Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un immunocompétent

Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un immunocompétent

Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 713–715 Cas clinique Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un immunocompétent Prim...

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Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 713–715

Cas clinique

Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un immunocompétent Primary pulmonary toxoplasmosis in an immunocompetent patient D. Simanaityte a,b,∗ , N. Le Gouellec a , F. Ajana a , N. Baclet a , J. Poissy a , A. Laiskonis a,b , A. Mickiene a,b , E. Senneville a , Y. Yazdanpanah a , L. Legout a a

Service universitaire de maladies infectieuses et du voyageur, hôpital Dron, rue du Président-Coty, 59208 Tourcoing, France b Service de maladies infectieuses, CHU de Kaunas, Kaunas, Lituanie Rec¸u le 1er d´ecembre 2009 ; accepté le 8 mars 2010 Disponible sur Internet le 21 avril 2010

Mots clés : Immunocompétence ; Pneumonie ; Toxoplasma gondii Keywords: Immunocompetent patient; Pneumonia; Toxoplasma gondii

La toxoplasmose est une parasitose liée à Toxoplasma gondii (Tg). Le chat est l’hôte définitif. Il est à l’origine de la contamination accidentelle de l’homme, des ovins, des bovins et des caprins. Tg peut être transmise par l’ingestion de crudités ou d’eau souillées par les fèces des chats ou, par la viande crue ou mal cuite contenant des kystes. Le contact direct avec la litière d’un chat infestant est également une source de contamination. Les transmissions materno-fœtale et en post-transplantation d’organes relèvent d’une prévention réglementée en France. Tg existe sous trois formes (oocyste, kyste tissulaire et tachyzoïtes). L’oocyste (forme de résistance dans le milieu extérieur) est excrété dans les fèces du chat. Le kyste tissulaire est une forme persistante dans l’organisme après l’infection toxoplasmique. Les tachyzoïtes sont libérés après la rupture des kystes au décours d’un déficit immunitaire sévère et exposent à la réactivation toxoplasmique avec des formes graves (cérébrales, oculaires, pulmonaires). Chez le sujet immunocompétent, la primo-infection par Tg est asymptomatique dans 90 % des cas. La forme symptomatique commune peut associer de la fièvre, des adénopathies cervicales, une asthénie et un syndrome mononucléosique. Les formes graves de l’immunocompétent (pneumonie interstitielle, myosite, méningo-encéphalite, myélite) sont rares, voire exceptionnelles. Nous rapportons le cas d’une primo-infection ∗

Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (D. Simanaityte), [email protected] (L. Legout). 0399-077X/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2010.03.013

toxoplasmique chez un jeune patient immunocompétent présentant une atteinte pulmonaire (Fig. 1). 1. Cas clinique Le 29 juillet 2009, un homme de 29 ans ayant des antécédents de hernie inguinale opérée a consulté son médecin traitant pour une asthénie importante associée à une sensation de faiblesse musculaire, une hyperthermie à 40 ◦ C et, des sueurs nocturnes évoluant depuis quatre jours. Le patient est conducteur de travaux, vit en concubinage et n’a pas d’enfant. Il n’a pas voyagé récemment à l’étranger. Un traitement par cefotiam hexétil (Taketiam® ) était débuté le 30 juillet, mais sans effet sur la courbe thermique. La persistance de la fièvre et l’apparition de céphalées motivent l’admission dans un service de médecine interne le 1er août 2009. Aucun point d’appel infectieux n’était retrouvé. Il n’y avait pas de syndrome méningé. Le bilan biologique retrouvait un taux de globules blancs à 8000/mm3 (dont 3736 polynucléaires neutrophiles, 3272 lymphocytes, 840 monocytes), un taux d’hémoglobine à 14 g/dl, un taux de plaquettes à 248 000/mm3 et une C-réactive protéine (CRP) à 43 mg/L. Les fonctions hépatiques et rénales étaient normales. Les sérologies des hépatites B, C, virus de l’immunodéficience humaine (VIH), adénovirus, grippe A et B et des myxovirus, entérovirus étaient négatives. La radiographie thoracique, l’électrocardiogramme (ECG), le panoramique dentaire, l’échographie transthoracique et le scanner cérébral étaient normaux. Un traitement empirique par ceftriaxone (Rocephine® )

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Fig. 1. Cinétique des anticorps au cours de la toxoplasmose. Kinetics of antibodies during toxoplasmosis.

et levofloxacine (Tavanic® ) était administré pendant sept jours sans changement de l’évolution. Le 11 août 2009, le patient est transféré dans le service de maladies infectieuses. À l’entrée, l’examen clinique retrouvait une température à 39,5 ◦ C sans frissons ni répercussion hémodynamique, une asthénie surtout pendant les pics fébriles, une anorexie, un amaigrissement de 10 kg en trois semaines, une gorge légèrement érythémateuse, des adénopathies sous-maxillaires gauches, carotidiennes gauches, cervicales postérieures gauches, axillaires droites, inguinales bilatérales, des nausées sans vomissement et un abdomen souple, indolore sans organomégalie. Sur le plan pulmonaire, on retenait une saturation en oxygène à 92 %, une toux sèche, une douleur basi-thoracique gauche, quelques crépitants en base gauche, une diminution de murmure vésiculaire à gauche. On ne notait pas de souffle cardiaque ni d’éruption cutanée. Les céphalées étaient encore présentes, sans raideur de nuque. L’anamnèse ne retrouvait pas d’exposition particulière de type voyage, acquisition d’animaux domestiques, les habitudes de vie n’avaient pas changé. La biologie retrouvait une hyperleucocytose à 10,3 × 103 /mm3 dont 5386 polynucléaires neutrophiles/mm3 , 3718 lymphocytes/mm3 et une monocytose à 1123/mm3 sans atteinte des autres lignées. Le taux de CRP était à 70 mg/L. Le bilan hépatique, la fonction rénale et l’électrophorèse des protéines sériques sont demeurés normaux. Le taux de la lactate déshydrogénase (LDH) était à 393 UI/L (N : 0–248), le taux de ß2 microglobuline à 2,24 mg/L (N : 0–2,2). Le gaz de sang en air ambiant retrouvait une hypoxémie à 66 mmHg, une hypocapnie à 33 mmHg, un taux d’acide lactique à 0,9 mmol/L, un taux de bicarbonates à 23 mmol/L et, un pH à 7,45. L’Examen cytobactériologique des urines (ECBU) et les hémocultures demeuraient stériles. L’électrocardiogramme notait un rythme sinusal régulier sans trouble de la repolarisation, ni trouble de la conduction. La radiographie de thorax notait une opacité gauche. Le scanner thoracoabdopelvien montrait un aspect de pneumopathie lobaire inférieure bilatérale avec des infiltrats, un petit épanchement pleural gauche. L’échographie cardiaque transthoracique était normale. La présence d’un syndrome mononucléosique et d’adénopathies périphériques motivaient un complément de bilan biologique dont une sérologie le virus d’Epstein Barr (EBV), la mononucléose infectieuse (MNI) test, une sérologie cytomégalovirus (CMV)– toutes négatives. L’intradermo-

réaction à la tuberculine (IDR) à la tuberculine était négative. Les antigénuries S. pneumoniae et Legionnella étaient négatives. La sérologie Elisa de toxoplasmose notait des IgG à 89,7 U/ml et des IgM à 9 U/ml. Les autres sérologies étaient négatives ou étaient en faveur d’une immunité ancienne (Chlamydia pneumoniae, Parvovirus B19, Coxackies, Coxiella burnetti). La sérologie (EIA) Mycoplasma pneumoniae notait des IgG à 34 UA/ml sans IgM. L’hypothèse d’une pneumopathie atypique (bien que le patient ait rec¸u de la levofloxacine ([Tavanic® ]) pendant quelques jours) a motivé une modification de l’antibiothérapie par roxithromycine (Rulid® ) 150 mg × 2, le 11 août. Elle a permis une diminution de la fièvre après quatre jours de traitement. Tenant compte des résultats de la sérologie toxoplasmique, le roxithromycine (Rulid® ) était remplacé par spiramycine (Rovamycine® ), le 15 août en l’absence de signes de choriorétinite au fond d’œil. L’évolution a été favorable avec une amélioration des gaz du sang (PO2 = 85 mmHg, PCO2 = 35 mmHg, bicarbonates 25 mmol/L, SaO2 = 97 %), autorisant la sortie du patient le 21 août sous spiramycine (Rovamycine® ) pour une durée totale de trois semaines. Quinze jours après sa sortie, l’asthénie persistait sans réapparition de la fièvre. Les adénopathies avaient diminué. Le bilan de contrôle notait une normalisation des leucocytes, mais une augmentation des éosinophiles à 615/mm3 (7,2 %) et une augmentation des glutamate oxaloacétique transaminase (TGO) à 50 UI/L (N < 30) sans modification du reste du bilan hépatique. La sérologie de toxoplasmose 15 jours après la première retrouvait une augmentation en Elisa des IgG à 1683 UI/ml, une stabilité des IgM 8,7 UI/ml. L’index d’avidité des IgG anti-toxoplasmique était faible (0,02). Le contrôle sérologique de la toxoplasmose à distance en novembre 2009 a confirmé une baisse des IgM à 0,7 UI/ml et des IgG à 5760 UI/ml (courbe). 2. Discussion du diagnostic Notre observation est originale en raison de la présentation clinique inhabituelle de la primo-infection à Tg et de l’aspect radiologique évoquant plutôt une pneumopathie communautaire. Une trentaine de primo-infections à Tg avec atteinte pulmonaire chez les patients immunocompétents ont été rapportés dans la littérature [1,4–8]. Carme et al. [1,5] ont rapporté une série entre 1998 et 2005 de 33 cas de primo-infection toxoplasmique après consommation de viande mal cuite chez des sujets immunocompétents vivants en Guyane. Il s’agissait d’une majorité d’hommes (26/33) avec un âge moyen 33 ans (17–53). Le tableau clinique notait une altération de l’état général dans deux tiers des cas, une hyperthermie typiquement élevée (39–40 ◦ C) prolongée (plus de dix jours), résistant aux antibiotiques non spécifiques de Tg (pénicilline, ceftriaxone, clarithromycine) et aux antimalariques. Les enzymes hépatiques étaient élevées dans 30/33 cas. Vingt-deux sur 33 patients avaient des signes respiratoires avec un syndrome interstitiel ou alvéolo-interstitiel. Parmi les 22 patients ayant des manifestations respiratoires, 12 avaient des signes de gravité nécessitant une admission en réanimation. Dix-sept patients sur 33 avaient des céphalées. Sept avaient une choriorétinite. Dix avaient une hépatomégalie et une

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splénomégalie et 24 avaient des adénopathies périphériques. La biologie confirmait une conversion sérologique dans 100 % des cas, une PCR positive dans le sang dans 5/11 patients testés. Certains de ces patients avaient été contaminés par la viande mal cuite comme notre patient qui consommait régulièrement de la viande crue et se souvenait avoir consommé son steak tartare, two semaines avant le début des symptômes. Carme et al. rapportent une possible transmission par inhalation parasitaire et un délai moyen entre l’ingestion de la viande et les premiers symptômes de 12 jours. Les mêmes auteurs ont également émis l’hypothèse de souches plus virulentes en Amérique du Sud. Depuis, quatre autres cas confirmés par l’isolement de la souche ont été rapportés dans la littérature en provenance du Brésil et de la France métropolitaine [4,6–8]. Il s’agissait de trois hommes et une femme d’âge moyen 32 ans (19–41) présentant de la fièvre (4/4), une toux (2/4), une dyspnée (3/4), des adénopathies (1), des anomalies radiologiques (4/4). Le diagnostic de primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire a reposé sur la conversion sérologique (4/4), la mise en évidence de Tg dans le lavage broncho-alvéolaire (LBA) (2/3) et après inoculation à la souris (2/2). Seuls, trois cas autopsiques ont été rapportés entre 1941 et 1969 après mise en évidence de Tg dans les poumons. Certains génotypes de Tg seraient par ailleurs liés à des formes plus graves [9]. L’évolution est habituellement favorable sous traitement spécifique. Parmi les cas rapportés dans la littérature, la plupart des patients avaient été traités par pyriméthamine-sulfadiazine (Malocid® -Adiazine® ) ou par spiramycine (Rovamycine® ) avec un délai d’obtention d’apyrexie variable (trois à 30 jours) [5]. Comme pour notre patient et les cas rapportés chez les immunocompétents dans la littérature, aucun facteur prédisposant n’était retrouvé [3]. Chez notre patient, la sérologie de toxoplasmose contrôlée à 15 jours d’intervalle et, plus tard confirmait une séro-élévation signant la toxoplasmose évolutive avec une cinétique d’anticorps de primo-infection (courbe de la cinétique d’anticorps et d’événements cliniques). La recherche de Tg dans le LBA et dans le sang n’a pas pu être effectuée chez notre patient. Le diagnostic de primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire a été retenu après élimination des autres diagnostics de pneumopathie communautaire (notamment à germes atypiques) et, devant la cinétique de la sérologie toxoplasmose. Pour notre patient, l’évolution a été rapidement favorable avec obtention de l’apyrexie quatre jours après l’introduction de la roxithromycine (Rulid® ). La levofloxacine (Tavanic® ) n’a pas d’activité sur Tg. Elle n’a pas non plus pu influencer les résultats de la sérologie à Mycoplasma pneumoniae. On a pu également éliminer une pneumopathie atypique à Mycoplasma pneumoniae devant une persistance des symptômes sous levofloxacine (Tavanic® ) et devant la stabilité de la sérologie de Mycoplasma pneumoniae. La gravité de la primo-infection toxoplasmique chez notre patient pourrait s’expliquer par une éventuelle souche virulente et ou un inoculum important (ingestion d’une forte charge parasitaire) [2,4].

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La spiramycine (Rovamycine® ) possède une activité in vivo et in vitro sur Tg. L’activité de la roxithromycine (Rulid® ) est réelle mais moindre chez la souris [10]. L’azithromycine est également efficace. Ces molécules peuvent être utilisés chez l’immunocompétent en cas d’atteinte pulmonaire avec une préférence pour la spiramycine (Rovamycine® ). La pyriméthamine (Malocid® ) ou la sulfadiazine (Adiazine® ) demeurent les anti-toxoplasmiques majeurs et de référence des formes graves de toxoplasmose et notamment chez l’immunodéprimé. 3. Conclusion La primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez l’immunocompétent est rare. Un faisceau d’arguments cliniques (fièvre à 39–40 ◦ C, fatigue, adénopathies et syndrome respiratoire) et biologiques (syndrome mononucléosique, leucocytose, augmentation des éosinophiles et TGO) devrait la faire évoquer comme diagnostic différentiel de certaines infections pulmonaires communautaires, la confirmer et adapter l’antitoxoplasmique précocement pour permettre une évolution favorable. Références [1] Carme B, Demar-Pierre M. Toxoplasmosis in French Guyana Atypical (neo-)tropical features of a cosmopolitan parasitosis. Med Trop 2006;66(5):495–503. [2] Colleman N, Eyles DE. Relationship of size of inoculum to time to death in mice infected with Toxoplasma gondii. J Parasitol 1956;42(3): 272–6. [3] Thulliez P. La toxoplasmose chez l’homme. Diagnostic, prévention et traitement. Supplément au laborama; 35:19. http://labo-cordeliers.fr/ fichiers/1908/7ba31472aed61a4168fd23f9a062c0f2/TOXOPLASMOSE. pdf. [4] De Salvador-Guillouet F, Ajzenberger D, Chaillou-Opitz S, Saint-Paul MC, Dunais B, Dellamonica P, et al. Severe pneumonia during primary infection with an atypical strain of Toxoplasma gondii in an immunocompetent young man. J Infect 2006;53(2):e47–50. [5] Carme B, Bissuel F, Ajzenberger D, Bouyne R, Aznar C, Demar M, et al. Severe acquired toxoplasmosis in immunocompetent adult patients in French Guiana. J Clin Microbiol 2002;40(11):4037–44. [6] Leal FE, Cavazzana CL, Franco de Andrade H, Galisteo AJ, Silva de Mendonca J, Kallas EG. Toxoplasma gondii pneumonia in immunocompetent subjects: case report and review. Clin Infect Dis 2007;44(6): e62–6. [7] Darde ML, Villena I, Pinon JM, Beguinot I. Severe toxoplasmosis caused by a Toxoplasma gondii strain with a new isoenzyme type acquired in French Guyana. J Clin Microbiol 1998;36(1):324. [8] Candolfi E, de Blay F, Rey D, Christmann D, Treisser A, Pauli G, et al. A parasitologically proven case of Toxoplasma pneumonia in an immunocompetent pregnant woman. J Infect 1993;26(1):79–81. [9] Carme B, Demar M, Ajzenberger D, Darde ML. Severe acquired toxoplasmosis caused by wild cycle of Toxoplasma gondii French Guyana. Emerg Infect Dis 2009;15(4):656–8. [10] Chan J, Luft BJ. Activity of roxithromycin (RU 28965), a macrolide, against Toxoplasma gondii infection in mice. Antimicrob Agents Chemother 1986;30(2):323–4.