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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin 16 (2016) 299–303
Jurisprudence
Oubli en peropératoire d’une aiguille et absence de responsabilité Khady Badiane Devers 7, rue de la République, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 27 juillet 2016
Résumé L’oubli d’un corps étranger pendant une intervention n’est pas nécessairement une faute : tout dépend des circonstances, et de la réaction de l’équipe (CAA de MARSEILLE, 19 mai 2016, no 14MA00515). © 2016 Publi´e par Elsevier Masson SAS.
Comme l’indique une étude récente de la « plate-forme régionale d’appui à la gestion des évènements indésirables1 , « la fréquence des oublis de corps étrangers après chirurgie abdominale est difficile à établir car toutes les observations ne sont pas rapportées », ajoutant que « cependant les auteurs s’accordent pour dire que c’est une complication rare dont la prévalence se situe entre 0,02 % et 0,1 % des interventions ». L’oubli d’un corps étranger en chirurgie abdominale peut être un cas de responsabilité2 , mais il peut survenir même en l’absence de faute, et aucune équipe chirurgicale n’est à l’abri de cette complication iatrogène, qui peut avoir des conséquences graves qui peut mettre en jeu le pronostic vital des patients. Dans une affaire jugée par la cour administrative d’appel le 19 mai 2016 (CAA de Marseille, 19 mai 2016, no 14MA00515) se trouvait dans l’hypothèse de la perte d’une aiguille, repérée au cours de l’opération, situation différente de celle de l’oubli, qui apparaît après coup. Cette question est traitée, sur le plan pragmatique, par la gestion de check-list « Sécurité du patient
Adresse e-mail :
[email protected] ARS Aquitaine, PRAGE, « Oubli de corps étranger intra-abdominal », Publication de l’ARS, juin 2013. Aussi : Docteur J.-E. Clotteau et David Baranger, Juriste, le Sou Médical « Oubli de compresse : à qui la faute ? Définir les responsabilités au sein d’une équipe chirurgicale », sur le site MACSF. 2 Responsabilité pour l’oubli d’une compresse. – en droit privé : Cass. Civ. 1re , 9 octobre 1984, no 83-12287 ; CA Aix-en-Provence, 7 mai 2013, no 2013/176 ; – en droit public : CAA Versailles, 26 mai 2009, no 07VE03092. 1
http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2016.07.018 1629-6583/© 2016 Publi´e par Elsevier Masson SAS.
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au bloc opératoire », rendue obligatoire pour la certification des établissements de santé, à partir du 1er janvier 2010. Dans la pratique, sous le contrôle d’un coordinateur de la check-list, chaque acteur du bloc procède aux vérifications qui le concernent à haute voix, et coche les items au fur et à mesure sur le document. Si un critère n’a pas été renseigné, la question doit être posée par le coordonnateur check-list. Chaque établissement doit désigner le coordonnateur check-list, définir sa mission exacte, pour qu’il puisse s’assurer d’une pratique effective. Selon l’HAS3 : « Le rôle du coordonnateur check-list, sous la responsabilité du ou (des) chirurgiens et des anesthésiste(s) responsables de l’intervention est de ne cocher les items de la check-list que : • si la vérification a bien été effectuée ; • si elle a été faite oralement en présence des membres de l’équipe concernée ; • si les non-conformités ont fait l’objet d’une concertation en équipe et d’une décision qui doit le cas échéant être rapportée dans l’encart spécifique. 1. L’oubli d’une aiguille de suture et les suites médicales Une patiente souffrant d’obésité morbide a bénéficié, le 30 novembre 2009, au CHU de Nice, d’une dérivation gastrique sous cœlioscopie. Au cours de l’intervention sous cœlioscopie de dérivation gastrique du 30 novembre 2009, une aiguille courbe de suture de 21 mm de longueur de Monocryl 2/0 a été perdue dans l’épaisseur de graisse sous-cutanée de la paroi abdominale de la requérante. Le chirurgien s’est aperc¸u immédiatement de cette perte et a tenté en vain, en raison de l’abondance de la graisse sous-cutanée, de la retrouver sous contrôle radiographique. C’est le scanner abdomino-pelvien réalisé le 4 décembre 2009 qui a permis de localiser, à 3 cm de profondeur, l’aiguille qui fera l’objet d’un repérage cutané et qui sera extraite le 7 décembre 2009 sous anesthésie générale par une incision de 2 cm guidée par repérage scanographie, au sein du même établissement. La patiente a contracté lors de cette seconde intervention une infection nosocomiale du site opératoire. Une antibiothérapie a été mise en place. La patiente a dû subir le 24 décembre 2009 au CHU de Nice une nouvelle intervention chirurgicale pour évacuer une collection infectieuse au niveau de la cicatrice d’ablation de l’aiguille. 2. La procédure Imputant ses séquelles aux conditions de sa prise en charge par le CHU de Nice, la patiente a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation Provence-Alpes-Côte d’Azur qui, par décision du 6 décembre 2010 a désigné un expert qui a remis son rapport le 12 mai 2011. Par avis du 23 septembre 2011, la commission s’est déclarée incompétente pour connaître de la demande indemnitaire de la requérante. Elle a formé une demande d’expertise médicale, qui a été rejetée par ordonnance du 25 août 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Nice. La patiente a alors demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal d’ordonner une expertise, à titre subsidiaire de condamner le CHU de Nice à lui verser la somme totale de
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HAS, « La chek-list sécurité du patient au bloc opératoire », Version 2011-01.
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20 200 euros portant intérêts en réparation des préjudices subis résultant de la faute médicale pour perte de l’aiguille, du défaut d’information et de l’infection nosocomiale. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté les conclusions tendant à ordonner une contre-expertise, a écarté la faute médicale et le défaut d’information et a condamné le CHU, au titre de l’infection nosocomiale, à verser à la requérante la somme de 1700 euros en réparation de son entier préjudice. La requérante a interjeté appel. 3. La responsabilité 3.1. La perte de l’aiguille de suture 3.1.1. En droit Ce volet de la demande est fondé sur l’article L. 1142-1 CSP, et le principe de la faute : Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. 3.1.2. En fait Selon l’expert, la perte d’une aiguille est un incident banal et assez fréquent (de 1 à 3 % selon les séries de la littérature), inhérent à la pose d’une dérivation gastrique chez des patients atteints d’obésité morbide eu égard à l’épaisseur de graisse sous-cutanée de la paroi abdominale qui empêche le praticien de voir et donc de récupérer immédiatement l’aiguille. La juridiction écarte dans ces conditions la faute technique, s’agissant du geste initial. Par ailleurs, la prise en charge de cet incident a été effectuée dans les règles de l’art et avec rapidité par l’équipe hospitalière. Dans ces conditions, la seule survenue de la perte de l’aiguille, qui ne peut être assimilée à un geste maladroit du praticien, dans l’abdomen de la patiente ne peut par elle-même constituer une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. 3.2. Défaut d’information 3.2.1. En droit Aux termes de l’article L. 1111-2 CSP Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver. Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser (. . .).
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Lorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation. Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité de l’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié à l’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée ; que c’est seulement dans le cas où l’intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance. 3.2.2. En fait La patiente a bénéficié avant son intervention de deux consultations préopératoires avec le chirurgien qui l’a opéré et que son dossier médical comporte une attestation de consentement éclairé, datée et signée. Elle a été ainsi informée avant l’intervention des risques de perte de matériel opératoire pendant son opération de dérivation gastrique dans les conditions prévues par l’article L. 1111-2 CSP. Après la pose de dérivation gastrique le 30 novembre 2009, si la requérante a été informée tardivement de la présence de l’aiguille dans son abdomen et si elle n’a pas été informée sur le déroulement de la prise en charge de cette complication et la nécessité d’une nouvelle intervention chirurgicale d’extraction de l’aiguille sous anesthésie générale, il résulte du rapport de l’expert que la patiente a souffert d’importantes douleurs diffuses, que l’autre technique plus douce d’extraction de l’aiguille par scanner avait échoué, qu’elle ne pouvait pas différer l’intervention d’extraction du 7 novembre 2009 qui était impérieusement requise, ce qui exclut toute possibilité raisonnable de refuser cette intervention. Le manquement du centre hospitalier à son obligation d’information n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, fait perdre à l’intéressée une chance de refuser les interventions et d’échapper ainsi à leurs conséquences dommageables, ainsi que l’ont estimé à bon droit les premiers juges. Indépendamment de la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles. Mais la requérante n’établit ni la consistance, ni l’ampleur du préjudice d’impréparation qu’elle invoque. Elle n’est par suite pas fondée à en demander réparation. 3.3. Infection nosocomiale 3.3.1. Responsabilité La requérante a contracté au cours de l’intervention du 7 décembre 2009 d’extraction de l’aiguille de suture une infection nosocomiale du site opératoire, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier sur le fondement de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, qui dispose que les établissements sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiale sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère, non invoquée en l’espèce par l’hôpital. 3.3.2. Indemnisation Seuls les préjudices en lien avec l’infection nosocomiale peuvent ouvrir droit à réparation.
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L’expert a fixé la date de consolidation de la victime au 24 mars 2010. Du fait de l’infection nosocomiale, la patiente a subi une période de déficit fonctionnel totale pendant 8 jours et une période de déficit fonctionnel temporaire à 30 % pendant 13 jours, et ce déficit fonctionnel temporaire sera justement réparé par l’allocation d’une somme de 150 euros. L’expert a chiffré les souffrances endurées de 2,5/7, et il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en allouant la somme de 2450 euros à la requérante. Par suite, le préjudice est chiffré à 2600 euros au titre de l’ensemble conséquences subies du fait de l’infection nosocomiale.