès augmente, mais le risque de décès par cancer diminue
tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 1
Ta bl e au I
Hill C, Doyon F
Ta bl e au I I Décomposition de la variation de la mortalité par cancer entre 1980 et 2000
(1)
Nombre de décès en 1980
(2)
Nombre de décès en 2000
(3)
Variation du nombre de décès, %
(4)
Population en 1980 en milliers
(5)
Population en 2000 en milliers
(6)
Variation de la population, %
(7)
Taux brut en 1980 p. 100 000
(8)
Taux brut en 2000 p. 100 000
(9)
Variation des taux bruts
(10)
Effet taille de la population, %
(11)
Taux attendu en 2000* aux risques de 1980
(12)
Effet âge, %
(13)
Total effet démographique : variation attendue
(14)
Variation du risque, %
Hommes
Femmes
Total
(1)
74 459
49 888
124 347 143 644
(2)
86 737
56 907
(3)=[(2)-(1)]/(1)
16,5%
14,1%
15,5%
(4)
26 312
27 568
53 880
(5)
28 756
30 374
59 131
(6)=[(5)-(4)]/(4)
9,3%
10,2%
9,7%
(7)=(1)/(4)
283,0
181,0
230,8 242,9
(8)=(2)/(5)
301,6
187,4
(9)=[(8)-(7)]/(7)
6,6%
3,5%
5,3%
(10)=(3)-(9)
9,9%
10,5%
10,3%
(11)
341,4
210,7
274,2
(12)=[(11)-(7)]/(7)
20,6%
16,4%
18,8%
(13)=(10)+(12)
30,5%
26,9%
29,1%
(14)=(13)-(3)
-14,1%
-12,9%
-13,6%
386
* p. 100 000.
F ig u r e 1
F ig u r e 2
Mortalité par cancer en fonction de l’âge en 1980
Variation du nombre de décès par cancer entre 1980 et 2000
tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 1
Il ne faut pas confondre nombre de décès et risque de décès. Le nombre de décès par cancer a augmenté de 124 000 à 143 000 entre 1980 et 2000. Cette augmentation est importante à connaître en termes d’organisation des soins, car elle permet d’adapter les ressources aux besoins de la population. Le risque de mourir d’un cancer a diminué de 14 % pendant cette période. Naturellement, cette réduction du risque de mourir d’un cancer est l’addition des évolutions des différentes localisations de cancer. Ces évolutions ne vont pas toutes dans le même sens, mais l’étude des variations des risques de cancer par localisation dépasse l’objectif du présent travail. Le lecteur intéressé pourra trouver ces données chaque année dans le numéro de janvier du Bulletin du cancer [5]. Les données de mortalité figurant sur les certificats de décès ne sont pas parfaites : certains décès de cause non précisée ou mal précisée sont certainement dus à des cancers, inversement certains décès peuvent avoir été attribués à un cancer à tort. L’étude des variations reste possible sous réserve que la fréquence de ces erreurs ne varie pas beaucoup. Les estimations de la taille de la population ne sont pas non plus parfaites, elles reposent sur les données des recensements. Les données de mortalité par cancer pour 2000 étaient les données observées. Quand les données de mortalité observées sont disponibles, il est toujours préférable de les utiliser plutôt que des estimations soumises à des incertitudes, voire à des erreurs. Les données de mortalité observées en 2000 diffèrent notablement des données estimées par Remontet et al. [6]. Ces estimations ont été extrapolées à partir des données observées entre 1978 et 1997. Ceci a conduit à une surestimation du nombre de décès pour 2000 de 4 % (150 000 versus 144 000 observés), et à une surestimation de l’augmentation entre 1980 et 2000 de 30 %. De même, la baisse des taux standardisés entre 1980 et 2000 était estimée à 7 % chez les hommes et 9 % chez les femmes à comparer aux 15 et 13 % observés. La discordance entre prédiction et observation ne doit pas décourager les prévisions : c’est un exercice aussi périlleux qu’utile que d’essayer de prévoir l’avenir, et si les erreurs
tome 36 > n°3 > mars 2007 > cahier 1
sont possibles, elles ne doivent pas empêcher l’exercice [7]. Il serait intéressant de faire les mêmes calculs pour les données d’incidence, c’est-à-dire pour les nombres de diagnostics de cancer annuels. Cependant les estimations disponibles à l’heure actuelle [6] sont entachées des mêmes erreurs que les estimations de la mortalité et donc surestiment probablement ces nombres pour l’année 2000.
Conclusion On ne peut pas comparer directement les nombres de décès d’une année à l’autre en interprétant le résultat sans tenir compte des changements démographiques. Pour étudier la variation des risques, il faut les comparer à taille de population égale et à âge égal. Alarmer la population en disant que le nombre de décès par cancer a augmenté de près de 16 % entre 1980 et 2000 est trompeur puisque cette augmentation est entièrement expliquée par les phénomènes démographiques. Le risque de mourir d’un cancer a en fait diminué de 14 % entre 1980 et 2000. Conflits d’intérêts : aucun
Références 1
Bashir SA, Estève J. Analysing the difference due to risk and demographic factors for incidence and mortality. Int J Epidemiol. 2000; 29: 878-84.
2
Bulletin mensuel de statistique Janvier 1985. Insee; p. 92. Population de 1980 et 1981.
3
Bulletin mensuel de statistique Janvier 2000. Insee. Population de 2000.
4
Bulletin mensuel de statistique Janvier 2001. Insee. Population de 2001.
5
Hill C, Doyon F. La fréquence des cancers en France en 2002 et son évolution depuis 1968. Bull Cancer. 2006; 93: 1-5.
6
Remontet L, Buemi A, Velten M, Jougla E, Estève J. Evolution de l’incidence et de la mortalité par cancer en France de 1978 à 2000. SaintMaurice: Institut de Veille Sanitaire; 2003.
7
Bray F, Moller B. Predicting the future burden of cancer. Nature reviews Cancer. Advance Online Publication; 2005.
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Discussion
Article original
Mortalité par cancer en France : le nombre de décès augmente, mais le risque de décès par cancer diminue