Nutrition trophique et maturation du tube digestif de l’enfant prématuré

Nutrition trophique et maturation du tube digestif de l’enfant prématuré

J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 (suppl. au n° 1) : 1S127-1S128. Cinquième table ronde Nutrition entérale Nutrition trophique et maturation du...

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J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004 ; 33 (suppl. au n° 1) : 1S127-1S128.

Cinquième table ronde Nutrition entérale

Nutrition trophique et maturation du tube digestif de l’enfant prématuré A. Lapillonne, F. Campeotto, C. Dupont Service de Néonatologie, Hôpital Saint-Vincent de Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75674 Paris Cedex 14. RÉSUMÉ La maturation des fonctions digestives du nouveau-né est stimulée par l’alimentation entérale alors que la nutrition parentérale induit une atrophie intestinale et une réduction des capacités d’absorption et de digestion. La nutrition trophique consiste à délivrer de faible volume de lait dans le but de favoriser le développement du tractus digestif de l’enfant prématuré. La mise en route d’une alimentation entérale à visée trophique chez l’enfant prématuré semble avoir de multiples effets bénéfiques sur la croissance et la maturation du tube digestif et semble dénuée de complications. Des études complémentaires sont toutefois nécessaires avant de recommander cette pratique en routine. Mots-clés : Nutrition trophique • Enfant de faible poids de naissance • Entérocolite ulcéronécrosante • Motilité digestive. SUMMARY: Trophic feeding and maturation of the gastrointestinal tract of the preterm infant. Maturation of gastrointestinal function in neonates is stimulated by enteral nutrition whereas parenteral nutrition induces gastrointestinal atrophy and malfunction. Trophic feeding is the practice of feeding minute volumes of milk in order to stimulate the development of the immature gastrointestinal tract of the preterm infant. The provision of trophic feeding to the metabolically stable premature infant appears to result in multiple nutritional benefits and in minimum risk of complications. Further studies are, however, needed before recommending this practice routinely. Key words: Trophic feeding • Low birth weight infant • Necrotizing enterocolitis • Gut motility.

L’importance de la nutrition périnatale sur le devenir à long terme des enfants de faible poids de naissance, en particulier sur le plan neurologique est de plus en plus reconnue. La mise en route et l’établissement de la nutrition entérale, sans augmentation du risque d’entérocolite ulcéronécrosante sont les clefs du succès de la nutrition postnatale. Au regard de l’ontogénie du tube digestif, il devient de plus en plus évident que de nombreux facteurs pré et post-natals peuvent modifier le développement et/ou la maturation du tractus digestif et que les problèmes liés à la motilité intestinale sont vraisemblablement les déterminants principaux des capacités de l’enfant prématuré à être alimenté [1]. Il n’existe pas de données objectives sur le moment le mieux adapté pour l’introduction de l’alimentation entérale chez l’enfant prématuré et, de ce fait, les pratiques varient beaucoup d’un centre de néonatologie à un autre. En revanche, au cours de la dernière décade, plusieurs études randomisées ont eu pour

objectif d’étudier les effets de la nutrition entérale sur la motricité intestinale du prématuré et le concept de « nutrition trophique » a progressivement vu le jour. La nutrition trophique consiste à délivrer précocement de faible volume de lait, le plus souvent non dilué, tout en maintenant une alimentation parentérale dans le but de favoriser la maturation des fonctions du tube digestif. L’alimentation parentérale exclusive, et donc l’absence d’alimentation entérale est responsable d’une réduction significative, mais réversible, de la croissance des villosités, d’une diminution de la prolifération des cellules des cryptes et d’une réduction des capacités d’absorption et de digestion [1]. Bien qu’il existe de multiples preuves que la présence de nutriments dans la lumière intestinale stimule la croissance du tractus digestif et permet le maintien de l’intégrité de la muqueuse intestinale, de nombreuses incertitudes persistent. En particulier, la composition et la quantité de lait optimale pour induire une telle

Tirés à part : A. Lapillonne, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]

© MASSON, Paris, 2004.

A. Lapillonne et collaborateurs

maturation digestive sont inconnues. Récemment, à l’aide de modèles animaux, il a été démontré que 30 à 40 % de l’apport entéral normal induit une augmentation significative de la masse de la muqueuse intestinale mais qu’il faudrait apporter au moins 60 % de l’apport entéral normal pour maintenir une prolifération cellulaire et une croissance intestinale normales [2]. À l’inverse, des apports entéraux de 10 % sont suffisants pour induire une maturation de la motricité intestinale [3]. Si l’utilisation des modèles animaux documente l’intérêt de la nutrition trophique sur la maturation digestive, les données les plus importantes en faveur de l’intérêt de la nutrition trophique chez le prématuré proviennent des essais cliniques. Chez le prématuré, la nutrition trophique ne modifie pas significativement la vidange gastrique mais induit une maturation plus rapide du complexe migrant moteur, habituellement absent avant 3234 semaines d’aménorrhée, et diminue de 30 à 40 % le temps de transit pendant les 6 premières semaines de vie [4]. Parallèlement, elle induit une augmentation de la sécrétion d’hormones digestives telles que la motiline, l’enteroglucagon, et la gastrine [5], augmente de 2,6 fois le ratio lactase/sucrase dans le liquide duodénal [6] et augmente la captation de leucine par le tissu splanchnique suggérant une synthèse protéique intestinale accrue [7]. Une méta-analyse récente portant sur 8 études randomisées documente les effets de la nutrition trophique sur la tolérance alimentaire et le devenir néonatal [8]. Les prématurés inclus avaient un poids de naissance inférieur à 1 500 g ou avaient un âge gestationnel de moins de 33 semaines. L’alimentation trophique, débutée entre le 1er et le 8e jour de vie et apportant entre 12 ml/kg/j et 24 ml/kg/j de lait maternel ou de lait pour prématuré (pur ou dilué) a été continuée pendant 5 à 10 jours alors que les prématurés témoins n’étaient pas alimentés pendant cette période. Les prématurés sous nutrition trophique ont été alimentés complètement en moyenne 2,7 jours plus tôt, ont eu 3,1 jours de moins d’arrêt d’alimentation et sont sortis de l’hôpital 15,6 jours plus tôt. Il n’y avait pas d’augmentation significative de cas

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d’entérocolite ulcéronécrosante (risque relatif de 1,1, NS) chez les enfants ayant reçu une alimentation trophique. D’autres études non incluses dans cette métaanalyse montrent que les enfants recevant une alimentation trophique ont des apports énergétiques supérieurs et une meilleure croissance staturo-pondérale, présentent moins d’épisodes infectieux, et ont des besoins en oxygène inférieurs [9]. La mise en route d’une alimentation entérale à visée trophique chez l’enfant prématuré semble avoir de multiples effets bénéfiques sur la croissance et la maturation du tube digestif sans accroître significativement le risque d’entérocolite ulcéronécrosante. Des études complémentaires sont toutefois nécessaires afin de confirmer ces données et d’étudier les effets de la nutrition trophique sur le système immunitaire, le système circulatoire et l’activité motrice intestinale avant de recommander cette pratique en routine. RÉFÉRENCES 1. Newell SJ. Enteral feeding of the micropremie. Clin Perinatol 2000; 27: 221-34. 2. Burrin DG, Stoll B, Jiang R, Chang X, Hartmann B, Holst JJ et al. Minimal enteral nutrient requirements for intestinal growth in neonatal piglets: how much is enough? Am J Clin Nutr 2000; 71: 1603-10. 3. Owens L, Burrin DG, Berseth CL. Minimal enteral feeding induces maturation of intestinal motor function but not mucosal growth in neonatal dogs. J Nutr 2002; 132: 2717-22. 4. McClure RJ, Newell SJ. Randomised controlled trial of trophic feeding and gut motility. Arch Dis Child 1999; 80: 54-8. 5. Lucas A, Bloom SR, and Aynsley-Green A. Gut hormones and “minimal enteral feeding”. Acta Paediatr Scand 1986; 75: 71923. 6. McClure RJ, Newell SJ. Randomized controlled study of digestive enzyme activity following trophic feeding. Acta Paediatr 2002; 91: 292-6. 7. Saenz DP, VanBeek RH, Quero J, Perez J, Wattimena DJ, Sauer PJ. Effect of minimal enteral feeding on splanchnic uptake of leucine in the postabsorptive state in preterm infants. Pediatr Res 2003; 53: 281-7. 8. Tyson JE, Kennedy KA. Minimal enteral nutrition for promoting feeding tolerance and preventing morbidity in parenterally fed infants. Cochrane Database Syst Rev 2000; CD000504. 9. McClure RJ, Newell SJ. Randomised controlled study of clinical outcome following trophic feeding. Arch Dis Child 2000; 82: 29-33.

© MASSON, Paris, 2003.