Revue du rhumatisme 70 (2003) 314–320 www.elsevier.com/locate/revrhu
Physiopathologie de la douleur de la fibromyalgie Éric Houvenagel * Service de rhumatologie, centre hospitalier Saint-Philibert, rue du Grand-But, 59462 Lomme cedex, France Reçu le 12 février 2003 ; accepté le 12 février 2003
Mots clés : Fibromyalgie ; Muscle ; Allodynie ; Neuromédiateurs ; Sérotonine ; Hormone de croissance Keywords: Fibromyalgia; Muscle; Allodynia; Neuromediator; Serotonin; Growth hormone
La fibromyalgie (FM) est définie par un syndrome polyalgique chronique associé à la présence de points douloureux reproduits à la palpation. D’autres symptômes sont observés tels que fatigue, céphalées, syndrome du colon irritable, troubles du sommeil. Contrairement aux pathologies d’organe la source même de la douleur est difficile à préciser. Les aires de recherche qui ont exploré les mécanismes pathogéniques n’ont pas encore permis d’établir précisément l’étiologie de ce modèle douloureux singulier, et aucune théorie uniciste n’a été adoptée. Toutefois plusieurs pistes permettent de penser qu’il existe un trouble de la modulation centrale de la douleur et de nombreux travaux ont été menés ces dernières années afin de préciser les composantes du système nerveux central impliquées dans la FM. Les aspects pathogéniques de la douleur seront ici développés en faisant principalement référence aux anomalies centrales.
1. Le muscle responsable de la douleur ? Les premiers travaux en particulier les études morphologiques qui avaient suggéré une hypothèse primitivement musculaire à l’origine des douleurs et de la fatigue n’ont pas été confirmés. Les analyses avaient mis en évidence des modifications mineures et non spécifiques pouvant témoigner d’anomalies mitochondriales, des modifications de la pression tissulaire d’oxygène, une diminution des phosphates à haute énergie (ATP et phosphocréatine) [1]. Les études en microscopie électronique n’ont pas révélé d’anomalies [2] et les travaux à la recherche d’anomalies métaboliques utilisant la spectroscopie au P31 par résonance magnétique sont contradictoires [3]. Ces perturbations fonctionnelles pour* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (E. Houvenagel). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 1 0 . 1 0 1 6 / S 1 1 6 9 - 8 3 3 0 ( 0 3 ) 0 0 1 0 1 - 7
raient être la conséquence d’un déconditionnement musculaire, d’une ischémie locale, voire de microtraumatismes musculaires. Elles ne peuvent à elles seules expliquer l’état d’hyperalgésie, et encore moins les symptômes associés, et la FM ne peut être considérée comme un syndrome primitivement musculaire [4]. En revanche les microtraumatismes musculaires pourraient de manière indirecte participer aux perturbations neurologiques centrales comme cela sera développé plus loin.
2. Une origine psychogène ? De même la douleur de la FM ne peut être la conséquence (trop simpliste) d’un état anxiodépressif. Il pourrait être tentant de mettre en avant les facteurs psychiatriques comme étant à l’origine de la douleur de la FM en raison de l’absence de lésions organiques, de troubles du sommeil, de la réponse thérapeutique aux antidépresseurs. De nombreux travaux ont montré que les critères en faveur de syndromes anxieux et dépressifs étaient plus fréquents dans la FM que chez les témoins [5,6,7]. Toutefois ces troubles psychiatriques rapportés dans les différentes études ne sont ni stéréotypés ni constants. À noter que les enquêtes familiales ont montré dans les familles de FM une incidence plus élevée d’épisodes de dépression majeure, en faveur d’un terrain génétique prédisposé, vulnérable. Le Tableau 1 résume les arguments retenus plaidant pour ou contre une théorie psychiatrique de la FM. Il faut ajouter que le bénéfice antalgique des antidépresseurs observé dans la FM est probablement indépendant de l’effet thymo-analeptique, sur des arguments chronologiques et posologiques. Tous ces éléments démontrent que les différents symptômes de la FM ne peuvent être attribués au seul problème psychiatrique, même si certains facteurs psychologiques ne peuvent être niés. La dépression et les autres
E. Houvenagel / Revue du rhumatisme 70 (2003) 314–320 Tableau 1 Arguments plaidant pour ou contre une origine psychiatrique de la fibromyalgie (FM) Pour Absence de lésion organique
Contre Absence d’anomalies psychiatriques par rapport aux témoins, dans certaines études [8–9] Perturbations psychiatriques inconstantes et non stéréotypées
Perturbations psychiatriques par rapport aux témoins (dépression – anxiété) (Ahles, 1984 ; Wolfe, 1984) Réponse favorable aux tricycliques Caractère non toujours simultané entre dépression et syndrome douloureux Absence de diminution du seuil douloureux dans la dépression majeure [10] Absence de relation entre prévalence de la dépression et sévérité de la douleur ou nombre de points douloureux [11] Différences des réponses centrales à la stimulation douloureuse entre FM et dépression [12]
symptômes peuvent être regroupés pour certains dans un même syndrome dénommé « désordre de la vie affective ». Dépression et syndrome douloureux n’interviendraient non pas dans une relation de cause à effet, mais coexisteraient sous la dépendance de facteurs psychobiologiques communs [13] ce qui a pour avantage de réconcilier les tenants de la théorie organique et fonctionnelle. L’état des données actuelles semble indiquer que le syndrome douloureux implique un désordre central de la modu lation douloureuse. L’état d’hyperalgésie peut en effet difficilement être expliqué par les seules modifications des tissus périphériques, tels que musculaires. Un processus central est actuellement volontiers évoqué devant la conjonction d’anomalies de la perception de la douleur, de troubles de l’humeur et du sommeil. De nombreux arguments appuient cette hypothèse et sont résumés dans le Tableau 2. Plusieurs candidats ont été rendus responsables de l’amplification à la douleur observée dans la FM. Tableau 2 Arguments plaidant pour une origine centrale des mécanismes de la douleur de la fibromyalgie • Diminution généralisée du seuil douloureux • Hypersensibilisation générale : diminution des seuils douloureux par stimulations mécaniques, thermiques, électriques. Diminution des seuils de perception au chaud et au froid [17]. • Phénomène de sensibilisation médullaire [18,19] • Déficit du contrôle inhibiteur de la douleur [20–23] • Anomalies des neuromédiateurs intervenant dans la douleur [30,31,41] Anomalies des structures du SNC impliquées dans le contrôle de la douleur [27,28] Facteurs prédisposant (susceptibilité génétique, vulnérabilité psychologique, Troubles du métabolisme de la sérotonine) ↓ Anomalies de neuromédiateurs
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3. La FM : un trouble de la modulation de la douleur ? L’hyperalgésie observée aux points définis par le collège américain est un caractère clé de la définition de la FM. Elle signifie qu’il existe une augmentation de la réponse à un stimulus entraînant classiquement une douleur (excitation des nocicepteurs induite par des stimuli de faible intensité). En réalité, il faut plutôt évoquer ici un état d’allodynie généralisée [14] correspondant à une situation dans laquelle la douleur est induite par un stimulus qui n’entraîne pas de douleur à l’état normal. La pression nécessaire pour faire apparaître une douleur est nettement diminuée dans le groupe fibromyalgie par rapport au groupe témoin (1,9 kg dans le cas de la FM, contre 5,4 kg pour les témoins) [15]. Cela témoigne d’une diminution du seuil douloureux dans la FM [16], lequel est 2 à 3 fois plus bas par rapport aux sujets normaux. Bien que le diagnostic clinique de la FM repose sur la détection de 11 points sur 18 précisés, cette diminution du seuil douloureux apparaît en fait généralisée à l’ensemble du corps et non pas restreinte aux points définis par le collège américain, (ce qui rend d’ailleurs plus fragile l’utilisation de ces critères). D’autre part la diminution du seuil douloureux est également observée en utilisant des stimulus électriques ou thermiques, témoignant d’une hypersensibilisation universelle à la douleur, et les seuils de perception non douloureux à la chaleur ou au froid sont également plus bas au cours de la FM par rapport aux témoins [17]. Une amplification sensorielle réalisant un état d’hypervigilance comportant une hyperacousie et hyperexcitabilité vestibulaire a par ailleurs été mise en évidence dans la FM. Cet état d’hypersensibilisation générale plaide en faveur d’une dysfonction du système nerveux central (SNC). Après stimulation thermique par laser-CO2, une augmentation significative des amplitudes des réponses des potentiels évoqués cérébraux était observée aux seuils douloureux dans la FM, suggérant une activation plus importante des voies du SNC [18]. L’atténuation de la douleur induite par l’application d’un stimulus thermique simultané chez le sujet normal (contrestimulation) n’est pas reproduite chez des patients fibromyalgiques [19], suggérant également un trouble de modulation de la douleur, une perturbation du système antinociceptif (contrôle inhibiteur). L’effet de sommation douloureuse temporelle n’apparaît pas atténué par les contrôles inhibiteurs chez les patients fibromyalgiques par rapport à des témoins masculins [20]. Les phénomènes douloureux de la FM résulteraient d’une sensibilisation médullaire impliquant une hyperactivité des neurones spinaux liés au NMDA (N-méthyl-D-aspartate) (21) et l’injection intraveineuse de kétamine — un antagoniste des récepteurs NMDA — entraîne une réduction durable et significative de l’intensité de la douleur chez les patients fibromyalgiques [22]. Certains neuropeptides (substance P, CGRP = calcitonin gene related peptide) pourraient accentuer cette sensibilisation centrale. Tous ces travaux suggèrent que les anomalies de perception de la douleur font intervenir des mécanismes spinaux ou supraspinaux, et certains auteurs évoquent donc un déficit du
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contrôle inhibiteur de la douleur [19,23]. En revanche, des différences portant sur les processus impliquant la modulation de la douleur ont été récemment démontrées entre hommes et femmes et ceci en l’absence de FM, ce qui pourrait suggérer que des anomalies des mécanismes inhibiteurs de la douleur prédisposeraient au développement de la FM chez la femme [20]. Des lésions tissulaires ou nerveuses périphériques, une exposition répétée à des stimuli périphériques douloureux peuvent modifier l’activité du système nerveux central, et ainsi conduire à l’installation d’une douleur chronique d’origine centrale, un état d’hyperalgésie ou d’allodynie pouvant persister même après guérison de la lésion tissulaire [24]. Plusieurs auteurs pensent que, comme ce qui est observé à la suite d’une lésion nerveuse, des modifications du système nerveux central apparaissent au cours de la FM, faisant intervenir une sensibilisation centrale, une altération des systèmes de modulation des messages nociceptifs, des modifications fonctionnelles médullaires (neuroplasticité centrale) [14]. Les altérations fonctionnelles des voies spinales augmenteraient la transmission nociceptive dans les aires cérébrales et une nouvelle organisation fonctionnelle des fibres nerveuses pourrait transmettre la douleur dans certaines conditions. Un tel concept rendrait compte des FM observées au cours de certains rhumatismes inflammatoires chroniques [25], ou faisant suite à un traumatisme par exemple cervical [26]. Toutefois certaines douleurs relèvent d’un mécanisme central même en l’absence de toute cause périphérique nociceptive. Au total l’expression anormale de la douleur implique probablement des dysfonctionnements centraux, apparaissant en réponse à des anomalies des afférences neuronales (dépendantes de stimuli périphériques), ou survenant spontanément en l’absence de stimulus. Tous les étages du système nerveux central peuvent être en cause. Des travaux ont porté sur les structures mêmes du SNC impliquées dans la douleur. La débimétrie cérébrale (Spect = single photon emission computed tomography), a révélé dans la FM une réduction des flux sanguins cérébraux régionaux dans le thalamus et le noyau caudé par rapport aux témoins [27]. Cette réduction du flux (qui témoigne d’une diminution de l’activité fonctionnelle), pourrait rendre compte de l’atteinte centrale des processus inhibiteurs de la transmission douloureuse et donc de l’anomalie de perception de la douleur. Les valeurs du flux cérébral n’étaient pas liées aux index d’anxiété ou de dépression. La réduction du flux dans le thalamus et le noyau caudé peut être induite par une exposition prolongée à des stimuli nociceptifs périphériques via un excès de neuropeptides des fibres-C. L’ensemble va modifier les réponses centrales, avec diminution du seuil de la douleur et apparition d’un syndrome douloureux chronique. Un autre travail plus récent a montré qu’après stimulation périphérique, la répartition des modifications des flux sanguins cérébraux était différente dans la FM et dans la dépression [12]. De même, le développement de techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle (f MRI) a permis d’objectiver les
mécanismes impliqués dans le traitement central de la douleur au cours de la FM [28]. Les images cérébrales étaient analysées après stimulation d’intensité variable sur le lit de l’ongle du pouce. Les résultats ont montré que des régions cérébrales communes étaient activées chez les témoins et les FM en provoquant une pression suffisante pour entraîner des sensations douloureuses identiques dans les 2 groupes. En revanche, pour une intensité de stimulation identique pour les 2 groupes (qui provoquait une sensation douloureuse dans le groupe FM, mais pas chez les témoins), l’activité et la répartition des régions cérébrales activées était qualitativement et quantitativement différente entre témoins et FM. Ces travaux démontrent que les traitements centraux des signaux douloureux sont différents au cours de la FM, par rapport aux sujets normaux. Les symptômes variés rencontrés au cours de la FM, ont conduit à évoquer une altération du système limbique et de ses projections [29]. Le système limbique est un régulateur complexe impliqué dans la douleur, le sommeil, l’humeur, la fatigue..., et qui possède des relations réciproques sur le système endocrinien et la modulation du système nerveux périphérique. La dysfonction du système limbique peut être engendrée par des causes centrales ou apparaître en réponse à des stress d’origine variée. Les principaux arguments en faveur d’une origine centrale sont résumés dans le Tableau 2. 4. Les neuromodulateurs impliqués Une anomalie de la neuromodulation doit être évoquée en raison des arguments qui viennent d’être développés. De nombreuses substances impliquées dans la neuromodulation du message douloureux, jouant un rôle soit dans la transmission soit dans l’inhibition de la douleur) peuvent conduire à un syndrome d’amplification à la douleur. La sérotonine (5-hydroxytryptamine) est un neurotransmetteur qui joue un rôle dans la modulation de l’information douloureuse par son action antinociceptive. Elle est mise en jeu par les structures supraspinales, et module la transmission nociceptive dans la corne postérieure. Elle intervient aussi dans la régulation du sommeil à ondes lentes et est incriminée dans certains désordres psychiatriques, essentiellement anxiété et dépression. Un trouble du métabolisme de la sérotonine mérite donc d’être évoqué dans la FM. Cette hypothèse a été confortée par plusieurs travaux qui ont démontré une diminution des taux sériques de sérotonine et des taux de 5-HIAA (5-hydroxyl-indol-acetic acid) dans le LCR des FM par rapport aux témoins [30,31]. Enfin, le bénéfice des traitements sérotoninergiques vient appuyer l’intérêt des travaux concernant ce neuromédiateur [32]. Il faut ajouter que l’effet antalgique des antidépresseurs ne semble pas lié à leur propre effet antidépresseur, puisqu’il n’y a pas de différence d’efficacité entre patients déprimés ou non dans certaines études. Enfin, les antidépresseurs sérotoninergiques purs ne semblent pas plus efficaces que les tricycliques à effet mixte, et le mécanisme sérotoninergique n’est sûrement pas exclusif.
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Plusieurs types de récepteurs de la sérotonine ont été identifiés et l’efficacité des traitements sérotoninergiques peut être dépendante de la densité, de l’affinité et de la distribution de ces récepteurs. Ceci pourrait expliquer une réponse hétérogène aux différents antidépresseurs tricycliques, rendant difficile l’interprétation des essais thérapeutiques. Des traitements sélectifs contre un seul type de récepteur 5-HT pour- raient représenter des armes thérapeutiques ciblées. Si des agents bloquant les récepteurs 5-HT2 n’ont pas apporté de bénéfice significatif, en particulier sur le score douloureux dans un groupe de patients FM par rapport aux témoins, au contraire l’ondansetron, un antagoniste sélectif des récepteurs 5-HT3, évalué dans une étude en double aveugle, incluant 21 patients suivis pour FM [33] a apporté une réponse chez 50 % des patients sur l’intensité et le score douloureux, le nombre de points douloureux, l’intensité des céphalées. Les 5-HT-3R joueraient un rôle dans les « fonctions nociceptives » centrales. De récents travaux permettent de penser que ces troubles du métabolisme de la sérotonine sont sous-tendus par une prédisposition génétique [34]. Certains génotypes codant pour le transporteur de la sérotonine sont plus fréquents dans la FM comparée aux témoins. Le transporteur de la sérotonine joue justement un rôle important dans la transmission sérotoninergique. La vulnérabilité à la dépression pourrait de même répondre à des mécanismes génétiques. En dehors du syndrome polyalgique, d’autres symptômes de la FM pourraient rendre compte d’un trouble du métabolisme de la sérotonine [35]. La migraine fréquemment associée aurait comme dénominateur commun avec la FM un déficit du système sérotoninergique [36]. Des modifications de la fonction sérotoninergique centrale ont été rapportées au cours de certaines dépressions [37], proches de ce qui a été démontré dans la FM. Enfin un mécanisme sérotoninergique serait également impliqué au cours du syndrome du colon irritable, volontiers associé à la FM : les traitements utilisant les antagonistes 5-HT3 évoqués plus haut améliorent les douleurs intestinales et induisent une augmentation du seuil de sensibilité à la stimulation rectale [38]. La sérotonine est donc très probablement impliquée dans les mécanismes douloureux voire dans d’autres symptômes de la FM. D’autres neurotransmetteurs antinociceptifs tels que les endorphines mesurées dans le LCR ne semblent pas modifiés au cours de la FM [39]. Toutefois les désordres neurobiochimiques sont certainement plus complexes qu’une anomalie d’un simple neuromédiateur. Comme autre exemple, des travaux ont tenté d’objectiver des perturbations de neurotransmetteurs nociceptifs tels que la substance P (SP). La SP joue un rôle dans les mécanismes nociceptifs, et peut même induire un état d’allodynie en médecine expérimentale. Des taux élevés de SP dans le LCR ont été mis en évidence chez des patients fibromyalgiques [40], résultats qui n’ont pas été retrouvés dans d’autres syndromes douloureux tels que la lombalgie chronique ou la neuropathie diabétique. La SP interviendrait dans le phénomène de sensibilisation médullaire évoqué plus haut. Un
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autre travail a révélé par rapport aux témoins des taux augmentés de nerve growth factor (NGF) dans le LCR au cours de la FM [41]. Ce neurotransmetteur intervient dans la transmission douloureuse en modifiant l’expression de la SP et pourrait être impliqué dans le processus de neuroplasticité. La source de cette élévation centrale de la SP n’est pas déterminée. Enfin, tout récemment la modification d’autres médiateurs (nocistatine et nociceptine) a été étudiée dans le sérum des patients : la nocistatine qui est un antagoniste de la nociceptine supprime l’allodynie dans des modèles murins. La présence d’anticorps contre ces médiateurs serait capable, dans un sous-groupe de patients FM, de jouer un rôle dans la douleur de la FM [42]. D’autres agents neurochimiques non évoqués ici peuvent être impliqués dans le processus douloureux [43]. La complexité ne fait que s’exacerber si l’on considère la multiplicité des neurotransmetteurs, de leurs récepteurs, la modulation des étages nociceptifs dans tous les circuits de la douleur. 5. Système neuro-endocrinien Les diverses anomalies hormonales qui ont été rapportées au cours de la FM [44] sont disparates, inconstantes, et n’autorisent pas à envisager une hypothèse physiopathologique précise. Il est difficile d’établir si elles sont responsables ou si elles résultent des symptômes observés. En revanche, elles ne peuvent être retenues comme responsables à elles seules d’un syndrome polyalgique. Deux axes endocriniens méritent toutefois d’être explorés : l’axe adrénergique pour ses rapports avec le stress, l’étude de l’hormone de croissance (GH) en raison de sa liaison aux perturbations du sommeil. Plusieurs travaux ont objectivé des perturbations de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien par rapport aux témoins. Toutefois, celles-ci ne sont ni marquées ni caractéristiques [45]. Il n’existe pas d’anomalie franche des rythmes circadiens. La FM appartiendrait aux « syndromes associés à une modification de la réponse aux stress », dans lesquels le stress favorise la genèse et l’entretien des symptômes et ayant en commun des perturbations de l’axe adrénergique et du système sympathique. De manière parallèle, les syndromes liés à un événement post-traumatique (post-traumatic stress disease) sont souvent associés à un syndrome douloureux, et la présence d’une fibromyalgie y serait particulièrement significative [46]. Une diminution significative d’IGF-1 traduisant une diminution de l’hormone de croissance (GH) a été rapportée chez les fibromyalgiques par rapport aux témoins [47]. L’hormone de croissance est synthétisée surtout durant les stades 3 et 4 du sommeil, phases justement perturbées au cours de la FM (toutefois ces anomalies n’apparaissent ni constantes, ni spécifiques de la maladie). La diminution des taux d’IGF-1 apparaissait plus comme une conséquence des troubles du sommeil, que comme un événement déclenchant de la FM. La GH joue en revanche, un rôle dans l’homéostasie musculaire et une diminution de la synthèse de GH pourrait rendre
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Tableau 3 Mécanismes conduisant à l’apparition du syndrome polyalgique au cours de la fibromyalgie
compte de la réparation incomplète des microtraumatismes musculaires [48] et contribuer à la transmission nociceptive à partir des fibres nerveuses périphériques vers la corne dorsale médullaire. Ainsi, ces perturbations pourraient représenter un maillon neuro-endocrinien entre les troubles du sommeil et les manifestations cliniques de la FM. Des interactions complexes existent en revanche, entre l’hormone de croissance et les composantes neuromodulatrices. Le déficit en GH rendrait compte également de symptômes associés à la
FM : fatigue, faible tolérance à l’exercice. Enfin les injections de GH par rapport au placebo améliorent significativement les patients fibromyalgiques [49], mais le coût important d’un tel traitement interdit une utilisation prolongée. 6. Conclusion L’état de nos connaissances ne permet pas de formuler de schéma pathogénique uniciste. Les mécanismes conduisant
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au processus douloureux de la FM, font intervenir de nombreux facteurs formant une chaîne d’événements. Le phénomène d’allodynie pourrait être l’expression d’une sensibilisation centrale, impliquant les nocicepteurs périphériques, ou des mécanismes centraux de plasticité médullaire ou cérébrale. Si les preuves d’une perturbation fonctionnelle du système nerveux central ont été apportées, l’origine première des anomalies est inconnue (sensibilisation des nocicepteurs périphériques, dysfonction endogène du dispositif nociceptif ou antinociceptif). Des facteurs préexistants pourraient intervenir (terrain génétique, susceptibilité hormonale, vulnérabilité psychologique, trouble du métabolisme de la sérotonine). De multiples facteurs endogènes et exogènes viendraient précipiter ce dysfonctionnement : soit d’origine centrale tels que troubles du sommeil, événements affectifs, stress, soit d’origine périphérique tels que traumatisme, microtraumatismes musculaires, déconditionnement musculaire. Des intrications complexes et réciproques apparaissent entre système nerveux central et système endocrinien pouvant jouer un rôle dans le déclenchement ou l’entretien du syndrome. Les facteurs psychosociaux éventuellement impliqués ne doivent certainement pas être occultés, réclamant une évaluation pluridisciplinaire du point de vue somatique et psychologique. Les perturbations psychologiques peuvent-elles être à l’origine du bouleversement fonctionnel des troubles de la modulation douloureuse ? On peut imaginer un effet opposé à ce qui est décrit avec l’effet placebo. Certains patients seraient-ils capables de produire un effet « nocebo » sous l’effet d’influences diverses ? Faut-il considérer que symptômes douloureux et psychiatriques dépendent du même support neurobiologique ? Toutes les données actuelles laissent à penser que la FM s’inscrit dans un désordre psycho-neuro-endocrinien impliquant forcément des composantes variées du SNC, conduisant finalement à une diminution du seuil de la douleur (Tableau 3). Une meilleure compréhension des mécanismes de modulation de la douleur permettra de développer de nouveaux axes thérapeutiques dans la FM : molécules agissant sur certains récepteurs de la sérotonine, antagonistes des récepteurs NMDA, antagonistes des récepteurs de la SP. Enfin, la FM en tant que modèle douloureux singulier pourra servir à l’évaluation d’autres syndromes douloureux chroniques et permettra dans l’avenir de comprendre pourquoi des stimulus non nociceptifs peuvent générer une sensation douloureuse.
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