Pour un hôpital encore plus humain : l’expérience de médecins médiateurs

Pour un hôpital encore plus humain : l’expérience de médecins médiateurs

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Me´ decine le´ gale/Droit Mise au point Presse Med. 2013; 42: 389–394...

169KB Sizes 0 Downloads 106 Views

en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Me´ decine le´ gale/Droit

Mise au point

Presse Med. 2013; 42: 389–394 ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Pour un hôpital encore plus humain : l’expérience de médecins médiateurs Marc Decoulx, Philippe Scherpereel

Faculté de médecine de Lille, centre hospitalier régional universitaire de Lille, service de médiation médicale, 59037 Lille cedex, France

Correspondance : Philippe Scherpereel, centre hospitalier universitaire de Lille, 2, avenue OscarLambret, 59000 Lille, France. [email protected]

Key points For a more humane hospital: Experience of medical mediators The legislation on patient’s rights has considerably evolved during these last ten years. Its appropriation by users and its perception by care providers occur progressively. An important gap appears between the progresses of the medical sciences and techniques and the humane approach of the patient. The complaints remain relatively scarce compared to the number of treated patients. More frequent are the complaints linked to the care management, to the communication and humane relations. The hospital has to day with the CRUQ a permanent structure of relation with users. Medical mediation allows to listen to, explain, advise impartially patients and families. Its main goal is not to avoid litigation with the hospital but to improve the quality of care and the risk prevention. With this objective, it is necessary to develop a patientcentered care and to modify the behaviors toward a more humane relation.

tome 42 > n84 > avril 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.06.009

Points essentiels La législation sur les droits des patients a considérablement évolué au cours de ces dix dernières années. Son appropriation par les usagers et sa perception par les soignants ne s’opère que progressivement. Un décalage important se creuse entre les progrès des sciences et techniques médicales et l’approche humaine du patient. Les plaintes demeurent relativement rares par rapport au nombre de patients soignés. Celles qui reviennent le plus souvent ont trait à l’organisation et à la délivrance des soins, à la communication et aux relations humaines. L’institution hospitalière dispose désormais avec la CRUQ d’une structure permanente des relations avec les usagers. La médiation médicale permet d’écouter, d’expliquer, de conseiller de façon impartiale patients et familles. Son objectif primordial n’est pas d’éviter des conséquences judiciaires pour l’hôpital mais d’améliorer la qualité des soins et la prévention des risques. Pour ce faire, il faut remettre le patient au coeur des soins et changer les comportements vers une relation plus humaine.

389

Disponible sur internet le : 21 août 2012

M Decoulx, P Scherpereel

D

eux articles parus récemment dans le British Medical Journal [1,2], précédés d’un éditorial [3] soulignant leur importance, explicitent sur un mode parfois humoristique des dysfonctionnements auxquels notre pratique de médecins médiateurs hospitaliers (MMH) nous a malheureusement habitués. La parole est rarement donnée aux patients dans la presse médicale, mais lorsqu’ils la prennent, elle révèle une face cachée de l’institution hospitalière dont les soignants n’ont souvent même pas conscience. Les portraits croisés d’une patiente Anglaise du National Health Service (NHS) et d’un patient français, en hospitalisation privée, soulignent de façon étonnante les mêmes travers qui laissent à penser que ces dysfonctionnements sont probablement universels. Sur la base de 182 médiations en dix ans, les deux médecins médiateurs du centre hospitalier regional universitaire (CHRU) de Lille, trouvent une très grande similitude dans les plaintes reçues et ayant fait l’objet d’une médiation. Ces plaintes remontées au niveau des médiateurs ne représentent qu’un petit nombre de celles exprimées par les patients et/ou leurs familles, la plupart étant réglées au niveau des services par les médecins, les cadres de santé ou les correspondants juridiques des établissements. D’autres sources d’information existent, en particulier l’analyse des questionnaires de satisfaction remis aux patients lors de leur sortie [4] et des réunions de représentants d’usagers lors de jurys citoyens. Depuis une dizaine d’années, la législation des droits du patient a considérablement évolué mais ce n’est que très progressivement que les patients s’approprient ces nouveaux droits et plus lentement encore que les professionnels de santé renoncent à leurs anciennes prérogatives. Il existe une évolution des mentalités dont les principaux marqueurs sont moins l’accroissement du nombre des médiations, qui reste assez stable ces dernières années, que l’augmentation des demandes de communication des dossiers des patients. Un fossé semble se creuser chaque jour davantage entre les progrès considérables de la science et des techniques médicales et une approche humaniste du patient et de ses proches qui n’a pas suivi voire même aurait régressé, sous couvert d’une organisation plus rationnelle et de soins plus sophistiqués. Les plaintes demeurent cependant rares et la qualité des soins et des relations avec les médecins et les soignants est plus souvent soulignée que les dysfonctionnements rencontrés. Les considérations qui suivent proviennent d’une pratique en CHU. Il est vraisemblable que certains types de dysfonctionnement, liés à la taille de l’hôpital, ne se rencontrent pas ou sous un jour différent dans des établissements plus petits ou dans un contexte de pratique privée.

Plaintes des patients et de leurs proches Fréquence des plaintes

390

La mesure de la satisfaction des patients devrait être reconnue comme l’indicateur de suivi le plus significatif de la qualité des

soins. Les établissements s’efforcent d’effectuer cette mesure mais la diversité des approches actuelles témoigne du manque de fiabilité de ces mesures. De nombreux index apparaissent dans la procédure de certification, d’autres plus contestés dans les classements des établissements effectués périodiquement dans la presse. L’enquête SAPHORA est obligatoire dans tous les établissements hospitaliers, chaque année, à partir de 2012, se substituant aux enquêtes de satisfaction effectuées à titre individuel par les établissements. Au CHRU de Lille, qui a réalisé 1 338 568 consultations externes en 2011 et reçu 124 791 patients en hospitalisation, le nombre de plaintes est de 209 et le nombre de médiations médicales de 24. Ces résultats sont d’une grande stabilité d’une année sur l’autre. L’enquête SAPHORA 2011 révèle un taux de satisfaction global de 86,7 %, montant à 90,4 % pour l’attitude du personnel soignant, baissant à 59,2 % pour l’information au patient et à 46,2 % pour la restauration. Le rapport annuel de la CRUQ reprend ces données chiffrées et permet, jointes à la synthèse informatisée des différentes vigilances effectuée par Vigilink, d’aller plus avant dans la typologie des plaintes.

Typologie des plaintes Les principaux motifs de plainte peuvent être regroupés en cinq catégories selon qu’elles ont trait à l’organisation, à l’environnement, à la qualité des soins et de la prise en charge, à l’information et aux relations humaines. Il existe un contraste saisissant entre la perception des interventions, jugées le plus souvent satisfaisantes, voire excellentes, du point de vue technique et le manque de civilité, de communication et de compassion au plan relationnel. Le manque de qualité des soins peut concerner l’organisation ou la délivrance des soins. L’organisation de la prise en charge peut être défaillante à chacune de ses étapes. La réalisation de chemins cliniques est souvent très instructive, révélant des dysfonctionnements ignorés par la force de l’habitude. Les habitudes sont souvent ancrées dans les comportements et ne posent même plus question. Certaines sont aberrantes, mais jamais remises en cause, d’autres sont le fruit de protocoles rigides et inadaptés, mais ayant force de loi et appliqués sans discernement. Dans ce dernier cas, les soignants opposent leur bonne foi à ce qu’ils considèrent comme une règle de bonne pratique qu’ils n’ont fait qu’appliquer. Le défaut d’organisation des soins est structurel, alors que leur délivrance est davantage du domaine de la responsabilité individuelle. Les erreurs, fautes, omissions ou négligences sont souvent vénielles mais constituent cependant des risques susceptibles de conduire à des accidents avec des conséquences plus ou moins délétères pour le patient. Lorsque le préjudice est important, il expose à des suites juridiques, alors qu’il reste au niveau de la réclamation ou de la médiation, s’il est mineur. Tout le parcours de soins peut comporter des défauts d’organisation, jusque et y compris la sortie de l’hôpital. L’absence ou tome 42 > n84 > avril 2013

Pour un hôpital encore plus humain : l’expérience de médecins médiateurs

tome 42 > n84 > avril 2013

surgir avant même l’entrée à l’hôpital : problèmes pour obtenir un rendez-vous, pour joindre un médecin ou un secrétariat au téléphone, pour trouver une place de stationnement, pour se diriger dans des bâtiments inconnus et souvent gigantesques avec une signalétique inadaptée. L’accueil impersonnel, purement administratif, parfois tatillon ou focalisé sur des problèmes d’argent ou de prise en charge, n’est pas toujours propice à la sérénité. Des attentes interminables et éprouvantes aux guichets, aux urgences, aux consultations sont parfois rébarbatives et mal vécues. Des tentatives ont été faites pour limiter des attentes injustifiées par l’attribution de rendez-vous échelonnés, mais le non-respect des horaires engendre encore plus de frustrations et de colères. Démarrées sur de telles bases, les relations prennent rapidement un tour agressif, allant jusqu’au départ des patients ou le refus de prise en charge par les soignants. L’indifférence est plus fréquemment pointée que l’agressivité. « Personne ne m’écoute, personne ne semble faire attention à moi ». Ceci est d’autant plus mal compris et ressenti que de très nombreuses personnes, médecins, internes, étudiants, infirmières, aides soignantes s’agitent dans son environnement. L’équipe semble perpétuellement autre part, s’activant à d’autres tâches qui sont mises en avant lorsque le patient essaie d’attirer l’attention. « Si vous pensez que l’on a qu’à s’occuper de vous ». On peut considérer que dans les cas les plus douloureux il s’agit d’une forme de protection des soignants qui ne peuvent pas sans danger s’investir affectivement dans la détresse des patients et des familles. Sans aller jusque là, un minimum d’empathie peut exister pour que le patient et ses proches se sentent compris et soutenus. Plus la situation est grave, plus grand est le besoin de compassion, surtout quand il s’agit d’enfants, d’affections malignes ou de fin de vie. Sans même que le soignant en ait conscience, il y a des mots qui blessent. Les manques ou défauts de communication sont souvent pointés du fait de la difficulté de rencontrer un médecin, d’obtenir des informations compréhensibles et concordantes. L’intervention de plusieurs interlocuteurs conduit souvent à des avis divergents ou contradictoires qui amènent les proches à penser qu’on ne leur dit pas la vérité ou que les médecins veulent cacher quelque chose. Le plus souvent l’origine est une connaissance incomplète du dossier ou une perception différente de l’état du patient certains étant davantage portés à l’optimisme ou au pessimisme. La difficulté de porter un pronostic et l’inaptitude à annoncer convenablement une mauvaise nouvelle rend plus difficile encore le dialogue. La mort est le moment de tous les dangers du point de vue relationnel. La crise se dénoue et tous les griefs remontent à la surface. Le décès cristallise les rancoeurs et les agacements accumulés par les proches. La souffrance de la séparation d’un être cher n’est pas le moment le plus opportun pour la prise de décisions, pour la réalisation de formalités administratives.

391

l’insuffisance de transmission d’informations au médecin praticien ou à l’infirmière de ville, des retards importants de courrier, sont inacceptables et comportent des risques lorsque des examens complémentaires doivent être réalisés, des traitements poursuivis ou mis en oeuvre. La qualité de l’environnement s’est notablement améliorée au cours de ces dernières années avec la rénovation et l’humanisation de nombreux hôpitaux, offrant un pourcentage croissant de chambres individuelles, dotées de sanitaires et d’un mobilier plus adapté. Cependant une chambre d’hôpital reste souvent impersonnelle, le lit peu confortable, le mécanisme parfois hors d’usage, le cordon de sonnette inaccessible, la télévision en panne. . . Des sujets de plainte très fréquents sont le bruit et la lumière, surtout au cours de la nuit. Le bruit peut être produit par des voisins agités mais aussi souvent par un personnel soignant peu soucieux de la quiétude et du repos des patients. Une des revendications essentielles des patients et de leur famille est un droit à la plus élémentaire dignité. Certaines situations choquantes sont dénoncées telles qu’une nudité ou un habillement inapproprié, la réalisation d’examens dans des postures humiliantes au vu de tous, un manque d’intimité dégradant pour les soins ou en cas d’agonie. Le non respect de la confidentialité est également incriminé devant des dossiers médicaux à la portée de n’importe qui. Les progrès relatifs obtenus dans la qualité des repas restent encore insuffisants, seuls 46 % des patients se déclarant satisfaits et se heurtent souvent à des cas particuliers : malades partis en examens complémentaires dont le repas aura été renvoyé en cuisine ou est impossible à réchauffer, patients âgés ou handicapés, incapables de se nourrir par eux-mêmes. . . On est le plus souvent dans le domaine de l’inconfort, mais parfois, dans le cas d’un diabétique par exemple, ce défaut d’organisation peut être source de dangers significatifs pour le patient. L’information entre les différents professionnels de santé et l’information du patient et de sa famille sont un élément crucial de la qualité des soins. L’informatisation ne règle pas tous les problèmes. La transmission orale et écrite entre médecins et infirmières, chirurgiens et anesthésistes, laboratoires et services cliniques est vitale à la fois pour le fonctionnement de l’hôpital et la sécurité de chaque patient. Des résultats qui se perdent, des rendez-vous de consultation qui ne sont pas pris, ont pu constituer des motifs de plainte lorsque ce défaut de suivi est interprété comme une perte de chance en cas d’évolution défavorable. La cause la plus fréquente de plainte est le plus souvent le défaut de la relation humaine, qu’elle soit au premier plan de la réclamation, ou sous jacente à l’ensemble du mécontentement exprimé. Cependant, l’immense majorité des griefs concernent des « petits-riens » survenant chez des personnes inquiètes, voire anxieuses. Ce qui aurait pu n’être qu’un simple désagrément passager peut, du fait du contexte ou de la répétition, prendre des proportions considérables. Les difficultés peuvent

Mise au point

Me´ decine le´ gale/Droit

M Decoulx, P Scherpereel

Même si un grand soin est apporté à la prise en charge de cette période cruciale, tout peut être interprété par la famille en détresse comme une offense supplémentaire. La phraséologie actuelle est de considérer qu’il faut que les proches puissent « faire leur deuil ». Si cette locution n’était pas si galvaudée, elle mériterait toute l’attention des soignants, sans qu’il soit nécessaire pour cela d’avoir recours à un psychologue. Un comportement humain et empathique est nécessaire et souvent suffisant. Les circonstances du décès, les soins apportés au corps du défunt, le transport à la morgue font également l’objet d’un certain nombre de plaintes de la part de familles déboussolées et éprouvées par le deuil. Une réflexion approfondie sur le déroulement des suites du décès à l’hôpital doit être menée afin de minimiser autant que possible le traumatisme de la séparation, en évitant tracasseries administratives, incompréhensions et maladresses verbales.

Typologie des plaignants Le développement des connaissances et des techniques des équipes soignantes s’est accompagné chez de nombreux usagers d’un niveau élevé de connaissances médicales acquises au niveau des média, en particulier d’internet. Leur plainte repose alors sur une argumentation plus ou moins convenablement étayée selon leurs sources et leur compréhension, qui peut devenir un motif d’irritation pour les médecins et les soignants, qui se sentent contestés dans leur savoir : « je suis médecin, j’ai fait dix ans d’études, vous n’allez pas m’apprendre mon métier ». À l’inverse, ce surcroît de connaissances peut constituer une occasion d’amorcer un dialogue et d’apporter des explications plus pertinentes à un interlocuteur déjà sensibilisé au problème. Il peut être objecté que ces mauvaises conditions d’accueil concernent un nombre d’usagers beaucoup plus large que celui des plaignants. La tentation est donc de mettre au compte du caractère des plaignants l’origine de la plainte : ce n’est pas n’importe quelle personne qui se plaint. On met en avant tantôt le mauvais caractère de l’individu, tantôt la propension revendicative de certaines professions, quand ce n’est pas l’appartenance ethnique. Le patient et sa famille sont moins enclins à chercher des motifs d’indulgence, confrontés à un désarroi face à une situation difficile ou à une anxiété légitime face à la maladie. Certaines situations particulières justifient parfois une sensibilité exacerbée notamment chez des parents d’enfants handicapés, confrontés en permanence, souvent depuis des années, à des problèmes qu’ils connaissent mieux que des soignants peu habitués à ce type de prise en charge.

Causes des dysfonctionnements à l’origine des plaintes

392

Le constat de ces multiples défauts conduit naturellement à s’interroger sur leurs causes. Comme dans toute analyse de risques, il y a des facteurs patents et des facteurs latents qui

s’interpénètrent et qui conduisent à l’accident en l’absence de barrières de défense ultimes [5]. Les facteurs patents ont un lien direct de causalité, erreur, négligence, omission, faute qui impliquent généralement directement un individu. La tentation, pour les plaignants comme pour la hiérarchie, est d’incriminer nommément la personne qu’ils estiment responsable. Il est fréquent au cours d’une médiation que le plaignant s’en prenne à une personne précise qu’il accuse des faits reprochés et demande qu’elle soit sanctionnée. L’attitude de l’équipe soignante est habituellement davantage solidaire principalement pour défendre le membre du groupe attaqué. Il n’est pas rare non plus que le motif avancé pour la plainte soit le souhait d’attirer l’attention sur un problème afin qu’il soit corrigé, qu’il ne se reproduise plus et que d’autres patients n’en soient pas victimes. Ces préoccupations altruistes affichées facilitent généralement la médiation dont la finalité va dans le même sens. Les facteurs latents sont considérés actuellement comme primordiaux car c’est de leur pérennisation que vient la persistance du risque. Autant les erreurs humaines, impliquant les individus, sont impossibles à faire disparaître totalement, autant il est possible d’agir sur les facteurs latents, relevant de l’institution, qui constituent des objectifs d’amélioration. L’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) a mis cependant très longtemps à s’introduire à l’hôpital, comparé à l’industrie et l’on constate une grande résistance des établissements de santé à apprendre de ses erreurs et à changer [6]. La première excuse qui vient à la bouche des soignants est le manque de moyens matériels et humains. Cette excuse est parfois partagée par les plaignants sans qu’elle exonère les personnes visées de leur responsabilité. Les nombreuses fermetures de lits, les réductions de personnel sont une réalité mais on peut espérer que de telles décisions ne sont pas prises de parti pris au détriment de la qualité et de la sécurité des soins. Le caractère délétère de telles mesures peut se révéler à l’occasion de circonstances intercurrentes telles qu’une période de vacances, d’arrêts maladies, d’un afflux inattendu de malades. Cette pression économique peut se conjuguer avec une pression de production liée au manque de temps ou à des objectifs de rentabilité. Le manque de temps est en relation avec des restrictions de personnel mais aussi de diminution du temps de travail sans compensation d’effectifs. Les horaires à flux tendu du personnel ont conduit à supprimer les transmissions orales que n’ont pas complètement remplacées les liaisons écrites et les prescriptions ciblées. Ces passages de témoin dans des créneaux étroits ont certainement augmenté la tension sur les horaires et le stress au travail. Cette situation de stress des soignants est parfois aggravée par un comportement incivil, voire agressif des patients et ou des familles, allant de simples violences verbales à des agressions physiques, notamment aux urgences. L’explication du manque de communication et d’humanité débouche souvent sur un manque de formation, mais est-ce tome 42 > n84 > avril 2013

Pour un hôpital encore plus humain : l’expérience de médecins médiateurs

tome 42 > n84 > avril 2013

l’incompréhension ou au déni. La compétence et la bonne volonté ne suffisent pas et l’on peut se trouver en situation d’échec en ayant épuisé toutes les explications et toute la compassion possible. L’évolution actuelle de la société est également un élément déterminant plus général. Les conflits à l’hôpital, comme dans l’ensemble de la société, sont normaux, mais notre société ne les accepte plus. Les incivilités, ayant tendance à se banaliser, se multiplient et le rôle de « soupape de sécurité » que des conflits entre personnes pouvaient jouer est peu à peu remplacé par l’acceptation résignée d’un laxisme généralisé et d’une dilution des responsabilités. Il y a eu le politiquement correct, il y a le socialement correct et il y aura l’humainement correct. Le langage courant a édulcoré, souvent sous forme de périphrases, les mots jugés trop crus pour signifier un handicap : on ne dit plus un aveugle, mais un malvoyant, un sourd, mais un malentendant, un handicapé, mais une personne à mobilité réduite. Cette pudeur des mots traduit davantage une volonté de masquer les réalités que de véritablement humaniser les relations dans la société. Les conflits, qui sont inhérents à la nature humaine, ont changé de cible et des faits, ils ont migré vers le relationnel, la communication. C’est à rétablir la compréhension que le plus souvent il faudra agir pour apaiser les conflits et c’est là qu’intervient la médiation.

Médiation et médecins médiateurs Face à ces multiples problèmes de la vie quotidienne à l’hôpital, une procédure de conciliation fut proposée, d’abord sur un mode relativement informel il y a quelques années, plus récemment remplacée par la médiation, impliquant des médiateurs médicaux et non médicaux. La Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC) fut instaurée par la Loi du 4mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (dite Loi Kouchner), reprise par l’article L.1112-3 du code de la santé publique. Des dispositions réglementaires précisent le fonctionnement de la CRUQPC aux articles R.1112-79 et suivants du code de la santé publique. Les médecins médiateurs sont des praticiens expérimentés, pratiquant dans l’établissement ou retraités, non rémunérés pour cette fonction, ce qui assure leur indépendance et leur impartialité. Leur rôle est en premier lieu une écoute des plaignants afin de pouvoir leur apporter des informations, des explications et le cas échéant de les conseiller. Ils doivent pour cela avoir une bonne connaissance du dossier, ce qui implique habituellement d’avoir rencontré au préalable l’équipe soignante et de disposer de tous les éléments d’information nécessaires. L’accord du patient ou de ses ayant droits est sollicité pour que le médecin médiateur ait accès au dossier médical du patient. Cette connaissance du dossier nous semble très souhaitable à la compréhension du problème soulevé mais en aucune manière le médiateur ne doit se

393

bien un problème de formation ou d’éducation ? Est-il encore temps chez des adultes de corriger des incivilités, un manque de politesse élémentaire qui n’a pas été acquis dans l’enfance ? Frapper à une porte avant d’entrer, dire bonjour, se présenter, faire un sourire n’est sans doute pas inné mais ne s’apprends pas aux cours. Il y a un mimétisme parental, mais il y a aussi un mimétisme à l’intérieur d’un service, d’une équipe. Si le chef de service et le cadre de santé ne donnent pas un exemple d’humanité, il y a peu de chance que les médecins et les infirmières dérogent à la règle. S’il est impossible de rencontrer le chef de service, les subalternes se sentiront aussi le droit d’être inaccessibles. Un des écueils que rencontrent fréquemment les patients et leur famille est d’être renvoyé de l’un à l’autre pour obtenir des informations. Il s’en suit soit une impression de rejet si chacun se renvoie la balle, soit une incompréhension de la situation si les informations données sont contradictoires. Le sentiment que les médecins cherchent à cacher la vérité apparaît et la défiance s’instaure. Les fréquentes rotations de personnel dans les grands établissements rendent difficile la désignation d’un interlocuteur unique, d’un médecin référent reconnu comme le responsable de la prise en charge du patient. Le cloisonnement des structures, le partage des tâches aboutit souvent à un manque de coordination des soins. Enfin, la difficulté à obtenir le dossier médical du patient est fréquemment évoquée. Ces difficultés tiennent d’une part à une méconnaissance de la procédure administrative à respecter, mais aussi d’une résistance, voire d’une répugnance, des médecins à le communiquer. Ces retards alimentent la défiance faisant évoquer un usage abusif du secret médical pour cacher des fautes ou des erreurs. Une autre cause à l’origine de plaintes est l’état de vulnérabilité des patients et de leur familles. C’est une donnée que l’on ne peut pas changer mais dont il faut que les soignants tiennent compte afin d’adapter leur comportement. Les circonstances sont très diverses. De la série des médiations analysées, il ressort que le grand âge et la dépendance ont posé problèmes. Est-ce pour se défausser d’une certaine culpabilité d’avoir abandonné à l’hôpital la prise en charge de leurs vieux parents, certains enfants de personnes âgées dépendantes ont des exigences irréalistes face à la lourdeur des soins, à l’absence de communication possible en cas de troubles cognitifs graves, allant jusqu’à parler de maltraitance sans aucune justification. Les parents d’enfants handicapés aux prises durant des années avec une charge de soins très lourde ne supportent pas que des soignants n’aient pas la même patience et la même connaissance qu’eux-mêmes du comportement de leur enfant. La survenue brutale d’un décès chez un enfant à l’issue de l’évolution foudroyante d’une affection maligne suscite l’incompréhension et un sentiment d’injustice qui rendent difficile les relations entre les soignants et une famille dévastée par le malheur. Toute décision médicale même justifiée n’est pas acceptée, toute tentative d’explication se heurte à

Mise au point

Me´ decine le´ gale/Droit

M Decoulx, P Scherpereel

comporter en expert ni formuler le moindre jugement de valeur sur les faits. Au décours de l’entretien de médiation, que la plupart des médiateurs conçoivent comme un colloque singulier, le médiateur rédige un rapport qu’il peut faire valider par le plaignant et le responsable de l’équipe soignante pour éviter toute erreur dans les données et leur interprétation, ce qui a pour avantage de prévenir toute contestation ultérieure. Le rapport est alors soumis à la CRUQPC où siègent des représentants des usagers et dans certains établissements, comme au CHRU de Lille, le directeur des affaires juridiques. La commission analyse le rapport et formule une conclusion qui est transmise au plaignant et à l’équipe soignante concernée. D’éventuelles recommandations, soit ponctuelles, soit de portée plus générale, sont formulées avec un suivi qui doit être assuré. L’activité de la CRUQPC fait l’objet d’un rapport annuel aux instances hospitalières et à l’Agence régionale de santé (ARS).

Vers un soin centré sur le patient L’évolution des droits des patients vers plus d’information, le consentement éclairé, la libre disposition de son corps, l’implication des usagers dans le fonctionnement et le contrôle des établissements de santé, font partie de ce que l’on appelle la « démocratie sanitaire » et impliquent, en corollaire, que les soins que le malade reçoit soient centrés sur sa santé, son bien être, sa dignité, plutôt que vers le fonctionnement de l’institution médicale productrice de soins. Le système de soins ne nécessite pas seulement d’être amélioré mais il doit être transformé [7]. Cette transformation implique un véritable changement culturel qui repose sur cinq concepts : la transparence dans tout ce que l’on fait, la création d’équipes multidisciplinaires travaillant sur des plateformes de soins intégrés, une implication du patient en tant que partenaire dans tous les aspects de la santé, une satisfaction des soignants au travail et une redéfinition de la formation médicale afin de préparer les futurs médecins à agir dans ce nouvel environnement.

La médiation s’inscrit clairement dans la droite ligne de l’expression des droits du patient et de leur défense. Elle n’a pas pour vocation première de protéger l’hôpital contre d’éventuels recours. La possibilité d’éviter des suites juridiques ne peut être que la conséquence de la satisfaction du patient ou de sa famille. La finalité essentielle de la médiation est l’amélioration de la qualité des soins et de la gestion des risques. Il importe d’assurer aux patients des soins de qualité, en toute sécurité et en respectant sa dignité et ses droits. Les situations décrites sont loin de refléter la pratique hospitalière courante. Ces travers restent très heureusement l’exception, les écarts de quelques individus ne devant pas occulter les bonnes pratiques qui prévalent très généralement, en particulier dans un établissement reconnu par les enquêtes pour son excellence. Une des finalités de la médiation est d’améliorer la qualité des soins et de réduire les risques rejoignant en cela l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) qui fait désormais partie du développement professionnel continu (DPC) des médecins. À ce titre, elle ne doit pas être considérée par les professionnels comme une action susceptible de les sanctionner mais comme un outil d’amélioration de la qualité de leur pratique. Cela suppose de remettre le patient au coeur des soins, d’adapter l’hôpital à cette fonction et de changer les comportements des soignants vers une relation plus humaine. Il est temps de le faire [8] et cela repose en partie sur un renforcement de l’éducation et de l’apprentissage des étudiants et des internes à la communication et à la relation humaine [9]. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Remerciements : Les auteurs remercient Monsieur Paul Barincou, Directeur des Affaires Juridiques du CHRU de Lille, pour la lecture de ce texte et ses conseils avisés.

Références [1]

[2] [3]

394

[4]

Mc Cullough M. An ethicist’s journey as a patient: are we sliding down the slippery slope to sloppy healthcare. BMJ Qual Saf 2011;20:983-5. Vilette M. For want of a four-cent pull chain. BMJ Qual Saf 2011;20:986-90. Levinson W, Shojania KG. Bad experiences in the hospital: the stories keep coming. BMJ Qual Saf 2011;20:911-3. Isaac T, Zaslavsky AM, Cleary PD et al. The relationship between patients’ perception of

[5] [6]

care and measures of hospital quality and safety. Health Serv Res 2010;45:1024-40; Levinson W. Patient-centred communication: a sophisticated procedure. BMJ Qual Saf 2011;20:823-5. Reason J. Human error. Cambridge University Press 1990. Tucker A, Edmondson A. Why hospitals don’t learn from failures: organizational and psychological dynamics that inhibit system change. Calif Manag Rev 2003;45:1-18.

[7]

[8]

[9]

Leape L, Berwick D, Clancy C et al. Transforming healthcare: a safety imperative. Qual Saf Health Care 2009;18:424-8. Levinson W, Pizzo PA. Patient-physician communication: it’s about time. JAMA 2011;305:1802-3. Levinson W, Lesser CS, Epstein RM. Developing physician communication skills for patient-centred care. Health Aff (Millwood) 2010;29:1310-8.

tome 42 > n84 > avril 2013