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Pied de Charcot diabétique J.-L. Besse1, T. Leemrijse2
Introduction L’incidence du diabète, en particulier de type 2, est en augmentation dans tous les pays industrialisés ; ses complications en font un véritable défi de santé publique. Actuellement, on estime que plus de 120 millions de personnes dans le monde sont diabétiques, dont 16 millions aux États-Unis et 3 millions en France ; 2 à 5 % de la population seraient atteints, mais avec de très grandes disparités géographiques, pouvant aller jusqu’à 25 % dans certains pays ou certaines régions. On estime que d’ici 2025, la population diabétique atteindra 333 millions de personnes dans le monde. Hormis les complications métaboliques aiguës, le diabète entraîne des complications chroniques, liées à l’atteinte vasculaire et à la neuropathie secondaire, qui concernent surtout trois localisations : les yeux, les reins et les pieds. La prise en charge des lésions du pied diabétique a été très longtemps négligée. Ces atteintes du pied sont dominées par les ulcères, associés ou non à une ostéite pouvant imposer des amputations, les lésions de type pied de Charcot étant beaucoup plus rares [1]. Les neuroarthropathies du pied représentent une complication très grave de la neuropathie diabétique conduisant à des destructions architecturales du pied. C’est J-.M. Charcot [2] qui a décrit en 1868 la neuroarthropathie du pied comme complication du tabès dans la syphilis. Son association à la neuropathie diabétique a été décrite pour la première fois par Jordan en 1936. De nos jours, le diabète est la cause principale de cette pathologie, même s’il existe d’autres étiologies comme le spina bifida, la syringomyélie, l’éthylisme chronique. L’étiologie exacte n’est toujours pas établie et les différentes théories (neurotraumatique ou neurovasculaire) étaient déjà formulées au xixe siècle. Les théories actuelles réunissent les deux précédentes. La neuropathie périphérique et végétative est responsable d’une fragilisation osseuse par des microfractures passant inaperçues. En réponse à la destruction osseuse, l’hypervascularisation s’accroît, fragilisant encore plus la
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structure osseuse avec une réponse vasomotrice analogue à celle de l’algodystrophie [3]. Sa prévalence est mal connue et probablement sousestimée. Elle serait de 0,2 à 0,5 % dans la population diabétique, mais atteindrait jusqu’à 16 % dans des services spécialisés. L’âge moyen lors du diagnostic avoisine les 57 ans. Le diabète de type 2 non diagnostiqué, évoluant généralement depuis plus de 15 ans, s’inaugure non exceptionnellement par le pied de Charcot. De 20 à 40 % des cas présentent une atteinte bilatérale en quelques années. Malgré cet accroissement continu, ce problème est méconnu et le diagnostic est le plus souvent absent. Cette méconnaissance entraîne une absence de traitement ou celui-ci est inadéquat, avec un taux élevé de complications et d’amputations.
Évolution Cliniquement, le pied de Charcot se présente comme un pied gonflé, rouge et chaud qui survient brutalement et est le plus souvent indolore. Eichenholtz [4] a décrit trois stades cliniques et radiologiques dans le développement du pied de Charcot. Il a même été ajouté un stade 0 qualifié de « patient à risque ». Il s’agit de la survenue d’une fracture, en particulier de la cheville et de l’arrière-pied, chez un patient diabétique avec une neuropathie mais une vascularisation conservée. Que le traitement soit conservateur ou chirurgical, ce patient présente un haut risque de développer un pied de Charcot, il devra être surveillé et immobilisé deux à trois fois plus longtemps qu’un patient sans neuropathie.
Stade 1 ou de fragmentation C’est la phase aiguë de développement de la neuroostéoarthropathie diabétique (NOAD). Il existe une inflammation aiguë avec chaleur, érythème, épanchement articulaire et, radiologiquement, des destructions osseuses et des luxations.
Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, centre hospitalier Lyon Sud, 69495 Pierre-Bénite cedex. Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, cliniques universitaires Saint-Luc, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique.
Les déformations du pied de l’enfant et de l’adulte © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
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C’est la forme chronique de la NOAD, avec progressivement une diminution de l’œdème des tissus mous et de la chaleur locale. Radiologiquement, débutent des processus de réparation avec résorption osseuse des séquestres, des néoformations osseuses périarticulaires avec des ostéophytes exubérants, la fusion débutante des structures osseuses fracturées ou disloquées précédemment.
Stade 3 ou de consolidationreconstruction Le pied est « froid », sans épanchement, laissant des déformations articulaires et osseuses résiduelles responsables d’hyperappuis favorisant l’apparition des ulcérations. C’est la phase de remodelage des structures ostéoarticulaires avec consolidation osseuse et fixation des déformations.
Classification Plusieurs classifications existent, toutes basées sur le siège anatomique des déformations. Sanders [5] a établi une classification en cinq types (tableau 1), pratique et simple à utiliser. Toutes les articulations du pied et de la cheville peuvent être touchées mais l’articulation du Lisfranc (type II) est le site le plus fréquent, l’avantpied étant relativement épargné. Si le médio-pied est affecté (type III), l’arche longitudinale s’effondre, présentant une subluxation plantaire du naviculaire, des cunéiformes et du cuboïde, et entraîne la classique déformation en « rocker-bottom » ou pied en « tampon buvard ». L’atteinte de la cheville (type IV) est souvent secondaire à une fracture de cheville, indépendamment du traitement chirurgical ou conservateur initial. Au stade séquellaire, elle entraîne souvent une instabilité sévère de la néoarticulation de cheville. Le type V est
confondu avec une fracture-arrachement du tendon d’Achille (figure 1).
Diagnostic Clinique Au stade aigu, un pied de Charcot présente un pied chaud, rouge et gonflé, le plus souvent indolore, de début relativement soudain. Il existe des signes de neuropathie. Les pouls périphériques sont le plus souvent présents, car le pied de Charcot est habituellement bien vascularisé. À l’aide d’un thermomètre infrarouge [6], on peut mesurer un différentiel d’au moins 2 °C par rapport au pied controlatéral. Le diagnostic est fréquemment ignoré ; le plus souvent, on porte celui de cellulite ou d’érysipèle. Au stade chronique, les déformations du pied sont caractéristiques, mais on peut observer des réactivations aiguës d’un pied de Charcot ancien ou stabilisé [7]. En cas d’ulcération associée (récente ou cicatrisée), le diagnostic différentiel avec une ostéite est difficile. Cliniquement, l’existence d’une fièvre, de trajets lymphangitiques, d’adénopathies inguinales plaide pour une infection. L’élévation du membre inférieur (manœuvre de Brodsky) pendant plusieurs heures permettrait de faire la différence avec une diminution de l’œdème en cas de NOAD et absence d’effet en cas d’infection.
Diagnostic différentiel et examens paracliniques Aucun des signes cliniques précoces du pied de Charcot n’est spécifique ; d’autres pathologies doivent être exclues : infectieuses, crise de goutte, thrombose veineuse… À côté de l’examen clinique, différents examens paracliniques sont demandés pour étayer le diagnostic différentiel.
Tableau 1 Classification de Sanders Localisation
Fréquence
Sanders I
Métatarsophalangienne (avant-pied)
18 %
Sanders II
Lisfranc
50 %
Sanders III
Chopart
20 %
Sanders IV
Cheville
10 %
Sanders V
Calcaneus postérieur (tubérosité du calcaneus, avulsion du tendon d’Achille)
2%
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Stade 2 ou de coalescence
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Figure 1. Exemples de la classification de Sanders. Sanders II : atteinte du Lisfranc (Eichenholtz stade 1). Sanders III : atteinte du Chopart (Eichenholtz stade 3). Sanders IV : atteinte de la cheville (Eichenholtz stade 3). Sanders V : arrachement de l’insertion du tendon d’Achille (Eichenholtz stade 1).
• Examens biologiques : numération formule sanguine, vitesse de sédimentation, protéine C réactive, acide urique. • Écho-doppler veineux des membres inférieurs. • Les radiographies standard restent l’examen radiographique de base pour dépister, évaluer et suivre un pied de Charcot. Au stade initial, il existe seulement un œdème des parties molles et des épanchements articulaires. L’échographie complémentaire peut être une aide à ce stade. Elles doivent être répétées et comparées, à la recherche de radiotransparence sous-chondrale, de subluxations débutantes et de petites fractures. • La double scintigraphie (scintigraphie osseuse au technétium couplée à une scintigraphie aux polynucléaires marqués) est l’examen de choix pour faire le diagnostic différentiel d’ostéite [8], ou d’ostéite associée à un pied de Charcot chronique avec ulcération. • En cas de pied aigu de Charcot, l’imagerie par résonance magnétique ne distingue pas de façon formelle un processus infectieux d’un processus inflammatoire [9,10]. • Le scanner est un examen de deuxième intention contribuant à évaluer les déplacements osseux ainsi que la qualité osseuse résiduelle, et permettant de planifier une éventuelle chirurgie.
Traitement Le traitement d’un pied de Charcot doit être instauré dès le diagnostic posé, ou même dès que le diagnostic est suspecté. Les principes du traitement sont : • de contenir la déformation du pied afin d’amener le pied au stade 3 de la guérison osseuse avec le moins de déformations possible ; • d’éviter au maximum les problèmes cutanés et les ulcérations responsables d’ostéite et d’un risque très élevé d’amputation ; • de conserver une bonne mobilité du patient pour éviter l’aggravation de l’ostéoporose. L’évolution est longue, allant de 12 à 24 mois.
Le traitement conservateur Le traitement conservateur reste la règle et se divise en trois phases.
Au stade initial inflammatoire (stade 1) Le traitement associe des périodes de repos et de décharge avec des immobilisations plâtrées pour réduire l’œdème et limiter les déformations. Le traitement recommandé est le plâtre type « total contact »
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Figure 2. Exemple de chirurgie du pied de Charcot, au stade aigu. a. Atteinte en 2003 du pied gauche (type II) : aggravation rapide. b. Atteinte en 2006 du pied droit (type II) : même attitude chirurgicale (du côté gauche, il existe une pseudarthrodèse indolore et sans récidive de la déformation).
La deuxième phase Elle correspond au stade 2 ; l’objectif est de combler la période entre une immobilisation rigide et la stabilisation de la forme du pied. Cette période dure également de 4 à 6 mois. Le patient peut porter des orthèses préfabriquées (type CROW : Charcot Restraining Orthotic Walker), des orthèses ou des chaussures temporaires faites sur mesure par un podo-orthésiste [3]. En cas
d’ostéoarthropathie neurogène évolutive (stade 1 et 2) associée à des ulcères liés aux déformations, l’équipe de consultation de chirurgie orthopédique peut contribuer à la réalisation d’appareillages plâtrés à la carte, bien capitonnés, éventuellement fenêtrés et/ou amovibles.
La troisième phase Après stabilisation structurale du pied, les déformations séquellaires de l’arrière-pied et du médio-pied imposent souvent des chaussures orthopédiques sur mesure. Un chaussage très adapté avec des orthèses plantaires est en général suffisant pour les déformations de l’avant-pied. L’instabilité séquellaire de la cheville peut nécessiter des orthèses et/ou des chaussures orthopédiques à tige montante.
Le traitement chirurgical Au stade initial inflammatoire (stade 1) Le traitement chirurgical a été proposé dans le stade 1 aigu, en cas d’échec du traitement conservateur et
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et la décharge à l’aide de deux cannes béquilles. Durant ce premier stade, qui peut durer plusieurs mois, tout geste chirurgical doit être évité, en particulier sur des lésions de dislocation du médiopied ou du Lisfranc d’allure pseudo-traumatiques. L’agression chirurgicale est un facteur d’aggravation des lésions, avec un taux élevé de complications cutanées et infectieuses. Les plâtres sont renouvelés au début chaque semaine, puis toutes les 2 à 3 semaines. Cette période d’immobilisation totale dure de 4 à 6 mois avec une reprise progressive d’un appui partiel. Des traitements par les biphosphonates (pamidronate) ont été proposés pour réduire la durée de cette période aiguë [11].
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Figure 3. Traitement chirurgical par exostosectomie (Charcot type III). a,b. Ulcère avec ostéite du cuboïde (aspect clinique et radiographique). c. Aspect clinique à 16 mois. d. Radiographie de profil en charge du pied droit à 16 mois et radiographie de face des deux pieds : l’atteinte était bilatérale (Eichenholtz stade 3).
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de progression très rapide des déformations et dislocations. Il s’adresse en particulier au type II de Sanders [12,13]. La chirurgie associe une arthrodèse après réduction des dislocations puis une immobilisation prolongée. Le but est d’éviter l’apparition secondaire en « rocker-bottom », source fréquente d’ulcérations itératives. Il s’agit d’une chirurgie extrêmement difficile du fait des rétractions très importantes des tissus mous, à haut risque de complications précoces et qui ne garantit pas la stabilité du résultat en raison du potentiel évolutif de la NOAD. Elle ne peut être réalisée que par des équipes très spécialisées en chirurgie du pied et dans le traitement de cette pathologie (figure 2).
Au stade séquellaire (phase 3) Au stade séquellaire de reconstruction osseuse (stade 3), la chirurgie orthopédique est indiquée lorsque les déformations sont incompatibles avec le chaussage et sont responsables d’ulcérations à répétition. Ainsi un pied en « tampon buvard », secondaire à une atteinte du Lisfranc ou du médio-pied, peut parfois justifier soit une exostosectomie (« exostectomy », « bumpectomy », allant d’une résection simple du conflit osseux plantaire à une ablation complète du cuboïde), soit même une arthrodèse complexe par voie plantaire [14,15]. L’ostectomie est volontiers indiquée dans les ulcérations associées à une ostéite (figure 3). Par une incision latérale, médiale ou directement centrée sur l’ulcère, l’os proéminent est réséqué ; il peut s’agir
d’une cuboïdectomie complète. Ce geste permet de guérir l’ostéite même si les retards de cicatrisation sont fréquents. Une cheville disloquée et instable malgré les orthèses de maintien peut bénéficier d’une arthrodèse de l’arrière-pied par un clou rétrograde transplantaire [16] (figure 4). Cette chirurgie, en dépit d’un taux élevé de complications, est cependant parfois l’unique alternative à l’amputation de jambe [17]. Les arthrodèses nécessitent des moyens d’ostéosynthèse très rigides pour limiter les « démontages » et surtout des temps d’immobilisation plâtrée doublés ou triplés par rapport aux délais classiques de ces interventions chez le sujet non neuropathique. La consolidation des arthrodèses n’est obtenue que dans 70 % des cas, les pseudarthroses ou retard de consolidation avec rupture d’implants sont fréquents mais souvent bien tolérés et permettent un chaussage orthopédique.
Conclusion Le diabète devient une véritable pandémie. Les lésions du pied diabétique représentent un problème de santé publique qui sera de plus en plus important. Leur prise en charge ne peut se faire que dans un cadre pluridisciplinaire. Chaque pays devra se doter de structures adaptées et en particulier de centres spécialisés avec tout le plateau technique utile pour la prise en charge des lésions les plus graves : ulcérations profondes et infectées, artériopathies sévères, pieds de Charcot.
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Figure 4. Deux exemples de reposition-arthrodèse. a. Dislocation de la cheville (impossible à appareiller) séquellaire d’un pied de Charcot type IV compliquée d’une ostéoarthrite. b. Traitement par une panarthrodèse de la cheville et arrière-pied ostéosynthésé par un enclouage rétrograde. Résultat à 3 ans. c. Charcot de type III compliqué d’ulcère médial (antécédent d’amputation de cuisse du côté controlatéral). d. Traitement par une reposition-arthrodèse (radiographies postopératoires).
1 Besse JL, Leemrijse T. Le pied diabétique : place de la chirurgie diabétique. Cahier d’enseignement de la SOFCOT no 98. Paris : Elsevier Masson ; 2009. p. 111-46. 2 Charcot JM. Sur quelques arthropathies qui paraissent dépendre d’une lésion du cerveau ou de la moelle épiniére. Arch Physiol Norm Pathol 1868 ; 1 : 161-8. 3 Pinzur MS. Current concepts review : Charcot arthropathy of the foot and ankle. Foot Ankle Int 2007 ; 28 : 952-9. 4 Eichenholtz SN. Charcot joints. Springfield : Charles C. Thomas ; 1996. 5 Sanders LJ, Frykberg RG. Diabetic neuropathic osteoarthropathy : the Charcot foot. In : Frykberg RG, éd. The high risk foot in diabetes mellitus. New York : Churchill Livingstone ; 1991. p. 297-338. 6 Armstrong DG, Lavery LA. Monitoring healing of acute Charcot’s arthropathy with infrared dermal thermometry. J Rehabil Res Dev 1997 ; 34 : 317-21. 7 Armstrong DG, Todd EF, Lavery LA, Herkless LB, Bushman TR. The natural history of acute Charcot’s arthropathy in a diabetic foot specialty clinic. Diabetic Medecine 1997 ; 14 : 357-63.
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Références
Pied de Charcot diabétique
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