Pré-éclampsie et paralysie faciale périphérique idiopathique

Pré-éclampsie et paralysie faciale périphérique idiopathique

Gynécologie Obstétrique & Fertilité 39 (2011) e31–e33 CAS CLINIQUE Pré-éclampsie et paralysie faciale périphérique idiopathique Pre-eclampsia and fa...

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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 39 (2011) e31–e33

CAS CLINIQUE

Pré-éclampsie et paralysie faciale périphérique idiopathique Pre-eclampsia and facial paralysis N. Mathieu a,*,b, J.-F. Ledigabel a a

Service de gynécologie-obstétrique, hôpital Jacques-Monod, centre hospitalier du Havre, 29, avenue Pierre-Mendès, 76290 Montivilliers, France b Clinique gynécologique et obstétricale, hôpital Charles-Nicolle, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76000 Rouen, France Reçu le 23 mai 2009 ; accepté le 10 mars 2010 Disponible sur Internet le 2 février 2011

Résumé Nous rapportons le cas d’une patiente présentant une pré-éclampsie et ayant développé dans le post-partum une paralysie faciale périphérique idiopathique et un HELLP syndrome. L’évolution a été rapidement favorable avec un traitement associant un anti-hypertenseur, une corticothérapie et une prise en charge ophtalmologique. Il existe une association entre prééclampsie et paralysie faciale périphérique idiopathique au cours de la grossesse. Celle-ci s’explique par des mécanismes physiopathologiques proches. La paralysie faciale apparaît le plus souvent au cours du troisième trimestre de grossesse ou dans le post-partum précoce. Le pronostic est globalement bon et ne semble pas être influencé par la grossesse. La survenue d’une paralysie faciale périphérique en cours de grossesse doit inciter l’obstétricien à rechercher une pré-éclampsie. ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract We describe here the case of a patient affected with pre-eclampsia and who had ididiopathic facial palsy and HELLP syndrome during the puerperium. It developed favourably with a treatment associated with an antihypertensive medicine, corticoid therapy and ophtalmological care. There is an association between pre-eclampsia and idiopathic facial palsy during pregnancy. This can be explained by identical physiopathological mechanisms. Facial palsy generally appears in the course of the third trimester of pregnancy or during the early puerperium. The prognosis is usually good and does not seem to be influenced by pregnancy. When idiopathic facial palsy appears during pregnancy, evidence of pre-eclampsia must be looked for. ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Mots clés : Grossesse ; Pré-éclampsie ; Paralysie faciale périphérique Keywords: Pregnancy; Pre-eclampsia; Facial paralysis

1. INTRODUCTION La paralysie faciale périphérique idiopathique (PFPI) est une affection fréquente dont l’association à la grossesse a été décrite pour la première fois par Charles Bell en 1830 [1].

* Auteur correspondant. 30, place des Carmes, 76000 Rouen, France. Adresse e-mail : [email protected] (N. Mathieu).

La PFP se distingue de la paralysie faciale centrale, où les signes prédominent sur le territoire inférieur, avec dissociation automatico-volontaire et présence d’autres signes centraux. Sa présentation clinique est la même en dehors et au cours de la grossesse [1] : perte du tonus facial homolatéral à la lésion et déviation des traits du visage du côté sain (signes accentués à la mimique), absence de dissociation automatico-volontaire marquée par la perte de l’occlusion palpébrale réflexe. Elle peut être totale ou partielle, généralement unilatérale (97 %), mais

1297-9589/$ see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.gyobfe.2010.08.024

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Tableau 1 Étiologies des paralysies faciales périphériques. Infectieuses Paralysie faciale zosterienne Maladie de Lyme Infection à VIH Complications des méningites purulentes Tumorales Angle ponto-cérebelleux Conduit auditif interne Oreille moyenne Parotide Traumatiques Fracture du rocher Plaie de la région parotidienne Lésion postopératoire Otogènes Otites moyennes aiguës et chroniques Neurologiques périphériques Sclérose en plaque Multinévrites Polyradiculonévrites Toxiques Plomb Arsenic Monoxyde de carbone Alcool Autres Sarcoïdose Porphyrie aiguë

céphalées intenses avec des réflexes ostéotendineux vifs et diffusés. Le bilan biologique n’était pas perturbé. Un traitement intraveineux par nicardipine (3 ml/h) et sulfate de magnésium (2 g IVL sur 30 min, puis 1 g/h) a été débuté, et le travail a été déclenché par gel de prostaglandine (disoprostone 1 mg). Une césarienne a été réalisée deux heures après l’admission pour anomalies du rythme cardiaque fœtal, conduisant à la naissance d’une fille pesant 2920 g, avec score d’Apgar à 10–10–10. Les suites de couches ont été marquées par la survenue à 24 heures d’une paralysie faciale gauche prédominant sur le territoire inférieur, faisant suspecter dans ce contexte hypertensif une atteinte centrale. Le scanner cérébral alors pratiqué était normal. Puis sont apparus rapidement des signes sur le territoire supérieur réalisant un tableau typique de paralysie faciale périphérique gauche complète. Le diagnostic de PFP a frigore a été retenu après avoir éliminé les autres causes de PFP. Un traitement par prednisolone à 1 mg/kg par jour a été instauré, ainsi qu’un suivi ORL et ophtalmologique. Par ailleurs, est survenu à j3 un HELLP syndrome avec anémie à 9,9 g/dl, cytolyse hépatique avec transaminases à 2,6 N, thrombopénie à 55 G/l, qui n’a pas justifié de modification thérapeutique (poursuite du traitement anti-hypertenseur avec relais per os à j2 par nicardipine 50 LP deux fois par jour). L’évolution a été favorable en quelques jours, avec normalisation des chiffres tensionnels sous nicardipine per os, disparition de la protéinurie, normalisation biologique et régression progressive de la paralysie faciale avec disparition complète à deux mois. 3. DISCUSSION

touche les territoires inférieur et supérieur de façon homogène. Le caractère idiopathique doit être retenu après avoir éliminé les autres étiologies (Tableau 1) par la réalisation d’un bilan minimal comprenant : une numération globulaire, une glycémie à jeun, une CRP, des sérologies (HSV, VZV, CMV, EBV, TPHA/VDRL, maladie de Lyme), un audiogramme et une impédancemétrie pour localiser la lésion. En fonction du contexte et de l’évolution, d’autres examens peuvent être nécessaires comme les sérologies VIH ou une IRM cérébrale [2,3]. Nous exposons ici l’observation d’une patiente ayant une pré-éclampsie sévère et qui présente, au cours du post-partum précoce, une PFPI et un HELLP syndrome. Dans la discussion, nous essaierons en particulier de comprendre si, chez une patiente présentant une pré-éclampsie, la survenue d’une PFP influence la conduite obstétricale à tenir. 2. CAS CLINIQUE Mme R., primipare de 22 ans, sans antécédent notable et au suivi de grossesse sans particularité, a été transférée dans notre établissement pour pré-éclampsie sévère à 40 semaines d’aménorrhée (SA). La patiente présentait une hypertension artérielle (HTA) à 170/ 110 mmHg, une protéinurie des 24 heures à 6 g/24 heures, des

L’incidence de la PFPI au cours de la grossesse est de 45/ 100000 naissances [4], tandis qu’elle est de 17/100000 par an chez un groupe de femmes non enceintes de même âge [5]. Par ailleurs, l’incidence de la pré-éclampsie chez les patientes avec PFPI est de 22 à 30 % [2,6–8]. L’apparition d’une PFPI au cours de la grossesse semble donc être prédictive de la survenue d’une pré-éclampsie. Toutefois, elle ne peut être considérée comme un signe de gravité de pré-éclampsie et elle ne doit pas être assimilée à un signe neurologique central précédant une crise d’éclampsie [9]. Elle survient généralement au cours du troisième trimestre de la grossesse (75 % des cas), ou plus rarement comme ici, dans le post-partum (13 % des cas) [10]. On trouve dans la littérature différentes explications physiopathologiques à l’association entre PFP a frigore et pré-éclampsie au cours de la grossesse. L’augmentation du secteur extracellulaire, aggravé par l’HTA et l’hypoprotidémie de la pré-éclampsie, comprimerait le nerf facial au niveau de son canal osseux [2]. Le même phénomène explique la fréquence accrue du syndrome du canal carpien au cours de la grossesse [4]. La seconde hypothèse est virale, la grossesse occasionnant un état d’immunodépression qui prédisposerait aux réactivations des virus herpès [2]. Ces virus ont parfois été incriminés comme pouvant être à l’origine de la prééclampsie [4].

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L’hypercoagulabilité associée à la grossesse (et majorée en cas de pré-éclampsie) pourrait être à l’origine de thrombus des vasa nervorum menant à l’ischémie, puis à la paralysie neurale [4,5]. L’HTA pourrait avoir un rôle pathogène en entraînant des micro-emboles et un vasospasme, au niveau des vasa nervorum [6]. Enfin, certains avancent, comme pour la pré-éclampsie, une tendance familiale à développer une PFPI [2,3]. L’influence de la grossesse sur la résolution d’une PFPI complète est controversée allant de 90 % de résolution totale à sept semaines [8], jusqu’à 50 % de séquelles liées à un traitement non optimal chez la femme enceinte [10]. La survenue d’une PFPI en cours de grossesse n’influence pas le pronostic néonatal en lui-même [2], bien que la fréquence des pré-éclampsies dans cette population et une prise en charge plus interventionniste dans ce contexte puissent expliquer une augmentation de la prématurité et du nombre de césariennes [7]. L’extraction fœtale pour prévenir l’apparition d’une éventuelle pré-éclampsie et pour améliorer le pronostic relatif à la PFPI ne semble donc pas indiquée, d’autant qu’elle est dommageable en termes de prématurité et d’augmentation du taux de césarienne. En cas d’association entre pré-éclampsie et PFPI, la conduite obstétricale doit rester guidée, comme en l’absence de PFPI, par la seule prise en compte des éléments de gravité de la pré-éclampsie en fonction du terme et de la tolérance fœtale et maternelle, comme précisé dans les recommandations communes sur la prise en charge des formes graves de pré-éclampsie faites par le CNGOF, la SFAR, la SFMP et la SFNN [9]. Concernant le traitement de la PFPI, il comprend une rééducation, une protection oculaire (collyres, pansements occlusifs nocturnes) et un soutien psychologique. L’utilisation des corticoïdes est inconstante par crainte d’être délétère sur le fœtus, alors que son efficacité est démontrée. Il est admis qu’ils doivent être instaurés dans ce contexte chez la femme enceinte. Toutefois, en raison d’un risque minime d’augmentation d’anomalies congénitales comme les fentes palatines, leur usage est limité aux deux derniers trimestres de grossesse et au post-partum [2,5,6,8,10]. De même, l’utilité de l’aciclovir est démontrée s’il est introduit dans les trois jours suivant l’apparition de la paralysie, et il peut être administré quel que soit le terme [10].

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4. CONCLUSION Pré-éclampsie et PFPI ont une physiopathologie semblable expliquant leur association. L’apparition d’une PFPI en cours de grossesse ne semble pas modifier le pronostic néonatal, et sa résolution après la grossesse est globalement bonne. Dès lors, une extraction fœtale ne semble pas indiquée. Par contre, dans toutes les situations où une patiente enceinte présente une PFPI, l’obstétricien doit être particulièrement vigilant à dépister une pré-éclampsie, dont la sévérité des conséquences fœtales et maternelles est bien connue. Une surveillance plus rapprochée de la pression artérielle et de l’apparition éventuelle d’une albuminurie paraît alors nécessaire. La prise en charge obstétricale doit rester guidée par la pré-éclampsie. Le traitement d’une PFPI chez une femme enceinte doit associer les mesures symptomatiques mais aussi un traitement par aciclovir et une corticothérapie après le premier trimestre de grossesse. CONFLIT D’INTÉRÊT Aucun conflit d’intérêt. RÉFÉRENCES [1] McGregor JA, Guberman A, Amez J, et al. Idiopathic facial nerve paralysis (Bell’s palsy) in late pregnancy and the early puerperium. Obstet Gynecol 1987;69:435–8. [2] Mylonas I, Kastner R, Sattler C, Kainer F, Friese K. Idiopathic facial paralysis (Bell’s palsy) in the immediate puerperium in a patient with mild preeclampsia: a case report. Arch Gynecol Obstet 2005;272:241–3. [3] Bezjian AA, Spellacy WN, Little WA. Idiopathic Bell’s palsy in pregnancy. J Fla Med Assoc 1970;57:25–7. [4] Falco NA, Eriksson E. Idiopathic facial palsy in pregnancy and the purperium. Surg Gynecol Obstet 1989;169:337–40. [5] Hilsinger Jr REL, Adour KK, Doty HE. Idiopathic facial paralysis, pregnancy, and the menstrual cycle. Ann Otol 1975;84:432–3. [6] Shapiro L, Yudin MH, Ray JG. Bell’s palsy and tinnitus during pregnancy: predictors of pre-eclampsia. Acta Otolaryngol (Stockh) 1999;119:647–51. [7] Shmorgun D, Chan WS, Ray JG. Association between Bell’s palsy in pregnancy and pre-eclampsia. QJM 2002;95:359–62. [8] Cohen Y, Lavie O, Granovsky-Grisaru S, Aboulafia Y, Diamant YZ. Bell palsy complicating pregnancy: a review. Obstet Gynecol Surv 2000;55:184–8. [9] Recommandations formalisées d’experts communes SFAR/CNGOF/ SFMP/SFNN. Prise en charge multidisciplinaire des formes graves de prééclampsie. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2009;38:351–7. [10] Vrabec JT, Isaacson B, Van Hook JW. Bell’s palsy and pregnancy. Otolaryngol Head Neck Surg 2007;137:858–61.