Prise en charge hospitalière, préjudice mais absence de faute

Prise en charge hospitalière, préjudice mais absence de faute

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 180–183 Jurisprudence Prise en charge hospitalière, préjudice mais...

73KB Sizes 2 Downloads 101 Views

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 180–183

Jurisprudence

Prise en charge hospitalière, préjudice mais absence de faute Céline Hauteville (Infirmière libérale) 28, rue Vicq-d’Azir, 75010 Paris, France Disponible sur Internet le 21 juillet 2010

Résumé La seule survenance du dommage ne suffit pas à établir la responsabilité, car la faute doit être prouvée. L’examen attentif d’une décision de justice (CAA Paris, 25 janvier 2010, no 07PA04085) montre le cheminement du raisonnement juridique. Les faits paraissent spectaculaires, mais l’analyse des experts indique que le préjudice n’a pas été causé par une faute. La responsabilité du centre hospitalier est donc écartée. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Les faits En raison d’une forte fièvre intervenue dans le courant du mois de mars 2002, l’enfant Jimmy A. . ., âgé de neuf ans, sans antécédents médicaux connus, a subi plusieurs examens radiographiques à l’hôpital de Saint-Germain en Laye (Yvelines) puis à l’hôpital Louis-Mourier à Colombes (Hauts-de-Seine), qui se sont révélés négatifs. Plusieurs consultations ont eu lieu dans les services de rhumatologie, de pneumologie, de dermatologie et de chirurgie de l’hôpital LouisMourier. La fièvre persistant, l’enfant a été hospitalisé dans ce dernier établissement à compter du 19 avril 2002. Une arthrite inflammatoire dite maladie de Still y a été diagnostiquée. Des symptômes éosinophiles pouvant laisser croire à la présence d’une leucémie étant survenus, il a été hospitalisé à l’hôpital Armand Trousseau à compter du 16 mai 2002. Des prélèvements de la moelle osseuse, des ganglions, de la peau et des muscles y ont été effectués aux fins d’établir un diagnostic. Avant qu’un diagnostic ait cependant pu être posé, l’enfant Jimmy A. . . a été atteint durant la nuit du 28 au 29 mai 2002 de convulsions et de perte de connaissance et, malgré son transfert en réanimation, est décédé le 29 mai 2002.

Adresse e-mail : [email protected]. 1629-6583/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ddes.2010.06.009

C. Hauteville / Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 180–183

181

2. La procédure 2.1. Tribunal administratif Par jugement en date du 30 août 2007, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande des parents tendant à ce que l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris soit condamnée à leur verser la somme globale de 160 000 euros en réparation des préjudices résultant du décès de leur enfant. 2.2. Cour administrative d’appel La cour ne trouvant pas au dossier les éléments lui permettant de répondre aux différentes questions posées par le décès de l’enfant Jimmy A. . . a, par arrêt avant dire droit, en date du 20 octobre 2008, ordonné une expertise aux fins de désigner un expert médecin qualifié en médecine légale, lequel pouvait s’adjoindre tout sapiteur de son choix, aux fins de décrire, d’une part, l’évolution de l’état de santé de l’enfant depuis son accueil à l’hôpital Louis-Mourier jusqu’à son décès intervenu à l’hôpital Armand Trousseau, d’autre part, de dire si les soins et les examens pratiqués au sein des deux centres hospitaliers mis en cause étaient adaptés à son état, en troisième part, de déterminer les causes exactes du décès de l’enfant, enfin d’indiquer si un diagnostic pouvait être posé avant la survenue du décès de l’enfant. 3. Expertise Le docteur C. . ., médecin qualifié en médecine légale et expertises médicales désigné comme expert par ordonnance du président de la cour de céans, qui s’est adjoint les services en qualité de sapiteur du docteur D. . ., chef du service de pédiatrie au centre hospitalier d’Orsay a remis le 3 novembre 2009 son rapport. S’agissant tout d’abord de l’évolution de l’état de santé de l’enfant depuis son accueil à l’hôpital Louis-Mourier jusqu’à son décès intervenu à l’hôpital Armand Trousseau, les experts ont relevé qu’au sein du premier établissement cité avait été recherché l’ensemble des pathologies les plus classiques et les plus fréquentes pouvant entraîner le tableau clinique de l’enfant, comme les pathologies infectieuses allergiques, les recherches s’orientant ensuite vers des maladies des systèmes comme la maladie de Still. Devant l’aggravation progressive des troubles et l’apparition d’une atteinte des organes lymphoïdes, une orientation vers les pathologies hématologiques rares a été proposée, l’enfant étant transféré en service d’hématologie de l’hôpital Trousseau où aucune pathologie sanguine connue n’a été retrouvée. Ensuite, sur la base des mêmes éléments et des différents rapports de l’autopsie pratiquée sur la victime, il ressort du rapport d’expertise que le jeune enfant Jimmy A. . . est décédé d’une insuffisance cardiorespiratoire brutale due à une dégénérescence de la paroi musculaire du ventricule droit causée par un syndrome d’hyperéosinophilie d’origine inconnue (non encore démembré en 2009) dont il était atteint. L’expert ajoute que malgré les interrogations adressées à des spécialistes nationaux et internationaux, il n’a pas été mis en évidence des physiopathologies évidentes ; qu’enfin, le rapport conclut que la maladie présentée par l’enfant était au-delà de toutes ressources thérapeutiques dans l’état de la science au moment des faits (voire même actuellement). 4. En droit Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique § I : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de

182

C. Hauteville / Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 180–183

santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins, qu’en cas de faute ». 5. Sur les agissements fautifs reprochés 5.1. Diagnostic Les époux A. . . soutiennent que l’AP–HP a commis une erreur de diagnostic au motif que des diagnostics de maladie de Still puis de leucémie enfin de syndrome hyperéosinophile ont été successivement posés et que ces tergiversations caractériseraient une faute dans l’établissement du diagnostic. Il résulte toutefois de l’instruction qu’eu égard aux symptômes que présentait l’enfant avant son hospitalisation à l’hôpital Louis-Mourier, puis à la suite de son hospitalisation, et en l’absence de tout élément en faveur d’une maladie infectieuse, le diagnostic primitivement posé de la maladie de Still était, ainsi que l’ont reconnu les premiers juges, plausible. Si des symptômes éosinophiles majeurs sont apparus par la suite et ont justifié son transfert à l’hôpital Armand Trousseau, aucun diagnostic ne pouvait être posé avant que les résultats de nombreux prélèvements aient été obtenus et analysés. En effet, le syndrome hyperéosinophile qui était alors l’orientation privilégiée des médecins en charge de l’enfant constitue un cadre nosologique comprenant à la fois des maladies immunes et des leucémies, pathologies appelant des traitements très différents justifiant que soit affiné le diagnostic, notamment par l’analyse préalable et complète de la biopsie de la moelle. Une telle démarche fondée sur les recherches des causes de la fièvre et l’origine du syndrome hyperéosinophile n’est pas critiquable, ce que le rapport d’expertise précité établi le 3 novembre 2009 confirme en rappelant qu’un diagnostic ne pouvait être posé avant la survenue du décès de l’enfant. Au demeurant le diagnostic définitif n’a pu être posé qu’environ sept mois après examen des prélèvements effectués post-mortem et envoyés aux États-Unis pour analyse. Il est constant par ailleurs que de nombreux examens spécialisés ont été effectués diligemment dans les deux établissements susmentionnés et que ces examens étaient adaptés aux manifestations de l’état de santé de l’enfant. Dans ces conditions et eu égard à la survenance tardive et soudaine des symptômes éosinophiles, à l’absence d’antécédents médicaux de l’enfant, et à la difficulté d’établir un diagnostic compte tenu de la nature de sa pathologie, c’est à bon droit que le tribunal a estimé, qu’aucune erreur de diagnostic constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’AP–HP n’avait été commise. 5.2. Soins inadaptés Les époux A. . . soutiennent que les soins dispensés à leur fils n’étaient pas adaptés à sa pathologie. Il ressort au contraire du rapport d’expertise que l’analyse du parcours évolutif de l’enfant indique que les examens pratiqués étaient adaptés et cohérents. Ils n’ont pas permis de faire un diagnostic plus précis que celui de syndrome hyperéosinophile idiopathique, c’està-dire sans facteur déclenchant authentifié accessible à un traitement curatif. L’expert ajoute que les traitements symptomatiques institués visant à corriger les dysfonctionnements tissulaires

C. Hauteville / Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 180–183

183

notamment cardiaques ainsi que les thérapeutiques antalgiques ont été conformes aux bonnes pratiques. À cet égard, si les requérants critiquent l’indication d’un traitement antiallergique qui aurait été prescrit à tort à l’hôpital Louis-Mourier, il résulte de l’instruction que l’enfant Jimmy A. . . a présenté le 23 mars 2002 une éruption maculopapuleuse du visage, des bras et des cuisses, de type urticarien non prurigineuse, symptômes susceptibles de résulter d’une allergie justifiant le choix du traitement dispensé à l’enfant. Au demeurant l’éruption constatée sur l’enfant s’est résorbée sous l’effet du traitement prescrit. 5.3. Autres griefs au sujet de la prise en charge La critique avancée par les requérants, tenant à la posologie du traitement antalgique, n’est pas davantage fondée, les différents traitements prescrits alors pour atténuer la fièvre ne présentant pas d’incompatibilité entre eux. Enfin et ainsi que le rappellent les experts, la prise en charge aux urgences pédiatriques a été adaptée et conforme aux bonnes pratiques, la décision de transférer le jeune garc¸on vers le service d’hématologie de l’hôpital Trousseau étant en effet rendue nécessaire notamment par l’extrême difficulté d’établir un diagnostic certain eu égard aux divers symptômes qu’il présentait alors. Il suit de ce qui vient d’être dit qu’aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’AP–HP n’a été commise s’agissant de l’administration des soins à l’enfant Jimmy A. . .. 5.4. Fonctionnement administratif du CHU Les époux A. . . soutiennent que des négligences ont été commises dans le fonctionnement administratif de l’AP–HP, au motif que la cause du décès n’a pu être établie avant un délai de sept mois suivant le décès de leur enfant. Comme il a été indiqué ci-dessus sur la base du rapport d’expertise, les résultats des examens entrepris avant ce décès n’étaient pas disponibles au moment du décès et que des prélèvements post-mortem ont dû être analysés aux États-Unis. Ainsi, aucune négligence fautive n’a été commise. 6. Les frais d’expertise Aux termes de l’article R. 761-1 du code de justice administrative : « Les dépens comprennent les frais d’expertise, d’enquête et de toute autre mesure d’instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l’État. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l’affaire justifient qu’ils soient mis à la charge d’une autre partie ou partagés entre les parties. L’État peut être condamné aux dépens. » Il y a lieu dans les circonstances particulières de l’espèce de laisser les frais d’expertise taxés et liquidés à la somme de 3 600 euros à la charge de l’Assistance publique–Hôpitaux de Paris.