Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l’enfant

Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l’enfant

Synthèse General review Volume 98 • N◦ 5 • mai 2011 John Libbey Eurotext © Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l...

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Synthèse General review

Volume 98 • N◦ 5 • mai 2011 John Libbey Eurotext

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Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l’enfant New surgical procedures in musculoskeletal sarcomas of the child Article rec¸u le 10 janvier 2011, accepté le 12 avril 2011 Tirés à part : P. Mary

Pierre Mary, Camille Thévenin-Lemoine Hôpital d’enfants Armand-Trousseau, service d’orthopédie et de chirurgie réparatrice de l’enfant, 26, avenue du Dr-A.-Netter, 75571 Paris Cedex 12, France

Pour citer cet article : Mary P, Thévenin-Lemoine C. Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l’enfant. Bull Cancer 2011 ; 98 : 515-526. doi : 10.1684/bdc.2011.1365.

Résumé. La place de la chirurgie reste centrale dans la prise en charge des tumeurs malignes osseuses de l’enfant et de l’adolescent. Les chimiothérapies actuelles ont fait la preuve de leur efficacité (et de leurs limites) et ont rendu possible d’éviter l’amputation dans plus de 90 % des cas, sans aggraver le pronostic vital. Les progrès de l’imagerie (IRM) et de la compréhension des mécanismes de progression tumorale ont permis de faire des résections plus précises, avec des conservations épiphysaires plus fréquentes. Dans le même temps, de nouvelles techniques sont apparues qui permettent d’envisager des reconstructions plus « biologiques ». Tout cela fait que nous pouvons mieux et plus souvent respecter la croissance, en espérant un meilleur résultat fonctionnel à long terme. Le temps passé autorise aussi de faire le point sur des techniques plus anciennes (prothèses articulaires. . .). Le choix du type de reconstruction dépend de multiples facteurs (âge, présence de localisations secondaires, déroulement de la chimiothérapie, contexte socioéconomique. . .) et ne peut se concevoir que dans le cadre de concertations pluridisciplinaires. 

doi : 10.1684/bdc.2011.1365

Mots clés : tumeur osseuse maligne, reconstruction osseuse, greffe osseuse, membrane induite, prothèse de reconstruction, prothèse de croissance, fibula vascularisée

Abstract. The role of surgery remains central in the management of malignant bone tumors in children and adolescents. The current chemotherapies have demonstrated their efficiency (and limits) and made possible to avoid amputation in more than 90% of cases without worsening the prognosis. Advances in imaging (MRI) and understanding the mechanisms of tumor progression have led to more accurate resections with more frequent epiphyseal conservations. At the same time, new techniques have emerged that allows to consider more “organic” reconstructions. Therefore, we can better and more often preserve growth, hoping for a better long-term functional outcome. Experience also allows to review older techniques (arthroplasties. . .). The choice of reconstruction depends on many factors (age, presence of secondary localizations, chemotherapy tolerance, socioeconomic context. . .) and can only be conceived as part of multidisciplinary evaluations. 

Key words: malignant bone tumor, bone reconstruction, bone graft, induced membrane, reconstruction prosthesis, growing prosthesis, vascularized fibula

Introduction Le traitement chirurgical des sarcomes de l’appareil locomoteur n’est qu’une partie de la prise en charge de ces tumeurs et ne peut se concevoir que dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires spécialisées, associant chimiothérapeutes, radiologues, anatomopathologistes Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

et radiothérapeutes. La place de la chirurgie reste néanmoins centrale dans la majorité des sarcomes de l’appareil locomoteur. Elle reste très particulière et ne doit être faite que par des équipes qui en ont l’expérience et qui ont les moyens d’utiliser toutes les

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techniques de reconstruction de manière à être capable d’appliquer la meilleure à chaque cas particulier. Elle comprend deux temps opératoires distincts : la résection de la tumeur qui reste le temps essentiel et la reconstruction.

l’articulation et des éléments vasculaires autour de la plaque de croissance. En incluant tous ces facteurs, nous avons proposé une classification des types de résection tumorale sur un os en croissance (figure 1), qui

La résection tumorale A

B

Comment planifier la résection ?

>2cm

La programmation d’une résection tumorale n’est possible qu’avec une imagerie de qualité au diagnostic et en préopératoire immédiat. L’examen essentiel est maintenant l’IRM. Elle doit comprendre l’ensemble du segment anatomique atteint, cela afin de s’assurer de l’absence de lésion secondaire à distance (skip métastase) [1]. Parfois, un deuxième examen est indispensable pour visualiser plus précisément une zone particulièrement sensible (cartilage de croissance – articulation). Le type de résection souhaitable dans le cadre des sarcomes de l’appareil locomoteur est la résection large, c’est-à-dire dont tous les plans de coupe étudiés sont en zone saine, mais en restant dans le même compartiment anatomique. Ce n’est pas toujours possible et il faut parfois accepter de faire des résections marginales, c’est-à-dire dont le plan de dissection se situe à faible distance de la tumeur, dans le tissu réactionnel, dont l’origine est dans les tissus sains qui ont limité la lésion. En revanche, il n’est pas envisageable de décider de faire une résection marginale pour se laisser la possibilité de faire une reconstruction plus satisfaisante. La priorité reste à la résection de la tumeur, car c’est ce temps qui va conditionner la survie du patient.

3cm 3cm

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Classification des types de résection chez l’enfant et l’adolescent Chez l’enfant et l’adolescent, la présence des cartilages de croissance modifie le raisonnement en ce qui concerne les limites de résection. Il est maintenant bien établi que le cartilage de croissance n’est pas une barrière pour l’ostéosarcome et le sarcome d’Ewing [2]. Cela est étudié au mieux par l’IRM [2], avec une sensibilité de 100 %, mais une spécificité de 50 % environ. Lors de cette évaluation, il faut être attentif à l’extension tumorale elle-même dans l’épiphyse, mais également se méfier de l’extension dans les tissus mous, particulièrement au niveau des structures ligamentaires de

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3cm

Figure 1. Types de résection tumorale sur un os en croissance. A : résection diaphysaire ; B : résection métaphysaire avec conservation du cartilage de croissance ; C : résection passant dans le cartilage de croissance ; D : résection intra-épiphysaire ; e : résection intra-articulaire ; F : résection extra-articulaire. Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

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aboutit alors à des déductions thérapeutiques (conservation ou non du cartilage de croissance, de l’épiphyse, de l’articulation) : – la tumeur est purement diaphysaire (figure 1A) : elle est résécable en conservant une marge de sécurité de part et d’autre sur l’os de deux ou trois centimètres sans concerner le cartilage de croissance. Cette marge ne repose sur aucune donnée scientifique précise. Elle est le résultat de l’expérience, de la prudence vis-à-vis des marges d’erreurs entre les mesures préopératoires sur l’imagerie et en peropératoires. Le comblement de la perte de substance osseuse fait appel à des techniques de reconstruction osseuse pure, l’ostéosynthèse sur la métaphyse restante ne pose pas de problème. Il n’y a pas de retentissement sur la croissance ultérieure ; – la tumeur est métaphyso-diaphysaire et s’arrête à plus de deux centimètres du cartilage de croissance (figure 1B). Le plan de coupe peut passer juste sous le cartilage de croissance sur son versant métaphysaire. La reconstruction s’appuie sur l’épiphyse, ce qui pose des problèmes de stabilité du montage et pourra retentir sur le potentiel de croissance par des lésions de la vascularisation régionale ; – la distance est inférieure à 2 cm, mais il n’y a pas de contact à aucun endroit entre le cartilage de croissance et la tumeur (figure 1C). On peut alors considérer que le cartilage de croissance est un plan anatomique sain et suffisamment individualisable pour être utilisé comme plan de coupe ; – la tumeur ne passe pas le cartilage de croissance, mais en est très proche, interdisant la conservation du cartilage de croissance (figure 1D). Le plan de coupe est intra-épiphysaire. Dans ces deux derniers cas, l’articulation est conservée, mais la croissance est sacrifiée. Sur le plan technique, on va se heurter à des difficultés de stabilisation de l’épiphyse par rapport à la zone réséquée : – la tumeur envahit l’épiphyse, mais reste extraarticulaire (figure 1E). Dans de très rares cas, il est possible de faire une résection intra-épiphysaire en conservant la partie sous-chondrale et le cartilage articulaire de l’épiphyse. Dans la très grande majorité des tumeurs à développement intra-épiphysaire, cela ne nous paraît pas raisonnable. L’articulation n’est pas conservée ; la résection est intra-articulaire et emporte toute l’épiphyse ; – l’articulation est envahie (figure 1F). La résection devra être extra-articulaire (arthrectomie monobloc). Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

L’influence des chimiothérapies sur le choix des limites de résection Les progrès des chimiothérapies actuelles préopératoires modifient également la manière de raisonner quant aux marges de résection. Dans l’ostéosarcome, le volume tumoral ne change guère, la tumeur est en revanche mieux limitée, la zone intermédiaire est moins inflammatoire. Pour le sarcome d’Ewing, les choses sont très différentes car l’envahissement des tissus mous va dans la majorité des cas nettement diminuer et permettre de faire une résection beaucoup moins volumineuse en ce qui concerne les parties molles péri-tumorales. D’une manière un peu schématique, on peut dire que la résection pour ce qui est des tissus mous est décidée sur la dernière IRM, alors que la résection osseuse est faite en fonction de l’IRM la plus péjorative (et donc souvent l’initiale).

Comment se préparer au temps chirurgical ? Les conséquences de la chimiothérapie sont considérables sur l’état général, cutané et osseux de l’enfant ou de l’adolescent et entrent en compte dans la manière de prévoir et de réaliser le temps chirurgical. L’état nutritionnel au moment de la chirurgie doit être le meilleur possible. Cela a des répercussions certaines sur le taux des complications infectieuses postopératoires. Pour cela, il faudra parfois avoir recours à un complément de nutrition par une sonde naso-gastrique ou une gastrostomie. La toxicité des chimiothérapies sur l’os est certaine. Elles agissent sur la prolifération des cellules du cartilage de croissance, sur leur rythme de division, sur la qualité de la matrice extracellulaire [3], ainsi que sur le périoste et sur les cellules favorisant la consolidation osseuse. L’ostéopénie est importante d’autant que l’activité des enfants est souvent réduite durant les périodes de chimiothérapies. Le méthotrexate a un effet ostéoporotique direct. Les corticales osseuses sont amincies. Cela explique les taux élevés de retards de consolidation, de pseudarthroses et de lyses des autogreffes. L’immunodépression due aux chimiothérapies est bien connue et difficilement évitable. Elle explique en partie le taux élevé de complications infectieuses. Il est encore trop tôt pour apprécier les risques osseux de l’utilisation, protocole OS 2009, de biphosphonate lors des traitements d’induction des ostéosarcomes.

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Le temps opératoire La toxicité des chimiothérapies sur la peau est un des facteurs les plus difficiles à maîtriser et est à l’origine de complications postopératoires plus ou moins sévères. Il faut donc en tenir compte lors de la préparation de la peau qui doit être soigneuse sans être agressive, mais aussi durant le temps chirurgical. Les décollements entre le plan cutané et aponévrotique sont réduits au maximum, car la vascularisation cutanée vient pour l’essentiel du plan aponévrotique. Le bistouri électrique n’est pas utilisé pour les plans superficiels, les écarteurs autostatiques sont à éviter par leur effet constant de forte compression sur les berges cutanées. En cas de chirurgie prolongée, ce qui est souvent le cas, un parage cutané le plus économique possible est réalisé avant la fermeture. Celle-ci est faite soigneusement, plan par plan, associée à un drainage. Nous évitons tous les pansements adhésifs surtout sur des zones qui risquent d’être œdémateuses après l’opération. Pour le pansement lui-même, nous utilisons des interfaces non adhérentes. L’immobilisation postopératoire par une attelle ou un plâtre largement ouvert a un effet antalgique certain. Elle devra être faite en présence du chirurgien en évitant toute zone d’appui excessif. L’utilisation du garrot pneumatique reste à évaluer de manière précise dans le domaine de la chirurgie tumorale. Ce qui est certain, c’est qu’il est responsable d’une hypoxie, d’une hypothermie et d’une acidose localisée durant la période d’ischémie, ce qui favorise la fibrinolyse et explique que le saignement postopératoire soit augmenté. Globalement, avec ou sans garrot, la somme du saignement per- et postopératoire est sensiblement la même. Par ailleurs, le syndrome d’ischémie-reperfusion augmente le risque infectieux de manière significative. Enfin, même si rien n’a pu être démontré sur d’éventuelles migrations d’embols tumoraux, il est clairement établi que le risque thromboembolique est majoré par le garrot, par libération brutale de nombreux micro (ou macro) thrombus. Tous ces éléments font que nous n’utilisons plus de garrot pneumatique lors de la chirurgie tumorale. Notre impression est également celle de suites opératoires plus simples tant en ce qui concerne la douleur que l’importance de l’œdème postopératoire. Cela ne nous semble pas avoir fait augmenter le saignement global. Après l’intervention, l’enfant ou l’adolescent est à nouveau soumis à une chimiothérapie, qui va le fatiguer et

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souvent gêner un programme de rééducation. Globalement, il ne faut pas trop compter sur une rééducation intensive durant cette période.

La reconstruction La reconstruction idéale doit répondre aux impératifs suivants : – être la plus anatomique possible ; – préserver le potentiel de croissance ; – avoir des suites simples ; – permettre la reprise rapide d’une fonction normale ; – assurer un confort immédiat. Répondre à l’ensemble de ces critères est une gageure et c’est le plus souvent un compromis à faire en fonction de différents facteurs. Il existe de nombreuses techniques. Toutes doivent être connues du chirurgien. Nous insisterons sur celles qui sont maintenant utilisées depuis suffisamment longtemps pour pouvoir en faire une analyse critique, et sur d’autres plus récentes, qui sont en cours d’évaluation et méritent d’être connues.

Remplacement prothétique La mise en place de prothèse de reconstruction massive a été appliquée dès le début des années 1980. Il est donc maintenant possible d’avoir une idée des résultats de ce type d’intervention avec un recul suffisant. Bien sûr, les implants, les méthodes de fixation ont évolués, et les résultats à long terme avec les prothèses actuelles seront sûrement de meilleure qualité. Le gros avantage de cette technique est qu’elle est simple et prolonge peu la durée opératoire, une fois la résection faite. À long terme, on peut considérer qu’au bout de dix ans, 40 à 60 % des prothèses sont en faillite, imposant un changement qui sera de plus en plus difficile du fait de la moins bonne qualité des tissus cutanée et musculaire et de la diminution du capital osseux au fur et à mesure [4]. Les complications sont essentiellement infectieuses et représentent 6 à 10 % des cas, contre 0 à 5 % dans des indications habituelles de prothèses. Cela est dû au terrain particulier que nous avons déjà évoqué. Lorsque l’infection est patente, la reprise en un ou deux temps selon les circonstances et l’antibiothérapie prolongée sont indispensables. Seulement environ un patient sur deux conserve sa prothèse après un sepsis. Comme pour toutes les prothèses, il existe un taux de complications mécaniques : descellement aseptique (5 à 25 %), rupture de matériel (5 à 10 %) très variable selon les séries. Elles sont d’autant plus fréquentes que, dans le cadre de la chirurgie tumorale, le sacrifice Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

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concerne non seulement les surfaces articulaires et l’os atteint, mais aussi les éléments stabilisateurs de l’articulation. Il est donc pratiquement toujours nécessaire d’utiliser des prothèses contraintes, ce qui augmente le risque de complications mécaniques. Quelle que soit la localisation de la tumeur, la réinsertion des muscles ou des tendons reste problématique, pour la coiffe des rotateurs, le deltoïde au niveau de l’épaule, les fessiers sur l’extrémité supérieure du fémur ou le tendon rotulien à l’extrémité supérieure du tibia. Pour ce qui est de la réinsertion du tendon rotulien après résection d’une tumeur de l’extrémité supérieure du tibia, plusieurs techniques ont été proposées : utilisation du tendon du biceps associé à une ou à des ostéotomies de la fibula, lambeau de gastrocnémien médial auquel nous restons actuellement fidèles.

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Lorsqu’on met en place une prothèse standard, par exemple au niveau du genou, c’est qu’une des plaques de croissance fémorale ou tibiale est envahie, et n’est pas conservable. Mais l’autre physe est aussi rendue inactive si on utilise des prothèses standards, ce qui va créer une inégalité de longueur des membres inférieurs. Pour éviter cela, il est possible de faire des prothèses non scellées dans la diaphyse, à queue lisse et ronde, dont l’ancrage est uniquement épiphysaire (soit par du ciment, soit par recouvrement d’hydroxyapatite) (figure 2). Cool et al. [5] ont montré qu’en respectant ces règles sur des prothèses fémorales, on obtenait une croissance de 43 à 100 % sur le cartilage de croissance conservé, par rapport au côté sain, minimisant ainsi l’inégalité de longueur résiduelle, au prix d’un ancrage de moins bonne qualité sur le long terme. La mise en place d’une prothèse articulaire reste une méthode de reconstruction satisfaisante et surtout actuellement incontournable lorsqu’on est contraint de sacrifier une articulation. En dehors des complications immédiates, ces prothèses vont s’user d’autant que les enfants et les adolescents vont beaucoup plus les solliciter qu’un adulte ou une personne âgée. Les changements de prothèse deviennent de plus en plus difficiles, le capital osseux étant de plus en plus pauvre.

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GAUCHE

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Les prothèses de croissance

Figure 2. Reconstruction par une prothèse non scellée après résection d’un ostéosarcome de l’extrémité supérieure du tibia ; A : pièce opératoire de résection ; B : radiographie postopératoire de la partie fémorale de la prothèse. Celle-ci n’est pas scellée, la queue est lisse et le dessin épiphysaire permet d’éviter la rotation de la pièce par rapport au fémur. Le cartilage de croissance va pouvoir continuer à fonctionner ; C : radiographie en fin de croissance de face ; D : radiographie en fin de croissance de profil.

Pour pallier les problèmes d’inégalité dus au sacrifice d’un ou de plusieurs cartilages de croissance, plusieurs types de prothèses dites de croissance ont été proposés et la littérature semble à première vue riche à ce sujet. En fait, lorsqu’on analyse les différents articles, on reste

déc¸u. Le principe est de mettre en place une prothèse métallique standard dont l’une des parties est capable de s’allonger soit mécaniquement en réintervenant, soit par un système électromagnétique qui permet de faire

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un allongement sans abord chirurgical, ni anesthésie. Le véritable intérêt de ce type de prothèse est chez des enfants de moins de dix ans, là où une forte inégalité de longueur est prévisible. Lorsqu’on sélectionne dans les articles, ces cas, on voit alors que le taux de complications est beaucoup plus important que dans chaque série prise dans sa globalité [6] ! Que peut-on penser des prothèses de croissance actuellement ? Elles sont une solution séduisante qui règle dans le même temps trois problèmes : perte de substance osseuse de grande taille, remplacement articulaire, et inégalité de longueur des membres inférieurs. Le faible diamètre intramédullaire, la petite taille fréquente du fragment osseux restant, et les contraintes importantes en compliquent la conception. Les complications sont manifestement très nombreuses lorsqu’on les utilise là où elles ont une véritable indication, c’est-à-dire chez des enfants de moins de dix ans. Les résultats sont meilleurs au niveau de l’extrémité inférieure du fémur que sur l’extrémité supérieure du tibia, essentiellement pour des problèmes cutanés et d’infection. Une évaluation basée sur des indications plus rigoureuses serait souhaitable afin de mieux connaître l’intérêt réel de ces prothèses de croissance.

Les allogreffes intercalaires Cette technique consiste à remplacer l’os tumoral par un greffon d’un sujet décédé. Les banques d’os et les moyens de conservation actuels sont assez sûrs pour éviter tout risque de transmission d’infections connues. Gebhardt [7] a publié une excellente revue de la littérature concernant cette technique, avec les pourcentages de complications suivants : 10 % d’infections, 19 % de fractures et 17 % de pseudarthroses. Ce dernier pourcentage est multiplié par deux quand les patients sont sous chimiothérapie. La jonction entre l’os du patient et le greffon se fait en un an environ dans la majorité des cas, mais au bout de cinq ans, moins de 15 à 20 % de l’étendue de l’allogreffe est réhabitée. En moyenne 20 ans après, 75 % des allogreffes sont encore en place.

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entre l’hôte et le receveur doit être parfaite. Les résultats présentés par Muscolo et al. montrent globalement 73 % de survie des allogreffes à cinq ans de recul moyen [8]. La majorité des complications, qui sont assez semblables à l’ensemble des allogreffes (infections – fractures – résorption), survient pendant les quatre premières années. Pour ce qui nous intéresse, plusieurs éléments perturbent un peu plus les conclusions que l’on peut tirer de cette expérience qui est essentiellement basée sur des patients adultes. La moitié des opérés l’ont été pour des tumeurs bénignes et n’ont pas rec¸u de chimiothérapie, ce qui surévalue sûrement les résultats qu’on pourrait obtenir avec des tumeurs malignes, la toxicité de la chimiothérapie sur les allogreffes étant bien connue. Récemment, Muscolo et al. ont publié un travail [9] rapportant son expérience des allogreffes articulaires ou intercalaires chez les enfants de moins de dix ans, soit 22 patients. Si on isole ceux qui ont eu une allogreffe articulaire, c’est-à-dire neuf enfants, on obtient les résultats suivants au recul moyen de 4,7 ans : deux enfants sont décédés, quatre vont bien, un a eu une infection de l’allogreffe, un a été amputé pour une récidive locale et un est en pseudarthrose à 144 mois de recul. Cette technique semble donc assez difficilement adaptable à l’enfant et à l’adolescent actuellement.

Les autogreffes non vascularisées L’utilisation de greffons cortico-spongieux prélevés chez le patient lui-même est une technique très répandue en orthopédie. Elle permet d’obtenir des arthrodèses de qualité et de combler des pertes de substance osseuse. Dans le cadre de la chirurgie des tumeurs malignes, elle est beaucoup moins utilisée, car les chimiothérapies subies par les enfants rendent ces greffes peu vivantes et sans grand intérêt, sauf peutêtre dans les cas exceptionnels de résection osseuse de petite taille et sans grande contrainte mécanique immédiate. Elle garde néanmoins un intérêt en complément d’une allogreffe, en zone jonctionnelle, pour aider à la consolidation.

Les allogreffes articulaires

Les autogreffes vascularisées

L’idée de remplacer une articulation par une allogreffe articulaire est très séduisante. L’allogreffe doit être parfaitement adaptée sur le plan anatomique, ce qui impose d’avoir une banque d’os très importante, ce qui n’est pas le cas pour les enfants. La fixation

L’idée d’utiliser une autogreffe vascularisée lorsqu’on se trouve devant une perte de substance osseuse de grande taille est ancienne et a été rendu possible par les progrès des techniques microchirurgicales. Elle repose essentiellement sur le transfert de la fibula vascularisée. Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

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Elle est particulièrement adaptée à la reconstruction des tumeurs diaphysaires ou métaphyso-diaphysaires où les surfaces articulaires sus et sous-jacentes ont pu être conservées (figure 3). Chez l’enfant, il est possible d’obtenir une hypertrophie importante du greffon, surtout s’il est placé dans l’axe mécanique du membre. Chen et al. [10], dans une étude très complète, donnent une durée opératoire moyenne totale de 12,8 heures avec des extrêmes allant de huit à 19 heures. Le taux global de complications (fractures secondaires, pseudarthroses, infections) est de 28 %. Le délai de consolidation moyen de 8,5 mois avec des extrêmes allant de quatre à 16 mois, avec une reprise de l’appui total en moyenne au bout de 12,6 mois. Le prélèvement n’est pas anodin et il est chez l’enfant nécessaire pour éviter des troubles de croissance, des déviations axiales de la cheville, de reconstruire la fibula prélevée ou au moins de réaliser une syndesmodèse tibio-fibulaire. Cette morbidité supplémentaire est à prendre en compte lors du choix de type de reconstruction. Cette technique est très séduisante, mais à comme inconvénient de prolonger grandement le temps opératoire, ce qui est un facteur primordial de complications (cutanée, infectieuse, hémorragique).

L’association allogreffes plus autogreffes vascularisées Capanna et al. [11] ont décrit cette technique en 1993. Elle consiste à associer une allogreffe à une fibula vascularisée, ce qui permet de conjuguer les avan-

A

DROIT

B

tages d’une reconstruction biologique par la fibula à une stabilité primaire assurée par l’allogreffe et l’ostéosynthèse. Petit à petit, la fibula vascularisée colonise l’allogreffe et améliore sa vitalité. Elle est utilisable pour les pertes de substances diaphysaires, surtout au niveau du membre inférieur où la mise en charge est importante. La série la plus importante (90 cas) et avec le plus grand recul moyen (neuf ans) est celle de Capanna et al. [11]. Les résultats sont considérés comme excellents ou bons dans 92 % des cas. Le délai de consolidation de la fibula est en moyenne de quatre à cinq mois, et l’allogreffe est radiologiquement fusionnée au neuvième mois. La remise en charge totale se produit vers le dixième mois. À un recul de plus de deux ans, il se produit parfois des fractures tardives, témoins du caractère probablement incomplet de l’intégration de l’allogreffe.

L’utilisation de la fibula vascularisée avec transfert épiphysaire Cette technique consiste à utiliser la diaphyse de la fibula vascularisée associée au cartilage de croissance et à l’épiphyse supérieure. Cela a pour avantage de fournir une zone de croissance qui diminue les risques d’inégalité de longueur. Cela apporte également une surface articulaire cartilagineuse. La vascularisation de l’épiphyse et du cartilage de croissance dépend de plusieurs réseaux artérioveineux, ce qui complique la technique par rapport à celle d’un transfert de la fibula vascularisée sans son épiphyse. Pour ce qui est de la pathologie tumorale maligne, les indications proposées ont été essentiellement au niveau de la reconstruction de l’extrémité supérieure de l’humérus chez des enfants jeunes [12], au niveau de l’extrémité distale du radius. Cette technique a aussi été utilisée au niveau de la hanche [13] et pour la reconstruction de la cheville. Le faible nombre de cas présentés dans les différents articles en dehors de la localisation au niveau de l’extrémité supérieure de l’humérus fait qu’il est difficile de se faire une idée de la place exacte de cette technique dans les différentes possibilités thérapeutiques. Pour notre part, nous la réservons actuellement au membre supérieur.

AU BLOC 17H20

Figure 3. Résection d’un sarcome d’Ewing de l’avant bras chez une petite fille de huit ans – reconstruction par un transfert de fibula vascularisée ; A : radiographie postopératoire de face et de profil ; B : radiographie de face et de profil à deux ans de recul – mobilité normale en prono-supination. Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

La technique de la membrane induite La technique dite de la membrane induite a été mise au point par A.C. Masquelet et utilisée initialement pour le traitement des infections osseuses après fractures

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ouvertes chez l’adulte [14]. Elle consiste à remplacer la perte de substance osseuse, quelqu’en soit le type, par une entretoise en ciment biologique. Autour d’elle va se former une membrane qui est assez proche d’un périoste et qui a des capacités ostéoinductrices. Dans un deuxième temps, l’entretoise est ôtée et remplacée par une greffe spongieuse. On obtient alors un os vivant de bonne qualité mécanique et totalement fusionné à l’os d’origine. Cette technique est utilisable dans le cadre des reconstructions après résection d’une tumeur osseuse maligne chez l’enfant et l’adolescent car elle permet de combler une perte de substance de grande taille de manière tout à fait biologique (figures 4 et 5), de raccourcir la durée du temps opératoire qui a lieu pendant la phase de la chimiothérapie et donc de reporter à plus tard le temps de reconstruction. Elle nécessite deux temps opératoires distincts. Le premier est réalisé lors de la résection tumorale. Il consiste à combler la perte de substance osseuse par une entretoise en ciment biologique et à y associer une ostéosynthèse et une couverture musculaire et cutanée de bonne qualité. Afin de favoriser la fusion ultérieure entre l’os néoformé et celui d’origine, l’entretoise doit couvrir le premier centimètre d’os sain laissé en place à chaque extrémité. Dans les indications infectieuses, il est recommandé de réaliser le deuxième temps six à huit semaines après le premier. Cela est justifié par le temps d’action de l’antibiothérapie associée mais

Premier temps opératoire

A

B

aussi par le fait que c’est à cette période que la production de facteurs de croissance par la membrane induite est la plus importante. Dans le cadre tumoral qui nous intéresse, le deuxième temps est reporté à une période plus propice à la régénération osseuse, c’est-à-dire après la fin de la chimiothérapie postopératoire. Lors de ce deuxième temps opératoire, on enlève l’entretoise en limitant au maximum les décollements et en évitant de léser la membrane induite. Puis les greffons spongieux sont mis en place. C’est durant cette période que le montage est le plus fragile sur le plan mécanique, ce qui justifie parfois de renforcer l’ostéosynthèse ou d’associer un greffon cortical. Elle doit permettre une mise en charge précoce au moins partielle, car ce sont les contraintes subies par la greffe qui lui permettent de s’organiser en un tissu osseux corticalisé. L’os d’origine est décortiqué, de manière à augmenter au maximum la surface de contact avec l’os néoformé. Le fût est reperméabilisé. Lorsque la quantité de greffon spongieux est insuffisante, on peut y ajouter un biomatériau ostéoconducteur. La membrane induite est soigneusement suturée avec un fil résorbable fin monté sur aiguille ronde de manière à ne pas la déchirer. Il n’y a actuellement pas de série concernant l’utilisation de la technique de la membrane induite dans le cadre de reconstructions après résection tumorale chez l’enfant et l’adolescent. Plusieurs équipes

Deuxième temps opératoire

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Figure 4. Principes de la technique de la membrane induite. Premier temps opératoire ; A : la zone osseuse à réséquer est en violet ; B : la zone osseuse pathologique a été réséquée et il a été réalisé une ostéosynthèse de stabilisation ; C : mise en place de l’entretoise en ciment biologique (en vert). Deuxième temps opératoire ; D : le ciment est resté en place ainsi que l’ostéosynthèse. La membrane induite (en rouge) s’est formée ; E : le ciment est ôté. Des greffons spongieux sont placés à l’intérieur et la membrane induite est soigneusement réparée ; F : les greffons se sont organisés et la structure osseuse globale est rétablie.

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Figure 5. Ostéosarcome du fémur chez une petite fille de quatre ans et demi ; A : volumineuse extension intra-osseuse s’arrêtant à proximité du cartilage croissance distal ; B : pièce opératoire ; C : mise en place d’une entretoise en ciment. Radiographie postopératoire ; D : aspect radiographique un an et demi après le temps de greffe osseuse marche en appui complet autorisée.

franc¸aises ont débuté leurs expériences avec des résultats qui semblent encourageants [15]. Pour notre part, nous l’avons utilisé au niveau de la diaphyse humérale, du tibia, du fémur, du calcaneus et du bassin. Cette technique a pour avantage de diminuer la durée opératoire du premier temps, c’est-à-dire lorsque l’enfant est le plus fragile vis-à-vis des infections dont on sait qu’elles sont d’autant plus fréquentes que l’intervention est longue. Certes, elle nécessite un deuxième temps opératoire, mais chacun sait qu’il est exceptionnel qu’un seul temps suffise, quelle que soit la technique de reconstruction utilisée. Le premier temps ne doit pas être considéré comme une solution d’attente. Pour que tout se déroule au mieux, il faut absolument avoir établi auparavant toute la stratégie de reconstruction et ne pas se retrouver à l’ablation de l’entretoise devant une perte osseuse de substance instable mécaniquement, car cela aboutira nécessairement à une période de perte d’autonomie prolongée et/ou à un taux de pseudarthrose élevé. Même si cette technique a fait la preuve de son efficacité dans la reconstruction des pertes de Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

substances osseuses de grande taille chez l’adulte après une infection, elle reste à évaluer chez l’enfant dans le cadre de la pathologie tumorale, et doit donc être proposée avec prudence.

Utilisation des bone morphogenetic proteins dans la reconstruction osseuse après résection d’une tumeur maligne ? Les BMPs sont des facteurs de croissance de la superfamille des TGF béta qui ont des capacités ostéoinductrices, c’est-à-dire capables d’élaborer du tissu osseux en site ectopique. Ces propriétés sont bien évidemment très intéressantes dans le cadre de la reconstruction après résection tumorale. Les rapports entre les BMPs et les tumeurs osseuses sont complexes et encore imparfaitement connus. Yoshikawa et al. [16] ont montré que les ostéosarcomes ayant une forte production de BMPs étaient associés à une fréquence plus élevée de métastases pulmonaires (83 % contre 44 %) ainsi que de métastases osseuses (50 % contre 11 %),

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ce qui logiquement retentit sur le taux de survie à cinq ans (54,6 % contre 33,3 %). Yoshikawa et al. [17], dans une revue de la littérature sur BMPs et tumeurs osseuses résumant ainsi les connaissances actuelles. Certains ostéosarcomes humains sont associés à un taux élevé de BMPs. Celles-ci ne semblent pas jouer sur la prolifération tumorale locale. La réaction osseuse est plus importante lorsque le taux de BMPs est élevé et on peut penser qu’elles sont directement impliquées dans la prolifération de la matrice osseuse réactionnelle. Ces résultats nous incitent à la plus grande prudence quant à l’utilisation de BMPs dans la reconstruction après résection d’une tumeur maligne de l’enfant et de l’adolescent, et en l’état actuel des connaissances, cette utilisation ne nous paraît pas raisonnable.

Les facteurs qui vont intervenir sur le type de reconstruction L’âge C’est un élément essentiel. Globalement, au-dessus de dix ans d’âge osseux, on peut considérer pour ce qui est des membres inférieurs, que le problème de l’inégalité de longueur sera réglé assez facilement, par épiphysiodèse controlatérale par exemple. Avant dix ans, l’inégalité est un problème dont il faut tenir compte et anticiper sur la possibilité de réaliser ultérieurement une égalisation. Pour certaines équipes, ces problèmes d’inégalité sont tellement lourds à gérer qu’elles estiment que le jeune âge justifie de réaliser une chirurgie soit d’amputation soit une rotationplastie. Lorsqu’il est nécessaire de faire un sacrifice articulaire chez un enfant de moins de dix ans, il reste trois possibilités : l’arthrodèse la plus biologique possible de manière à pouvoir secondairement allonger le membre, la rotation-plastie ou la prothèse de croissance. Nous avons vu au chapitre correspondant la difficulté qu’il y avait à se faire une idée exacte des résultats de ces prothèses de croissance chez les enfants de moins de dix ans. Lorsqu’il s’agit de reconstruction purement osseuse, non articulaire de grande taille, le choix se fait selon le type de greffon utilisé : fibula vascularisée, allogreffe, membrane induite. C’est dans ces circonstances que la fibula vascularisée s’hypertrophie au mieux. De plus, en cas d’inégalité de croissance par sacrifice d’un cartilage de croissance, il est possible de réaliser ulté-

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rieurement un allongement de la fibula vascularisée [18]. Il faut en revanche reconnaître que les enfants très jeunes supportent beaucoup mieux les immobilisations plâtrées prolongées, ce qui autorise parfois des reconstructions nécessitant un temps de consolidation plus prolongé.

Le contexte socio-économique et géographique Dans certains pays économiquement faibles, il n’est pas envisageable de mettre une prothèse car en cas d’infection ou de descellement, il n’y aura pas de traitement adapté. La survie même de l’enfant est alors en jeu. Il est indispensable de savoir dans quelles conditions va vivre l’enfant après la fin de son traitement que ce soit en ce qui concerne l’accès aux soins, mais aussi dans la vie quotidienne : une arthrodèse de hanche ou de genou est un handicap plus sérieux pour un enfant qui va vivre essentiellement assis au sol que pour un petit occidental.

La présence de localisations secondaires Elle influe sur la survie et donc sur le type de reconstruction. Plus l’espérance de vie est bonne, plus cela vaut la peine de se lancer dans une reconstruction complexe, quitte à rendre les suites et le confort immédiat plus difficiles.

Le déroulement de la chimiothérapie et de la radiothérapie éventuelle Certains enfants sont plus sensibles aux chimiothérapies et font des aplasies fébriles ou des surinfections fréquentes. Le risque infectieux lors de la reconstruction est alors majeur. Cela incite à réduire au maximum le temps d’intervention lors de la résection, et à s’orienter vers une reconstruction en deux temps de type membrane induite, quand c’est possible, et à éviter de mettre en place une prothèse massive. Le choix du type de reconstruction ne peut se faire que dans le cadre d’une démarche thérapeutique pluridisciplinaire. Il est essentiel de savoir avant d’intervenir s’il y aura ensuite une radiothérapie au niveau du site opératoire. Cela doit imposer la plus grande prudence quant aux risques de lésions cutanées secondaires et aux risques infectieux. De même la connaissance du type de chimiothérapie et les différentes toxicités de ces produits sont à prendre en compte ; ostéopénie du méthotrexate, toxicité cutanée du busulfan. . . Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

Nouveautés chirurgicales dans les sarcomes de l’appareil locomoteur de l’enfant

Qualité de vie – évolution à long terme Il est nécessaire de se projeter dans l’avenir lointain, car fort heureusement, un peu plus de la moitié des enfants qui ont été opérés auront une espérance de vie de plus de 50 ans [19]. Simon [20] a très bien résumé les questions qu’il est nécessaire de se poser quant à l’avenir de ces enfants après avoir fait le choix d’une reconstruction de membre par rapport à une amputation : – la survie est-elle la même ? – quel est le taux de complications, de comorbidité pour chaque option ? – la fonction est-elle comparable ? – est-ce que le choix de conserver le membre améliore la qualité de vie et l’intégration sociale ? La première question ne se pose plus dans la mesure où il est actuellement admis qu’une conservation de membre ne peut être réalisée que si on est absolument certain de ne pas modifier le pronostic vital par rapport à une chirurgie d’amputation. Le taux de complications à court et à long terme est beaucoup plus important lorsqu’on conserve le membre. Plusieurs études ont comparé la fonction et la qualité de vie après amputation et conservation de membre tous les âges confondus au moment de l’intervention chirurgicale [21, 22]. Refaat et al. [22] ont ainsi montré qu’il n’y avait pas de différence pour les possibilités de marche, de monter les escaliers (un tiers ont des difficultés dans chaque groupe), de conduire une automobile ou d’avoir une activité professionnelle, une activité sportive de loisir. Il n’existe pas non plus de différence sur le niveau d’anxiété, la dépendance à une drogue, la fréquence des syndromes dépressifs, des problèmes de sommeil et de difficultés sexuelles. En revanche, les patients amputés ont plus souvent besoin d’une aide extérieure pour la marche et cela est fortement lié au niveau d’amputation bien entendu. Globalement à distance, 70 % des patients sont satisfaits quelle que soit l’option choisie. Plus les patients ont été amputés âgés, plus ils sont satisfaits de leur statut. Zahlten-Hinguranage et al. [23] confirment le fait que la qualité de vie des amputés et de patients ayant eu une conservation de membre est équivalente. Ils insistent sur le fait que la qualité de vie des amputés est directement en rapport avec leur intégration sociale et la bonne image de soi. On retrouve des résultats assez équivalent dans les séries purement pédiatriques [24]. La maturité affective et émotionnelle au moment du diagnostic influence grandement les capacités de Bull Cancer vol. 98 • N◦ 5 • mai 2011

l’enfant à accepter la perte du membre. C’est aussi insister sur la nécessité de préparer l’enfant et sa famille, ainsi que le chirurgien lui-même qui doit accepter l’idée que la qualité de vie à long terme est équivalente dans les deux groupes, alors qu’il est plus enclin naturellement à proposer une chirurgie conservatrice.

Conclusions Les chimiothérapies pré- et postopératoires rendent maintenant possible de conserver le membre atteint par une tumeur maligne osseuse chez l’enfant ou l’adolescent dans plus de 90% des cas, sans prendre de risque sur la survie du patient. De nombreuses techniques sont utilisées. Les survies actuelles et les taux de complications font qu’il faut, à notre avis, s’orienter de plus en plus vers des techniques de reconstruction les plus biologiques possibles et vers celles dont la durée opératoire chez des enfants sous chimiothérapies est la plus courte possible. Le choix du type de reconstruction tient compte de ces éléments et de multiples facteurs : âge, localisation de la lésion, contexte socioéconomique, présence de localisations secondaires, etc. Il ne peut se faire que dans le cadre d’équipes pluridisciplinaires, en collaboration avec l’enfant et sa famille.  Conflits d’intérêts :

aucun.

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