Prévalence du virus d’Epstein-Barr dans les lymphomes non hodgkiniens dans la région du Centre Tunisien

Prévalence du virus d’Epstein-Barr dans les lymphomes non hodgkiniens dans la région du Centre Tunisien

Ann Pathol 2005 ; 25 : 95-102 Prévalence du virus d’Epstein-Barr dans les lymphomes non hodgkiniens dans la région du Centre Tunisien Article origin...

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Ann Pathol 2005 ; 25 : 95-102

Prévalence du virus d’Epstein-Barr dans les lymphomes non hodgkiniens dans la région du Centre Tunisien

Article original

Mounir Trimeche (1), Sonia Ziadi (1), Laurence de Leval (2), Sihem Hmissa (1), Badredine Sriha (1), Moncef Mokni (1), Intissar Toumi (1), Halima Elomri (3), Adnène Laatiri (3), Abderrahim Kehlif (3), Jacques Boniver (2), Sadok Korbi (1) (1) Laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, CHU Farhat Hached, 4000 Sousse, Tunisie. (2) Laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques, CHU Sart-Tilman, 4000 Liège, Belgique. (3) Service d’Hématologie Clinique, CHU Farhat Hached, 4000 Sousse, Tunisie.

Trimeche M, Ziadi S, de Leval L, Hmissa S, Sriha B, Mokni M et al. Prévalence du virus d’Epstein-Barr dans les lymphomes non hodgkiniens dans la région du Centre Tunisien. Ann Pathol 2005 ; 25(2) : 95-102.

Summary Prevalence of Epstein-Barr virus in non-Hodgkin’s lymphomas in central region of Tunisia The purpose of this study was to evaluate the prevalence of EBV in non-Hodgkin’s lymphomas occuring in non-immunocopromised patients in Tunisia through a series of 126 cases. EBV was investigated by EBER oligonucleotide in situ hybridization (ISH) and LMP1-immunohistochemistry. Serological study of EBV has been performed before therapy in 28 patients. EBV was detected in tumor cells by ISH in 28/126 (22.2%) cases. Variable proportions of tumor cells were positive. LMP1 was identified in only 8 cases.

Résumé Le but de ce travail était d’évaluer la prévalence de l’EBV dans les lymphomes non hodgkiniens survenant chez des patients apparemment immunocompétents en Tunisie à travers une série de 126 cas. La détection de l’EBV a été effectuée par hybridation in situ (HIS) avec les oligonucléotides EBERs et par immunohistochimie avec un anticorps anti-protéine LMP1 de l’EBV. Parallèlement, une sérologie de l’EBV a pu être effectuée sur du sang prélevé avant le traitement pour 28 parmi nos cas. L’EBV a été détecté par HIS dans les cellules tumorales dans 22,2 % des cas ; la positivité a été notée dans des proportions variables de cellules tumorales. La protéine virale LMP1 a été détectée dans seulement 8/126 cas. L’EBV

EBV was more frequently observed in T-cell lymphomas (9/24 patients; 37.5%) than in B-cell lymphomas (19/102 patients; 18.6%) (p = 0.04). There was a strong relationship between EBV and small intestine lymphomas (6/8 patients; 75%) and T/NK nasal type lymphomas (3/3 patients; 100%). EBV serological reactivation was noted in 7/13 patients in clinical stages III/IV and in only 1/10 patients in stages I/II (p = 0.03). In conclusion, the prevalence of EBV in Tunisian non-Hodgkin’s lymphomas is low but variable depending on the histological type and anatomical location with a predilection for small intestine and nasal lymphomas. ✦ Key words: Epstein-Barr virus, non-Hodgkin’s lymphomas, in situ hybridization, immunohistochemistry.

a été observé plus fréquemment dans les lymphomes T (9/24 cas ; 37,5 %) que dans les lymphomes B (19/102 cas ; 18,6 %) (p = 0,04). Une forte prévalence de l’EBV a été notée dans les lymphomes de l’intestin grêle (6/8 cas ; 75 %) et les lymphomes T/NK des fosses nasales (3/3 cas ; 100 %). La réactivation sérologique de l’EBV a été notée chez 7/13 cas aux stades cliniques III/IV et chez seulement 1/10 cas aux stades I/II (p = 0,03). En conclusion, la prévalence de l’EBV dans les lymphomes non hodgkiniens en Tunisie est globalement faible mais variable selon le type histologique et la localisation anatomique avec une prédilection pour les lymphomes de l’intestin grêle et des fosses nasales. ✦ Mots-clés : virus d’Epstein-Barr, lymphomes non hodgkiniens, hybridation in situ, immunohistochimie.

© Masson, Paris, 2005

Accepté pour publication le 06 septembre 2004 Tirés à part : S. Korbi, voir adresse en début d’article. e-mail : [email protected]

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Mounir Trimeche et al.

Introduction Le virus d’Epstein-Barr (EBV) est un virus humain ubiquitaire appartenant à la famille des herpesviridae. Il est responsable de la mononucléose infectieuse [1] et est fortement associé au lymphome de Burkitt endémique et au carcinome indifférencié du nasopharynx [2, 3]. Plus récemment, et grâce aux techniques modernes de détection virale, l’EBV a été retrouvé dans les lymphoproliférations survenant chez des patients immunodéprimés [4, 5] et dans certaines proliférations malignes observées chez des personnes apparemment immunocompétentes telles que la maladie de Hodgkin [6], certains lymphomes non hodgkiniens B et T [7-9], et dans les carcinomes lympho-épithéliaux notamment gastriques, pulmonaires et intestinaux [10-13]. Cependant, la détection de l’EBV et l’expression de ses gènes dans ces tumeurs varient considérablement d’une série à une autre selon le type histologique et selon d’autres facteurs dont certains sont liés à l’hôte [14, 15]. Bien que l’implication de l’EBV dans la pathogénie du lymphome de Burkitt endémique soit retenue, la signification pathogénique de la présence de l’EBV dans les autres types de lymphomes, particulièrement ceux montrant une expression faible du virus, est encore discutée, d’autant plus que la protéine virale de latence LMP1, considérée comme une onco-protéine à cause de son effet transformant in vitro [16, 17], est rarement détectée dans ces lymphomes. Deux cancers associés à l’EBV sont fréquents en Tunisie : le carcinome indifférencié du nasophrynx, dont l’incidence annuelle est de 4,9/100 000 hommes et 1,8/100 000 femmes [18] et la maladie de Hodgkin de l’enfant qui est associée à l’EBV dans 90 % des cas [19]. Notre étude se propose d’évaluer la prévalence de l’EBV dans les lymphomes non hodgkiniens en Tunisie et d’analyser sa relation avec les données clinico-pathologiques.

Matériel et méthodes Cent vingt-six cas de lymphomes non hodgkiniens primitifs inventoriés au Laboratoire d’Anatomie et de Cytologie Pathologiques du CHU Farhat Hached de Sousse en Tunisie entre 1988 et 1998 ont été sélectionnés sur la base de la disponibilité de tissu tumoral fixé en formol ou en Bouin et enrobé en paraffine et sur l’absence d’une infection

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connue par le virus de l’immunodéficience humaine (HIV). Les données cliniques relatives à l’âge, le sexe, la localisation primitive du lymphome et le stade clinique selon la classification d’Ann-Arbor ont été recueillies. Après analyse morphologique et immunohistochimique, les cas ont été répertoriés en soustypes histologiques selon la classification de l’OMS [20]. Par ailleurs, un prélèvement sanguin a été réalisé pour 28 parmi nos cas avant le début du traitement afin de pratiquer une analyse sérologique de l’EBV.

Immunohistochimie L’étude immunohistochimique a été réalisée sur coupes tissulaires de 4 µm déparaffinées. Chaque cas a été testé par les anticorps mono et polyclonaux suivants (DAKO, Glostrup, Danemark) : anti-antigène épithélial membranaire (clone E29), antiantigène leucocytaire commun (clone 2B11, PD7/26), anti-CD20 (clone L26), anti-CD79a (clone HM47), anti-CD3 (polyclonal), antiCD45RO (clone UCHL1), anti-CD30 (clone Ber-H2), anti-chaînes lourdes des immunoglobulines (A, G et M polyclonaux, DAKO), anti-chaînes légères des immunoglobulines (kappa et lambda polyclonaux) et anti-LMP1 de l’EBV (clone CS1-4). Un démasquage des antigènes a été réalisé pour chaque anticorps par traitement aux micro-ondes (750 W) pendant 5 min dans un tampon citrate pH 6. La révélation a été réalisée grâce au kit LSAB DAKO. La lecture des coupes a été effectuée par microscopie optique et la positivité a été évaluée qualitativement.

Hybridation in situ La détection de l’EBV par HIS a été réalisée à l’aide des sondes EBERs, complémentaires des deux transcrits primaires nucléaires EBER 1 et 2 de l’EBV, conjugués à l’isothiocyanate de fluorescéine (DAKO). La technique a été effectuée selon les recommandations du fournisseur. Une digestion des coupes par la protéinase K (1 µg/ml dans un tampon TE, pH 8) pendant 30 min à température ambiante a été effectuée au préalable. La révélation a été réalisée par le Kit de détection DAKO. La lecture a été réalisée par microscopie optique et la positivité a été évaluée d’une façon semi-quantitative en cotant la proportion des cellules positives selon la méthode décrite par Hummel et al.

EBV et lymphomes non hodgkiniens

[9] : + : 1 à 80 % des cellules tumorales positives, ++ : 80 à 100 % des cellules tumorales positives. Les cas montrant un marquage limité à des lymphocytes non tumoraux ont été classés comme lymphomes EBV-négatifs.

Sérologie de l’EBV Cette partie de l’étude a concerné 28 cas pour lesquels un prélèvement sanguin a été effectué avant le début du traitement. Le titre sérologique des immunoglobulines IgG et IgM anti-EBV a été évalué par une technique immunoenzymatique à l’aide du Test Enzygnost anti-EBV/IgM et anti-EBV/IgG (BEHRING, Allemagne). Les antigènes viraux de la plaque-test correspondent à un cocktail des antigènes de capside (VCA), antigènes associés aux noyaux (EBNAs) et les « early antigens » (EA-D). La mesure de la densité optique a été effectuée à une longueur d’onde de 450 nm grâce à un lecteur ELISA, Lab-System Multiscan. Ce test permet de distinguer quatre profils sérologiques : sérologie négative (IgG < 0,1 DO et IgM < 0,1 DO), infection ancienne par EBV (IgG > 25 U/ml et IgM < 0,1 DO), infection récente par EBV (IgG > 25 U/ml et IgM > 0,2 DO) et infection de réactivation (IgG > 650 U/ml et IgM < 0,1 DO).

Résultats

Caractéristiques anatomo-cliniques L’âge de nos patients variait de 3 à 86 ans avec une moyenne d’âge de 52 ans. 67,2 % de nos patients étaient de sexe masculin et 32,8 % de sexe féminin. Cent deux cas de lymphomes étaient de phénotype B (81 %) et 24 cas de phénotype T (19 %). Les localisations les plus fréquentes après l’atteinte ganglionnaire étaient le tube digestif pour les lymphomes B (24,5 %) et la peau pour les lymphomes T (20,8 %). La répartition des localisations primitives des lymphomes en fonction de l’âge des patients a montré que les lymphomes des fosses nasales et de l’intestin grêle survenaient chez les patients les plus jeunes avec un âge moyen de 20 et 32 ans, respectivement. Les stades cliniques III/IV représentaient 41,8 % des cas de lymphomes B et 61,9 % des cas de lymphomes T ; la différence n’était pas statistiquement significative (p = 0,15).

Hybridation in situ de l’EBV

L’analyse statistique a été effectuée en utilisant le test du χ 2 et le test exact de Fisher. Le seuil de signification retenu était de 0,05.

L’hybridation in situ a montré la présence de l’EBV dans les cellules tumorales dans 28/126 cas (22,2 %). Dans douze autres cas, l’EBV a été seulement détecté dans de rares lymphocytes d’allure non tumorale (huit cas de lymphomes B et quatre cas de lymphomes T). Sur le plan morphologique, le marquage a été observé dans un nombre variable de cellules tumorales allant de 1 à 100 % (figures 1 et 2). Le marquage partiel touchant

FIG. 1. — Positivité de l’hybridation in situ (EBER) dans la quasi-totalité des cellules tumorales dans un lymphome T/NK nasal (× 400).

FIG. 2. — Positivité de l’hybridation in situ (EBER) dans des cellules tumorales réalisant un complexe lympho-épithélial dans un lymphome de type MALT gastrique (× 400).

FIG. 1. — Postive in situ hybridization (EBER) in almost all of the tumor cells in nasal T/NK lymphoma (× 400).

FIG. 2. — Positive in situ hybridization (EBER) in tumor cells producing a lympho-epithelial lesion in gastric MALT lymphoma (× 400).

Analyse statistique

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Mounir Trimeche et al.

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1 à 80 % des cellules tumorales a été noté dans 68 % des cas positifs alors que le marquage diffus touchant 80 à 100 % des cellules tumorales concernait 32 % des cas positifs. Le tableau I expose les résultats de l’HIS en fonction du type histologique. 37,5 % de cas de lymphomes T étaient EBVpositifs contre seulement 18,6 % des cas de lymphomes B (p = 0,04). Parmi les lymphomes B, l’EBV a été détecté dans 13/63 cas (20,6 %) de lymphome B à grandes cellules, 3/14 cas de lymphome de type MALT (un cas de lymphome gastrique associé à Helicobacter pylori (HP), un cas grêlique et un cas siégeant dans une glande lacrymale) et 3/8 cas de lymphome de Burkitt. Concernant les lymphomes T, l’EBV a été particulièrement observé dans les lymphomes T/NK de type nasal (3/3 cas) avec un signal touchant la quasi-totalité des cellules tumorales. La répartition des cas EBV-positifs selon la localisation primitive du lymphome (tableau II) a montré une forte prévalence de l’EBV dans les lymphomes de l’intestin grêle (6/8 cas, soit 75 %). Les cas positifs correspondaient à deux cas de lymphome B à grandes cellules, deux cas de lymphome de Burkitt, un cas de lymphome de type MALT et un cas de lymphome T périphérique SAS

(sans autre spécification). Aucun de nos cas de lymphomes du grêle n’était associé à une maladie cœliaque. Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre la présence de l’EBV dans le tissu tumoral d’une part, et l’âge, le sexe et le stade clinique d’autres parts.

Immunohistochimie de l’EBV L’expression de la protéine virale LMP1 a été détectée dans quatre cas de lymphomes B (trois cas de lymphome à grandes cellules et un cas de lymphome de type MALT) et dans quatre cas de lymphomes T (trois cas de lymphome T périphérique SAS et un cas de lymphome T/NK de type nasal). Nous n’avons pas noté de cas LMP1+/EBER–. Sur le plan morphologique le marquage cytoplasmique avec l’anticorps anti-LMP1 a été constaté dans de rares cellules tumorales.

Sérologie de l’EBV La sérologie de l’EBV pratiquée pour 28 patients (22 lymphomes B et 6 lymphomes

TABLEAU I. — Résultats de l’hybridation in situ (EBER) selon les types histologiques. TABLE I. — In situ hybridization (EBER) results according to histological types.

Types histologiques

Nombre des cas

EBER dans les lymphocytes non tumoraux

EBER dans les cellules tumorales +

++

Total (%)

Lymphomes B : A grandes cellules

63

4

11

2

13 (20,6 %)

Burkitt

8

0

1

2

3 (37,5 %)

MALT

14

0

3

0

3 (21,4 %)

Monocytoïde

1

0

0

0

0

Lymphocytique/LLC

11

3

0

0

0

Folliculaire

4

0

0

0

0

Lympho-plasmocytaire

1

1

0

0

0

102

8

15

4

19 (18,6 %)

Périphérique SAS

13

1

4

2

6 (46,2 %)

T/NK de type nasal

3

0

0

3

3 (100 %)

Total B Lymphomes T :

Mycosis fongoïde

3

2

0

0

0

Lymphocytique/LLC

1

1

0

0

0

Anaplasique CD30+

1

0

0

0

0

Lymphoblastique

3

0

0

0

0

24

4

4

4

9 (37,5 %)

Total T

+ : 1 à 80 % de cellules tumorales EBER positifs ; ++ : 80 à 100 % de cellules tumorales EBER positifs ; LLC : leucémie lymphoïde chronique ; SAS : sans autre spécification.

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EBV et lymphomes non hodgkiniens

TABLEAU II. — Répartition des cas EBV-positifs selon la localisation primitive des lymphomes. TABLE II. — Distribution of EBV positive cases according to the primitive location of lymphomas. Lymphomes B EBV-positifs/total

Lymphomes T EBV-positifs/total

Lymphomes B et T EBV-positifs/total

Ganglions lymphatiques

8/46

3/9

11/55

Intestin grêle

5/7

1/1

6/8

Estomac

1/15

-

1/15

Colon

0/3

-

0/3

-

3/3

3/3

Oropharynx

1/6

-

1/6

Nasopharynx

0/3

0/1

0/4

Glandes salivaires

0/2

1/1

1/3

Peau

1/6

1/5

2/11

Autres

3/14

0/4

3/18

Localisation primitive

Fosses nasales

T) a montré que 93 % des cas ont eu un contact avec l’EBV. Il s’agit d’une infection ancienne banale dans 64,3 % des cas, une réactivation de l’infection virale dans 25 % alors qu’un profil d’une infection aiguë a été observé dans un cas. Ce dernier correspondait à un lymphome T anaplasique CD30+ cutané primitif au stade clinique I, EBER négatif à l’hybridation in situ, survenant chez une femme âgée de 53 ans. Nous n’avons pas trouvé de corrélation significative entre le profil sérologique de l’EBV et la présence du virus dans les cellules tumorales. En revanche, une corrélation significative a été notée entre le profil sérologique de réactivation virale et les stades cliniques avancés III/IV comparativement aux stades I/II ; en effet, la réactivation virale a été notée chez 7/13 cas aux stades III/IV et chez seulement 1/10 cas aux stades I/II (p = 0,03).

Discussion Dans cette étude nous avons détecté l’EBV par hybridation in situ dans les cellules tumorales dans 22,2 % des cas de lymphomes non hodgkiniens survenaient chez des patients immunocompétents. L’étendue du marquage du tissu tumoral était variable d’un cas à un autre et limité à une proportion faible de cellules tumorales dans deux tiers des cas positifs. Le marquage partiel des cellules tumorales a été fréquemment rapporté dans la littérature [8, 9, 21-23]. Il est vraisemblablement dû à un problème technique lié à l’échec de l’hybridation in situ dans certaines cellules tumorales

infectées par le virus. D’autres hypothèses évoquées semblent être peu probables [9, 15]. L’une suggère que le marquage partiel reflète l’infection secondaire d’une souspopulation de cellules tumorales par l’EBV après la transformation maligne. L’autre suggère la perte du génome viral de certaines cellules tumorales ou l’inactivation des gènes codant pour EBERs dans des cas de lymphomes EBV positifs. Bien que les ARNs EBERs de l’EBV soient apparemment toujours exprimés durant la phase de latence de l’infection virale, un type particulier de latence se caractérisant par un défaut d’expression des ARNs EBERs a été récemment évoqué dans des cas de carcinome hépatocellulaire [24] et de cancer du sein [25], mais il n’a pas été confirmé par d’autres études [26, 27]. Nous avons par ailleurs détecté l’EBV uniquement dans des lymphocytes d’allure non tumorale dans 12 cas de lymphomes que nous l’avions classé comme des lymphomes non associés à l’EBV. La détection de l’EBV dans des lymphocytes non tumoraux a été fréquemment rapportée dans les données de la littérature [9, 21]. Ces lymphocytes étaient souvent de phénotype B [9]. Nous n’avons pas trouvé de corrélation entre la détection de l’EBV d’une part, et l’âge, le sexe, le stade clinique et le profil sérologique de l’EBV d’autres parts ; ces résultats sont en accord avec les données de la littérature [9, 21]. En tenant compte de l’immuno-phénotype et malgré le tropisme de l’EBV aux lymphocytes B, nous avons détecté l’EBV plus fréquemment dans les lymphomes T (37,5 %) que dans les lymphomes B (18,6 %). D’Amore et al. [21] ont rapporté la présence de l’EBV dans 31 % des cas de lymphomes T

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Mounir Trimeche et al.

et dans seulement 7 % des lymphomes B. La prévalence de l’EBV dans les lymphomes B est souvent faible allant de 3,6 à 26 % quelle que soit la technique de détection utilisée [8, 9]. En revanche, la prévalence de l’EBV dans les lymphomes T est très variable selon les séries : 9,7 et 31 % des cas au Danemark [8, 21], 43 % en Allemagne [22], 46 % en Hollande [28] et 62 % des cas de lymphomes T en Chine [29]. L’association paradoxale apparente de l’EBV à des proportions relativement élevées de lymphomes T pourrait être en partie expliquée si l’on tient compte du fait que la molécule CD21, récepteur à l’EBV sur les lymphocytes B, est exprimée par certaines populations de cellules T et NK normales ou tumorales [30, 31]. Une étude récente [32] a permis d’envisager un mode nouveau d’infection des cellules T et NK par la réalisation d’une synapse immunologique et le transfert synaptique de CD21 sur ces cellules. Nous avons détecté une expression de l’oncogène viral LMP1 par IHC dans quatre cas de lymphomes B (21 % des cas HIS+) et dans quatre cas de lymphomes T (44,5 % des cas HIS+). Nos résultats concordent avec les données de la littérature qui montraient des proportions de détection de LMP1 ne dépassant pas 20 % pour les lymphomes B [9, 21] et variant de 25 à 83 % pour les lymphomes T [21, 28, 29]. La présence de l’EBV dans 37,5 % seulement de nos cas de lymphome de Burkitt, proportion assez proche de celles rapportées en Europe (25 à 30 %) [9, 19], confirme la nature sporadique du lymphome de Burkitt en Tunisie. Nous avons trouvé une forte prévalence de l’EBV dans les lymphomes primitifs de l’intestin grêle (5/7 cas de lymphomes B et 1/1 cas de lymphomes T). La détection de l’EBV dans les lymphomes B du grêle est très faible voire négative en Europe et en Corée [21, 23, 33] et relativement élevée au Mexique (5/12 cas) [34]. Contrairement aux lymphomes B, les lymphomes T de l’intestin grêle, notamment ceux non associés à une entéropathie, sont fortement associés à l’EBV [34, 35] avec, cependant, une variation significative selon l’origine géographique des patients. Dans une étude de lymphomes T primitifs de l’intestin grêle, l’EBV a été détecté plus fréquemment chez les patients mexicains (7/7 cas) comparativement aux européens (1/10 cas) [23] ; les patients mexicains étaient plus jeunes (32 ans) que les patients européens (62 ans). Ces différences ont suggéré l’influence de facteurs environnementaux dans la pathogénie de ces lym-

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phomes, telle qu’une exposition précoce aux virus à l’enfance. Nos résultats supportent cette hypothèse puisque l’âge moyen de nos patients atteints de lymphomes du grêle était de 32 ans nettement inférieur à celui de tous nos cas (52 ans). Nous avons noté une faible prévalence de l’EBV dans les lymphomes gastriques dans notre étude (1/15 cas). Dans une autre série tunisienne de 23 cas de lymphomes gastriques de type MALT [36], l’EBV a été détecté dans 13 % des cas. Ces résultats sont en accord avec les études effectuées dans d’autres régions du monde qui rapportent des proportions ne dépassant pas les 20 % des cas [37]. Par ailleurs, notre cas de lymphome de type MALT gastrique EBV-positif était de plus associé au HP. Cette coexistence de l’EBV et du HP supporte l’hypothèse d’une interaction synergique probable de ces deux agents infectieux dans la pathogénie de certains cas de lymphomes gastriques [38]. Nous avons détecté l’EBV dans les trois cas de lymphomes T/NK nasaux examinés. Le marquage par l’HIS concernait, dans les trois cas, la quasi-totalité des cellules tumorales Ces résultats concordent avec ceux de la littérature qui ont montré une prévalence de l’EBV dans 92 à 100 % des lymphomes T/NK nasaux [7, 21, 22, 35, 39, 40] suggérant l’implication de l’EBV dans la pathogénie de ces lymphomes. Nous avons détecté l’EBV dans 6/13 cas (46 %) de lymphomes T périphériques SAS. Cette proportion variait de 35 % à 47 % en Europe [21, 22] et de 39 à 62 % en Asie [29, 35]. 18 % de nos lymphomes cutanés primitifs étaient EBV-positifs. La prévalence de l’EBV dans les lymphomes cutanés est très variable dans les séries publiées ; elle est de 0 % en Angleterre (0/37 biopsies) [41] et au Danemark (0/13 cas) [21], 9,5 % (4/42 cas) en Allemagne [22], 26 % (43/158 biopsies) en France [42] et de 62,5 % (20/32 cas) en Chine [29]. Ces divergences ont été en partie expliquées par l’hétérogénéité des entités étudiées. En conclusion, notre étude montre une faible prévalence de l’EBV dans les lymphomes B (18,6 %) et les lymphomes T (37,5 %) en Tunisie, résultat comparable à ceux rapportés dans plusieurs régions du monde. Toutefois, une forte association est particulièrement notée entre l’EBV et nos lymphomes de l’intestin grêle (75 %). D’autres études portant sur de larges séries de lymphomes du grêle sont indispensables pour élucider le rôle exact de l’EBV dans la pathogénie de ce groupe de lymphomes. ■

EBV et lymphomes non hodgkiniens

Références [1]

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