Obésité : que nous dit l’épidémiologie ?

Obésité : que nous dit l’épidémiologie ?

Cahiers de nutrition et de diététique (2011) 46, 167—172 ÉPIDÉMIOLOGIE Obésité : que nous dit l’épidémiologie ?夽 Obesity: What epidemiology tells us...

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Cahiers de nutrition et de diététique (2011) 46, 167—172

ÉPIDÉMIOLOGIE

Obésité : que nous dit l’épidémiologie ?夽 Obesity: What epidemiology tells us? Marie-Aline Charles Inserm unité 1018, centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif cedex, France Rec ¸u le 31 janvier 2011 ; accepté le 25 f´ evrier 2011 Disponible sur Internet le 7 mai 2011

MOTS CLÉS Obésité ; Épidémiologie ; Enfants ; Adultes ; Croissance

Résumé Dans la plupart des pays développés comme en voie de développement, la ou les dernières décennies du xxe siècle ont été le témoin d’une augmentation régulière de la prévalence de l’obésité. Les derniers chiffres en provenance des États-Unis apportent la première note discordante avec un net ralentissement depuis les années 2000. Chez l’enfant également, une augmentation rapide du surpoids et de l’obésité a été documentée dans de nombreux pays jusqu’aux années 2000. Dans ce contexte général, de récentes publications montrant comme en France, en Suisse, en Angleterre, aux États-Unis une stabilisation de la prévalence du surpoids et de l’obésité prennent une importance particulière. Les évolutions observées dans les pays en voie de développement montrent clairement un parallèle entre le développement économique, l’urbanisation et l’augmentation de la prévalence de l’obésité. Dans les pays développés comme la France où le recul de la pauvreté et l’urbanisation sont des phénomènes beaucoup plus anciens, un fait marquant de l’épidémie d’obésité observée à partir des années 1990 chez l’adulte a été son caractère diffus dans la population. L’amélioration très générale des conditions de vie de l’après-guerre dans lesquelles les générations nées à partir des années 1960 ont vécu toute leur enfance explique probablement en partie ce caractère très diffus. La mise en évidence d’une progression rapide de la prévalence de l’obésité chez les enfants impactant ultérieurement celle de l’adulte s’est faite en parallèle avec le développement d’une nouvelle approche de la physiopathologie des maladies chroniques de l’adulte à laquelle la recherche en épidémiologie a largement contribué, mettant en lumière leurs origines développementales. Des périodes critiques au cours du développement affectant le risque d’obésité tout au long de la vie ont ainsi était identifiées telles que la période prénatale, les six premiers mois de vie, la période du rebond d’adiposité à partir de trois ans. L’obésité parentale est associée à une augmentation de la prise de poids de l’enfant à chacune de ces périodes critiques. Cet effet peut s’expliquer par un environnement de plus en plus favorisant, facilitateur de l’expression d’une prédisposition génétique transmise entre parents et enfants mais d’autres facteurs de nature culturelle ou épigénétique, tout



Texte issu de la conférence donnée par l’auteure lors de la remise du Prix Benjamin-Delessert à la 51e Journée annuelle de diététique le 28 janvier 2011. Adresse e-mail : [email protected] 0007-9960/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition. doi:10.1016/j.cnd.2011.04.001

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M.-A. Charles particulièrement très tôt dans la vie, peuvent aussi intervenir dans cette transmission transgénérationnelle de l’obésité. Le ralentissement ou l’arrêt de la progression de la prévalence de l’obésité qui semble s’amorcer dans un certain nombre de pays développés, tout particulièrement chez les enfants, semble annoncer que certains des facteurs affectant cette susceptibilité précoce ont été récemment modifiés. © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS pour la Société française de nutrition.

KEYWORDS Obesity; Epidemiology; Children; Adults; Growth

Summary In most developed and developing countries, a regular increase of the prevalence of obesity has been documented during the last decade(s) of the xxth century. The last figure from the USA is for the first time discordant with this general trend by showing a clear slowing down since year 2000. In children likewise, a rapid increase in the prevalence of obesity took place in the second half of the xxth century but recent publications from France, Switzerland, UK, USA also report a stabilization of childhood overweight and obesity prevalences. The experience of developing countries clearly shows the impact of socioeconomic status improvement and urbanization on the prevalence of obesity. In developed countries like France, a striking element was the diffuse nature of the adult obesity epidemic observed from the 1990s. The general improvement of living conditions after the Second World War probably explains the diffuse nature of the epidemics. Specifically, the changes in the nutritional status of children that happened at that time have long lasting consequences for adult obesity epidemics. Indeed, a new current in epidemiology, lifecourse epidemiology, has prompted over the past decade a new approach of the pathophysiology of chronic diseases, including obesity. Lifecourse epidemiology considers factors affecting the susceptibility to diseases over the whole life with critical periods during developmental phases. Critical periods for the susceptibility to obesity have been documented in prenatal life, during the first 6 months of postnatal life and from 3 years on starting at the time of the adiposity rebound. Parental obesity is involved at each of the critical periods. The transgenerational transmission of obesity is explained by genetic factors, shared lifestyle but also epigenetics especially during the early developmental periods. The slowing down of the childhood obesity epidemics observed in several developed countries may signal that factors affecting the early susceptibility to obesity have recently changed. © 2011 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of Société française de nutrition.

L’épidémiologie de l’obésité est relativement récente. Avant les années 1990, l’obésité n’était étudiée en épidémiologie qu’en tant que facteur de risque de mortalité ou de pathologies chroniques telles les maladies cardiovasculaires ou le diabète. C’est l’épidémie d’obésité qui a en quelque sorte créé l’épidémiologie de l’obésité. L’étape fondatrice a été la constitution de l’Obesity Task Force et le consensus sur une définition internationale de l’obésité publié en 1997 [1], à laquelle les données épidémiologiques sur les relations entre indice de masse corporelle (IMC) et mortalité ont largement contribué. L’épidémiologie de l’obésité s’est alors enrichie permettant de décrire et d’analyser finement l’épidémie en cours chez l’adulte et chez l’enfant et d’en aborder les causes au niveau des populations mais aussi les facteurs de risque individuels. Après deux décennies d’études épidémiologiques, qu’avons-nous appris sur l’obésité ?

Analyse descriptive de l’épidémie d’obésité L’analyse rétrospective de données recueillies souvent dans le cadre d’études sur les facteurs de risque cardiovasculaire permet de remonter pour certains pays aux années 1970. Dans la plupart des pays, les 30 années qui ont suivi ont été le témoin d’une augmentation franche de la prévalence de l’obésité. Dans des pays dont la prévalence de l’obésité était la plus élevée dans les années 1970 comme les États-Unis, la progression s’est poursuivie jusqu’aux années 2000. Dans d’autre pays, une inflexion nette s’est produite au cours

de la période, dès les années 1980 en Grande-Bretagne, au cours des années 1990 en France comme dans de nombreux autres pays d’Europe de l’Ouest [2—8] (Fig. 1). Des données provenant de nombreux autres régions du monde comme le Brésil, l’Inde, le Koweït, la Chine documentent aussi une tendance à l’augmentation de la prévalence du surpoids et de l’obésité dans les années 1990 [2]. En Afrique de l’Ouest, la prévalence de l’obésité augmente également essentiellement dans les zones urbaines et chez les femmes [3]. Les derniers chiffres en provenance des États-Unis apportent la première note discordante à ce concert à la hausse. En effet, l’augmentation de la prévalence de l’obésité semble s’être nettement ralentie depuis les années 2000, même si cette affection touche toujours plus de 30 % des habitants de ce pays [4]. Chez l’enfant également, une augmentation rapide du surpoids et de l’obésité a été documentée dans de nombreux pays jusqu’aux années 2000. Aux États-unis, un triplement de la prévalence de l’obésité de l’enfant de six à 11 ans a été observée entre 1971—1974 et 1999 [5]. En France, la prévalence de l’excès de poids défini par le 97e percentile des courbes de référence franc ¸aise d’IMC était par définition de 3 % dans les années 1960. Dans ces divers échantillons, elle était à 6—8 % dans les années 1980, 10—12 % dans les années 1990, 13—15 % dans les années 2000 [6] Ces estimations suggèrent donc une augmentation franche depuis les années 1960, d’environ 0,25 à 0,30 % par an. Des rythmes de progression comparables ont été notés dans de nombreux autres pays y compris dans des pays en voie de développement tels que le Brésil, le Chili, l’Égypte, Haïti [5]. Dans ce contexte général, de récentes publications montrant en

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35

Prévalence (%)

30 25 20 15 10 5

Figure 1.

Allemagne (25-69)

Angleterre (>15)

France (≥ 18)

Pays-Bas (≥ 20)

Suède (16-84)

Finlande (20-75)

Espagne (20-64)

Espagne (15-100)

Finlande (15-64)

8

06

USA (20-74 ans)

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19

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19 82

19

19 78

0

Évolution de la prévalence de l’obésité à partir d’études nationales dans une sélection de pays européens et aux États-Unis.

France une stabilisation de la prévalence du surpoids et de l’obésité [9—13], prennent une importance particulière. Cette stabilisation est également observée aux États-Unis où la prévalence du surpoids et de l’obésité semble avoir atteint un plateau et aucune augmentation significative n’a été notée sur la période 2000—2008 [7], en Suisse entre 2002 et 2009 [8], en Angleterre sur la période 2005—2007 [14]. Les évolutions observées dans les pays en voie de développement montrent clairement un parallèle entre le développement économique, le recul de la pauvreté, l’urbanisation et l’augmentation de la prévalence de l’obésité. Une étude sur la santé des jeunes femmes en âge de procréer (15—49 ans) réalisée de fac ¸on similaire dans différents pays en voie de développement dans les années 1990 concluait qu’à l’échelle des pays, la prévalence de l’obésité était très liée à la valeur du produit intérieur brut par habitant jusqu’à un certain seuil, estimé à 1500 US$ (valeur de 1992) par habitant [15]. Au-delà de ce seuil, elle variait également en fonction de différence socioculturelle et possiblement génétique. Dans les pays en voie de développement, les progressions les plus spectaculaires ont été retrouvées dans les régions urbaines (Fig. 2) [16]. L’effet

30 25 20 15 10 5 0 1965 1970 1975 1980

Chine Rurale Chine Urbaine Br sil Rural Br sil Urbain Russie Rural Russie Urbain USA Rural USA Urbain

1985 1990 1995 2000

Figure 2. Évolution de la prévalence du surpoids (définition IOTF) chez des enfants de six à neuf ans en Chine, au Brésil, en Russie et aux États-Unis (adapté de [16]).

de l’urbanisation est généralement interprété comme ceux conjugués de la sédentarisation et de la facilitation de l’accès aux denrées alimentaires en particulier sous forme de produits transformés. La Russie est un des rares pays dans lequel une décroissance de la prévalence de l’obésité de l’enfant ait été documentée au cours des années 1990 [16], ce qui est sans doute à rapprocher des profonds bouleversements socioéconomiques subis par ce pays à cette époque. Dans les pays développés comme la France où le recul de la pauvreté et l’urbanisation sont des phénomènes beaucoup plus anciens, un fait marquant de l’épidémie d’obésité observée à partir des années 1990 chez l’adulte a été son caractère diffus dans la population. Les données des études ObEpi de 1997 à 2006 [17] ont bien montré qu’elle a été observée en milieu rural comme en milieu urbain, dans toutes les régions, chez les hommes comme chez les femmes, dans toutes les tranches d’âges, quels que soient la profession du chef de famille ou le niveau de revenu du ménage. Dans les pays développés, tenir compte des caractéristiques socioéconomiques contemporaines ne suffit pas pour expliquer les phénomènes observés chez l’adulte. En effet, lorsque la disponibilité alimentaire n’est plus un facteur limitant, la prévalence de l’obésité observée chez l’adulte résulte de l’effet cumulatif des conditions de vie observées dès l’enfance et même probablement dès la conception. Il est possible de distinguer l’effet de la période de naissance au moyen d’analyses statistiques assez complexes lorsque l’on dispose d’études transversales répétées dans le temps. Ce type d’analyse appliquée aux données des études ObEpi 1997—2006 a permis de conclure à une augmentation nette de la prévalence de l’obésité pour un âge donné pour les personnes nées après les années 1960 [9]. La Fig. 3 illustre bien ce décalage entre générations : à l’âge de 40 ans, on comptait 8 % d’obèses parmi les femmes nées en 1956—1958 contre 15 % pour celles nées en 1965—1967. Les personnes nées dans les années 1940—1950 étaient les moins susceptibles à l’obésité pour un âge donné. Des modifications majeures des conditions de vie probablement dès l’enfance ont probablement affecté particulièrement les

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M.-A. Charles

Prévalence (%)

25 20 1966

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10 5

1963

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Age (ans)

Figure 3. Évolution avec l’âge de la prévalence de l’obésité chez les femmes entre 1997 et 2006 en fonction de l’année de naissance (Études ObEpi). Chaque ligne du graphique correspond à l’évolution avec l’âge observée entre 1997 et 2006 d’une classe d’année de naissance (21 classes définies par intervalle de trois ans dont certaines sont désignées par l’année de naissance médiane : 1981 pour les femmes nées entre 1979 et 1982, 1918 pour celles nées entre 1917 et 1919). Par exemple, à l’âge de 40 ans, on comptait 8 % d’obèses parmi les femmes nées en 1956—1958 contre 15 % pour celles nées en 1965—1967.

personnes nées à ces périodes, modifiant en conséquence la probabilité de développement de l’obésité tout au long de leur vie. L’amélioration très générale des conditions de vie de l’après-guerre dans notre pays comme dans d’autres pays européens explique probablement en partie le caractère très diffus de l’augmentation observée chez l’adulte depuis les années 1990.

Épidémiologie « biographique » La mise en évidence d’une progression rapide de la prévalence de l’obésité chez les enfants impactant ultérieurement celle de l’adulte s’est faite en parallèle avec le développement d’une nouvelle approche de la physiopathologie des maladies chroniques de l’adulte, à laquelle la recherche en épidémiologie a largement contribué, mettant en lumière leurs origines développementales [18]. Le développement, tout particulièrement dans ses phases précoces, intra-utérine et au cours de deux ou trois premières années de vie post-natale, est une période de grande plasticité en réponse aux conditions environnementales. Ainsi des variations dans l’environnement dans lequel le développement précoce s’effectue peuvent entraîner des modifications structurelles ou fonctionnelles dans l’organisme parfois irréversible affectant le risque de maladie chronique à long terme. L’épidémiologie « biographique » ou « vie entière », la « lifecourse epidemiology » des Anglo-Saxons, prend donc en compte l’ensemble des périodes de la vie de l’individu pour analyser le risque de maladies chroniques et la période des premières années de vie y tient une place toute particulière. La question de périodes critiques au cours du développement affectant le risque d’obésité tout au long de la vie a été ainsi était posée. Le tissu adipeux se développe rapidement dans le dernier trimestre de la grossesse et pendant les six premiers mois de vie. Suit une période d’au moins deux ans au cours de laquelle la croissance de la masse grasse est moins rapide que celle de la masse non grasse, avant une nouvelle accélération du développement de la masse grasse correspondant au rebond d’adiposité [10]. Des études épidémiologiques longitudinales ont effectivement montré qu’à ces différentes périodes de développement

rapide du tissu adipeux correspondent des périodes de susceptibilité pour le risque ultérieur de surpoids. Pendant la période prénatale, une croissance rapide du poids en rapport notamment avec une hyperglycémie maternelle pendant la grossesse est associée à une masse grasse augmentée à la naissance et à un risque accru de surpoids dans l’enfance et à l’âge adulte [11]. En post-natal, plusieurs études ont maintenant également retrouvé de fac ¸on concordante qu’une croissance rapide du poids au cours de la première année de vie est associée à un risque augmenté de surpoids plus tard dans la vie [12]. Lorsque l’on regarde plus en détail cette période, ce sont les six premiers mois qui semblent représenter la période la plus critique [13]. La troisième période est la période du rebond d’adiposité dont la précocité prédit le risque d’obésité à l’âge adulte. Il est difficile pour l’instant de chiffrer précisément l’impact de facteurs d’environnement intervenant lors de ces périodes critiques par rapport à ceux intervenant plus tard dans la vie mais dans l’environnement favorisant actuel, une étude longitudinale chez des enfants anglais en surpoids de neuf ans concluait que 91 % et 70 % de l’excès de poids avait été constitué avant l’âge de cinq ans chez les filles et les garc ¸ons respectivement [19]. Même chez les personnes actuellement obèses à l’âge adulte, l’étude des trajectoires de croissance du poids et de l’IMC depuis l’enfance montre un poids de naissance supérieur à la moyenne et une accélération de la divergence du poids par rapport aux sujets non obèses à l’âge adulte dès la première année de vie [20]. Les facteurs qui modulent la croissance du poids plus spécifiquement à ces différentes périodes sont en cours d’exploration. L’environnement métabolique et nutritionnel maternel représente le facteur principal affectant la croissance pendant la période intra-utérine. Les choses sont plus complexes pour les autres périodes critiques. Dans une analyse détaillée des facteurs associés à la croissance postnatale dans les trois premiers mois de vie [21], nous avons montré que ces premiers mois se caractérisent par une disparition progressive de l’association avec la corpulence et la glycémie maternelles. De fac ¸on similaire, dans une population à forte prévalence de diabète de type 2, il a été montré que les enfants nés de mère diabétiques ont une croissance ralentie par rapport aux autres si bien que partant d’un poids de naissance plus élevé, ils se retrouvent avec un poids en moyenne plus faible à un an [22]. En revanche, ils présentent un rebond d’adiposité plus précoce et un risque de surpoids accru après trois ans. Dans les trois premiers mois de vie, les nourrissons présentant les vitesses de croissance pondérale les plus rapides sont de sexe masculin, nés avant terme, nourris avec des préparations infantiles [21]. De fac ¸on plus surprenante, et contrastant avec la disparition de l’effet maternel, l’obésité paternelle apparaît comme un facteur associé positivement à la croissance du poids de l’enfant à ce tout jeune âge [21]. La corpulence des parents est le facteur le plus fortement associé à celui d’un individu dans les études épidémiologiques [23] représentant à la fois l’influence de facteurs génétiques mais aussi d’un environnement partagé et ce dès la période intra-utérine. L’élucidation de la transmission familiale de l’obésité et de son rôle dans l’épidémie d’obésité représente donc un des axes majeurs de l’épidémiologie transgénérationnelle.

Épidémiologie transgénérationnelle Un certain nombre d’études épidémiologiques s’étendent maintenant sur deux générations et permettent d’explorer

Obésité : que nous dit l’épidémiologie ? l’association entre la corpulence ou les conditions de vie des parents et la corpulence de leur descendance. Ainsi les enfants de la cohorte de naissance britannique 1958 qui sont suivis depuis la naissance ont pu être examinés en 1991 à un âge compris entre quatre et 18 ans. À un âge comparable, les parents avaient une prévalence du surpoids/obésité de 10 % contre 16 % pour leurs enfants [23]. Le gain de poids des parents à l’âge adulte était associé à l’IMC de leurs enfants, ce qui peut s’expliquer par un mode de vie partagé. L’IMC des parents lorsqu’ils étaient eux-mêmes enfants ainsi que leur gain de poids pendant l’enfance contribuaient à l’IMC et à la prévalence du surpoids des descendants de fac ¸on équivalente au gain de poids parental à l’âge adulte. Cette seconde association montre que des facteurs génétiques affectant la croissance de l’IMC aux mêmes âges chez les parents et les enfants interviennent et/ou que des facteurs de l’environnement des parents avant la naissance de leur enfant modulent la susceptibilité au surpoids de la génération suivante. Dans la même étude, les facteurs associés au surpoids/obésité à un âge moyen de sept ans ont été comparés dans la génération des parents et celle des enfants [18]. Un certain nombre de facteurs analysés étaient associés de manière similaire avec le surpoids/obésité dans la génération des parents et celle des enfants. C’était le cas en particulier pour un poids de naissance élevé et le nombre d’enfants dans la famille. Les indicateurs de classe sociale étaient en revanche associés de manière inverse au surpoids dans chaque génération. À la génération des parents, la corpulence des enfants était plus faible dans les familles de faible niveau socioéconomique alors qu’elle était plus élevée en bas de l’échelle sociale chez leurs descendants au même âge. Deux facteurs voyaient leur association au surpoids se renforcer entre la génération des parents et celle des enfants. Le premier est l’obésité parentale, le second est le fait que la maman travaille. Ces deux facteurs ont vu aussi leur prévalence se modifier de fac ¸on notable : l’obésité maternelle et paternelle sont passées respectivement de 7,4 à 11,5 % et de 5,2 à 11,9 % sur la période alors que les mères sans emploi qui représentaient 55 % des situations à la génération des parents n’étaient plus que 40 % chez leurs descendants. Ainsi la proportion de cas d’obésité de l’enfant attribuable, par exemple, à l’obésité maternelle (le risque attribuable des épidémiologistes) est passée de 7 à 12 % entre les deux générations. L’amplification de l’effet de l’obésité parentale est un phénomène préoccupant car il laisse craindre un véritable cercle vicieux transgénérationnel. Elle peut s’expliquer par l’effet d’un environnement de plus en plus favorisant, facilitateur de l’expression d’une prédisposition génétique transmise entre parents et enfants. Néanmoins, d’autres phénomènes sont peut-être également à l’œuvre. En effet, les conditions d’environnement rencontrées par les parents au moment de la gamétogenèse puis chez les femmes pendant la grossesse et l’allaitement sont susceptibles d’influencer le développement de leur progéniture par des phénomènes épigénétiques en modifiant l’expression de gènes à des phases clés du développement [18]. En conclusion, l’épidémie d’obésité apparaît comme le prix à payer d’un développement économique ayant permis la suffisance alimentaire et la réduction de la pénibilité physique du travail jusqu’à nous entraîner, dans les pays plus développés, vers la surnutrition et la sédentarité. Dans un tel environnement, tous ne développent pas une obésité ayant des conséquences néfastes pour la santé. Si la susceptibilité à ce type d’obésité a indéniablement une

171 part génétique, elle est aussi probablement la résultante d’une programmation qui peut affecter à la fois les circuits neuro-endocriniens responsables de la balance énergétique, le tissu adipeux mais aussi les organes qui vont avoir à supporter l’excès de poids. Le ralentissement ou l’arrêt de la progression de la prévalence de l’obésité qui semble s’amorcer dans un certain nombre de pays développés, tout particulièrement chez les enfants, semble annoncer que certains des facteurs affectant cette susceptibilité précoce ont été récemment modifiés. Le nouveau défi des épidémiologistes sera, si la tendance se confirme, de les identifier parmi les nombreux facteurs de l’environnement actuel des enfants et de celui de leurs parents qui sont susceptibles d’être en cause.

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements Je tiens particulièrement à remercier E. Eschwège, A. Basdevant, P. Ducimetière et B. Heude, J. Botton, I. Diouf, N. Regnault, A. Forhan pour leur collaboration aux résultats cités dans cet article.

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