ÉPIDÉMIOLOGIE
Prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine. Étude transversale chez les étudiants en médecine de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth Z. MEHANNA (1), S. RICHA (2) Prevalence of anxiety and depressive disorders in medical students. Transversal study in medical students in the Saint-Joseph University of Beirut Summary. Objective – Evaluate the emotional state of medical students and compare them to a control population (chemistry students), in order to assess the bad effect of academic studies on the mood of medical students. Methods – Beginning of September 2003, a questionnaire composed of three parts was distributed to all students in medicine and chemistry at the Saint-Joseph University (USJ), either at the start or at the end of their cours, to be filled-in anonymously. The first part was composed of demographic data ; the second and the third parts were, respectively, the Beck questionnaire for depression and Hamilton’s questionnaire for anxiety. Results – There was no statistically significant difference between the two populations studied concerning the scores of Beck and Hamilton, neither depending on the classes nor on the depression or anxiety threshold. The prevalence found in the USJ medical students for depression (27.63 %) and for anxiety (69 %) was far greater than that found in the literature (23 % for depression among American students and 41 % for anxiety), but lower than that found in the university of Hong-Kong (48 % of students having a Beck13 score > 8). The forth year was the one that presented the most anxiety and depressive disorders in the seven years of medicine (44.32 % of depression and 79.24 % of anxiety). The psychiatric antecedents are the strongest predictors of anxiety and depressive disorders. Conclusion – The prevalence of anxiety and depressive disorders is not greater in medical students than in chemistry students. Key words : Anxiety ; Depression ; Medical students.
Résumé. Objectif – Évaluer l’état émotionnel des étudiants en médecine et le comparer à celui d’une population témoin (étudiants en pharmacie), afin de pouvoir dégager l’effet néfaste des études universitaires sur l’humeur des étudiants en médecine. Méthodes – Début septembre 2003, un questionnaire composé de trois parties a été distribué à tous les étudiants en médecine et en pharmacie à l’Université SaintJoseph (USJ), soit au début, soit à la fin des cours, et rempli de manière anonyme. La première partie porte sur des critères démographiques, et les deuxième et troisième parties sont respectivement, le questionnaire de Beck pour la dépression, et celui de Hamilton pour l’anxiété. Résultats – Il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux populations étudiées concernant les scores
de Beck et de Hamilton, ni en fonction des classes, ni en fonction des seuils de dépression ou d’anxiété. Les prévalences retrouvées chez les étudiants en médecine de l’USJ pour la dépression (27,63 %) et pour l’anxiété (69 %) sont plus élevées que celles retrouvées dans la littérature (23 % de dépression chez les étudiants américains, et 41 % d’anxiété), mais inférieures à celle retrouvées à l’Université de Hong-Kong (48 % des étudiants ayant un score de Beck13 > 8). La 4e année s’est avérée être celle où il y a le plus de troubles anxio-dépressifs parmi les sept ans de médecine (44,23 % de dépression et 79,24 % d’anxiété). Les antécédents psychiatriques sont de puissants prédicteurs des troubles anxio-dépressifs. Conclusion – La prévalence des troubles anxio-dépressifs n’est pas plus impor-
(1) Hôtel-Dieu de France. (2) Hôpital Psychiatrique de la Croix, Jall-Eddib, BP 60096, Liban. Travail reçu le 10 septembre 2004 et accepté le 13 juillet 2005. Tirés à part : S. Richa (à l’adresse ci-dessus). 976
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
tante chez les étudiants en médecine que chez ceux en pharmacie. Mots clés : Anxiété ; Dépression ; Étudiants en médecine.
INTRODUCTION L’état émotionnel des étudiants en médecine constitue un centre d’intérêt depuis 1956 (1). Certaines études ont montré que les étudiants en médecine ressemblaient à leurs homologues dans d’autres domaines (2, 3), alors que d’autres études ont mis en évidence un état de stress important dans cette population (2, 4, 5). Des différences entre sexes ont aussi été notées (4, 5, 6), cependant la signification pratique de taux plus élevés de dysthymie chez les étudiantes en médecine reste ambiguë, puisque les femmes en général ont tendance à manifester plus de troubles thymiques que les hommes (2). Nombreuses sont les questions concernant la nature du stress vécu par les étudiants en médecine, sa chronicité, sa continuité (2), ainsi que les facteurs qui y contribuent. L’effet négatif de ce stress sur les étudiants, notamment la diminution des performances académiques (2, 5), constitue un motif important pour la clarification de la prévalence et de la sévérité de ce problème, ainsi que des facteurs prédisposants. Cela permettrait la prise de mesures pratiques pouvant améliorer le bien-être des étudiants et de prévenir les conséquences de tels troubles émotionnels. Ainsi beaucoup de chercheurs recommandent que plus d’attention soit accordée au stress lié aux études médicales (Arstein, 1986), l’anxiété et la dépression étant les manifestations les plus communes de ce dernier (Kris, 1986 ; Murphy et al., 1984) (7). Notons cependant les limites méthodologiques d’un grand nombre d’études (utilisation de moyens de mesure psychologique non standardisés, petite taille des échantillons, courte durée de l’étude, etc.), ce qui a remis en question leur caractère significatif et généralisable (2). Dans notre étude, nous nous sommes intéressés à la prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine à l’Université Saint-Joseph (USJ), la Faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph étant une des plus prestigieuses des facultés de médecine au Liban et ayant une histoire de plus de 125 ans d’existence.
MATÉRIEL ET MÉTHODES La population cible est l’ensemble des étudiants en médecine générale à l’Université Saint-Joseph (USJ) durant l’année universitaire 2003-2004. La population témoin est l’ensemble des étudiants en pharmacie à l’USJ, durant la même année universitaire. Nous avons choisi cette population comme témoin car cela a déjà été fait dans les études s’intéressant aux troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine. Nous pourrons ainsi comparer nos résultats à ceux retrouvés dans les études antérieures. Cependant ce choix pourrait constituer une
Prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine
limite à notre étude car la proportion de femmes parmi les étudiants en pharmacie est plus élevée que parmi ceux en médecine, et les femmes ont généralement tendance à manifester plus de symptômes anxio-dépressifs que les hommes. Un questionnaire a été distribué aux deux populations concernées, de manière exhaustive, au début du mois de septembre 2003, de manière à ce qu’il soit distant des examens d’une période d’au moins deux semaines, quelle que soit l’année d’étude, afin d’éviter le biais lié au stress durant les périodes d’examens. Le questionnaire, anonyme, a été rempli soit au début, soit à la fin des cours. Le questionnaire est composé de trois parties. La première s’intéresse à des paramètres démographiques et personnels que nous avons recueillis dans la littérature : âge, sexe, années d’études, habitat, antécédents personnels et familiaux, consommation d’alcool et de drogues. La deuxième partie est la version à 13 items du questionnaire de Beck, et la troisième est le questionnaire de Hamilton pour l’anxiété. Questionnaire de Beck (à 13 items) Il permet une auto-évaluation de l’état d’humeur des sujets ; il mesure les symptômes de dépression sur une échelle continue de 0 à 39, avec 0 à 4 représentant la dépression minimale, 5 à 7, légère, 8 à 15, modérée, et plus que 16, sévère. Ce questionnaire permet de faire à la fois un dépistage de la dépression et une évaluation de l’intensité des symptômes dépressifs. Bien que le diagnostic clinique de dépression ne puisse être fait que grâce à un entretien avec un clinicien, le questionnaire de Beck identifie les patients présentant une dysthymie ou un épisode dépressif majeur, avec une sensibilité de 86 % à 100 % et une spécificité de 82 % à 100 %, suivant le seuil choisi sur l’échelle. Nous avons adopté le seuil de 8 car nous l’avons retrouvé dans la littérature (15). Par ailleurs, et pour plus de précision dans la comparaison entre les populations étudiées, nous avons utilisé les intervalles posés par Beck, en les désignant par les chiffres 1, 2 et 3. Score de Beck (31) : – de 0 à 4 → classe 1 ; – de 5 à 7 → classe 2 ; – de 8 à 15 → classe 3 ; – ≥ 16 → classe 4. Nous avons utilisé la version à 13 items du questionnaire de Beck afin de réduire au maximum la longueur du questionnaire, espérant ainsi augmenter l’adhésion des étudiants et par la suite le taux de réponse. Cette version réduite a été validée comme étant significativement corrélée à la version de 21 items et au diagnostic clinique de dépression. Questionnaire de Hamilton Il comporte 14 items, chacun noté de 0 à 4, la note 0 correspondant à l’absence de manifestation des symptô977
Z. Mehanna, S. Richa
mes, la note 1 à des manifestations d’intensité légère, la note 2 à des manifestations d’intensité moyenne, 3 à des manifestations d’intensité forte, et 4 à des manifestations d’intensité extrême. Les sujets ont été avertis, avant le remplissage du questionnaire, que la note 4 n’est attribuée qu’exceptionnellement à des sujets ambulatoires, et que la cotation est déterminée par la symptomatologie actuelle, c’est-à-dire lors du remplissage du questionnaire, ou des symptômes d’une durée maximale d’une semaine. La note globale est la somme des notes obtenues à chaque item. Normes : – de 0 à 5 = pas d’anxiété → classe 1 ; – de 6 à 14 = anxiété mineure → classe 2 ; – 15 et plus = anxiété majeure → classe 3. L’hypothèse de notre étude est que les troubles anxiodépressifs sont plus prévalents chez les étudiants en médecine que dans la population témoin. Dans le but de voir si l’hypothèse est vraie, nous avons comparé (test de Pearson χ2) les prévalences de ces deux populations dans chacune des classes des échelles de Beck et de Hamilton, ainsi que pour les deux seuils suivants : score de Beck ≥ 8 et score de Hamilton ≥ 6. De même, nous nous sommes intéressés aux années extrêmes dans les deux cursus, afin d’évaluer l’état thymique des étudiants au début et à la fin des études universitaires. Nous avons ainsi comparé les prévalences dans chacune des classes des échelles de Beck et de Hamilton, entre 1re année de médecine et 1re année de pharmacie d’une part, et 7e année de médecine et 5e année de pharmacie d’autre part. Dans un deuxième temps, nous avons comparé les prévalences suivant les années d’études, au sein de chaque population. Finalement, nous avons voulu voir s’il y avait une relation significative entre les antécédents personnels et familiaux d’une part, et la prévalence des troubles anxiodépressifs d’autre part.
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
Taux de réponse En médecine, 359 questionnaires ont été rendus remplis, ce qui fait un taux de réponse de 80,1 %. Cette valeur est suffisante pour pouvoir considérer les questionnaires rendus remplis comme étant représentatifs de la population des étudiants en médecine. Le taux de réponse de la 7e année est le plus bas car les étudiants sont difficiles d’accès : la moitié d’entre eux sont répartis sur plusieurs hôpitaux périphériques en dehors de Beyrouth. En pharmacie, 148 questionnaires ont été rendus remplis. Le taux de réponse est relativement bas (64,6 %), à cause d’un absentéisme important chez les étudiants en pharmacie, alors que le questionnaire a été distribué au début ou à la fin des cours, à l’ensemble de la classe afin d’assurer l’anonymat. Ce taux bas de réponse pourrait constituer un biais de sélection dans la population témoin si les prévalences des troubles anxio-dépressifs diffèrent entre étudiants assistant aux cours et étudiants s’absentant des cours. Comparaison médecine – pharmacie La prévalence des scores de Beck supérieurs ou égaux à 8 n’est pas significativement plus élevée chez les étudiants en médecine que chez ceux en pharmacie (tableaux I et II). TABLEAU I. — Prévalence des étudiants ayant un score de Beck supérieur ou égal à 8. Beck – Population Médecine (MD) Pharmacie (PH)
RÉSULTATS Total
Description des populations
–
+
Total
255 71,62 109 74,14 364 72,37
101 28,37 38 25,85 139 27,63
356 100 147 100 503 100
Médecine
χ2 (1) = 0,3299 ; Pr = 0,2047.
Cette population est constituée d’hommes et de femmes dont l’âge varie entre 17 et 28 ans, et dont l’effectif total est de 448 étudiants. La proportion de femmes varie entre 31,6 % (6e année) et 52,6 % (1re année).
TABLEAU II. — Comparaison des prévalences de dépression suivant les quatre classes de l’échelle de Beck.
Pharmacie Cette population est formée d’hommes et de femmes dont l’âge varie entre 17 et 25 ans, et dont l’effectif total est de 229. La proportion de femmes varie de 65,2 % (5e année) à 92 % (2e année). NB : le pourcentage de femmes en pharmacie (PH) (79 %) est plus élevé que celui en médecine (MD) (45,3 %). 978
Beck – Population Médecine Pharmacie Total
1 161 45,22 77 52,38 238 47,32
2 94 26,40 32 21,76 126 25,04
χ2 (3) = 3,3961 ; Pr = 0,1913.
3 86 24,15 35 23,80 121 24,06
4
Total
15 4,21 3 2,04 18 3,57
356 100 147 100 503 100
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
Prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine
De même, il n’y a pas de différence significative entre les deux populations en ce qui concerne l’anxiété (tableaux III et IV). TABLEAU III. — Comparaison des prévalences d’anxiété suivant les trois classes de l’échelle de Hamilton. Hamilton – Population Médecine Pharmacie Total
1
2
111 30,92 36 24,32 147 28,99
168 46,80 83 56,08 251 49,51
3 80 22,28 29 19,59 109 21,50
2+3 248 69,08 112 75,67 360 71,01
Total 359 100 148 100 507 100
χ2 (3) = 3,7493 ; Pr = 0,153 ; F = 0,163.
Médecine (MD) Pharmacie (PH) Total
Hamilton – Population Médecine (MD-1) Pharmacie (PH-1) Total
1
2
3
2+3
Total
16 25,81 9 32,14 25 27,78
36 58,06 12 42,86 48 53,33
10 16,13 7 25,00 17 18,89
46 74,19 19 67,86 65 72,22
62 100 28 100 90 100
χ2 (2) = 1,9188 ; Pr = 0,383 ; F = 0,364.
TABLEAU VII. — Prévalence des étudiants de dernière année ayant un score de Beck supérieur ou égal à 8.
TABLEAU IV. — Prévalence des étudiants de première année ayant un score de Beck supérieur ou égal à 8. Beck – Population
TABLEAU VI. — Prévalence de l’anxiété suivant les classes de l’échelle de Hamilton.
–
+
Total
43 69,35 19 67,85 62 68,89
19 30,65 9 32,14 28 31,11
62 100 28 100 90 100
Beck – Population Médecine (MD-7) Pharmacie (PH- 5) Total
–
+
Total
30 78,95 14 70,00 44 75,86
8 21,05 6 30,00 14 24,14
38 100 20 100 58 100
χ2 (1) = 0,5704 ; Pr = 0,4628.
χ2 (1) = 0,0203 ; Pr = 0,4934.
Il n’existe pas de différence significative entre les étudiants de première année ayant un score de Beck supérieur ou égal à 8 (tableaux V et VI). De même, il n’existe pas de différence significative concernant l’anxiété entre 1re année de médecine et 1re année de pharmacie (tableau VII). TABLEAU V. — Prévalence de la dépression suivant les classes de l’échelle de Beck. Beck – Population Médecine (MD-1) Pharmacie (PH-1) Total
1
2
3
4
Total
27 43,54 15 53,57 42 46,67
16 25,80 4 14,29 20 22,22
19 30,65 7 25,00 26 28,89
0 0 2 7,14 2 2,22
62 100 28 100 90 100
χ2 (3) = 6,2286 ; Pr = 0,0986.
Par ailleurs, il n’y a pas de différence significative de dépression entre 7e année de médecine et 5e année de pharmacie (tableaux VIII et IX). La prévalence de l’anxiété est significativement plus élevée en 5e année de pharmacie qu’en 7e année de médecine, avec une prévalence
TABLEAU VIII. — Prévalence de la dépression suivant les classes de l’échelle de Beck. Beck – Population Médecine (MD-7) Pharmacie (PH- 5) Total
1 21 55,26 11 55,00 32 55,17
2 9 23,68 3 15,00 12 20,68
3
4
7 1 18,42 2,63 5 1 25,00 5,00 12 2 20,68 3,44
Total 38 100 20 100 58 100
χ2 (3) = 1,3821 ; Pr = 0,7204.
TABLEAU IX. — Prévalence de l’anxiété suivant les classes de l’échelle de Hamilton. Hamilton – Population Médecine (MD-7) Pharmacie (PH-5) Total
1
2
3
2+3
Total
14 36,84 2 10,00 16 27,59
20 52,63 12 60,00 32 55,17
4 10,53 6 30,00 10 17,24
24 63,16 18 90,00 42 72,41
38 100 20 100 58 100
χ2 (2) = 6,4334 ; Pr = 0,040 ; F = 0,041, 979
Z. Mehanna, S. Richa
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
d’étudiants ayant un score de Hamilton supérieur ou égal à 6, atteignant les 90 % en 5e année de pharmacie (tableau X, figures 1 et 2). TABLEAU X. — Prévalence des étudiants ayant un score de Beck supérieur ou égal à 8. Beck – Année d’étude 1 2 3 4 5 6 7 Total
–
+
Total
43 69,35 34 62,96 36 69,23 29 55,76 43 86 40 83,33 30 78,93 333 92,76
19 30,65 20 37,04 16 30,76 23 44,23 7 14 8 16,67 8 21,05 26 7,24
62 100 54 100 52 100 52 100 50 100 48 100 38 100 356 100
TABLEAU XI. — Prévalence de l’anxiété suivant les classes de Hamilton. Hamilton – Année d’étude 1 2 3
χ2 (6) = 16,3235 ; Pr = 0,0458.
4
Prévalence %
5
90
100 80
Concernant la prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine, en fonction de l’année d’étude, on retrouve une différence statistiquement significative (tableau XI, figure 3). La prévalence de la dépression est la plus élevée en 4e année de médecine et la plus basse en 5e année. Elle est relativement basse en 7e année. Concernant l’anxiété suivant les classes de Hamilton, on retrouve une différence significative (tableau XI). La prévalence de l’anxiété est la plus élevée en 4e année de médecine et la plus basse en 6e année ; la 7e année est la deuxième catégorie la moins anxieuse.
6
63,16
7
60
Total 40
MD-7
3
2+3
Total
16 25,81 13 23,64 16 30,77 11 20,75 16 32,00 25 51,02 14 36,84 111 30,92
36 58,06 20 36,36 24 46,15 24 45,28 25 50,00 19 38,78 20 52,63 168 46,80
10 16,13 22 40,00 12 23,08 18 33,6 9 18,00 5 10,20 4 10,53 80 22,28
46 74,19 42 76,36 36 69,23 42 79,24 34 68,00 24 48,98 24 63,16 248 69,08
62 100 55 100 52 100 53 100 50 100 49 100 38 100 359 100
PH-5
Population
FIG. 1. — Prévalence des étudiants de dernière année ayant un score de Hamilton ≥ 6. MD-1
PH-5 36,84
30
40,00 35,00
10
60
52,63
44,23
45,00
Prévalence (%)
10,53
2
χ2 (12) = 32,1808 ; Pr = 0,001.
20 0
1
37,04 30,65
30,76
30,00 25,00
21,05
20,00 14,00
15,00
16,67
10,00 Classe 1 de l’échelle de Hamilton Classe 2 de l’échelle de Hamilton Classe 3 de l’échelle de Hamilton
FIG. 2. — Répartition des étudiants de dernière année suivant les classes de l’échelle de Hamilton. 980
5,00 0,00
1
2
3 4 5 Année d’étude
6
7
FIG. 3. — Prévalence des étudiants en médecine ayant un score de Beck ≥ 8, en fonction de l’année d’étude.
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
Prévalence des troubles anxio-dépressifs chez les étudiants en médecine
La 4e année de médecine est ainsi l’année où les prévalences de l’anxiété et de la dépression sont les plus élevées (figure 4).
100
Prévalence (%)
80
74,19
79,24
76,36 69,23
68
60
63,16 48,98
40 20 0
1
2
3 4 Année d’étude
5
6
7
FIG. 4. — Prévalence des étudiants en médecine ayant un score de Hamilton ≥ 6.
Enfin, il existe un lien statistiquement significatif entre les antécédents personnels et familiaux et la prévalence des troubles anxio-dépressifs (tableaux XII et XIII).
TABLEAU XII. — Lien entre antécédents personnels et score de Beck supérieur ou égal à 8. Beck – ATCD-P – + Total
–
+
352 74,11 9 39,13 361 72,48
123 25,89 14 60,86 137 27,51
Total 475 100 23 100 498 100
χ2 (1) = 13,4438 ; Pr = 0,0000.
TABLEAU XIII. — Lien entre antécédents familiaux et score de Beck supérieur ou égal à 8. Beck – ATCD-F – + Total
–
+
Total
336 74,67 22 48,89 358 72,32
114 25,33 23 51,11 137 27,68
450 100 45 100 495 100
χ2 (1) = 13,2540 ; Pr = 0,0000.
DISCUSSION Il n’y a pas de différence significative concernant les troubles anxio-dépressifs entre les deux populations étudiées. Par ailleurs, la prévalence du score de Beck supérieur ou égal à 8 obtenue chez les étudiants en médecine de l’USJ (27,63 %) est supérieure à celle retrouvée chez des étudiants américains (23 %) (13, 15) mais inférieure à celle retrouvée à l’Université de Hong-Kong (48 %) (13). De même, la prévalence de l’anxiété chez les étudiants en médecine de l’USJ (69 %) est supérieure à celle retrouvée dans la littérature (41 %) (12). Par ailleurs, afin de pouvoir distinguer l’effet des études universitaires de celui de la prédisposition aux troubles anxio-dépressifs avant les études universitaires, nous avons cherché les prévalences des troubles anxio-dépressifs en première année et en dernière année d’études universitaires, dans les deux populations étudiées. Des prévalences de dépression et d’anxiété statistiquement identiques sont retrouvées en 1re année de médecine et en 1re année de pharmacie, ce qui suggère que ces deux populations ne diffèrent pas au début des études universitaires. En revanche, la comparaison 7e année de médecine – 5e année de pharmacie a montré un taux d’anxiété significativement plus élevé chez les étudiants en pharmacie que chez ceux en médecine, ce qui infirme l’hypothèse de départ. En ce qui concerne la dépression, il n’y a pas de différence entre 7e année de médecine et 5e année de pharmacie. Ces résultats sont en accord avec ceux de certaines études qui ont retrouvé des taux de troubles anxio-dépressifs moins élevés chez les étudiants en médecine que chez leurs homologues en pharmacie (10), médecine dentaire (10), droit (9)… Dans un troisième temps, la comparaison des prévalences de l’anxiété et de la dépression entre les différentes années d’études en médecine permet de remarquer que la 4e année est celle où les valeurs sont les plus élevées. Ceci pourrait être dû aux difficultés académiques rencontrées par les étudiants au cours de cette année, à cause de la charge importante de travail et d’informations qu’elle contient. Par ailleurs, les prévalences des troubles anxio-dépressifs en 7e année sont parmi les plus basses, alors que médecins et internes rapportent souvent que la 7e année est la plus difficile et la plus anxiogène parmi toutes les années d’études médicales. Cette contradiction pourrait être attribuée à la période où le questionnaire a été distribué – début du mois de septembre – période loin des examens, des concours des hôpitaux, et du choix des postes d’internat, ces évènements étant considérés par les étudiants comme fortement générateurs d’anxiété et de dépression. Cette contradiction souligne aussi l’importance des études longitudinales où l’état émotionnel de l’étudiant est suivi tout au long de l’année, voire durant une période s’étalant sur plusieurs années. Finalement, la relation fortement significative entre antécédents personnels et familiaux d’une part, et prévalence des troubles anxio-dépressifs d’autre part, permet de conclure que ces antécédents sont des facteurs prédisposant aux troubles anxio-dépressifs. 981
Z. Mehanna, S. Richa
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 976-82, cahier 1
CONCLUSION
Références
Cette étude rejoint celles qui infirment l’hypothèse que les étudiants en médecine sont plus anxieux et plus déprimés que les autres étudiants. Cette idée, ancienne, pourrait être due au caractère unique et exceptionnel du cursus de médecine générale, vu le nombre d’années d’études, les grandes responsabilités auxquelles sont confrontés les médecins, et le stress lié aux stages et à la pratique professionnelle. Ces difficultés seraient contrebalancées par la solidité des étudiants en médecine qui ont accédé aux études médicales suite à un concours très sélectif. Ce dernier donnerait à des sujets caractérisés par un perfectionnisme adaptatif, une éthique d’accomplissement, un potentiel de relaxation important, et de grandes capacités intellectuelles. L’état psychologique des étudiants en médecine constitue un centre d’intérêt important dans le monde, pas seulement à cause de la facilité avec laquelle ils peuvent être suivis, ou à cause des difficultés rencontrées durant leurs études et leurs stages cliniques, mais surtout pour le lien étroit existant entre le niveau de troubles thymiques et la qualité des soins fournis par ces futurs médecins ; chercher le bien-être du patient passe en premier par celui de ceux qui fournissent les soins médicaux (11). À cela s’ajoute le coût très élevé de l’anxiété et surtout de la dépression, qui pèse sur le sujet et la société, par le biais des échecs académiques, l’arrêt des études médicales, la détérioration des relations interpersonnelles, les problèmes matrimoniaux, le suicide, l’altération de la capacité de travail (14)… Quant à la consommation d’alcool et de drogues, elle est d’un intérêt primordial dans la population étudiée, car celle-ci exercera, dans l’avenir, une influence disproportionnée à son effectif sur la santé publique, puisque les médecins sont au cœur de la prévention contre la consommation d’alcool ou de drogues (8).
1. SASLOW G. Psychiatric problems of medical students. J Med Edu 1956 ; 31 : 27-33. 2. CLARK PC, ZELDOW PB. Vicissitudes of depressed mood during four years of medical school. JAMA 1988 ; 260 (17) : 2521-8. 3. HEINS M, FAHEY S, LEIDEN L. Perceived stress in medical, law, and graduate students. J Med Edu 1984 ; 59 : 169-79. 4. ALAGNA SW, MOROKIFF PJ. Beginning medical school : determinants of male and female emotional reaction. J Appl Soc Psychol 1986 ; 16 : 348-60. 5. ZOCCOLILLO M, MURPHY GE, WETZEL RD. Depression among medical students. J Affect Disord 1986 ; 11 : 91-6. 6. VERBRUGGE LM. Gender and health : an update on hypothesis and evicence. J Health Soc Behav 1985 ; 26 : 156-82. 7. VITALIANO P, MAIURO D, RUSSO J et al. Medical student distress. A longitudinal study. J Nerv Ment Dis 1989 ; 177 (2) : 70-5. 8. ASHTON CH, KAMALI F. Personality, lifestyles, alcohol and drug consumption in a sample of British medical students. Med Edu 1995 ; 29 : 187-92. 9. HELMERS KF, DANOFF D, STEINERT Y et al. Stress and depressed mood in medical students, low students, and graduate students at Mc Gill University. Acad Med 1997 ; 72 (8) : 708-14. 10. HENNING K, EY S, SHAW D. Perfectionism, the impostor phenomenon and psychological adjustment in medical, dental, nursing and pharmacy students. Med Edu 1998 ; 32 : 456-64. 11. AKTEKIN M, KARAMAN T, SENOL Y et al. Anxiety, depression and stressful life events among medical students : a prospective study in Antalaya, Turkey. Med Edu 2001 ; 35 : 12-7. 12. PICKARD M, BATES L, DORIAN M et al. Alcohol and drug use in second-year medical students at the University of Leeds. Med Edu 2000 ; 34 : 148-50. 13. CHAN DW. Depressive symptoms and depressed mood among Chineese medical students in Hong-Kong. Comp Psychiatry 1991 ; 32 (2) : 170-80. 14. ROSAL MC, OCKENE IS, OCKENE JK et al. A Longitudinal study of students’ depression at one medical school. Acad Med 1997 ; 72 (6) : 542-6. 15. GUENS JL, TJIA J. Depressed medical students’ use of mental health services and barriers to use. Acad Med 2002 ; 77 (9) : 918-21.
982