Lingua 21 (1968) 294-302, © North-Holland Pubtish,;n~ Co., .4msteedam Not to be reproduced by photoprint or microfilm without written i~mflssion from the publisher
MOT ET
SYNTHI~ME
ANDRI~MARTINET
On ne s'6tonnera gl~re de trouver une r6f~rence au mot dans le titre de l'hommage h tin savant qui a si brillamment d6fendu ce concept que la pratique structuraliste tendait k 6carter au profit de i'unit6 significative minima, ii est vrai que l'auteur de ces lignes a activemer~t participe ~ l'effort collectif tendant ~ pous~,~er l'analyse des ~nonc~s au-de!h du mot, et qu'on pourrait vouloir d6celer, dans cette r6f~rence, une intention pol6mique. Cette intention n'existe pas. L'histoire rdcente de la ]inguistique nous montre que des traitements qui pouvaient sembler diam6tralement oppos6s, ne refl6taient en fait que des optiques diff~rentes, des fa~ons particuli~res d'envisager et d'aborder des prob2~mes, l'accent ~tant mis ici sur l'~nonc~, 1~ sur le paradigme, les probl~mes s~mantiques ~tant chez Fun temporairement pass6s sous silence, ~-'--, ~ l'autre, au contraire, plac6s d~s l'abord au ceuL~c des pr6occupations, sans qu'au fond, il y air nulle part de contradiction dans les r6~,uitats obtenus de part et d'autre. Pour Anton Reichling, le mot, comme unit6 de sens, s'impose avec une telle force q~e lui ~pparaissent n6cessairement maxginales des di: ficult6s d'identiffc~ ion qui, pour des e~prits plus formalistes ou qui, chronoiogiquernent, placent l'6tude de la fonne avant celle du sens, se pr6sentent au centre m6me du probl~me. Les deux points de vue sont justifies. Chacun, selon son temp~ra~ment et sa formation, poursuit sa recherche, et c'est ain,d que se trouvent finalement 6c.azrees toutes les faces de l'objet. Ceci ne veut, certes, pas dire qu'i][ faille imperturbablem~nt poursuivre son chemin suI ]a m6me voie, sans 6gard/~ l'exp6rience acquise en cours de route. Avant d'adopter le mon~me comme l'unit, i fonda.mentale de l'artictJation de l'6nonc6 en signes, on a l o n ~ e m e n t flirt~ avec la notion du mot comme une unit~ linguistiquement ponctuelle. Ceci implique, d',me part, que l'analyse du signifiant en pho-
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n&raes successifs est oubli6e une fois qu'est assur~e l'identification d~ mot, d'autre part, que la successivit6 des 61~ments significatifs d'une forme comme donne-r-ons est consid6r6e comme nc,n pertinente, comme d6termin6e par la serw;tude que repr6sente la lin~arit~ della parole" donnerons serait une unit6 significative combinant les traits 'do~aner'~ 'futur' et 'pl. l' tout comme l'unit6 distincti~ze/b[ du franqais; combine les traits 'bilabial', 'sonore' et 'oral'. I)ans cette optique, des subjonctifs fran~ais comme aille [aj/, [asse/fas/ou sache /saJ/, o/~ l'on ne saurait attribuer un segment particulier au radical verbal et u~l autre k la marque du subjonctif, ne seraient plus des ent ~rses ~ h structure normale des dnonc6s, mais des formes parfait~ment normales de la r6alisation du mot, des formes refi6tant, en quelque sorte, l'unit~ de ce mot plus fid~lement qu'un complexe analysab!e comme donne-r-ons qui n'aurait, sur les formes synth6tiqt~es, que l'avantage de pouvoir ~tre fabriqu6 par l'enfant une lois quql a acquis le talent d'opdrer par analogie. Cette conception ponctuelle du mot s'inspirait, bien entendu, de l'exp6rience de l'analyse phonologdque o~ l'impossibilit~ de pratiqde:r la commutation ou quelque autre circonstance obligeait souvent ,t consid6rer comme phoneme unique ce qui 6tait physiquement une succession d'616ments diff,'rents: l'dl~ment intervocalique d'esp. mucho /mutSo/, par exemple, comporte incontestablement une occlusion suivie d'une friction, et il suffit, pour s'en convaincre, de reproduire un enregistrement m6~anique .k l'envers; mais l'impossibilit~ de commuter chacun des ,qements du complexe impos~ l'ar, alyste une interpr6tation mont~ghon6matique, comme el|e mpose., au locuteur castilian le sentimevt de l'unit~ d e / t f / . I1 est vrai que cette interpr6tation est, en phono.!ogie, plut6t 1 e.:ceptlon que la r~:gle, alor.~ qu'en l'6tendant au mot, ~.lle devient la norme pour certaines cat6gories. D'autre part, les jus:-ifications qu'on invoque pour les phonemes n'exister~t gu~re pour ~es roots" les ,":l~ments successifs de donne-r-ons sont ais6ment commutab:tes (/d6n-r-6/ /d6n-i-6/, ,td6n-r-e/, etc.); si l'analyse d'aille /ajl est formelkment, impossible ou arbitraire ( / a - / = aUer, ]-J[ -----'subjonctif'), personne n'h6sitera X y retrouver, s6mantiquement, deux 61dments distincts, et l'on rapprochera ce cas de celui off, en phonologie, un [~] parfaitement homog~ne se voit interpr6t6 comme une success:ion [an/. Mais rien de tout ceci ne pourrait nous empScher d'adopter une concep~i,,~, eonctuelle du mox si celle-ci nous permettait de d6gager une
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d~finition scientifique de ce tel-me qui nous ferait retrouver, dans t o u s l e s dnonc~s de toute langue, les mots de l'usage courant. Si, finalement, cette conception du mot a ~t~ dcart~e, c'est que, p~cis~mel~t, eUe n'aboutissait pas k faire coincider les r~sultats d'une analyse syncbronique s~.rieuse avec la segmentation impos~e par la tradition" si nous c~ms,.:utons ~ considdrer, comme un ooint ,te la chalne, donnerons, Oil la segmentation ne fait po~rtant aucune difficultY, c'est pour avoir !c droit de le faire 1~. oh cette segmentation est d~licate ou impossible; or, dans le cas d'avom rnur,~, ch l'on peut rattacher le trait de s ens 'pl. 1' /t avons et 'courir' ~. couru, 'pass6' n'est pas prdcis6menl localisable, et nous voudrions pouvoir dire:
flexion et ]'ortho~Taphe que le crit~re de la s~parabifit~ (...av,ms tous couru) s'y opposent forr.~ellement. IT n'y avait donc pas l~ une fa~on de sauver, sur le plan de la linguistique g~n~rale, le concept de mot comme l'unit6 en ~erme:s de laquelle on peut analyser int~gralement tout 6nonc6 de toute langue connue ou imaginable. On s'est donc rabattu sur l'unit6 significati.ve minima con~ue, non comme un segment de l'dnonct~ dou6 de sens et non susceptible d'Stre analys6 en segments plus petits de m~me type, mais comme un effet de sens correspor, cant ~ une modific.~tion formelle de l'~nonc~, modification ne s'identifiant pas n6cessairement avec l'app~ri;:~on d'un segment d6ten'nind (unit6 'subjonctif' dans aille), ma~ pot~va:lt aussi se r~aliser de fa~on discontinue (unit~ 'pluriel' dans les petits animaux [leptizan]~o/ e~.~ face du singulier dans l:' petit animal /lpt~tanimal/). C'est pou.~ ~ ~oi on a retenu, pour d6signer cette unit6, le terme de n, on~me, de . .f~rence tt morpJ*2me, dont l'6tymologie et l'emploi chez la p l u r , at'~. *" _~s '~ructuralistes' mettaient trop 1 accen~ sur la forme. La coac ,~:i:!on de l'unitd significative que recouvre monime r~!clamait un bz:,~e pour d~signer les segments inanalysables reconnus comme les signifiants indivis de deux ou de. plus de deux mon~mes, tel aille /aj/ iJentifi6 comme le signifiant des mon~mes 'aller' et 'subjonctif'. ~'est amalg.qme qui a ~t6 retenu. On notera que le concept d'amalgame est disponible non seulement pour les cas o~t la segm~mtation ne pourrait 6tre qu'arbitraire (/aj/ con~u comme / a - / + / - j / ) , mais ~galement 1.~ off l'on se refuse ~ la s,egmentation pour~s:mplifler ia prdsentation" on a int~rSt, en g6n61al, k voir dans l'anglais s a n g / s m o / u n amalgame des mon~mes 'chanter' et 'pr6t6•
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rit', encore q u ' u n e analyse formelle en /s...r3/ et / . . . a ~ . . . / reste possible. I1 s'en faut, certes, que les concepts de mon~me et d ' a m a l g a m e offrent, dans t o u s l e s cas, la possibilitd d'une analyse impeccable, excluant toute h6sitation et tout remords, et l'on pourrait, en face de certaines difficult6s, faire valoir que, puisque ,-s nouvelles notions ne permettent pas de trancher dans t o u s l e s cas. il n'&ait pas justifi,6 d'6carter celle de mot. Sans doute, l'emploi de celle-:i pr6sentai,~ i! ,~.gxiement de sOrieux inconv6nieats, maiv il permettait au moins de faice l'&onomie de deux nouveaux concepts. Une des o~-jections qu'Gn a rite pr6sent6e contre la notion d'amalgame est q~e, si l'on se refuse 5. identifier n & e s s a i r e m e n t un mon~me avec uv segment particulier du discours, comme on le fait effec-t i v e m e n t qm nd on dit que le latia dominorum est up amalgame des signifiants d~.,; :Lrois mon~mes 'maitre', 'g6nitif' et 'pluriel', on est amen~. 5. voir. dans jument, un amalgame des monbmcs 'che~-al' et 'femelle', ce qui, de proche en proche, aboutira 5. entrem61er, voire confondre anz,lyse en monbmes et analyse s6mantique. R@ondre, comme on a ,)u le faire, qu'il s'agissait, dans un cas, d'616ments grammaticau~ s ' a m a l g a m a n t 5. un 616ment lexical, d,ms l'autre d ' u n fait de l e x i q u e c'6tait entre,'oir la solution, mais faire interx,.nir la distinction ent ce le g r a m m a t i c a l et le lexical it tm stade de l'~nalyse off elle ne s'im t osait pas n&essairemen t. M ai ~ c'dtait, surtout 1~is.~cr dans l'ombre la distinction fondamentale entre deux types d association de mor,~mes" d'une part, celle qui r6sulte de la constructio:l syntagm~iq'.~c de l't~aonc6 qui suppose n&essairement une serlc de choix distinets fairs au m o m e n t mSme o/1 l'on parle, pour cornmnniquer telle exp6rience et non telle autre, choix de 'maltr~', 'g6nitif', ' pluri el' dans dominor,~m, paralF21es aux choix de 'sur', 'd6.i ni', ' banc' dans sur le bane; d'autre part, la combinaison de deux ou de plus de deux unit6s significatives m i n i m a en une nouvelle unit6 qui fera l'objet d'un choix unique au cours de la construction syn~:agmatique de l'6nonce;, soit, par exemple, inddsirable, de in- + ddsirable (ce dernier, 5. son tour, de ddsir(er) + -able), qui s'emploie darts les m6mes conditions syntaxiques que des mongmes uniques comme mauvais ou comme truand. L a notion d ' a m a l g a m e n'a d'applicacion qu'en syntagmatique, 15. off deux choix n6cessairement distincts, celui du pluriel dominoru~n au lieu du singulier domini et cebfi tu g&iitif dominorum au lieu de
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l'accL:satif dominos entralrent conjointement l'emploi d'une forme inanalysaKe. ElK ,l'est pa~': de raise lorsque tout indique qu'un segment du discours, iument par exemple, a 6t6 cboisi comme tel au lieu de ch.,val ou au lieu de mule ou d anesse, l_ e se~me, t ~nc'.:sc "~uc tout locuteur semblerait pouvoir ,naly~ei; e n tin(e) -}- -esse, est, h;en entendu, un des modules qui pourrait faire consid~rer ]ument comme un arnalgame; reals, contrairement k l'~quivalent s6man0que due /emelle, dnesse reprdsente un choix unique, exactement comme , fment. L'avantage d'dnesse sur iument est son caract~re 'motiv6' tiai pellt faciliter l'apprentissage du terme par l'enfant. Mais, une fois dr, ess,: int6gr~ au vocabulaire, tout se passe comme s'il s'agissait d'un monbme unique. En d'autres termes, on pourrait parler parfaitement le fran~ais sans avoir jamais per~u ou senti le caract6re compiexe de ce terme. Pour un 6tranger qui apprend le fran~,ais, be~ucoup s'analyse de toute 6vidence en beau et coup, alors que cinquante millions de Fran~ais vivent et meurent sans avoir jamais so,ap~onn6 dans ce segment une trace de motivation. Nous avons propos6 (Martinet, 1967) de %server le terme de syntagme aux combinaisons de mon~mes r6sultant de choix distinc ts, qu'il s'agisse d'amalgames, comme dans dominorum, de mots analvsables comme donnerons ou de combinaiso,~s plus l~tches, comme sur le banc off les trois mon6mes composant:, sont s6oarables (sur tout le petit banc). Pour d6signer les combinaisons de mon~mes qui font, dans le discours, l'objet d'un choix unique, nous avons propos6 te terme de synthdme. La syntagmatique est naturellemeW ~ "'6" " de ~tuae la formation des syntagmes. La synth6matique est celle de la production des synth~mes, c'est-~-dire qu'elle d~signe ce qu'on appelle en allemand Wortbildungslehre, en marquant mieux, toutefois, qu'il ne s'agit pas de la constitutF'n du mot tout entier, d~sinences compri,;es, mais simplement de ce qu'on connalt sous le nom de radical. I1 est utile de pouvoir distinguer entre les mon~mes constitutifs de syntagme (/d6n-, -r-, 6 / d a n s donnerons, [syr 1 b ~ / d a n s sur le banc, 'maitre', 'gdnitif' et 'pluriel' dans dominorum) et les mon~mes qu'on peut d6gager par l'anMyse des svnth~mes (due et -esse dans dnesse et, si l'on veut, beau et coup d:,ns 3eaucoup). On d6signera les premiers comme des mon~mes libres, et les seconds comme des mon~mss con'/oints. On est pleinement conscient du caract~re provocateur de t'~pit,b~te de '!ibre' appliqu6e aux trois constituants de l'amalgame domirmrum," il n'y a ~videmment aucun rapport entre/tee, dans la
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traduction anglaise /ree moneme, et /rec.. dans l'expression bloomfieldienne !,ee ]orm: le mon~me corre~;pond toujours ~ quelque diffdtence formeUe, mais sa nature vraie est inddpendante des accidents de cette fonne; la !ibertd du mon~me se manifesto par lc fait qu'il correspond ~ un choix distinct, qnelles que soicnt Its variations formelles de ce choix. La notion de choix ~ laquelle nous avons eu r(,cours jusqu'ici n'a dtd utilisde qu'a titre explicai-if et ne saurait, bien entendu, ser eir comme crit~re de la distinction entre les deux types d'association de mon~mes. Le seul crit~re valable nous parM~ ~tre celui du compor:~ement s y n t a x i q n e du complexe considdrd" d'une p3rt, nous avons des ccmph;xes qui se comportent, en ce qui c m,'erne leur combinabilitd syntaxique, en tous point.,, comme des m o l e m .s uniques, c est-a-dne qu":is entrent dans ies m6mes combinaiscns qac ies mon~mes d'une clause donnde et qu'aucun des eleme,.~s qui los composent n'est susceptible de recevoir une ddtermination particuli~re" ce sont des, synth'.,mes; d'autre part, nous trouvons des concatdnatior::; dont chaque dldment implique une restriction quant ~ la comt,inabilitd de l'ensemble: ce sont des syntagm,.s. Soit le synth~me chaiselongue." iI peut entrer dans toutes les co;nbinaisons clans lesquelles • ~ • apparait le m o n e m e simple chaise y comprl~ ~a combinai.~on a, ec i'adjectif tongue: une longuc chaise-lon~v.e cornrae une longue cha2se," d'autre part, on tie peut ajouter Ul~,~ ddtcrmination particulibre ~i chaise ,,u ~ longue sans ddtruire le synth~.m," ~ne chaise plus lo~,gue n cst plus une chaise-longue. Soit. maintenan~.: le syntagme donnerons," l'adionction de l'dldment/-r--/dlimine la possibilit6 d'aiouter au complexe une autre ddtermination temporelle; de m~me/-,5/exclut toute autre r, arque :le personne ; on. ne peut done pas dire que donnerons entre dans toutes les cc m b i r a i s o n s off petit figurer donne. Thdoriquement au morns, la distinction entre synth~me et syi~tagme est parfaitement nette. En pratique, on hdsitera parfois ~ se prononcer. A premibre vuc, ie complexe jeune/ilIe apparalt comme un synth~me: on ne dira pas une plus ~cunc /ilh', 1nais une ~eune /il,!e plus :ieune, on entendra toutefois uue route ]elope/ille of~ tc,ute ddtermine jeune 5. 1 excluslo:, de lille. En faR, i! existc, dans ce cas, u n cntgre qui permet de dist inguer icune/ille s y n t a g m e d-'.~i e~,ne/ille sy::.thbme: en franc;a;~, tradttionne!, ~) l'article ~nddfini pluriel sera de 1) La distinction ei~tre les deux c¢,nstructions sen;b!e fort attemte darts la
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devant l'6pith~te et des devant le substantif; de ieun:s ]illes sont arriv~es corr. porte donc un adjectif ieunes, donc un synt-~:gme .]eunes /illes," des je~,,.nes/illes sont arriv~es pr&ente le synth~me, c'estdt-dire m~ substanfif compos6 devant lequel des est normal, cornme devant tout substantif. Pour intelpr6ter correctement ce qui est dit ci-dessus de la combinabilit6 sy,ataxique, il faut savoir faJre abstraction des complexit& morphologiques: si l'on devait, comme on le fait trop souvent, consid6rer chaqlte ~egment isolable de l'6nonc6 oll du texte &riL comme un 616ment '~yntaxiquement valable, nous ne pourrions voir, dans ]eune lille, un synth~me puisque, dans ~eunes ]illes chacun des 616ments du complexe semble recevoir une d6termination distincte. On pourrait vouloir faire fi de la graphie et d6clarer que la question ne se pose pas puisqu'on prononce/3cenfij/aussi bien au pluriel qu'au singulier. Mai:~ i'&happatoire ne vaudrait pas pour bonhomme/b6nbm/-bonshommes /b6zbm/off le pluriel entralne une modification caract&is& de la prononciation. Ce qu'il faut ne pas oublier c'est que, dans des ]eunes ]illes ou dans des bonshommes, il n ' y a chaqu~ £cis qu'un seul mort&me de pluriel; on ne peut p~s &fire/illes avec un s sans que ]eune:; en prenne un aussi, on ne peut p~:s employer l'article /de/sans que le/-;,n-/de bonhomme devienne l e / - 6 z / d e bonshommes. En d'autres termes, et pour reprendre une formule employ6e plus haut, on ne saur-.it ajouter une d6termination parficuli~re ~ un s,-ul des 616merits du 3ynth~me. L'existence de la possibiilit6 de distin,zucr strictemenL cians bien des langues, entre des 616ments de derivation qui servcnt & former des synth~mes, et des d~terminants grnmmaticaux qui sont souvent des d~sinences, ne doit pas faire croire que cette distinction soit absolument gdn~rale. En basque, par ex ;mple, l'~16ment -ko d'etxeko sera conqu comme une d6sinence de g6nitif, si l'ensemble est compris comme 'de maison', mais comme un suffixe de d&ivation s'il s'agit de d6signer 'un domestique'. Cette indistinction formelle ne veut toutefois pas dire que la distinction entre synth~me et synta~me ne puisse s%tablir dans un contexte particulier. II n'es~ cependant pas exclu qu'il puisse ~tre diff~ dle, dans certains cas, de savoir si Fon a affaire ~ t!n fait de d6rivation ou de grammaire: en latin, la diff6rence langue parl6e des jeunes g6n6ratior,.: de Parisiens. Elle reste tr~s naturelle chez l'auteur de ces lignes.
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entre un present linquo et un parfait liqui est un Iait de ~rammaire ; mais on peut supposer que l'infixe -n- a dt6, ~ plu, ancienne (ipoque, un ~ldment p e r m e t t a n t de former, /t pa.rtir de mon~mes de valeur ponctuelle, un certain type de d6riv~ susceptible de recevoir les m6mes ~16ments de :flexion que le simple; en grec classique, les thbmes pino-, pio- 'boire', qui sont consid6r6s comme faisant partie de la. conjugaison du m~.me velbe, pr6sentent encore, au pass6, la m~me flexion: e-pino-n e-pio-n, etc. Cela laisse penser qu'au cours du p:rocessus de l'6tablissement d'une conjugaison indo-europ6enne, il y a eu des cas o/1 il aurait 6t~ difficile de se prononcer sur le statut de l'infixe -n- et le caractbre de synth~me ou de syntagme de pino-. L'existence probable de cas limites ne saurait en tout cas, Olre une objection /t l'6tablissement d'une distinction appel~e ~t remtre des services dans une multitude de cas et qui refl~te une distinction fondamelltale pour l'appr6ciation cor:recte des structures linguistiques les plu~ diverses. Si l'opposition entre synthb.me et syntagme est, au m,)ins en principe, d'une grande nettet6, on ne saurait en dire a u t a n t de cel!e qu'on peut poser entre synth~me et mon~me unique. 5'il est vrai qu'on peut parlei parfaitement le franCai~ sans avoir jamais pris conscience du caract~re 'mo.iv~' d'dnes,e, ceci veut dire que le :.onct3ionnement synchronique de la langue ne r~clame pas qu'on distirgue entre syr, th~me et mon6me unique. De ce point de vue, la distinction qui s'ir,aposer~dt serait celle ,~,~.~~, monbmes uniques et synth~mes traditionnels d'une part, et d a ~tre part les combinaisons de mon~mes conjoints que tout snjet peu~ r6aliser au moment m~me off il parle et qu'illu~tre l'ind~corable saussurien (Saussure, 1916: 173). Mais on salt combien il est difficile de faire le d6part entre compos6s et d~riv~s traditionnels et crt~ations personnelles: si je deva is employer d~couvrabh', je ne pourrais dire si je fabrique le synthbme ou si j,~ reproduis un complexe que j'ai entendu anr.drieurement. 11 semble impeasible de trace: une fronti~re nette entre affixes produetifs et non productifs. L'etude de la d y n a m i q u e de 1,t coral: osition et ce la d~.rivation est, bien entendu, un important cbapitre de la description d ' u n e langue, ct le synth~me nouvellement cr66 est assez ' e s conjoints; mais s i l e ,;ouvent compris ~t partir du sens des monem produit n'est pas ~ph6m~re, il pourra jouer d ' a u t a n t mieux son ~61e que s'att~nuera :.e sentiment de son caract~re motive: lorsqu'on entend pafler d'un ind~sirable, on fait aussi bien de ne pas pousser l'ana-
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lyse jusqu'~t d~s?r(er). I] est d'aiUeurs vraisemblable que la plupart des Fran~ais ont appris le terme par r~fdrence aux contextes dans lesquels ils Font lu ou entendu plut6t que par un~" analyse qui n'aurait pu que les induire en erreur. Une des vertus, du concept de synth~me est qu'il permet de ne pas se prononcer, ce qui est le plus souw:nt fort ddlicat, sur ]e caract~re traditionnel ou m~ologique d'un segment du discours per~u cornme la combinaison de Iuon~mes conjoints. Lh off le sentiment de la possibilit6 d'une analyse est assez vague et off l'on h~.sitera entre synthbme et monb.me~ on devra r6soluroent employer ce dernier, puisque, dans l'usage qu'on fait de ia langue, tout se passe, dans ce ,~'as, comme s'il s'agissait bien d'une unit~ minima. Puisqu'en syntaxe, lies synth~mes ont, par d~finition, le mSme comportement que les IHOIlelIlt~S~ Z l C l l I1 ellipeCll~21-d,~ t l ~ l 1 5 CO Cll[t.pll, I-e~ ,.re I e S passer sous silence: 'mon~me', dans ce cas, voudra dire 'mon&me et synth~me'. C'est natureUement dans le chapitre de la synth6matique qu'il conviendra d'en 6tudier les types et les processus d'apparition sans oublier jamais de bien marquer ce qui les distingue des syntagmes.
Sorbonne, Paris A dresse de l'auteur." 3, ~'lace de la Care, Sceaux, France
Rt~FI~RENCES
~'~ARflNET,ANDRe, !967. Syntagme et synth~m~, La li.nguistique, 2, 1-14. SAUSSURE, FERD, ,'A~l) DS, 1967. Cours de lingnistique gdndrale, 36me ~d.