Journal de Traumatologie du Sport 28 (2011) 1–2
Éditorial
Vous avez dit récusation ? Et si nous parlions de randomisation ? You said recusal? And if we were talking about randomization?
La rupture aiguë du tendon d’Achille est probablement la rupture tendineuse la plus commune dans la population adulte, notamment sportive aux alentours de la quarantaine. Cette lésion est en augmentation constante en parallèle au vieillissement des sportifs engagés dans des activités non dénuées de risque, tels que le tennis, le ski, les sports collectifs. Dans de nombreux pays, le traitement est toujours controversé entre partisans du traitement chirurgical et du traitement non opératoire. En France, à l’heure actuelle, beaucoup de traumatologues s’émeuvent encore que l’on puisse proposer un autre traitement que la chirurgie, qu’elle soit à ciel ouvert ou percutanée. Et pourtant, deux études récentes, toutes deux prospectives, randomisées, contrôlées et de niveau I, publiées dans des revues reconnues sur le plan international, viennent de jeter un joli pavé dans la mare des partisans du « tout chirurgical ». 1. Dans le numéro de novembre 2010 de l’American Journal of Sports Medicine Katarina Nilsson-Helander, Karin Grävare Silbernagel, Roland Thomee, Eva Faxén, Nicklas Olsson, Bengt I. Eriksson et Jon Karlsson, Department of Orthopaedics, Kungsbacka Hospital, Kungsbacka, Sweden, dans un article intitule « Acute Achilles tendon rupture. A randomized, controlled study comparing surgical and non surgical treatments using validated outcome measures, ont publié une étude prospective, randomisée et contrôlée comparant les traitements chirurgicaux et nonchirurgicaux des ruptures récentes du tendon d’Achille. Dans leur introduction, les auteurs ont tout d’abord rappelé que les deux traitements étaient habituellement suivis d’une immobilisation dans un plâtre ou dans une orthèse. Ils ont ensuite souligné qu’en dépit de plusieurs études randomisées, il existait de très nombreux protocoles de prise en charge des ruptures récentes du tendon d’Achille, mais aucun consensus quant au protocole thérapeutique optimal : les méta-analyses font apparaître que le risque de rupture itérative est plus important chez les patients traités non chirurgicalement (12,6 %) que chez les patients opérés (3,5 %) mais que ce risque varie de fac¸on considérable selon les séries publiées. En revanche, les opérés ont un risque accru d’autres complications : infections, problèmes de 0762-915X/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jts.2011.01.009
cicatrisation, problèmes neurologiques. Les auteurs ont ensuite rappelé qu’initialement, il fallait faire un choix entre traitement opératoire et ses nombreuses techniques (à ciel ouvert ou percutanées) et traitement non opératoire mais que, dans un cas comme dans l’autre, la tendance « actuelle » était de remplacer l’immobilisation plâtrée de six à huit semaines par une orthèse autorisant une mobilisation immédiate. . . comme nous l’avions proposé lors de notre première publication en 1972. L’utilisation d’orthèses fonctionnelles a permis de réduire le nombre de ruptures itératives en le faisant passer d’approximativement de 5 à 2,3 % chez les opérés et de 12,2 à 2,4 % chez les non-opérés. La randomisation a concerné 97 patients : 79 hommes et 18 femmes, âgés de 16 à 65 ans (âge moyen = 41 ans). Tous ont été traités dans les 72 premières heures : 49 ont été opérés (groupe O) et 48 ne l’ont pas été (groupe N-O). Dans les suites, les patients des deux groupes ont été immobilisés dans un plâtre de jambe, le pied en équin à 30◦ pendant deux semaines. Tous ont ensuite bénéficier du port d’une orthèse pendant six semaines avec limitation de la dorsiflexion à −30◦ pendant les deux premières semaines, puis à −10◦ pendant les deux semaines suivantes et enfin à +10◦ pendant les deux dernières semaines. Tous ont ensuite suivi le même protocole de rééducation. Les résultats ont été les suivants : • ruptures itératives : deux dans le groupe O (4 %) et six dans le groupe N-O (12 %) ; • symptômes et niveau d’activité physique (évalués par le score Achilles Tendon Total Rupture Score [ATRS] dont les résultats varient de 0 à 100 points et par l’échelle Physical Activity Scale [PAS] dont les résultats se jugent de 1 à 6) : ◦ dans le groupe O : - au sixième mois, ATRS moyen = 72 points (médiane = 75 ; extrêmes = 31/100) et au 12e mois : 88 points (médiane = 93 ; extrêmes = 30/100), - au sixième mois, score PAS moyen = 3,4 (4,31 avant le traumatisme) et au 12e mois : 3,6 ; ◦ dans le groupe N-O : - au sixième mois, ATRS moyen = 71 points (médiane = 75 ; extrêmes = 32/100) et au 12e mois : 86 points (médiane = 90 ; extrêmes = 31/100),
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- au sixième mois, score PAS moyen = 3,4 (4,39 avant le traumatisme) et au 12e mois : 3,6. Au total, au sixième et au 12e mois, il n’y a donc aucune différence significative entre les deux groupes. En revanche, il existe une différence significative sur l’échelle « Physical Activity Scale » entre le niveau avant la rupture et les niveaux aux sixième et 12e mois quel que soit le traitement ; • tests fonctionnels (deux tests de saut, deux tests de force et un test d’endurance) : dans le groupe O : au sixième mois, pour certains d’entre eux, ils sont significativement meilleurs, mais au 12e mois, il n’y a plus de différence significative. La conclusion des auteurs est qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux traitements. En revanche, la mobilisation précoce raisonnée apparaît bénéfique quel que soit le traitement proposé. 2. Dans le numéro de décembre 2010 du Journal of Bone & Joint Surgery Kevin Willits, Annunziato Amendola, Dianne Bryant, Nicholas G. Mohtadi, Robert Giffin, Peter Fowler, Crystal O. Kean et Alexandra Kirkley. The Fowler Kennedy Sport Medicine Clinic, London, Ontario and the University of Calgary Sport Medicine Centre, Calgary, Alberta, Canada, dans un article intitulé Operative versus nonoperative treatment of acute achilles tendon ruptures, a multicenter randomized trial using accelerated functional rehabilitation investigation, ont publié une étude multicentrique randomisée et contrôlée comparant les traitements chirurgicaux et non chirurgicaux des ruptures récentes du tendon d’Achille en les complétant dans les deux cas d’un protocole accéléré de rééducation destiné à améliorer le processus de récupération. La randomisation a concerné 144 patients : 118 hommes et 26 femmes, d’âge moyen de 40,4 ± 8,8 ans avec des extrêmes de 22,5 à 67,2. Soixante-douze ont été opérés (groupe O) et 72 ne l’ont pas été (groupe N-O). Dans les suites, les patients opérés ont été placés dans une attelle, maintenant le pied à 20◦ de flexion plantaire pendant deux semaines et ils ont ensuite bénéficié d’un protocole accéléré de rééducation. Tous les patients ont
bénéficiés du même suivi fondé au bout de trois, six, 12 et 24 mois, sur un bilan clinique très complet comportant en premier lieu : la recherche d’une rupture itérative par la recherche d’un test de Thompson positif, la présence d’une solution de continuité et une diminution de force de flexion plantaire et en second lieu : l’étude de la mobilité, la mesure de la force isocinétique du triceps, le périmètre du mollet ainsi que le score de Lepilahti coté de 100 (le plus élevé) à 0 (le plus mauvais) et établi, de fac¸on comparative, à partir de plusieurs paramètres : douleur, raideur, déficit du triceps, gêne pour se chausser, mobilité, satisfaction du patient. Les résultats ont été les suivants : • le nombre de rupture itérative a été de deux chez les opérés et de trois chez les non-opérés ; • sur le plan clinique, les auteurs n’ont pas observé de différence importante dans les deux groupes en termes de force, de mobilité, de diamètre du mollet ; • en moyenne, le score de Lepilahti a été le suivant : ◦ au bout de 12 mois : - 78,5 ± 10,9 points dans le groupe O, - 76,3 ± 15,8 points dans le groupe N-O ; ◦ au bout de 24 mois : - 82,6 ± 11,1 points dans le groupe O, - 82,2 ± 12,3 points dans le groupe N-O. • en revanche, il a été noté, ruptures itératives comprises, 13 complications dans le groupe O : la plupart concernant les parties molles sous la forme d’infections superficielles ou profondes et six dans le groupe N-O. En analysant de telles études, randomisées, contrôlées et de niveau 1, peut-on raisonnablement continuer à tenir comme farfelu le traitement non opératoire des ruptures du tendon d’Achille ? La réponse appartient au clan des « tout chirurgical et rien que chirurgical ». J. Rodineau Service de médecine physique et réadaptation, hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France Adresse e-mail :
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