Kinesither Rev 2015;15(157):13–15
Actualités Compte-rendu de congrès
Premières Journées dacquoises de rééducation. Les musiciens, des patients pas comme les autres ? Samson Bahi a, Sarah Bisson a, Célia Genestout a, Antoine Lebeau a, Mathilde Magnet a, Marc Messina b a Institut de formation en masso-kinésithérapie, 1, rue Saint-Eutrope, BP 323, 40107 Dax cedex, France b Avenue de Bayonne, quartier Chutiqueta, 64210 Bidart, France
Une posture souvent peu physiologique associée à des répétitions intensives de mouvements expose les musiciens à des pathologies spécifiques. C'est ce thème, la santé des musiciens, qui a été choisi lors des 1res journées dacquoises de rééducation qui ont eu lieu les 16 et 17 mai dernier à Dax. L'organisation assurée par l'Association Dacquoise des Kinésithérapeutes Enseignants (ADKE), rassemblant la majeure partie de l'équipe pédagogique de l'IFMK de Dax avec le parrainage de l'association européenne Médecine des Arts, a permis aux participants de suivre un congrès sans fausse note. Les pathologies du musicien : les TMS et la dystonie de fonction Le congrès lancé, les intervenants commencent par présenter les pathologies touchant les musiciens et ce sont les TMS (troubles musculo-squelettiques) qui sont abordés les premiers. En effet, ces derniers touchent 70 % des musiciens professionnels. Ils comprennent notamment les tendinopathies, en particulier les épicondylites, ainsi que les ténosynovites de De Quervain. La cause numéro 1 qui est pointée du doigt par nombre des intervenants est une charge de travail excessive provoquant l'apparition de phénomènes inflammatoires qui vont ensuite s'autoentretenir par la répétition des gestes et occasionner des douleurs dites « étendues ». On parle de syndrome de surmenage. Mais selon le Pr Dehais,
Auteur correspondant : M. Messina, Avenue de Bayonne, quartier Chutiqueta, 64210 Bidart, France. Adresse e-mail :
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rhumatologue à l'Orthopôle de Bruges, la quantité de travail n'est pas la seule responsable de l'apparition de ces douleurs. Il y a aussi une utilisation inadéquate du corps : les conditions d'apprentissage telles que la posture, les temps de pause, les échauffements et les étirements musculaires ne sont pas respectées. On retrouve régulièrement un défaut d'ergonomie du poignet avec un excès de flexion. Ce dernier est souvent associé soit à un excès d'inclinaison ulnaire dans le cadre des ténosynovites de De Quervain, soit à un excès d'inclinaison radiale occasionnant une compression scapho-lunaire lors de la pratique de l'instrument. C'est ensuite le Dr Zannou, chirurgien membre du Réseau Urgence Main Sud Aquitaine à Bayonne, qui présente un autre type de TMS, les syndromes canalaires, et en particulier le syndrome du canal carpien. Les nerfs sont très exposés aux mouvements lors du jeu instrumental, et vont subir des lésions à force d'être étirés comme le dit F. Degez, masseur-kinésitérapeute diplômé d'état (MKDE) et membre de la Société française de rééducation de la main. Il parle de phénomène d'entrapment. Il explique que les structures nerveuses vont s'œdémacier en se réparant, du fait de l'absence de réseau lymphatique dans l'endonèvre, perdre ainsi de la mobilité et devenir davantage vulnérables. C'est un cercle vicieux qui s'instaure. Enfin, le Dr Zipoli, chirurgien orthopédiste au centre hospitalier de Dax spécialisé dans le membre supérieur évoque les problèmes d'épaule, présents en particulier chez les violonistes du côté de l'archet. Ils sont en lien avec des troubles de la cinématique conférant une évolution en 4 phases : la
dysfonction en lien avec un décentrage de l'articulation gléno-humérale pour commencer. Ensuite vient la bursite, puis la tendinopathie de la coiffe des rotateurs pouvant évoluer vers une rupture tendineuse si elle n'est pas prise en charge. Une dyskinésie scapulaire est également retrouvée dans ces pathologies et doit être corrigée. Associés aux TMS, M. Messina, MKO et cadre de santé, évoque les troubles de la posture chez le pianiste. Il précise que dans cette population, 70 % ont des douleurs cervicales et thoraciques et 100 % ont des douleurs lombaires. Une mauvaise posture, même minime, dans un contexte de travail excessif engendre l'apparition de ces douleurs. En dehors des TMS, une autre pathologie sévissant chez le musicien est abordée par plusieurs intervenants, la dystonie de fonction. Elle ne touche que 1 % des musiciens professionnels mais reste cependant le grand défi de la Médecine des Arts. C'est un dysfonctionnement du système nerveux central. Lors de la programmation cérébrale du mouvement, une anomalie apparaît et un mauvais schéma moteur se met en place. Si celui-ci n'est pas de suite rectifié, il va, par la répétition des mouvements, se pérenniser. Ce trouble se manifeste par l'apparition de contractions musculaires involontaires et soutenues durant le jeu instrumental. Les facteurs mis en cause sont les conditions d'apprentissage telles que la concentration, le temps de pratique, la progressivité dans la charge de travail et la posture. Le surmenage est également un élément jouant un rôle prépondérant. Parmi les thérapeutiques existantes, c'est le Dr Bégué, MPR au centre de rééducation fonctionnelle Marienia à Cambo-les-Bains, qui présente le
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S. Bahi et al.
Actualités Compte-rendu de congrès traitement local par injection de toxine botulique. Particularité de la prise en charge du musicien La prise en charge du musicien ne peut se faire sans son instrument. Son corps fusionne avec l'instrument. De cette fusion va naître un son. La posture émet le son. Et le son fait écho à la posture du musicien. I. Campion, MKDE de la Clinique du Musicien et de la Performance Musicale à Paris, illustre cette notion à travers l'étude du maniement de l'archet chez le violoniste professionnel. Le MKDE joue un rôle dans la recherche de la performance sonore. Le maintien de l'archet demande la fixation de la scapula afin de renforcer l'efficacité de la main. I. Campion explique « si on veut pousser une armoire, on ne met pas de patins sous les pieds. Le violoniste doit prendre conscience que son bras commence dans son dos ». On peut travailler ce schéma corporel en rajoutant du poids sur le bras du violoniste. Ce poids incite le cerveau à le porter donc à mettre en route la musculature scapulaire et ainsi libérer les doigts. L'utilisation des muscles de soutien à la racine permet de libérer l'extrémité. Le violoniste doit à la fois porter le poids de son bras et permettre les mouvements des doigts. On ne peut demander à la fois à un muscle de tenir et de bouger. D'après I. Campion, le musicien n'est pas comparable à un sportif. On demande au musicien du relâchement contrairement au sportif où on privilégie effort et tonicité. En ce qui concerne la paume du violoniste, il faut limiter la perte d'énergie en stabilisant les métacarpo-phalangiennes (MCP) et en ouvrant la 1re commissure de la main. L'ouverture du pollex1 permet une flexion des MCP donc un travail des muscles courts ainsi qu'une stabilisation du 5e doigt. Pour gagner de la souplesse de la main, la flexion des interphalangiennes proximales est à bannir afin que les muscles longs soient relâchés. F. Degez complète la prise en charge du musicien avec une technique de mise en tension du système neuronal. Les nerfs sont sensibles aux postures et aux mouvements répétés. L'endonèvre ne présentant pas de lymphatiques, sa réparation engendre un œdème. Le nerf est élastique à 8 % en fonction de son diamètre. Si le diamètre augmente, l'élasticité diminue. L'œdème engendre une perte d'élasticité et de capacité de longueur. Dans ce cas-là, si le patient
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sollicite le nerf, il perpétue l'agression. C'est le cas du syndrome canalaire compressif, on va trop loin en longueur donc on augmente le volume qui luimême va bloquer la longueur. La forme en « H » du plexus brachial et son petit diamètre le protège contre tout étirement. Dans le traitement d'un syndrome du canal carpien, la tension du nerf sur toute sa longueur est importante car il existe des lésions à bas bruits. Une irritation en distal réveille une faiblesse en proximal. Même après chirurgie du canal carpien, la douleur peut persister. Elle provient d'une autre zone d'irritation : les scalènes. Le Test de Lassègue est applicable au membre supérieur : rotation interne, antépulsion épaule, antéposition de la tête et pronation de l'avant-bras. F. Degez explique que la scapula joue un rôle de verrouillage des trois courbures2 car elle se situe au sommet de la courbure en cyphose dorsale. Il faut un maintien correct des épaules pour stabiliser les dorsales, et parallèlement un maintien scapulaire afin de permettre les mouvements du bras chez le musicien. Comme dit précédemment, une étude biomécanique de la posture du pianiste a été abordée par M. Messina. Il explique qu'au niveau de la hanche, un angle d'ouverture de 1358 permet une position assise moins contraignante. En ce qui concerne la tête, la position idéale d'équilibre est l'inclinaison de 308 vers le bas. Il faut libérer les contraintes entre la vertèbre céphalique et la vertèbre pelvienne3. La douleur met en place des attitudes de protection. Le MKDE doit annuler toutes ces compensations. On parle alors de reprogrammation neuromotrice. En effet, en rééducation, on peut agir sur les capteurs posturaux. Ces derniers jouent un rôle majeur grâce aux boucles de rétrocontrôle : vestibule, vision, podal et les arthrorécepteurs. Il existe un lien entre les mouvements oculaires et cervicaux. On recense le même nombre de muscles oculaires que de muscles de Tillaux4. La posture assise induit beaucoup de contraintes. Le dépistage permettrait d'éviter des troubles irréversibles. L'apprentissage postural chez le musicien devrait se faire en préventif dès le plus jeune âge. Le jeu instrumental pour être bien réalisé demande une bonne coordination des doigts. C'est l'une des grandes difficultés à laquelle sont confrontés les musiciens. M. Boutan, MKDE, membre du GEMMSOR, au travers d'une
intervention remarquée, nous montre toute la complexité du système moteur de la main qui s'organise autour de 8 chaînes musculaires. Le musicien doit trouver le bon équilibre entre les muscles extenseurs et fléchisseurs respectivement voués à la rapidité et à la puissance, et entre les muscles extrinsèques et intrinsèques respectivement voués à la mobilité et à la stabilité. En fonction des muscles mis en jeu et de la position des doigts, les sonorités musicales qui en découlent ne sont pas les mêmes. Ceci nous a été illustré en direct au piano en parallèle de l'intervention de M. Boutan par son épouse Vanessa. Cette complexité s'ajoute au fait que la main est couplée avec le cerveau. Rentre alors en jeu une composante neuromotrice que le musicien doit acquérir et développer sans cesse afin de pouvoir rester performant. La santé du musicien : un sujet qui intéresse et qui interroge Le Dr Cowan, médecin de l'hôpital thermal de Dax, expose un ensemble de techniques de rééducation semblables tant pour le musicien que pour le sportif. Il évoque plusieurs traitements médicamenteux tels que la trinitrine pour son pouvoir oxydatif ou la prolothérapie qui offre de bons résultats aux États-Unis. En tant que médecin, il insiste sur l'importance du diagnostic pour définir le problème exact. Il est aussi question d'autres techniques à visées plutôt préventives, telles que le travail excentrique et les étirements qui sont primordiaux pour les musiciens. Dans la suite de sa présentation, P. Burtin, MKDE nous fait part de la préparation respiratoire pour le musicien, en rappelant que le trac modifie la respiration, la fréquence et le volume respiratoire qui seront plus élevés. Selon lui, le but du travail respiratoire est de permettre au musicien de s'exprimer au mieux avec le moins de difficulté et le plus de performance possible. Il faut savoir que les techniques pour la préparation respiratoire seront différentes selon l'instrument pratiqué. En effet la manière de porter l'instrument va avoir une conséquence sur la posture et donc sur la respiration. Un musicien d'orchestre, Y. Swedlund, nous a fait part de sa réflexion sur les effets de sa profession sur la santé. Il trouve qu'il y a tout de même des limites à la comparaison du musicien et de l'athlète, car même si jouer de la musique est un acte physique
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recherchant une qualité constante, ce poète nous rappelle que « la musique est synonyme de langage émotionnel ». Le musicien doit pouvoir prendre du plaisir à jouer sans pour autant nuire à sa santé physique et psychologique. Ce congrès a permis de révéler une prise de conscience des musiciens quant à cette importance de prendre soin de leur corps. Tout musicien peut et doit réaliser certains exercices pour participer activement au maintien de sa santé : se concentrer sur une bonne posture, réaliser des étirements, travailler sur un bon schéma corporel. Malgré tout, chacun de ces exercices est très spécifique selon l'instrument joué. Lors de son intervention, I. Campion nous parle du transfert de poids sur l'archet, de l'importance de la position, de la posture du violoniste mais également de la position et de la tenue du violon et de l'archet. L'impact du congrès ne s'arrête pas au musicien seul mais s'étend aux professeurs de musique et aux professionnels de santé. E. Raux, professeur de violon au conservatoire de Dax exprime l'importance de former les élèves dès le plus jeune âge à ce travail de posture, d'étirement, et de schéma corporel. Cette formation des élèves par leurs professeurs de musique implique donc une formation du professeur lui-même au préalable. Cette formation se fait le plus souvent par les professionnels de
santé : médecins, kinésithérapeutes. . . La prise de conscience au niveau des professionnels de santé se traduit par un investissement dans sa propre profession, lié à la santé des musiciens. Cet investissement peut commencer très tôt dans la vie professionnelle, comme M. Saubiron, MKDE diplômé en 2013 à l'IFMK de Bordeaux, qui a réalisé son mémoire de fin d'étude sur la « Démarche éducative à visée préventive » chez les musiciens. Lors de ce congrès, les participants ont pu prendre part à des ateliers pratiques après avoir suivi les conférences composées d'intervenants aussi variés qu'un directeur de conservatoire, un chirurgien orthopédique, un musicien d'orchestre, un professeur en rhumatologie ou encore un MKDE spécialiste en rééducation de la main. À travers le thème choisi, dans l'air du temps sans mauvais jeu de mot, et des interventions de qualité, les premières journées dacquoises de rééducation ont su satisfaire les congressistes de tous horizons, cliniciens comme musiciens. Sites www.cliniquedumusicien.com (informations et formations) www.medecine-des-arts.com (Consultations médicales gratuites pour les musiciens notamment)
www.kines24.com/spip.php?article102 Photos et vidéo du stage de Mise en Tension Neuronale par F. Degez à Perigueux le 11 et 12 mars 2011 Ouvrages R. Tubiana. Prévention des pathologies chez les musiciens. Montauban : Alexitère, Collection Médecine des Arts, 2008. 296 p. M. Boutan. Le stretching du musicien. Montauban : Alexitère, Collection Médecine des Arts, 2007. Reportage TV France 5 – Émission In VIVO en date du 22 juin 2014 consultable sur le site de la chaîne, Clinique des musiciens, le corps désaccordé. 1 Ouverture du pollex = du pouce (nouvelle nomenclature). 2 Scapula verrou des trois courbures: propos qui appartiennent à F. Degez, membre de la Société Française de rééducation de la main. 3 Vertèbre céphalique, vertèbre pelvienne sont considérées comme vertèbres (par extrapolation) le bloc céphalique et le bloc pelvien dans la mesure où ces entités anatomiques sont sous la dépendance fonctionnelle du rachis compris dans sa globalité, vision empruntée au Pr Dubousset père de la chirurgie de la scoliose en France et dans le reste du monde. 4 Muscles de Tillaux (anatomiste français) = sousoccipitaux.
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