Pneumopathie au cours d’un cancer bronchique

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Cas clinique n° 3 (tendance diagnostique) Pneumopathie au cours d’un cancer bronchique A. Scherpereel Commentaires Interprétation des radiographies...

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Cas clinique n° 3 (tendance diagnostique)

Pneumopathie au cours d’un cancer bronchique

A. Scherpereel

Commentaires Interprétation des radiographies et des scanners thoraciques Opacités pulmonaires essentiellement lobaires inférieures droites d’aspect interstitiel apparaissant sur l’imagerie thoracique dans les jours suivant la radiothérapie médiastinale et se majorant dans le lobe inférieur droit sur le contrôle de la tomodensitométrie (TDM) à 1 mois.

Quelles sont vos hypothèses diagnostiques ?

Service de pneumologie et oncologie thoracique, Hôpital Calmette, CHRU de Lille, Faculté de médecine Henri-Warembourg, Université de Lille-II, unité Inserm 774, Lille.

Correspondance :

On pouvait évoquer en priorité : – une pneumopathie aiguë infectieuse : chez ce patient fragilisé par un traitement immunosuppresseur récent (chimiothérapie) et au terrain de BPCO. L’hypothèse infectieuse était très plausible par sa fréquence et devant la vitesse d’installation du processus. En revanche, le tableau clinique, certes compatible avec le diagnostic, était relativement pauvre (majoration d’une dyspnée d’effort et apparition d’une toux sèche depuis quatre jours, foyer de râles crépitants du lobe inférieur droit) pour une infection respiratoire basse avec notamment l’absence de toute fièvre. De principe, une antibiothérapie probabiliste pour une pneumopathie aiguë communautaire avait été prescrite (levofloxacine 10 jours) sans efficacité sur l’évolution des images pulmonaires par opposition à l’amélioration clinique partielle ; – une défaillance cardiaque gauche : l’atteinte unilatérale pulmonaire et l’absence d’arguments dans l’anamnèse du patient pour ce diagnostic plaidaient contre cette hypothèse qui devait être cependant impérativement évoquée dans ce

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contexte chez un patient assez âgé aux antécédents d’hypertension artérielle et de pontage aortique abdominal. Le bilan complémentaire (dont un dosage du Brain Natriuretic Peptide (BNP) et une échographie cardiaque normaux) avait rapidement éliminé l’atteinte cardiaque gauche ; – l’apparition d’une lymphangite carcinomateuse pulmonaire dans le cadre de l’évolution du cancer était également une hypothèse plausible, mais peu probable ; – une pneumopathie radique aiguë (PRA) : il s’agit d’un diagnostic d’élimination après avoir évoqué et éliminé les diagnostics ci-dessus. Le tableau clinique et radiologique est ici tout à fait évocateur, même si son caractère relativement suraigu, car apparaissant quelques jours après la fin de la radiothérapie (versus habituellement six à douze semaines de délai dans la majorité des cas jusqu’à six mois après la fin de l’irradiation) aurait fait attendre une symptomatologie respiratoire plus bruyante, à l’extrême une défaillance respiratoire aiguë [1]. La PRA est l’une des principales toxicités limitantes de la radiothérapie thoracique, traitement majeur dans les cancers bronchiques primitifs non métastatiques [2, 3]. Son incidence après irradiation conformationnelle chez des patients porteurs de cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC) est estimée entre 7 et 10 % pour des formes modérées, mais symptomatiques de PRA, et autour de 1 à 3 % pour les formes sévères [1]. Cette incidence est en fait mal connue, car selon les séries dont les méthodologies (d’irradiation, d’évaluation des atteintes) sont très variables, elle a été mesurée entre 1 et 34 %, alors que celle des atteintes radiologiques varie de 13 à 100 %. Pour le diagnostic de PRA, les signes cliniques (et biologiques) sont non spécifiques : le plus fréquemment une dyspnée d’intensité variable, souvent une toux non productive ; la douleur thoracique et l’hémoptysie étant beaucoup plus rares. Une altération de l’état général et une fébricule ont également été décrites. Enfin, à l’examen clinique, on peut relever des râles crépitants à l’auscultation. L’imagerie radiographique standard, plus sensible que la clinique, permet d’observer précocement des anomalies, symptomatiques ou non, dans la moitié des cas à type d’opacités alvéolaires et interstitielles d’allure confluente habituellement situées dans le champ d’irradiation. Sur le scanner, les anomalies en verre dépoli non systématisées sont habituellement situées dans les champs d’irradiation, mais rarement peuvent les déborder largement induisant alors un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Les explorations fonctionnelles respiratoires mettent en évidence typiquement (hors trouble ventilatoire obstructif préexistant) un trouble ventilatoire restrictif pur associé à une altération de la diffusion (DLCO et DLCO/VA). Le lavage broncho-alvéolaire (LBA), non systématique pour affirmer le diagnostic, permet cependant de l’orienter en éliminant les autres causes de pneumopathie, notamment infectieuses. Une alvéolite lymphocytaire est classiquement décrite en cas de PRA (lymphocytose de

l’ordre de 30 %, constituée essentiellement de lymphocytes T CD4+) [1] ; – la pneumonie organisée cryptogénique ou bronchiolite oblitérante avec pneumonie organisée (COP ou BOOP) représente également un diagnostic différentiel de la pneumopathie radique aiguë. Elle associe également une symptomatologie de pneumopathie aspécifique, mais apparaissant dans un délai de 12 mois suivant la radiothérapie et elle est caractérisée par des images d’infiltrations labiles en dehors des champs d’irradiation, répondant bien à la corticothérapie [1]. Elle a été plus fréquemment décrite après irradiation d’un cancer mammaire [4] ; – une pneumopathie aiguë médicamenteuse semble peu probable : seule l’association bisoprolol et hydrochlorothiazide (Lodoz®) prise de longue date pourrait induire un tel tableau qui n’a pas été décrit avec l’oméprazole et le clopidogrel (Plavix®) (www.pneumotox.com).

Quel traitement proposeriez-vous pour l’hypothèse la plus probable ? Le traitement de référence de la pneumopathie radique aiguë (PRA) pour tous les auteurs est une corticothérapie systémique. Une fois le diagnostic posé, l’évolution de la PRA est habituellement favorable soit spontanément (forme paucisymptomatique), soit sous corticothérapie, la PRA se caractérisant par son extrême corticosensibilité. Cependant, des cas d’évolution défavorable (syndrome de détresse respiratoire aiguë) et/ou fatale ont été décrits [1]. Dans le cas présent, devant l’amélioration clinique initiale observée sous corticothérapie orale, contrastant avec l’aggravation des lésions pulmonaires sur le scanner concomitant d’avril 2009, il est proposé en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de poursuivre la corticothérapie orale (prednisone 1 mg/kg/j) associée à un traitement inhalé combiné par Béta2 mimétique de longue durée d’action et corticoïde inhalé. En juin 2009, le patient est toujours en excellent état général et désormais asymptomatique. Le scanner thoracique est superposable à l’examen d’avril 2009 : pas de signe de récidive tumorale, mais des lésions post-radiques médiastino-pulmonaires importantes. Il persiste une hyperfixation significative de la lésion initiale médiastinale en tomographie par émission de positons (TEP) (fig. 3). En RCP, il est décidé de stopper la corticothérapie orale, alors déjà en décroissance lente, en conservant le traitement inhalé à faibles doses associé à une surveillance. Le bilan d’octobre 2009 montre une régression des lésions scannographiques de pneumonie radique et l’absence de nouvelles lésions tumorales (fig. 4). Il persiste cependant une lésion, hyperfixante en TEP, médiastinale plus ou moins parenchymateuse droite para-œsophagienne droite dont on ne peut préjuger la nature

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post-radique ou tumorale. Un prélèvement par écho-endoscopie bronchique est alors décidé, ne retrouvant qu’une inflammation non spécifique en faveur de la nature a priori séquellaire post-radiothérapie de la lésion. La surveillance se poursuit bien entendu chez le patient actuellement asymptomatique hormis quelques épisodes de toux sèche quinteuse rattachée à la BPCO et aux séquelles de PRA.

Facteurs prédictifs de la pneumopathie radique aiguë : une possible prévention ?

Fig. 3. Tomographie par émission de positons (TEP) du patient (juin 2009).

Fig. 4. Évolution des scanners thoraciques du patient sous traitement. A et B : scanner du 17 avril 2009 ; C et D : scanner du 9 octobre 2009.

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La PRA est la complication la plus fréquente de la radiothérapie et de la radio-chimiothérapie. Prédire quels patients seraient résistants à la PRA permettrait une escalade des doses de radiothérapie tout en maîtrisant la toxicité de l’irradiation (amélioration de l’index thérapeutique) qui pourrait augmenter le contrôle tumoral local et la survie globale. Les facteurs prédictifs sont divisés en cinq grandes catégories en fonction de leur lien avec le patient, le cancer luimême, les traitements préalables et/ou concomitants, la dosimétrie et les modalités de l’irradiation, et enfin les facteurs biologiques prometteurs mais non utilisables en routine. Une excellente revue récente et complète de ces facteurs prédictifs est accessible dans la référence 1, complétée des références 5 à 8 [5-8]. Les facteurs prédictifs validés de la PRA sont peu nombreux. Ils sont essentiellement liés aux paramètres de l’irradiation (volumes pulmonaires sains irradiés, dose moyenne pulmonaire d’irradiation (DMT...). Les facteurs liés au patient (cliniques ou fonctionnels hormis l’âge supérieur à 65 ans très discuté, à la tumeur ellemême (histologie, stade, localisation) ou aux traitements préalables et/ou concomitants à l’irradiation (hormis certaines chimiothérapies bien connues comme la bléomycine, le cyclophosphamide, l’actinomycine D, l’adriamycine ± la gemcitabine) ne déterminent pas de risque clairement démontré de PRA [1, 5, 7, 8]. En complément des facteurs déjà validés, des profils de risque individuels basés sur le phénotype et le génotype sont recherchés. Les biomarqueurs envisagés comprennent une grande variété de cytokines pro-inflammatoires (IL-6, TNF), anti-inflammatoires (IL-10...) ou profibrotiques (transforming growth factor beta1, TGF-β1) impliquées dans le développement et la persistance des lésions pulmonaires induites par la radiothérapie. La valeur prédictive négative faible des biomarqueurs évaluée approximativement à 50 % (vs 60 à 80 % pour les facteurs dosimétriques) pourrait être améliorée par la radio-génomique, c’est-à-dire l’analyse génotypique des polymorphismes des « single nucleotides » (SNP) de la voie du TGF-β1 et des cytokines précitées. Cependant cette recherche de biomarqueurs est extrêmement difficile en

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raison de la variabilité génétique et de la physiopathologie complexe de la PRA.

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Conflit d’intérêts 4

Essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l'étude pour Roche, Amgen, GSK, MSD ; interventions ponctuelles : rapports d'expertise par CisBio ; Conférences : invitations en qualité d'intervenant pour Roche, Amgen, Lilly, Janssen, CisBio ; Conférences : invitations en qualité d'auditeur (frais de déplacement et d'hébergement pris en charge par une entreprise) pour Roche, Amgen, Lilly, Janssen, Boehringer.

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Références 1

Quoix E, Mornex F, Milleron B, Pauli G : Radiation- and chemicallyinduced respiratory manifestations. Rev Mal Respir 1997 ; 14 : 341-53. Pijls-Johannesma MC, De Ruysscher D, Lambin P, Rutten I, Vansteenkiste JF : Early versus late chest radiotherapy for limited stage small cell lung cancer. Cochrane Database Syst Rev 2005 ; 1 : CD004700. Cordier JF : Cryptogenic organising pneumonia. Eur Respir J 2006 ; 28 : 422-46. Madani I, De Ruyck K, Goeminne H, De Neve W, Thierens H, Van Meerbeeck J : Predicting risk of radiation-induced lung injury. J Thorac Oncol 2007 ; 2 : 864-74. Choi YW, Munden RF, Erasmus JJ, Park KJ, Chung WK, Jeon SC, Park CK : Effects of radiation therapy on the lung: radiologic appearances and differential diagnosis. Radiographics 2004 ; 24 : 985-97. Mehta V : Radiation pneumonitis and pulmonary fibrosis in non-smallcell lung cancer: pulmonary function, prediction, and prevention. Int J Radiat Oncol Biol Phys 2005 ; 63 : 5-24. Provatopoulou X, Athanasiou E, Gounaris A : Predictive markers of radiation pneumonitis. Anticancer Res 2008 ; 28 (4C) : 2421-32.

Arpin D, Mahé MA, Servois V, Claude L : Predictive factors for acute radiation pneumonitis. Rev Pneumol Clin 2009 ; 65 : 177-86.

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