Annales de pathologie (2010) 30, 306—309
HISTOSÉMINAIRE SFP
Pathologie du placenta. Cas n◦ 7. Dépôts massifs de fibrine périvillositaire (maternal floor infarct) Pathology of the placenta. Case 7. Massive perivillous fibrin deposits (maternal floor infarct) Fanny Pelluard Service d’anatomie pathologique, groupe hospitalier Pellegrin, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, France Accepté pour publication le 7 avril 2010 Disponible sur Internet le 5 aoˆ ut 2010
Renseignements cliniques Patiente de 32 ans. Première grossesse et réalisation d’une césarienne en urgence à 32 semaines d’aménorrhée pour retard de croissance intra-utérin avec rythme cardiaque fœtal micro-oscillant.
Diagnostic Dépôts massifs de fibrine périvillositaire (maternal floor infarct).
Description macroscopique Macroscopiquement le placenta présente une induration et un aspect grisâtre de sa plaque basale. À la coupe, il existe une large bande grisâtre sur toute la surface de la plaque basale et cette bande occupe près de 80 % de l’épaisseur placentaire (Fig. 1).
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Pathologie du placenta. Cas n◦ 7. Dépôts massifs de fibrine périvillositaire
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Figure 1. Aspect dense et blanchâtre de la tranche de section. Cross section showing white discoloration of the placenta.
Description histologique
Figure 3. Villosités involutives avec axe mésenchymateux dense et fibreux. Degenerative villous changes with dense and fibrous stroma.
Microscopiquement les villosités choriales juxta-basales sont totalement englobées dans un matériel fibrinoïde (Fig. 2 et 3). Ces dernières sont le plus souvent involutives avec un axe mésenchymateux dense et fibreux. Ces altérations occupent plus de 80 % de la hauteur placentaire, mais respectent la plaque choriale (Fig. 4). Dans la bande souschoriale, les villosités choriales terminales sont de taille relativement réduite par rapport au terme, leur axe mésenchymateux est peu dense, creusé de vaisseaux dilatés et congestifs.
Commentaires Définitions Des dépôts de fibrine périvillositaire peuvent être présents de fac ¸on non pathologique dans les placentas à terme, ils sont alors situés essentiellement sous la plaque choriale et au pourtour du disque placentaire. Ces dépôts de fibrine deviennent pathologiques lorsqu’ils sont abondants et situés en plein parenchyme ou au niveau de la plaque basale. On distinguait classiquement deux types de lésions de dépôts de fibrine selon leur topographie et leur quantité [1]. Dans les premières descriptions, le terme de maternal floor infarct fut proposé par les Anglo-Saxons pour les dépôts situés au niveau de la plaque basale. Au plan macroscopique, la face maternelle présente une couleur blanc jaunâtre ; elle est de consistance ferme. Sur la tranche de section,
Figure 4. Respect de la région sous-choriale. Subchorial space remains normal.
Figure 2. a et b : villosités juxtabasales englobées dans un matériel fibrinoïde éosinophile. Basal plate villi encased with fibrinoid material.
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F. Pelluard
Figure 5. a et b : liséré blanc jaunâtre tapissant la plaque basale. Rind of yellow whitish gray covering the maternal surface.
un liseré blanc jaunâtre tapisse toute la face maternelle (Fig. 5 et 6). Quand les dépôts s’étendent au parenchyme placentaire, occupant une partie ou la totalité de la hauteur de la tranche de section comme dans notre observation, la lésion est dénommée « dépôts massifs de fibrine périvillositaire ». Actuellement, il semble que ces deux formes topographiques correspondent à la même entité pathologique. Par souci de simplicité, certains auteurs préfèrent utiliser uniquement le terme de « dépôts massifs de fibrine périvillositaire », en précisant leur importance et leur topographie. Néanmoins, le terme de maternal floor infarct est encore fréquemment retrouvé dans les publications. Dans la littérature franc ¸aise, ces dépôts sont encore fréquemment appelés nécrose ischémique avec dépôts fibrinoïdes (NIDF). Les termes de « fibrine » et « fibrinoïde » sont employés indif-
féremment pour nommer cette substance éosinophile qui occupe la chambre intervilleuse et enserre les villosités. Les « dépôts massifs de fibrine périvillositaire » sont rares avec une incidence inférieure à 0,5 % et peuvent être responsables d’un retard de croissance intra-utérin souvent précoce, d’une naissance prématurée, d’avortements tardifs récidivants ou de morts fœtales in utero du troisième trimestre. La présence massive de fibrine dans la chambre intervilleuse entraîne une diminution des échanges maternofœtaux et est responsable des pathologies fœtales observées. Les dépôts massifs de fibrine périvillositaire peuvent récidiver à la grossesse suivante avec un risque de récurrence est de 50 %.
Macroscopie Il s’agit le plus souvent d’un placenta hypotrophique. Au plan macroscopique, la face maternelle présente une couleur blanc jaunâtre ; elle est de consistance ferme. Le relief cotylédonaire est diminué. Sur la tranche de section, on observe selon les formes décrites ci-dessus soit une bande blanc jaunâtre limitée à la région basale, soit des dépôts blanchâtres s’étendant à toute ou partie de l’épaisseur du placenta. Les dépôts peuvent également prendre un aspect moins massif, dessinant un motif réticulé (Fig. 7). La consistance du parenchyme placentaire est également anormalement ferme.
Microscopie Microscopiquement, les villosités juxtabasales sont englobées dans des dépôts de fibrine avec une nécrose et une disparition progressive des cellules trophoblastiques et des capillaires. Progressivement, le stroma des villosités devient fibreux. Le matériel fibrinoïde est mélangé à de nombreuses cellules trophoblastiques mononucléées intermédiaires (cellules X) [2].
Diagnostic des dépôts massifs de fibrine périvillositaire Figure 6. Dépôts fibrinoïdes d’aspect réticulé. Net-like fibrinoid deposition.
Le diagnostic peut être évoqué à l’échographie devant un oligo-amnios, une petite masse placentaire hyperéchogène, un retard de croissance intra-utérin le plus souvent précoce
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rare même en cas d’extraction par césarienne de constater la survenue de séquelles neurologique chez les enfants [5].
Physiopathogénie, évolution
Figure 7. Infarctus anciens confluents. Old confluent infarcts.
et sévère et un flux sanguin placentaire diminué ou anormal. Pour porter le diagnostic de dépôts massifs de fibrine périvillositaire, il faut que la totalité des villosités juxta-basales sur au moins une lame soit englobée dans une substance fibrinoïde et cela sur au moins 3 mm [3]. Des études récentes du placenta en IRM ont été réalisées dernièrement, mais il semble que les dépôts massifs de fibrine périvillositaire présentent trop peu de modifications de signal à l’IRM pour avoir une bonne sensibilité [4].
Diagnostic différentiel Il n’y a pas vraiment de diagnostic différentiel. Certaines lésions peuvent faire évoquer des infarctus anciens confluents qui sont parfois associés à des dépôts massifs de fibrine. La distinction n’est alors pas alors toujours facile. L’infarctus placentaire résulte de l’arrêt de l’apport sanguin maternel dans l’espace intervilleux. Il se caractérise histologiquement par une agglutination des villosités, une augmentation des amas nucléaires et une perte de la basophilie du trophoblaste villeux, avec des villosités fantômes.
Complications Le pronostic de ces lésions lorsqu’elles occupent toute la hauteur du placenta ou plus de 40 % du volume total est péjoratif avec un fort risque de survenue de mort fœtale in utero. Cette mort fœtale est le plus souvent brutale sans diminution préalable des mouvements fœtaux. Il n’est pas
La physiopathogénie n’est pas encore connue même si l’on sait que les conséquences cliniques (notamment le retard de croissance intra-utérin) sont le résultat d’une diminution du flux sanguin dans la chambre intervilleuse et donc de mauvais échanges maternofœtaux. L’association fréquente avec un infiltrat mononucléé lymphohistiocytaire avait fait évoquer une anomalie dans le mécanisme de tolérance maternofœtale, cette hypothèse expliquait aussi le risque de récidive. Des études récentes [6] montrent que les dépôts massifs de fibrine sont très fréquemment associés à une thrombophilie maternelle et notamment dans la forme limitée à la plaque basale (maternal floor infarct). On retrouve dans plus de 40 % des cas une thrombophilie maternelle génétique avec notamment un déficit en protéine S. Cette pathologie génétique pourrait tout à fait expliquer le taux de récurrence estimé à 50 % pour les dépôts massifs de fibrine périvillositaires. En pratique, il apparaît donc tout à fait justifié devant ce tableau de proposer un bilan thrombophilique à la patiente.
Conflit d’intérêt L’auteur n’a pas transmis de conflit d’intérêt.
Références [1] Kraus FT, Redline RW, Gersell DJ, Nelson DM, Dicke JM, editors. Circulatory problems: thrombi and other vascular lesions. Placental pathology: atlas of nontumor pathology, vol. 3. Washington: AFIP; 2004. [2] Frank HG, Malekzadeh F, Kertschanska S, Crescimanno C, Castellucci M, Lang I, et al. Immunohistochemistry of two different type of placental fibrinoid. Acta Anat (Basel) 1994;150(1):55—68. [3] Katzman PJ, Genest DR. Maternal floor infarction and massive perivillous fibrin deposition: histological definitions, association with intrauterine fetal growth restriction, and risk of recurrence. Pediatr Dev Pathol 2002;5:159—64. [4] Linduska N, Dekan S, Messerschmidt A, Kasprian G, Brugger PC, Chalubinski K, et al. Placental pathologies in fetal MRI with pathohistological correlation. Placenta 2009;30(6): 555—9. [5] Vernof KK, Benirschke K, Kephart GM, Wasmoen TL, Gleich GJ. Maternal floor infarction: relationship to X cells, major basic protein, and adverse perinatal outcome. Am J Obstet Gynecol 1992;167:1355—63. [6] Gogia N, Machin GA. Maternal thrombophilias are associated with specific placental lesions. Pediatr Dev Pathol 2008;11(6):424—9.