Archives de pédiatrie 14 (2007) 1202–1205 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/
Fait clinique
Polyglobulie de Vaquez et mutation JAK-2 chez l’enfant : à propos d’une observation Polycythemia vera and JAK-2 mutation in childhood: a case report O. Braconnier, F. Monpoux*, M. Affanetti, E. Bérard, N. Sirvent Unité d’hématologie, service de pédiatrie, hôpital de l’Archet-II, 151, route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 03, France Reçu le 14 novembre 2006 ; accepté le 27 juin 2007 Disponible sur internet le 10 août 2007
Résumé Les polyglobulies de l’enfant sont rares. La majorité d’entre elles sont secondaires à une pathologie cardiopulmonaire chronique ou à une anomalie de l’hémoglobine. Elles révèlent ou accompagnent parfois le diagnostic de tumeur du rein, du foie ou de la fosse postérieure. La maladie de Vaquez ou polyglobulie primitive, se révèle exceptionnellement dans l’enfance. Son diagnostic et sa classification reposaient jusqu’à présent sur un faisceau d’arguments cliniques et biologiques. La description de la mutation V617F de JAK-2, présente chez près de 90 % des adultes atteints, permet aujourd’hui un diagnostic sûr et précoce. Sa prise en charge thérapeutique repose sur l’association de saignées et d’un traitement cytoréducteur. Dans le cas des adultes jeunes et probablement pour les enfants atteints, l’interféron alpha constitue actuellement le traitement de choix de par son innocuité en termes de risque mutagène. Nous rapportons le premier cas français de polyglobulie primitive de Vaquez présentant une mutation V617F de JAK-2 chez une fillette de 10 ans. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Erythrocytosis is a rare disorder in childhood and is mainly secondary to causes such as long-term chronic cardiopulmonary diseases or haemoglobin dysfunction. In some cases, polycythaemia is found when renal, hepatic or cerebellar tumours are diagnosed. Polycythemia vera (PV) is uncommon in paediatrics and usually clinical and biological features are used to diagnose and classify PV. The V617F mutation of JAK-2 has been described recently and is found in almost 90% of adult patients with PV. This mutation allows now a reliable and early diagnosis. Therapeutic management is based on phlebotomy and cytoreductive therapy. In young adults and children, interferon alpha is theoretically superior as it is effective and there is no risk of inducing leukemia. We report here a case of PV in a 10-year-old girl with the V617F JAK-2 mutation. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Polyglobulie ; Maladie de Vaquez ; Syndrome myéloprolifératif ; Interféron
La polyglobulie primitive ou maladie de Vaquez (MV) est un syndrome myéloprolifératif chronique acquis décrit pour la première fois en 1892 [1]. Cette affection touche principalement l’adulte et les cas pédiatriques rapportés dans la littérature sont rares [2]. Chez les enfants, la majorité des polyglobulies sont secondaires.
* Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Monpoux).
Le diagnostic de maladie de Vaquez repose essentiellement sur des critères cliniques et biologiques édités par le Polycythaemia Vera Study Group en 1967 [1]. Récemment, la description de la mutation V617F de la molécule JAK-2 a été rapportée, chez l’adulte, comme présente dans plus de 80 % des cas de MV [3,4]. À ce jour, 1 seul cas pédiatrique de MV comportant la mutation de JAK-2 a été signalé dans la littérature [5]. Nous rapportons ici le premier cas français de polyglobulie primitive de Vaquez présentant la mutation V617F de JAK-2 chez une fillette de 10 ans.
0929-693X/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2007.06.020
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1. Observation Cette enfant était née à terme avec un poids de 2810 g d’un second mariage de son papa. Deux grands frères étaient en bonne santé. Il n’existait pas de pathologie hématologique familiale et il n’y avait pas d’antécédent personnel particulier en dehors d’un terrain atopique s’exprimant par des rhinobronchites à répétition. Elle était correctement vaccinée. Elle a été adressée en consultation pour une polyglobulie découverte sur un hémogramme réalisé en exploration de l’atopie. À l’admission, à 10 ans, elle pesait 38 kg (+2 DS) pour une taille de 143 cm (+1,8 DS), son examen était normal. Le bilan initial montrait : une hémoglobine à 18,4 g/dl (hématocrite : 52,8 %) pour 6,67 G/l de globules rouges ; les leucocytes, les plaquettes et la formule sanguine étaient normaux. L’ionogramme, les fonctions rénale et hépatique étaient normaux. La gazométrie était normale en dehors d’une carboxyhémoglobinémie à 1,7 % (N < 1,5 %) rapportée à un tabagisme passif et contrôlée ultérieurement à 0,9 %. L’α-fœtoprotéine, les LDH totales, la vitamine B12 et la ferritine étaient normales. L’électrophorèse de l’hémoglobine à la recherche d’une hémoglobine hyperaffine était normale de même que le dosage des enzymes érythrocytaires. La sérologie parvovirus B19 était positive de type « infection ancienne » (IgG positive, IgM négative). Le myélogramme était cytologiquement normal avec une population érythroïde évaluée à 24,5 %. Le caryotype médullaire était normal (46XX). La recherche de transcript de fusion bcr-abl n’a pas été réalisée compte tenu de la normalité des leucocytes. La radiographie du thorax, l’échographie hépatique et rénale ainsi que l’examen en résonance magnétique de la fosse postérieure étaient sans anomalie. L’érythropoïétine plasmatique était effondrée inférieure à 0,6 mU/ml (N : 2,6–18,5). La recherche d’une anomalie de JAK-2 en biologie moléculaire a mis en évidence une mutation V617F contrôlée à 2 reprises. Le diagnostic de polyglobulie de Vaquez a été retenu, et un traitement associant saignée (5 ml/kg) et interféron alpha-2a (Pegasys®) à la posologie de 2 μg/kg hebdomadaire a été mis en place.
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Tableau 1 Causes des polyglobulies familiales et secondaires Polyglobulies familiales EPO élevée Affinité de l'Hb augmentée pour O2 (p50 bas) Hb hyperaffine Déficit en 2,3-DPG Méthémoglobinémie Défaut du signal O2 (p50 normal) Mutation homozygote VHL (Chuvash) Autres mutations VHL EPO normale ou diminuée Mutations du récepteur à l'EPO Polyglobulies congénitales ou familiales primaires Polyglobulies secondaires Réponse physiologique appropriée à l'hypoxie Taux abaissé de paO2 Pathologie pulmonaire chronique Syndrome de Picwick (obésité–hypoventilation) Syndrome d'apnée du sommeil Altitude élevée Pathologies cardiaques cyanogènes Taux normal de paO2 Tabagisme Intoxication au CO Réponse physiologiquement inappropriée Tumeurs malignes Tumeurs rénales (carcinomes) Tumeur de Wilms (néphroblastome) Tumeurs hépatiques Fibrome utérin Hémangioblastome cérébelleux Myxome atrial Tumeurs bénignes rénales Polykystose rénale Hydronéphrose Sténose de l'artère rénale Polyglobulie posttransplantation rénale Pathologies endocriniennes Phéochromocytome Aldostéronisme primaire Syndrome de Bartter Syndrome de Cushing Administration d'hormones stimulant l'érythropoïèse Érythropoïétine exogène Androgènes
2. Discussion Les syndromes myéloprolifératifs constituent un groupe hétérogène d’hémopathies malignes chroniques acquises avec production excessive de cellules sanguines (granuleuses, érythrocytaires ou plaquettaires) par les précurseurs hématopoïétiques [1,3]. Il existe 4 syndromes distincts : la leucémie myéloïde chronique (LMC), la thrombocytémie essentielle (TE), la myélofibrose primitive ou splénomégalie myéloïde (MFP–SM) et la maladie de Vaquez [3]. Cette dernière est exceptionnelle chez l’enfant. Vodoff et al. en colligeaient 16 cas rapportés dans la littérature en 1996 [2]. La majorité des polyglobulies de l’enfant sont secondaires. Elles concernent principalement les pathologies chroniques cardiopulmonaires et certaines anomalies de l’hémoglobine. Enfin, la polyglobulie accompagne parfois ou révèle certaines affections tumorales, classiquement hépatiques, rénales, ou de la fosse postérieure (Tableau 1) [2].
Le diagnostic de MV repose actuellement sur les critères du Polycythaemia Vera Study Group créé en 1967 et se base sur un faisceau d’arguments cliniques (splénomégalie) et biologiques (élévation de la masse globulaire, thrombocytose, hyperleucocytose, clonalité hématopoïétique) diversement associés [6]. Aucun de ces éléments isolés ne permet à lui seul d’affirmer le diagnostic en l’absence de marqueur spécifique de la MV. L’origine clonale de la MV est connue depuis plusieurs années. Il s’agit d’une mutation somatique des cellules souches hématopoïétiques donnant lieu à la prolifération monoclonale des cellules communes aux lignées érythroïde, granuleuse, et mégacaryocytaire. En avril 2005, James et al. rapportaient l’existence d’une mutation clonale, V617F de JAK-2, présente chez plus de 80 % des patients atteints de MV [7]. La mise en évidence d’une perte de l’hétérozygotie des bras courts du
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● la MV expose enfin au risque de myélofibrose, de myélodysplasie et de leucémie aiguë.
Fig. 1. Mécanismes de transduction de signal du complexe JAK–STAT en réponse à l’érythropoïétine [3].
chromosome 9 chez environ 30 % des patients avait conduit ces auteurs à s’intéresser à cette région génomique. JAK-2 est une tyrosine kinase liée au récepteur à l’EPO qui intervient dans sa voie de signalisation intracellulaire. La fixation de l’EPO sur son récepteur induit l’activation de JAK-2, ce dernier par l’intermédiaire de STAT, intervient en activant ou réprimant la transcription de gènes responsables de la croissance de composants hématopoïétiques (Fig. 1). La mutation V617F de JAK-2, présente dans son domaine auto-inhibiteur JH-2, conduit à une activation permanente de ce système [7– 10]. Dès lors, un phénomène de rétrocontrôle négatif inhibe la production rénale d’EPO. Cela explique le taux sérique d’EPO diminué dans la MV [3]. La MV expose à 3 types de complications [1,2] : ● les phénomènes thromboemboliques pouvant s’exprimer sous forme d’accidents vasculaires cérébraux, mésentériques ou de thromboses des gros troncs artériels, ou veineux ; ● les accidents hémorragiques menacent également les patients atteints de MV ;
Ce risque est estimé à 1 à 2 % selon les études, cependant il semble actuellement admis que la prévalence de ces dernières complications ait été surestimée du fait de l’utilisation, dans les stratégies adoptées pour contrôler l’hématocrite, de traitements à potentiel leucémogène (irradiation, phosphore 32, et possiblement l’hydroxycarbamide) [1,6]. La prise en charge thérapeutique de la MV chez l’adulte repose actuellement principalement sur la saignée recommandée dans le but de maintenir un hématocrite inférieur à 45 % [6]. Un traitement médicamenteux peut être adjoint ou substitué aux saignées en cas d’intolérance, d’inefficacité ou de progression de la maladie. Chez les patients de moins de 40 ans, il repose principalement sur l’utilisation de l’interféron alpha, d’hydroxycarbamide ou d’anagrélide en cas d’échec. Le traitement associant saignées et interféron alpha pégylé (pegIFN) semble le plus logique chez les patients jeunes. Nous avons adopté cette stratégie pour notre jeune patiente en l’absence de recommandations pédiatriques spécifiques. Les saignées permettent une réduction de la masse globulaire, de l’hématocrite et des risques de thrombose. L’interféron alpha du fait de ses propriétés antiprolifératives agit à la fois sur les progéniteurs multipotents et érythroblastiques. Il n’est pas mutagène contrairement à d’autres molécules utilisées (hydroxycarbamide, pipobroman, busulphan) [1,3,6]. Les résultats rapportés par Kiladjian et al. sur une série de 40 patients adultes atteints de MV (27 évaluables) et traités par pegIFN montrent une réduction significative du pourcentage de cellules exprimant la mutation V617F de JAK-2 chez 89 % des patients passant de 49 ± 25 % à 27 ± 17 % après une médiane de 13 mois de traitement. Aucun effet de plateau n’est constaté laissant augurer la possibilité de négativer le test biologique comme observé chez un patient après 12 mois de traitement [11]. L’induction d’une rémission complète en biologie moléculaire, comme dans le cas des leucémies myéloïdes chroniques traitées par l’imatinib, est un objectif envisageable dans ce type d’affection clonale. Des progrès substantiels ont été réalisés ces dernières années dans le diagnostic et le traitement de la MV chez l’adulte. Bien que très rarement rapporté en pédiatrie, nous pensons que la prise en charge de ce syndrome myéloprolifératif doit désormais tenir compte des avancées diagnostiques et de stratégies thérapeutiques acquises chez l’adulte. Références [1] Spivak JL. Polycythemia vera: myths, mechanisms, and management. Blood 2002;100:4272–90. [2] Vodoff MV, Nelken B, Vic P, et al. Traitement par hydroxyurée d’une polyglobulie primitive chez un enfant de 11 ans. Arch Pediatr 1996;3: 870–3. [3] Schafer AI. Molecular basis of the diagnosis and treatment of polycythemia vera and essential thrombocythemia. Blood 2006;107:4214–22.
O. Braconnier et al. / Archives de pédiatrie 14 (2007) 1202–1205 [4] [5]
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