Nutrition artificielle : l’exemple de la réanimation

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BIOCHIMIE DE LA NUTRITION Nutrition artificielle : l’exemple de la réanimation Jean-Pascal de Bandta,*, Fabienne Tamionb RÉSUMÉ SUMMARY Le patient...

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BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

Nutrition artificielle : l’exemple de la réanimation Jean-Pascal de Bandta,*, Fabienne Tamionb

RÉSUMÉ

SUMMARY

Le patient hospitalisé en réanimation, quand il n’est pas déjà dénutri à l’admission, présente un risque élevé de dénutrition du fait de sa possible incapacité à couvrir spontanément ses besoins nutritionnels et compte tenu de la majoration de ceux-ci induite par l’agression. L’évaluation nutritionnelle initiale permet, tout en disposant d’une référence de départ, de définir l’urgence de l’assistance nutritionnelle et le risque de complications induites par la dénutrition. Une fois les modalités de l’assistance nutritionnelle définies et celle-ci mise en route, il est bien entendu nécessaire de suivre son efficacité et le cas échéant sa tolérance. Les marqueurs biologiques dans cette évaluation et ce suivi nutritionnels seront tout d’abord deux protéines sériques, l’albumine et la transthyrétine, plutôt marqueur pronostique pour la première et marqueur de suivi pour la seconde, très largement accessibles dans les laboratoires de biologie. L’évaluation du capital protéique et de sa dynamique pourra, pour le plus simple, recourir au suivi du bilan azoté, de préférence à partir de la mesure de l’azote total urinaire, qui ne donne qu’une image globale du métabolisme protéique ou, pour les laboratoires possédant l’équipement chromatographique nécessaire, l’analyse des acides aminés sanguins (rapport phénylalanine/tyrosine) et urinaires (3-méthyl-histidine) qui permettra d’évaluer le catabolisme protéique. Enfin, l’étude de l’aminoacidogramme plasmatique complet pourrait être une piste d’avenir pour une adaptation individualisée de l’apport nutritionnel. Dénutrition – soins intensifs – évaluation nutritionnelle – albumine – transthyrétine – bilan azoté.

1. Introduction Le patient agressé, tel qu’on peut le voir en unité de soins intensifs (USI) ou de réanimation, est caractérisé par une réponse métabolique intrinsèquement proportionnelle à la sévérité du phénomène agressif mais avec des variations importantes en fonction du type d’agression (thermique,

Service de biochimie Hôpital Cochin – GH Hôpitaux universitaires Paris Centre-(AP-HP) 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris cedex 14 Laboratoire de biologie de la nutrition – EA 4466 Faculté de pharmacie Paris Descartes – Paris b Réanimation médicale Centre hospitalier universitaire de Rouen – Hôpital Charles-Nicolle 1, rue de Germont 76031 Rouen cedex a

* Correspondance [email protected] article ti l reçu le l 16 juin, j i accepté té le l 20 juin j i 2014. 2014 © 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Enteral and parenteral nutrition: the critically ill patient as an example In the intensive care unit, the patient, when not already malnourished on admission, has a high risk of malnutrition because of his possible inability to spontaneously cover his/her necessary nutritional requirements and owing to the injury-induced increase in his/her requirements. The initial nutritional assessment, besides giving a starting reference point, allows defining the urgency of the nutritional support and the risk of malnutrition-related complications. Once the modalities of nutritional assistance defined and implemented, it is of course necessary to monitor its effectiveness and tolerance. Biomarkers for nutritional assessment and followup are in the first place two serum proteins, albumin and transthyretin, rather a prognosis marker for the first and a follow-up marker for the second, widely available in biology labs. The assessment of protein status may rely, for its easiest part, on the monitoring of nitrogen balance, preferably based on the measurement of total urinary nitrogen, but which will give only a static view of nitrogen metabolism; for laboratories with chromatographic equipment the determination of amino acids in blood (phenylalanine/tyrosine ratio) and urine (3-methyl-histidine) will provide information on the intensity of protein catabolism. Finally, the study of the complete plasma amino acid profile could be a promising tool for the individualized adaptation of nutritional support. Malnutrition – intensive care – nutritional assessment – albumin – transthyretin – nitrogen balance.

chimique, chirurgicale, microbiologique) et des spécificités individuelles (genre, âge, poids, patrimoine génétique), sans oublier l’influence des modalités de la prise en charge. Cette réponse à l’agression s’oppose au jeûne : non seulement il n’y pas de réduction des dépenses énergétiques ni du catabolisme protéique mais on observe une importante augmentation de ces deux paramètres. Il n’y a pas de réduction de l’insulinémie mais au contraire une augmentation, parallèlement à un état d’insulino-résistance, en rapport avec l’élévation des hormones dites de contre régulation (glucagon, cortisol et catécholamines). En fait, si la réponse générale à l’agression est opposée à l’adaptation au jeûne, les différentes voies métaboliques ne sont pas impliquées de manière similaire. L’état nutritionnel initial, élément déterminant de la capacité du patient à répondre à l’agression, est un élément important du pronostic tandis que le suivi du risque de dénutrition au cours

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de l’hospitalisation et de l’adéquation de la prise en charge nutritionnelle sera déterminant dans la prévention de complications, en particulier infectieuses. La prise en compte de la dimension nutritionnelle est essentielle non seulement à court terme pendant le séjour en réanimation ou en USI mais également à plus long terme comme le montre le bénéfice de certaines prises en charge nutritionnelles sur la mortalité à 6 mois de l’agression initiale. Avant d’envisager la contribution de la biologie dans la composante nutritionnelle de la thérapeutique en réanimation ou en USI, nous rappellerons brièvement les aspects métaboliques de la réponse à l’agression, afin de mettre en exergue les éléments pour lesquels la biologie médicale peut être contributive, et nous envisagerons rapidement les principes généraux de la nutrition artificielle.

2. La réponse métabolique à l’agression On distingue deux temps dans la réponse à l’agression : le premier d’hypercatabolisme, de durée extrêmement variable et lié à la lutte contre le phénomène agressif initial, et le second d’anabolisme, correspondant à la restauration de l’homéostasie et donc à la convalescence avec des perturbations fonctionnelles et métaboliques persistant parfois pendant de longs mois [1, 2]. Les patients admis en réanimation suite à une agression aiguë vont se situer majoritairement dans cette période hypercatabolique. La réponse métabolique pendant cette période est la résultante d’une part de la réponse endocrine au stress, avec au premier plan les hormones cataboliques (glucagon, cortisol et catécholamines) et une résistance aux facteurs anaboliques, et d’autre part, la réponse immuno-inflammatoire avec la production de cytokines pro- et anti-inflammatoires, l’équilibre entre les deux populations de cytokines pro- et anti-inflammatoires déterminant l’évolution possible vers l’hyper-inflammation ou la dépression immunitaire [1, 2]. L’objectif de cette réponse est la lutte contre le phénomène agressif grâce à une mobilisation de l’ensemble des substrats disponibles indépendamment de tout apport exogène. En termes métaboliques, les éléments majeurs de cette réponse, du point de vue de leurs conséquences sur l’état nutritionnel, sont [1, 2] : r un besoin majeur en acides aminés pour assurer la synthèse des protéines de l’inflammation, participer à la néoglucogenèse et répondre à des besoins spécifiques tels que la lutte contre l’acidose dans le cas de la glutamine ; r l’insulino-résistance et la consommation accrue de glucose en particulier dans la glycolyse anaérobie, par exemple par les cellules inflammatoires, d’où un besoin renforcé de néoglucogenèse ; r l’inhibition de la cétogenèse à partir des acides gras. Rappelons à ce propos que la production des corps cétoniques au cours du jeûne, en limitant le besoin en glucose, est un facteur important pour réduire l’utilisation des acides aminés dans la néoglucogenèse et donc la nécessité de la protéolyse, créant de ce fait une véritable épargne musculaire. Ce phénomène n’existe donc pas chez le patient de réanimation.

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Le corolaire de ces orientations métaboliques est que, en cas d’agression sévère, l’organisme va puiser de manière potentiellement déraisonnable dans le capital protéique. En effet, à la différence des lipides et dans une bien moindre mesure des glucides, il n’existe pas de réserve protéique à proprement parler dans l’organisme et l’accélération de l’utilisation des acides aminés, issus des protéines essentiellement myofibrillaires, dans des voies métaboliques autres que la synthèse protéique (néoglucogenèse, équilibre acido-basique,…) va entraîner une perte de fonction [2]. Par ailleurs, les priorités dans l’utilisation des acides aminés vont conduire à une diminution de la disponibilité de certains d’entre eux pour d’autres fonctions importantes : c’est le cas de la glutamine utilisée massivement dans l’équilibre acido-basique alors qu’elle est nécessaire à la prolifération des cellules à renouvellement rapide, telles que les entérocytes, et donc à la fonction de barrière intestinale, ou les cellules immunitaires et donc à la réponse à l’infection [1, 2]. Intellectuellement parlant, il est tentant d’imaginer que la nutrition artificielle, en apportant l’ensemble des nutriments dont l’organisme a besoin, permettrait d’éviter à ce dernier de puiser dans sa propre substance ; malheureusement, la réponse endocrine et inflammatoire prévaut et les tentatives visant à contrôler l’inflammation (acides gras n-3, anti-cytokines pro-inflammatoires) ou à favoriser l’anabolisme (insulinothérapie à forte dose, hormone de croissance) ont eu/ont un succès limité quand elles n’ont pas dû être interrompues du fait de résultats péjoratifs [3, 4].

3. Principe de la nutrition artificielle chez le malade de réanimation Le patient de réanimation dans l’incapacité de se nourrir peut recevoir un support nutritionnel par voie digestive ou entérale (NE) ou par voie veineuse ou parentérale (NP), sachant que la voie entérale doit être privilégiée chaque fois que la fonction digestive le permet et donc que la NP ne devrait être utilisée qu’en cas de contre-indication de la NE. Par définition, la nutrition artificielle doit apporter l’ensemble des macronutriments, micronutriments et électrolytes nécessaires pour le patient. Les produits utilisés en NE sont le plus fréquemment ce que l’on appelle des mélanges polymériques apportant des protéines entières, des triglycérides à chaînes longues ou moyennes et des glucides plus ou moins complexes. Des mélanges à base de peptides peuvent être parfois utilisés dans des indications particulières en rapport avec une maldigestion. La NP recourt à un apport de macronutriments sous leur forme la plus simple possible, c’est-àdire d’acides aminés, de triglycérides et de glucose. Les produits de NP doivent être supplémentés en électrolytes et en micronutriments, en quantités bien sûr adaptées aux besoins du patient. Une des grandes évolutions techniques de la NP au cours des deux dernières décennies a été la mise à disposition de produits conditionnés en poches compartimentés. Cela permet de ne mélanger les nutriments qu’au moment de l’emploi d’où un gain de stabilité

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Figure 1 – Dépistage de la dénutrition chez l’adulte en soins intensifs ou réanimation.

D’après (http://www.nutrimetre.org/PDF/Algorea.pdf), révisé pour les valeurs seuils de la TTR et du NRI.

et de décider en cas de nécessité de ne pas inclure un nutriment (en général les lipides) dans le mélange administré au patient. La tendance actuelle de la nutrition artificielle est de viser à une nutrition plus adaptée aux besoins spécifiques des patients en fonction de leur pathologie. Ainsi, pour répondre à ceux du patient de réanimation dans le contexte de la réponse à l’agression, une nouvelle approche a vu le jour visant à utiliser les propriétés pharmacologiques de certains nutriments plus particulièrement vis-à-vis de la réaction immuno-inflammatoire. Cette approche dite de pharmaconutrition ou d’immuno-nutrition repose sur l’enrichissement de la nutrition artificielle en certains acides aminés tels que la glutamine et l’arginine, en certains lipides tels que les acides gras polyinsaturés n-3 ou encore en micronutriments (oligoéléments : cuivre, zinc et sélénium ; vitamines A, E et C).

Cela est bien illustré par l’étude d’Heidegger et al. [7] chez environ 300 patients de réanimation randomisés pour recevoir de J4 à J8 après leur admission une NE soit seule soit associée à une NP de complément avec une même cible d’apports énergétiques. Les résultats montrent un apport énergétique moyen de 28 kcal/kg/j avec la combinaison NE+NP contre 20 kcal/kg/j sous NE seule avec comme conséquence une diminution des infections nosocomiales dans le groupe NE+NP. Ainsi, tout patient admis en réanimation pour une durée présumée supérieure à 3 jours est à risque de dénutrition. L’évaluation et le suivi nutritionnels doivent donc être systématiques et une assistance nutritionnelle doit être mise en place, dans les 24 premières heures chez les patients dénutris ou jugés incapables de s’alimenter suffisamment dans les 3 jours après l’admission [8].

4. État nutritionnel en réanimation

5. Évaluation de l’état nutritionnel à l’admission (figure 1)

La prévalence de la dénutrition à l’admission en réanimation est très variable dans la littérature, le plus souvent entre 15 et 30 % mais parfois beaucoup plus importante par exemple chez les patients âgés cancéreux [5, 6]. La dénutrition s’aggrave au cours du séjour en réanimation du fait du processus inflammatoire déjà évoqué, mais également de l’inadéquation relative des apports, compte tenu de l’anorexie, de l’incapacité à s’alimenter… : par exemple, la nutrition entérale à elle seule peut souvent être insuffisante pour répondre aux besoins du patient.

Rappelons tout d’abord l’importance de cette évaluation initiale. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’état nutritionnel de départ va conditionner en partie la capacité du patient à lutter contre le phénomène agressif. L’état nutritionnel à l’admission est donc un élément de l’évaluation pronostique globale. L’évaluation nutritionnelle initiale permettra de définir l’urgence de la renutrition et, compte tenu du risque de dénutrition aiguë, elle fournira une référence de base pour le suivi nutritionnel du patient.

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Cette évaluation nutritionnelle initiale est fondée sur [6, 9] : r la cinétique de perte de poids (dénutrition si perte de poids supérieure à 2 % en une semaine, 5 % en un mois, ou 10 % en 6 mois ; dénutrition sévère si perte de poids supérieure à 10 % en un mois, ou 15 % en 6 mois). Typiquement, dans le cas qui nous intéresse, il s’agit le plus souvent de malades atteints d’un cancer digestif et bénéficiant d’une chirurgie lourde ; r l’indice de masse corporelle (poids/taille2 ; IMC) : il permet uniquement d’affirmer une dénutrition (IMC inférieur ou égal à 18,5 avant 70 ans ou inférieur à 21 après 70 ans) mais un patient obèse peut être dénutri [2] ; r des critères biologiques et c’est l’albuminémie qui est le paramètre proposé, pour le calcul du NRI ou nutritional risk index, dans le cadre des recommandations françaises [9]. La question qui se pose pour le biologiste est celle de la pertinence des différents marqueurs protéiques qui ont pu être proposés dans la littérature si l’on considère la situation spécifique du patient de réanimation : albumine, transthyrétine, transferrine, retinol binding protein (RBP) ou encore plus anecdotiquement insulin-like growth factor-1 (IGF-1). De manière générale, comme le soulignent Aussel & Ziegler [10] dans ce numéro, et en dehors de variations spécifiques de telle ou telle protéine, la signification de ces paramètres est largement altérée en cas d’insuffisance hépatocellulaire, de variations importantes du volume sanguin ou encore d’inflammation. Il est alors impérativement nécessaire d’évaluer en parallèle au minimum l’état inflammatoire par la mesure de la C-reactive protein (CRP). Selon les recommandations de l’ANAES, non spécifiquement établies pour les patients de réanimation, en l’absence de syndrome inflammatoire défini par une CRP supérieure à 15 mg/l, il faut évoquer un diagnostic de dénutrition pour une albuminémie inférieure à 30 g/l ou une transthyrétinémie inférieure à 110 mg/l et de dénutrition sévère pour une albuminémie inférieure à 20 ou 25 g/l (respectivement pour les moins de 70 ans ou plus de 70 ans) ou une transthyrétinémie inférieure à 50 mg/l. Ces valeurs seuils d’albumine et de transthyrétine sont les références pour le codage de la dénutrition, mais posent un vrai problème pour la transthyrétine car, dans notre expérience, des valeurs inférieures à 50 mg/l sont très rares, même en réanimatio [6,9]. Quant au NRI, il reflète un risque de complications liées à la dénutrition et non un risque de dénutrition [10]. Au-delà des recommandations, on peut toutefois s’interroger sur la signification biologique réelle de ces paramètres. Les critères évoqués ci-dessus ne font en effet pas l’unanimité, comme l’indiquent, par exemple, les recommandations américaines qui considèrent que l’utilisation de l’albuminémie et de la transthyrétinémie n’est pas validée pour l’évaluation nutritionnelle en réanimation [11]. En fait, l’albumine est un marqueur de sévérité de l’agression plutôt que de l’état nutritionnel [10]. Dans le même ordre d’idée, l’intérêt de ces marqueurs a été bien démontré pour leur caractère pronostique. Ainsi, une albuminémie ou une transthyrétinémie basses sont des marqueurs de mauvais pronostic, chez le patient de réanimation comme chez tous les patients hospitalisés |12, 13]. Enfin, comme décrit par Aussel & Ziegler dans ce numéro [10], ces marqueurs protéiques ont été également intégrés dans

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des indices composites évaluant le risque de complications lié à la dénutrition tels que le prognostic inflammatory and nutritional index (PINI) ou le nutritional risk index (NRI). Comme indiqué plus haut, selon les recommandations de l’ANAES, il est indiqué de calculer le NRI en cas de suspicion de dénutrition avec des seuils fixés à 83,5 pour définir l’indication d’une nutrition artificielle et à 97,5 pour une dénutrition modérée. Notons que, plus spécifiquement pour la population gériatrique, le geriatric nutritional risk index (GNRI) a été validé chez la personne âgée présentant un sepsis [14]. Toutefois, la validité de ces recommandations est limitée par le fait que la relation entre les scores multiparamétriques et la morbi-mortalité est inconstamment retrouvée.

6. Apport de la biologie à la mise en place du support nutritionnel Par définition, le support nutritionnel doit être adapté aux besoins du patient, c’est-à-dire qu’il apporte qualitativement et quantitativement l’ensemble des macro- et micronutriments nécessaires. La détermination des besoins énergétiques n’est pas accessible au biologiste, à moins de considérer que la mesure des échanges gazeux respiratoires dans le cadre de la calorimétrie indirecte relève de la biologie [15]. Toutefois, la biologie est contributive au moins à deux titres : d’une part, les désordres glycémiques et leur prise en charge et, d’autre part, les possibles dyslipidémies qui conduiront à réduire l’apport lipidique et favoriser la part des triglycérides à chaînes moyennes [15, 16]. L’exploration du métabolisme protéique peut aller d’approches simples à des examens très complexes qui relèvent principalement de la recherche clinique.

6.1. Le bilan azoté Le bilan azoté représente la différence entre les entrées (alimentaires et/ou de nutrition artificielle) et les pertes d’azote. Ce n’est pas un marqueur de l’état du capital protéique mais de sa dynamique, accrétion ou érosion. En théorie, un bilan positif indique un anabolisme protéique et un bilan négatif un catabolisme protéique. Pourquoi en théorie ? Parce que cela n’est exact que si les flux d’azote ne dépendent que du seul métabolisme protéique. L’augmentation par exemple du pool d’urée (ou de tout autre composé azoté) dans l’organisme peut en effet masquer une partie de la perte protéique. Plus encore, il a été émis l’hypothèse que l’amélioration du bilan d’azote chez le malade de réanimation recevant une nutrition enrichie en glutamine résultait simplement de l’accumulation cellulaire de glutamine libre [17, 18]. Par ailleurs, la détermination du bilan azoté, simple dans son principe, peut s’avérer difficile à réaliser avec précision. Elle demande en en effet de pouvoir mesurer l’ensemble des apports et des pertes azotées : r pour des individus sous nutrition artificielle exclusive, les apports peuvent par la force des choses être précisément connus. S’il existe une part d’alimentation d’orale, l’évaluation des apports reposera sur des approximations en estimant le contenu en azote des protéines ingérées (environ 0,16 g d’azote par g de protéines) ;

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r pour ce qui concerne l’élimination de l’azote, plus de 90 % sont habituellement éliminées par voie urinaire et environ 10 % par voie fécale, les pertes dites insensibles (sueur, desquamation cutanée, phanères…) étant normalement très faibles, de l’ordre d’une dizaine de mg/kg. Par simplicité, on ne prend en compte habituellement que les pertes urinaires, en considérant que les autres pertes sont à peu près constantes et en introduisant un facteur de correction pour en tenir compte. Cela est source d’une première possibilité d’erreur en cas d’élimination fécale accrue (malabsorption, entéropathie exsudative…) ou en cas de majoration des pertes cutanées. Chez le patient brûlé, ces pertes au niveau des lésions cutanées pendant les jours qui suivent la brûlure peuvent être prises en compte en considérant qu’elles représentent de l’ordre de 0,5 g par % de surface corporelle brûlée [19]. Par ailleurs, des pertes d’azote (de protéines) peuvent également advenir du fait de drains, fistules… Ces restrictions mises à part, les pertes azotées urinaires peuvent être mesurées avec précision si le recueil urinaire a été réalisé dans des conditions satisfaisantes (ce qui est déjà bien souvent difficile à obtenir). Deux techniques sont disponibles pour mesurer l’azote urinaire : la pyrochimiluminescence (mesurant la chimiluminescence en présence d’ozone des oxydes d’azote obtenus par décomposition des produits azotés à très haute température) ou la méthode de Kjeldahl (micro-Kjeldahl automatisé : minéralisation suivie d’un dosage de l’ammoniaque) [20]. Malheureusement, les laboratoires possédant l’équipement nécessaire pour ce dosage sont peu nombreux et force est pour le clinicien de se contenter du dosage de l’urée urinaire. Malheureusement, car les équations disponibles pour calculer les pertes azotées à partir de l’urée urinaire (voir ci-dessous) sont fondées sur le fait que l’urée urinaire représente environ 85 % de l’azote urinaire. Si cette hypothèse est vérifiée chez le sujet sain, il faut rappeler que la perte azotée non uréique est une composante qui peut varier dans différentes circonstances : par exemple en cas de protéinurie massive ou, plus fréquemment, en cas d’acidose, situation courante chez le patient de réanimation. L’influence de l’acidose est la conséquence directe des variations de l’équilibre acido-basique sur la forme d’élimination urinaire de l’azote sous forme d’urée ou d’ammonium, l’acidose inhibant l’uréogenèse hépatique, acidifiante, en faveur de l’ammoniogenèse rénale, facilitant l’élimination urinaire des protons. Il n’est pas rare d’observer, par exemple chez le patient brûlé dans les jours qui suivent la brûlure, un rapport de l’azote uréique à l’azote total de l’ordre de 0,3 [20]. Différentes formules ont été proposées pour calculer les pertes azotées à partir de l’urée : McKenzie et al. [21] : AUT = AUU + 4 Lee & Hartley [22] : AUT = AUU x 1,20 Dickerson et al. [23] : AUT = AUU + 2 si AUU < 10 ou 1,1 x AUU + 2 si AUU ≥ 10 avec AUT, l’azote totale urinaire, et AUU, l’azote uréique urinaire (urée (mmol/24 h) x 0,028). Notons que Burge et al. [24] ont montré qu’il était possible d’avoir une meilleure estimation des pertes azotées urinaires par la mesure de l’urée et de l’ammoniaque urinaires.

6.2. Acides aminés plasmatiques et urinaires Comme déjà évoqué, la réponse métabolique à l’agression induit une mobilisation périphérique des acides aminés. Au niveau musculaire, il existe un catabolisme protéique net, avec une activation de la synthèse de novo de glutamine et d’alanine [2]. Ces deux phénomènes conduisent à une augmentation parfois considérable de l’efflux des acides aminés et une réduction de leur captation. En miroir, il existe une utilisation majeure des acides aminés dans la néoglucogenèse hépatique et rénale, l’homéostasie acido-basique, le métabolisme des cellules à multiplication rapide telles que les entérocytes et les cellules immunitaires, avec pour conséquence une hypoaminoacidémie quasi globale. Cette capacité à utiliser les acides aminés libérés par les tissus périphériques est un élément important pour la survie des patients comme le montre la corrélation entre clairance centrale des acides aminés et survie chez les patients infectés [25]. Enfin, il existe au cours de la réponse à l’agression une augmentation de l’élimination urinaire des acides aminés imputée par certains auteurs à une diminution de leur réabsorption tubulaire [26]. Dans ce contexte, la détermination des concentrations plasmatiques et urinaires des acides aminés peut apporter des informations importantes en termes soit de dynamique du métabolisme protéique soit d’adéquation du support nutritionnel.

6.2.1. Exploration du métabolisme protéique La phénylalanine est un acide aminé principalement utilisé dans la synthèse des protéines ou, par action de la tyrosine-hydroxylase, dans la synthèse de la tyrosine. En l’absence d’atteinte hépatique qui diminue sa conversion en tyrosine, une augmentation de la phénylalaninémie résulte d’une augmentation de sa libération à partir des protéines (déduction faite de sa réincorporation dans cellesci). La phénylalanine plasmatique est donc un marqueur du renouvellement protéique global. En pratique, c’est le rapport des concentrations plasmatiques de phénylalanine et de tyrosine (Phe/Tyr) qui est utilisé dans ce suivi de la vitesse de renouvellement protéique pour tenir compte d’éventuelles modifications de l’inter-conversion entre ces deux acides aminés. Différents travaux ont montré une augmentation du rapport Phe/Tyr chez les patients polytraumatisés, septiques, ou brûlés [26-28]. Le rapport Phe/ Tyr est un bon indicateur de l’intensité de l’inflammation ou du catabolisme chez les patients septiques. Cependant, chez certains patients sévèrement agressés, le rapport Phe/Tyr est peu augmenté, en rapport avec l’accumulation plasmatique d’AA aromatiques, notamment de la Tyr. Ce profil plasmatique en AA, proche de celui observé en cas d’encéphalopathie hépatique, est observé chez les patients qui décèdent en réanimation [29]. La 3-méthyl-histidine (3MH) est un acide aminé formé au cours de la méthylation post-traductionnelle de résidus histidine des protéines myofibrillaires. Libérée au cours de la dégradation des protéines, la 3-méthyl-histidine ne peut pas être réutilisée pour la synthèse protéique du fait de l’absence de déméthylase et est donc éliminée par voie urinaire. Quantitativement, les muscles squelettiques représentent la principale source de 3MH qui constitue ainsi un bon marqueur de la dégradation des protéines

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myofibrillaires musculaires [30, 31]. En pratique, mesurée dans les urines de 24 heures, l’excrétion urinaire de 3MH doit être rapportée à celle de la créatinine des 24 heures pour tenir compte des variations de la masse musculaire [30, 31].

6.2.2. Évaluation des besoins en acides aminés Si pendant de nombreuses années, la prise en charge nutritionnelle s’est concentrée essentiellement sur les aspects purement quantitatifs des apports nutritionnels, ces dernières décennies ont vu apparaître, comme déjà évoqué plus haut, une nouvelle conception de la nutrition artificielle avec le recours à certains nutriments non plus comme simples substrats du métabolisme protéino-énergétique mais également comme véritables effecteurs de ce métabolisme. La pharmaco-nutrition a été déclinée schématiquement en deux modalités : d’une part l’enrichissement de la nutrition spécifiquement en glutamine, plutôt lors de la nutrition parentérale, et, d’autre part, les produits pour nutrition entérale dite immuno-modulatrice et apportant des doses variables d’arginine, d’acides gras n-3 et de micronutriments [32]. Dans le cas de la glutamine, différentes études cliniques et méta-analyses avaient montré une réduction des complications infectieuses, de la durée d’hospitalisation voire de la mortalité à long terme chez des patients de réanimation recevant de la glutamine [25]. Des études randomisées contrôlées récentes sur des effectifs très larges de patients n’ont pas retrouvé de bénéfice induit par l’apport parentéral de glutamine tandis qu’une étude associant glutamine entérale et parentérale et/ou antioxydant suggère même une augmentation de la mortalité pour les patients recevant de la glutamine [33, 34]. Cependant la méthodologie de cette étude ainsi que les caractéristiques des patients inclus posent problème [33]. L’interprétation la plus vraisemblable à l’heure actuelle est que ces résultats discordants sont le reflet direct de variations de la disponibilité en glutamine. Chez des patients relativement modérément agressés, la concentration plasmatique et donc la disponibilité de la glutamine sont a priori normales et la supplémentation sera sans bénéfice particulier. Au cours de différentes situations d’agression (chirurgie lourde en particulier), il existe une hypoglutaminémie et la supplémentation en glutamine permet d’améliorer sa disponibilité avec le bénéfice clinique attendu. En revanche, chez des patients les plus graves avec défaillances d’organes, il existerait une glutaminémie faussement normale voire augmentée du fait d’une insuffisance d’utilisation viscérale [34]. Dans ce dernier cas, la supplémentation en glutamine pourrait entraîner une augmentation excessive de sa concentration plasmatique avec des conséquences négatives. Dans l’étude REDOX qui incluait des patients ayant au moins deux défaillances viscérales, un nombre important de patients présentaient des glutaminémies subnormales voire très augmentées [33, 34]. La détermination de la glutaminémie avant toute complémentation en glutamine permettrait dans ces conditions de poser l’indication de cette dernière [15]. La situation des régimes immunomodulateurs se rapproche un peu de la précédente. Après une phase très optimiste quant à l’utilisation de ces régimes, une méta-analyse en

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2001 [35] suggérait une augmentation de la mortalité chez les patients de réanimation recevant ces régimes et désignait arbitrairement l’arginine comme responsable de cette surmortalité en arguant du risque de production excessive de monoxyde d’azote à partir de cet acide aminé et donc de choc hémodynamique chez les patients infectés [32]. Si la responsabilité de l’arginine est peu vraisemblable, une approche prudente pourrait être d’évaluer l’argininémie chez le patient de réanimation, en réservant la complémentation en arginine aux patients présentant une hypoargininémie vraie [36]. Néanmoins, cette complémentation reste une contre-indication chez le patient septique [8].

7. Suivi biologique de l’efficacité de la prise en charge nutritionnelle en réanimation L’état nutritionnel initial ayant été évalué avec la définition du besoin ou non d’un support nutritionnel, il est impératif de suivre à la fois l’efficacité de la prise en charge sur le plan nutritionnel et la tolérance au support nutritionnel.

7.1. Efficacité de la prise en charge Sur le plan des marqueurs protéiques, en faisant abstraction de l’influence du phénomène inflammatoire déjà largement évoquée, seules l’albumine et la transthyrétine retiendront notre attention. L’albumine, avec sa demi-vie relativement longue de l’ordre de 3 semaines, est en fait un marqueur très peu sensible de l’évolution à court terme de l’état nutritionnel et ne doit pas être utilisée dans ce cadre. La transthyrétine a au contraire une demi-vie courte d’environ 2 jours ce qui signifie qu’elle répond rapidement à la prise en charge nutritionnelle : elle est donc toute indiquée pour le suivi de l’efficacité de la nutrition du patient que ce soit par voie entérale ou parentérale. Le bilan azoté ne figure pas dans les recommandations. Cela est sans doute lié, au-delà des différentes restrictions déjà évoquées, au fait que chez le patient de réanimation, il ne suffit pas d’augmenter l’apport calorico-azoté pour le positiver. Tant que le catabolisme l’emporte sur l’anabolisme, ce bilan restera négatif. Il présente toutefois deux intérêts : le premier est d’établir le niveau d’apport azoté optimal, c’est-à-dire celui au-delà duquel on ne peut espérer améliorer encore le métabolisme protéique ; le second est de permettre de suivre dans le temps l’équilibre entre anabolisme et catabolisme [15]. L’amélioration de la prise en charge pourrait passer également par une adaptation personnalisée des apports azotés en étudiant pour chaque patient la pharmacocinétique des acides aminés après mise en route du support nutritionnel [37]. Cette approche a été évaluée dans le contexte de la nutrition parentérale par la mesure des variations des concentrations plasmatiques des acides aminés entre l’état basal et l’état d’équilibre au cours de la perfusion (en pratique 3 heures après mise en route). Une étude chez des patients de réanimation chirurgicale a montré que l’adaptation de l’apport parentéral d’acides aminés, de manière à diminuer les acides aminés identifiés par cette méthode comme apportés en excès et à augmenter ceux trop faiblement apportés, permettait

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BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

d’améliorer significativement le bilan azoté des patients [38]. Cette approche est détaillée par Ginguay et al. [39] dans le prochain numéro de la RFL.

7.2. Tolérance à la nutrition Un des objectifs de la surveillance nutritionnelle est de s’assurer de sa bonne tolérance. Notons, dans le cas de patients se présentant avec une malnutrition protéinoénergétique sévère, le risque parfois mortel de syndrome de renutrition inappropriée (refeeding syndrome). Celui-ci associe des manifestations cardiaques (telles que arythmie, fibrillation ventriculaire et arrêt cardiovasculaire), neurologiques (pouvant aller jusqu’à la tétanie), respiratoires et musculaires. Ce syndrome est lié à un transfert intracellulaire massif d’électrolytes, en particulier du phosphore et du potassium, suite à l’insulino-sécrétion induite par la renutrition. La surveillance quotidienne des concentrations de phosphore, potassium et magnésium est ainsi indispensable dans les premiers jours de la renutrition [40]. De manière générale, la tolérance de la nutrition est suivie par la mesure des concentrations plasmatiques de

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8. Conclusion La dimension nutritionnelle de la prise en charge des patients doit être une préoccupation permanente en réanimation et en USI du fait du risque majeur de dénutrition et des conséquences de celles-ci en termes de morbi-mortalité. De ce fait, la surveillance de son efficacité et de sa tolérance doit être initiée chez tout patient de réanimation la recevant. La prévention de la dénutrition et des complications métaboliques font partie de cette surveillance. La biologie contribue significativement à l’évaluation de ce risque mais également à contrôler l’efficacité de la prise en charge. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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