J Gynecol Obstet Biol Reprod 2003 ; 33 (cahier 2) : 2S29-2S32.
Prédiction de l’implantation par l’analyse des cytokines Exemple du dosage de l’interleukine 18 (IL18) dans le flushing utérin D’après la communication de N. Ledée-Bataille Service de Gynécologie-Obstétrique et de Biologie de la Reproduction. Inserm U131 “cytokines et relation materno-fœtale”, EA 3538 “qualité gamétique et implantation”, Hôpital Antoine-Béclère, Clamart, France. RÉSUMÉ Il n’est pas possible de réduire l’interaction materno-fœtale à une simple tolérance maternelle vis-à-vis d’un tissu étranger. Il s’agit aussi d’une interaction cytokinique complexe qui dirige et contrôle, non seulement la réaction immunitaire, mais aussi les différents éléments de l’implantation comme l’adhésion et les phénomènes vasculaires. Ainsi, certaines cytokines sécrétées localement comme l’interleukine 18 (IL18) participent au contrôle de l’implantation. Il est maintenant possible de doser certaines d’entre elles dans la lumière utérine, grâce à une méthode de flushing utérin. Le flushing utérin réalisé au moment de la ponction ovocytaire n’affecte pas les chances de succès de la FIV. Si le test dépiste la présence d’IL18 luminal, c’est qu’il y a un phénomène d’activation endo-utérin en cours avec un probable effet délétère sur l’implantation. De meilleurs taux d’implantation et des grossesses multiples sont observés chez les femmes ayant une IL18 indétectable dans le flushing utérin. Plus largement, une analyse cytokinique endométriale permet de typer les dysrégulations cytokiniques en cause et de guider les thérapeutiques utérines qu’il convient d’appliquer. L’accès au dosage des cytokines utérines permettra de faire progresser les recherches sur l’implantation. Le progrès en matière d’implantation passe par un diagnostic précis de manière à permettre une personnalisation du soin. SUMMARY: Secreted cytokines in the uterine lumina are predictive of subsequent implantation. Presence of IL18 in the uterine flushing. The materno-foetal relationship is not simply maternal tolerance of a foreign tissue, but a series of intricate mutual cytokine interactions governing selective immune regulation and also control of the adhesion and vascularisation processes during this dialogue. There is strong evidence that locally secreted cytokines, such as interleukine 18 (IL18) control the implantation process and can cause implantation failure in case of absence or overactivation. Uterine flushing fluids may be analysed to determine the level of several cytokines. At the time of egg retrieval, the flushing procedure does not adversely affect pregnancy rates. We report a strong positive correlation between the presence of IL18 in the uterine flushing and bad implantation rates. The presence of IL18 in the lumina is the traduction of an overactivation of endometrial IL18 that should be diagnosed and treated. Moreover, endometrial biopsy could define which type of cytokinic dysregulation is implicated in repeated implantation failure and define which type of treatment need to be introduced.
La réceptivité utérine est un problème clinique fondamental. En effet, en population globale, le taux d’implantation en fécondation in vitro (FIV) est en moyenne de 15 à 20 %, alors que l’on devrait tendre vers des taux proches de 30 %. D’autre part, se pose le problème des grossesses multiples dont l’incidence globale est proche de 25 % et dont la prévention pas-
serait par une réduction du nombre d’embryons replacés. Toute approche s’intéressant à l’implantation embryonnaire passe forcément par une appréciation de la réceptivité utérine en plus de la prise en compte de la qualité embryonnaire. Les troubles de la réceptivité utérine sont probablement en cause dans près de la moitié des échecs de
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N. Ledée-Bataille
FIV. Ils sont sans doute à l’origine de certaines fausses-couches spontanées et de certains cas de retard de croissance intra-utérin (RCIU) et de prééclampsie. La définition d’une réceptivité utérine “inadéquate” n’est pas encore établie. De plus, nous avons, de toute évidence, une insuffisance de moyens pour définir et qualifier cette réceptivité utérine. En FIV, quand on replace un embryon dans la cavité utérine, il va y rester 3 jours au contact d’un “environnement luminal”, avant de commencer son processus implantatoire. Cet environnement peut être étudié grâce à un flushing utérin. L’équipe de Clamart s’intéresse depuis plusieurs années à l’environnement cytokinique utérin [1-14]. INTERLEUKINE 18
L’interleukine 18 (IL18) est un indicateur de l’environnement cytokinique ayant un rôle pivot dans la balance Th1-Th2. De plus, elle est présente dans l’endomètre durant tout le cycle et non pas comme la plupart des autres cytokines simplement en phase lutéale tardive et donc absente le jour de la ponction. Enfin, certaines publications ont montré le rôle délétère de l’IL18 dans le cas de certaines menaces d’accouchement prématuré ou de prééclampsie. MATÉRIEL ET MÉTHODE : LE FLUSHING UTÉRIN : UNE MÉTHODE POUR DÉTECTER L’IL18 LUMINAL
L’environnement cytokinique luminal est étudié grâce à un flushing utérin (fig. 1). Celui-ci consiste en un test de transfert, le cathéter de transfert étant connecté à une seringue de 10 ml.
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Figure 1
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Flushing utérin : cathéter introduit dans la cavité utérine.
On instille 2 fois 1 ml dans la cavité utérine. Ce flushing va diluer les sécrétions intra-utérines présentes. Un test ELISA détectant l’IL18 est fait sur le liquide recueilli. Ce flushing est réalisé au moment de la ponction ovocytaire. Des études préliminaires ont démontré l’innocuité de la méthode, c’est-à-dire que la réalisation d’un flushing ne modifie pas les taux de grossesses en FIV [4]. L’équipe de Clamart a réalisé une étude prospective portant sur 140 cycles de FIV. Le flushing est réalisé au moment de la ponction ovocytaire. La concentration d’IL18 est ensuite établie grâce à un ELISA. Le résultat du test est disponible théoriquement en 2 heures. Il a été possible de détecter de l’IL18 chez 40 des 140 femmes testées. L’analyse des résultats est réalisée en comparant 2 groupes : un groupe de 40 femmes ayant une IL18 détectable et un groupe de 140 femmes où l’IL18 n’est pas détectable dans le flushing utérin. RÉSULTATS [10]
Les paramètres cliniques étudiés ne sont pas significativement différents (âge, étiologie, rang de tentative, réserve ovarienne, épaisseur endométriale). Au niveau des paramètres biologiques, il n’y a pas de différence significative pour le nombre d’ovocytes collectés, d’embryons obtenus, de qualité embryonnaire ou du nombre d’embryons replacés. Ce qui est remarquable, c’est que sur le plan des résultats implantatoires, il y avait des différences de résultats tout à fait considérables. En prenant en compte l’ensemble des patientes transférées, indépendamment de la qualité embryonnaire, les taux de grossesse, d’implantation et de grossesses multiples étaient : 38 % et 15 %, 19 % dans le groupe IL18 non détectable et 6 %, 27 % et 0 % dans le groupe IL18 détectable. Parmi les femmes ayant une qualité embryonnaire A ou B, les taux d’implantation sont de 29 % si l’IL18 est indécelable, alors qu’elle est de 8 % si l’IL18 est détectable, les taux de grossesse sont de 58 % si l’IL18 est indécelable et de 20 % si l’IL18 est détectable et les taux de grossesses multiples de 36 % versus 0 %. Il est donc possible de faire un flushing utérin le jour de la ponction ovocytaire et d’avoir un élément prédictif d’un faible taux d’implantation avec une forte valeur prédictive négative (sensibilité de 85 %
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Prédiction de l’implantation par l’analyse des cytokines
pour une grossesse et de 100 % pour une grossesse multiple), mais avec une faible spécificité (35 %) et une faible valeur prédictive positive. IL18
L’IL18 a une origine utérine et existe sous 2 formes : une molécule inactive de 24 kDa qui, sous l’effet de la caspase 1, va se transformer en IL18 physiologiquement active. Le récepteur de l’IL18 (IL18 R) et l’IL18BP (binding protein) sont les 2 éléments régulateurs de l’action de cette IL18 active. L’IL18BP fonctionne comme un antagoniste de l’IL18. Yoshino a montré que les 3 éléments (IL18, IL18 R et IL18BP) étaient présents au niveau de l’endomètre [6]. Toutefois, physiologiquement l’IL18 est toujours présente tout au long du cycle sous forme inactive, c’est-à-dire qu’elle n’est pas sécrétée. Quand on la détecte dans la lumière utérine, c’est qu’il y a eu activation et sécrétion. C’est la cause de cette activation qui est à rechercher et à traiter. L’infection à Chlamydia trachomatis est une étiologie d’activation de la caspase 1 qui va elle-même activer l’IL18. Toutefois, la piste infectieuse n’est pas la seule. Ainsi, on détecte une activation de l’IL18 chez 50 % des femmes ayant une infertilité inexpliquée et des sérologies chlamydia négatives. La détection de l’IL18 dans le flushing utérin le jour de la ponction traduit une activation endométriale sous-jacente. La cause de cette activation reste à déterminer. Soit il existe une infection persistante à chlamydia, on peut alors discuter un traitement de cette infection ou plus radicalement en cas de stérilité tubaire partielle de salpingectomie préventive. En cas de stérilité inexpliquée, il faudra rechercher une dysrégulation cytokinique. Dans tous les cas, c’est la question d’un traitement utérin pro-implantatoire qui est posé. APPROCHER LES DYSRÉGULATIONS CYTOKINIQUES ENDOMÉTRIALES RÉGULATION DE LA FONCTION DE L’IL18 ENDOMÉTRIAL PAR LES AUTRES CYTOKINES
Il semble que l’IL18 a des effets inverses en fonction de l’environnement cytokinique. Si on a une sécrétion d’IL12 contemporaine à celle d’IL18, il y a une activation de l’IL18 qui va alors avoir un effet anti-implantatoire.
J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 33, n° 1, cahier 2, 2004
À l’inverse, s’il y a peu ou pas d’IL12, l’IL18 aura alors un effet pro-implantatoire (rôle essentiel dans le remodelage vasculaire). Nathalie Lédée-Bataille a étudié et comparé 2 groupes de femmes : des femmes de moins de 42 ans en échec d’implantation après au moins 3 FIV et 10 embryons transférés, malgré une bonne réserve ovarienne et des femmes contrôles ayant eu des enfants [11]. Ils ont réalisé un marquage multiple simultané pour l’IL18, l’IL12 et les cellules Natural Killer (NK) sur des biopsies d’endomètre et des flushings utérins réalisés cette fois en phase lutéale (J21). Dans le groupe contrôle, il y a peu ou pas d’IL12 chez toutes les patientes et une présence constante d’IL18 au niveau des glandes et des artères spiralées. Les cellules NK étaient présentes en nombre modéré. En revanche, chez les femmes en échec d’implantation, dans 17 % des cas seulement, on retrouve ce profil cytokinique des femmes contrôle. Dans les autres cas, on met en évidence, soit un excès d’IL12, une localisation anormale d’IL18 et des excès francs de cellules NK, soit une absence de marquage avec peu de cellules NK. Cela veut simplement dire qu’il n’y a pas de cause unique à l’échec et que les thérapeutiques à envisager seront très différentes. PCR EN TEMPS RÉEL
Afin de proposer un diagnostic précis en cas de suspicion d’anomalie, Nathalie Lédée-Bataille a développé une quantification des cytokines dans l’endomètre par RT-PCR (Polymerase Chain Reaction) en temps réel (dès qu’un brin d’ADN se forme, un intercalant, le sybergreen, va renvoyer une fluorescence enregistrée en temps réel par une cellule optique). Ils ont montré que chez les patientes fertiles, il existait une homogénéité d’expression, alors que chez les patientes infertiles en échec d’implantation, on retrouvait une hétérogénéité de cette expression. Cette technique permet en outre d’approcher les mécanismes propres des dysrégulation en cause. Ainsi, une absence ou un déficit d’IL18 endométrial entraîne une insuffisance de sécrétion d’angiopoiétine 2 et un défaut de développement des artères spiralées. Cliniquement, cela se traduit par un Doppler utérin élevé. Ceci pourrait représenter une indication thérapeutique de donneur de NO. À l’inverse, une sécrétion excessive d’IL12 et d’IL18 entraîne une activité thrombotique intense se traduisant également par des anomalies des Dopplers
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N. Ledée-Bataille
utérins, mais dans ce cas, c’est la prescription d’aspirine et de corticoïde qui semble indiqué. Enfin, on peut établir très précisément quel profil cytokinique doit bénéficier d’un cycle naturel contrôlé. Nous démontrons ainsi la iatrogénicité de l’hyperstimulation ovarienne systématique qui est susceptible d’aggraver certaine dysrégulation cytokinique précise. CONCLUSION
Il est possible et simple de faire un flushing utérin le jour de la ponction ovocytaire. Une recherche de l’IL18 est réalisable avec un résultat en 2 heures. Si le test dépiste la présence d’IL18, c’est qu’il y a un phénomène d’activation utérin en cours avec un probable effet délétère sur l’implantation. Avec ces résultats l’équipe clinique pourra décider soit de faire un traitement visant à corriger le désordre à l’origine de la sécrétion d’IL18 ou de différer le transfert à un cycle ultérieur avec cryopréservation des embryons. Ce test peut aussi guider les praticiens sur le risque de grossesse multiple. Par ailleurs, de nouvelles techniques permettent très précisément de typer les dysrégulations cytokiniques utérines et de guider les traitements utérins à adjoindre en documentant cette fois les dysrégulations au niveau endométrial. Les progrès en médecine de la reproduction nécessitent une personnalisation du soin et une prise en charge diagnostique et thérapeutique des problèmes de réceptivité utérine. RÉFÉRENCES 1. Ledée-Bataille N, Lapree-Delage G, Taupin JL, Dubanchet S, Taieb J, Moreau JF, Chaouat G. Follicular fluid concentration of leukaemia inhibitory factor is decreased among women with polycystic ovarian syndrome during assisted reproduction cycles. Hum Reprod 2001; 16(10): 2073-8. 2. Ledée-Bataille N, Lapree-Delage G, Taupin JL, Dubanchet S, Frydman R, Chaouat G. Concentration of leukaemia inhibitory factor (LIF) in uterine flushing fluid is highly predictive of embryo implantation. Hum Reprod 2002; 17(1): 213-8. 3. Ostojic S, Dubanchet S, Chaouat G, Abdelkarim M, Truyens C, Capron F. Demonstration of the presence of IL-16, IL-17 and
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