Pneumopathie interstitielle diffuse sous mésalazine : un effet indésirable sous diagnostiqué ?

Pneumopathie interstitielle diffuse sous mésalazine : un effet indésirable sous diagnostiqué ?

LETTRE À LA Thérapie 2014 Novembre-Décembre; 69 (6): 531–532 DOI: 10.2515/therapie/2014205 RÉDACTION © 2014 Société Française de Pharmacologie et ...

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LETTRE

À LA

Thérapie 2014 Novembre-Décembre; 69 (6): 531–532 DOI: 10.2515/therapie/2014205

RÉDACTION

© 2014 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique

Pneumopathie interstitielle diffuse sous mésalazine : un effet indésirable sous diagnostiqué ? Marine Auffret1, Johana Béné1, Marc Lambert2 et Sophie Gautier1 1 Centre régional de pharmacovigilance du Nord-Pas-de-Calais, CHRU Lille, Lille, France 2 Service de médecine interne, CHRU Lille, Lille, France Texte reçu le 26 mai 2014 ; accepté le 3 septembre 2014 Ce cas a été notifié au Centre régional de pharmacovigilance de Lille (France) le 23 mai 2011 Résumé – Nous rapportons le cas d’une femme traitée par adalimumab et mésalazine pour une maladie de Crohn depuis neuf ans qui présenta une pneumopathie interstitielle diffuse (PID). Plusieurs étiologies avaient été évoquées initialement : évolution de la maladie, effet indésirable de l’adalimumab. Les troubles pulmonaires s’aggravaient néanmoins malgré l’arrêt de l’adalimumab et la mésalazine était finalement arrêtée 6 mois plus tard conduisant à une régression complète de l’atteinte pulmonaire. Les PID sont bien connues lors de traitement par mésalazine mais sa responsabilité n’est pas forcément envisagée en priorité et le diagnostic peut donc être retardé. Mots clés : mésalazine ; maladies inflammatoires de l’intestin ; pneumopathie interstitielle diffuse ; effets indésirables Abstract – Mesalazine-related Interstitial Lung Disease: an Underdiagnosed Effect? We report the case of a woman treated with adalimumab and mesalazine for a Crohn’s disease who presented 9 years after the beginning of the treatments an interstitial lung disease (ILD) discovered by chance during a routine medical examination. Several hypotheses were evocated: progression of the Crohn’s disease with a pulmonary involvement then the role of adalimumab was finally suspected. Adalimumab treatment was stopped, but several months later, the pulmonary disease persisted. Six months after the initial medical consult, mesalazine treatment was suspected and stopped. The ILD improved and finally completely resolved with no recurrence after one year. Interstitial lung disease is a rare side effect of mesalazine probably underdiagnosed by physicians especially in patients treated with TNF alpha inhibitors. Keywords: mesalazine; inflammatory bowel disease; interstitial lung disease; adverse drug reaction

Abréviations : voir en fin d’article.

1. Introduction Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) peuvent se compliquer de manifestations extra-intestinales particulièrement d’atteinte pulmonaire.[1] Les traitements utilisés dans les MICI peuvent également être à l’origine de pathologies pulmonaires, notamment les anti-tumor necrosis factor alpha (TNF-alpha) et les molécules dérivées de l’acide 5-aminosalicylique (sulfasalazine et mésalazine). De ce fait, le diagnostic étiologique des troubles pulmonaires apparaissant chez des patients traités pour une MICI peut être difficile et entraîner un retard de prise en charge médicale adaptée. Nous présentons ici un cas de pneumopathie interstitielle diffuse (PID) secondaire à un traitement par mésalazine pour lequel la responsabilité d’un traitement par mésalazine n’a été évoquée que tardivement.

2. Observation Une femme de 37 ans présentant comme antécédent une maladie de Crohn était traitée par adalimumab et mésalazine (posologies non précisées) depuis 2001. En avril 2010, elle bénéficie d’une coloscopie virtuelle dans le cadre du suivi de routine de sa maladie de Crohn. Une opacité médiastinale sans caractéristique particulière est par hasard retrouvée. La biopsie pulmonaire retrouve des lésions granulomateuses potentiellement en lien avec la maladie de Crohn. Le clinicien retient néanmoins la responsabilité de l’adalimumab dont le traitement est interrompu en juin 2010 (l’adalimumab peut être responsable de ce type de troubles pulmonaires à une fréquence 1/1 000 à 1/10 000 selon le résumé des caractéristiques du produit). La patiente reste asymptomatique jusqu’à septembre 2010 date à laquelle elle rapporte une douleur dans la poitrine. Un scanner est réalisé et révèle une PID liée soit à un processus inflammatoire, soit à la maladie de Crohn. Il n’y a pas eu d’autre exploration pulmonaire. Un traitement par corticoïdes (molécules et posologies inconnues) est alors débuté. En octobre 2010, les symptômes pulmonaires sont toujours présents. La responsabilité de la mésalazine est à ce moment là suspectée et le traitement arrêté. En novembre 2010, un nouveau scanner met en évidence une régression des lésions pulmonaires. Les corticoïdes sont ensuite arrêtés. Aucun traitement spécifique pour la maladie de Crohn n’a été repris et aucun symptôme de la maladie n’est réapparu durant l’année suivante. En août 2011, un scanner retrouve une régression totale de la masse lobaire et de l’infiltrat. Aucun traitement à base de mésalazine n’a ensuite été repris.

3. Discussion Dans ce cas de PID, plusieurs étiologies ont été successivement retenues retardant ainsi une prise en charge adaptée. Une origine iatrogène a finalement été retenue, l’atteinte pulmonaire s’étant

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résolue à l’arrêt de la mésalazine et n’étant pas réapparue dans les mois suivant l’arrêt. Dans cette observation, une évolution de la maladie de Crohn a été évoquée en premier lieu. L’association entre pathologie pulmonaire et MICI est connue depuis plus de 30 ans,[1] mais l’incidence exacte de ces troubles pulmonaires n’est pas connue. La caractéristique la plus fréquente et disctinctive des atteintes pulmonaires dans les MICI est l’inflammation des voies respiratoires, qui peut résulter en un rétrécissement anormal des voies aériennes qui, s’il n’est pas traité, peut entraîner une sténose trachéale, une bronchiectasie ou une bronchiolite oblitérante.[1] La PID est moins commune et répond en général aux traitements corticoïdes.[1] Les symptômes peuvent se développer à tout stade de la maladie des semaines jusqu’à des années après le diagnostic.[1] Un traitement par corticoïdes par voie systémique ou inhalée est en général efficace en particulier chez les patients non traités pour leur MICI.[1] Dans un second temps, une étiologie iatrogène était ensuite suspectée. Les anti-TNF alpha sont rarement associés à des PID. Une revue de littérature datant de 2011 rapporte 122 cas de PID, ou d’aggravation de PID, liés à des anti-TNF alpha.[2] L’anti TNF alpha le plus souvent en cause était l’étanercept (58 cas), l’infliximab (52 cas) et l’adalimumab (3 cas). La majorité des patients (n = 108) avec une PID étaient traités pour une polyarthrite rhumatoïde et dans la majorité des cas avaient auparavant reçu un traitement par méthotrexate, connu pour entraîner une toxicité pulmonaire.[2] Le mécanisme expliquant cette toxicité des anti-TNF alpha n’est pas complètement connu. Les anti-TNF alpha pourraient jouer un rôle profibrotique en activant les fibroblastes et par ailleurs un rôle antifibrotique en promouvant la réparation du tissu pulmonaire par une élimination des cellules inflammatoires par apoptose.[2] L’arrêt de l’anti-TNF alpha et l’adjonction d’un traitement par corticoïdes permettent généralement une récupération partielle ou totale des symptômes pulmonaires.[2] Les effets indésirables non digestifs, notamment pulmonaires, de la mésalazine ou de la sulfasalazine sont rares mais néanmoins bien connus (mentionnés dans le RCP) et décrits de longue date,[3,4] ces molécules étant peu absorbées au niveau digestif. Ces troubles pulmonaires induits par la mésalazine chez les patients atteints de MICI sont généralement insidieux et progressifs et peuvent inclure une toux, une dyspnée, une douleur thoracique, une fièvre, une anémie, une élévation de la vitesse de sédimentation et parfois une hyperéosinophilie.[5] Ces effets peuvent être persistants ou transitoires. La pathogénèse est mal comprise. Un mécanisme d’hypersensibilité est généralement retenu[5] mais, dans quelques cas, la survenue et la résolution des troubles respiratoires semblent liées respectivement à une augmentation[6] et une diminution de posologie,[7] suggérant un effet dose-dépendant. L’arrêt du traitement et l’instauration d’une corticothérapie ont été efficaces dans ces deux cas. Différencier la responsabilité de la pathologie sous-jacente en l’occurrence la MICI, celle de l’anti-TNF alpha et celle de la mésalazine n’est pas toujours évident chez les patients polymédiqués et

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Auffret et al.

l’évolution à l’arrêt du traitement de la molécule suspectée est un argument majeur en faveur de son rôle. Dans la littérature, nous retrouvons d’ailleurs un cas similaire de PID chez une patiente traitée à la fois par anti-TNF alpha (adalimulab) et mésalazine imposant l’arrêt des deux molécules avec régression de l’atteinte pulmonaire par la suite.[8] Les auteurs retiennent cependant ici la responsabilité de l’anti-TNF alpha en raison de la chronologie, la mésalazine ayant été débuté 8 ans auparavant.

4. Conclusion Notre cas décrit un effet indésirable probablement sous-diagnostiqué de la mésalazine : la pneumopathie interstitielle diffuse. Près de six mois ont été nécessaire au clinicien pour retenir le diagnostic, en raison des autres étiologies possibles notamment médicamenteuses. Cette observation nous rappelle que tout effet indésirable peut se manifester par des symptômes non spécifiques pouvant entrer dans le tableau clinique de la pathologie traitée ou encore relever d’un autre traitement médicamenteux concomitant surtout chez les patients atteints de maladies chroniques et polymédiqués. Conflit d’intérêts. Aucun. Abréviations. MICI : maladies inflammatoires chroniques de l’intestin ; PID : pneumopathie interstitielle diffuse ; TNF : tumor necrosis factor.

Références 1.

Camus P, Colby TV. The lung in inflammatory bowel disease. Eur Respir J 2000; 15: 5-10

2.

Perez-Alvarez R, Perez-de-Lis M, Diaz-Lagares C, et al. Interstitial lung disease induced or exacerbated by TNF-targeted therapies: analysis of 122 cases. Semin Arthritis Rheum 2011; 41: 256-64

3.

Moss AC, Peppercorn MA. The risks and the benefits of mesalazine as a treatment for ulcerative colitis. Expert Opin Drug Saf 2007; 6: 99-107

4.

Lamsiah T, Moudden K, Baaj M, et al. Interstitial pneumonia related to mesalamine. Gastroenterol Clin Biol 2010; 34: 224-6

5.

Kohli R, Melin-Aldana H, Sentongo TA. Mesalamine-induced pneumonitis during therapy for chronic inflammatory bowel disease: a pediatric case report. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2005; 41: 479-82

6.

Foster RA, Zander DS, Mergo PJ, et al. Mesalamine-related lung disease: clinical, radiographic, and pathologic manifestations. Inflamm Bowel Dis 2003; 9: 308-15

7.

Sossai P, Cappellato MG, Stefani S. Can a drug-induced pulmonary hypersensitivity reaction be dose-dependent? A case with mesalamine. Mt Sinai J Med 2001; 68: 389-95

8.

Caccaro R, Savarino E, D’Incà R, et al. Noninfectious interstitial lung disease during infliximab therapy: case report and literature review. World J Gastroenterol 2013; 19: 5377-80

Correspondance et offprints : Marine Auffret, Centre régional de pharmacovigilance, Service de pharmacologie, CHRU, Faculté de médecine, 1 place de Verdun, CS70001, 59037 Lille Cedex, France. E-mail : [email protected]

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