Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2015) 14, 217—218
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ÉDITORIAL
Projet de vie en situation complexe, intérêt d’une approche palliative Life project with a serious and complex illness: Benefits of a palliative approach
Marcel-Louis Viallard
MOTS CLÉS Bientraitance ; Maltraitance ; Éthique ; Médecine palliative
KEYWORDS Treating well; Abuse; Ethics; Palliative medicine
Les enjeux médicaux, soignants et humains dans les situations complexes sont d’allier, d’une part, l’obligation d’une ou plusieurs approche(s) techno-scientifique(s) avec toutes les contingences inhérentes, leurs synergies, leurs interactions antagonistes, voire contraires, pouvant aboutir à une impression de morcellement de la personne et, d’autre part, le souci du prendre soin d’une personne dans sa globalité (dimensions physique, psychique, relationnel, sociale et surtout existentielle) pour permettre à celle-ci non seulement d’exister mais de vivre pleinement cette existence avec le sentiment pour et par le sujet lui-même du moins mal être à défaut du meilleur être possible. Autrement dit, le pari qui doit être relevé est d’allier la part objective directement accessible aux médecins, soignants, chercheurs par leurs savoirs et capacités techno-scientifiques avec la part subjective, souvent délicate à identifier, à évaluer et à interpréter. C’est aussi de limiter le malaise ressenti par le sujet d’une dispersion, d’une expulsion de soi par une obligatoire concentration sur le mal, la maladie, une parcelle de son corps. Comment permettre au sujet d’habiter ce corps qu’il est, qu’il a mais aussi qu’il ressent, qu’il pense (en fonction de ses possibles), qu’il projette, dont il rêve, qu’il incarne au fond ? Ce qui fait la complexité d’une situation peut être de l’ordre de la « rareté », de la « spécificité » ou plus exactement de la « singularité » mais aussi de l’intrication de phénomènes eux-mêmes aussi complexes en tant que tel. Ce sont les limites de nos savoirs, de nos possibles qui sont là mis en jeu. Mais aussi ceux d’être soi en soi, par soi, dans ce moment-là comme dans cette réalitélà. La complexité d’une situation amène les uns et les autres à se focaliser sur certains éléments qui constituent cette complexité. Par exemple, tous les efforts seront concentrés sur la compréhension du mécanisme physiopathologique qui cause tel ou tel symptôme, qui met en jeu le pronostic vital, qui pourrait être accessible à une de nos méthodes, soit validée, soit encore en cours de validation.
http://dx.doi.org/10.1016/j.medpal.2015.07.001 1636-6522/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
218 Cette focalisation n’est pas le fruit d’un choix arbitraire ou d’intérêt de la part du professionnel mais est une conséquence de la gravité réelle de la situation. Autrement dit, c’est la maladie, le processus physiopathologique en cause qui l’amène, l’impose. Cette focalisation amène à tout considérer autour d’un seul phénomène en ce qu’il serait accessible à nos possibles technologiques ou de savoirs. Cela parce qu’il faut faire, faire car exister n’est pas simplement être posé là, ici et maintenant mais c’est aussi vivre, c’est-à-dire interagir avec l’autre comme avec le monde. L’Être humain, dans sa réalité complexe amène à agir comme à réagir au sein d’un advenir qui ne peut se contenter d’une passivité subissante qui enfermerait l’homme dans un rôle de pur témoin de son exister. L’homme, instinctivement d’abord, puis par ses capacités rationnelles, est acteur de son existence. La situation complexe mêle plusieurs faits plus ou moins intriqués, plus ou moins accessibles. Cette réalité oblige à une sorte de priorisation de chaque élément en considérant les enchaînements des phénomènes possibles. De fait, il faut parfois d’abord assurer la survie avant de considérer la vie elle-même. Or la tension vient du fait que survivre n’a d’intérêt que si cette survie reste une vie qui soit plus que simplement exister. Autrement dit ce qui maltraite avant tout c’est la réalité physiologique. Être maltraité c’est d’abord et avant tout être mal, se sentir mal, avoir mal du fait d’un tiers. Ce tiers peut être un autre humain mais ce peut être aussi la confrontation à une réalité qui nous projette au plus loin de nos limites, de nos fragilités. Autrement dit la maladie est maltraitance, violence liée à l’émergence inéluctable de l’idée de finitude de soi, empêchement, « brutalisation » de soi par un processus physiopathologique ou autre. Le projet de vie qui est à penser comme élément important du plan de soins permet de renouer l’alliance indispensable entre souci du prendre soin, par la dispensation du « juste soin » et le souci de la personne en tant que sujet quel que soit son âge, quel que soit ses possibles. C’est ici le cœur même de la démarche palliative qui n’est pas autre chose qu’une tentative de répondre aux besoins, aux attentes, aux nécessités du sujet, en tenant compte des contingences à la fois de sa pathologie, des traitements accessibles, de l’organisation pragmatique du système de soins en se concentrant sur le sujet lui-même. De fait cette démarche pallie aux à ce qui ne peut être réparé, restauré, récupéré. Cette démarche est complémentaire et non substitutive. Cela ne la rend ni futile ni secondaire.
Éditorial C’est cette démarche en ce qu’elle participe à atténuer l’insupportable, à préserver le sens de ce qui est fait, qu’elle apporte confort et réconfort qui permet d’aller aussi loin que possible dans une prise en charge complexe de ce qui pourrait soit guérir, soit freiner l’évolution inéluctable. Elle ouvre des possibles parmi d’autres possibles en gardant la cohérence du prendre soin au meilleur intérêt, au plus près des désirs du sujet. Elle facilite et préserve la préoccupation humaine en la rendant compatible et cohérente avec les possibilités techno-scientifiques. En étant déclinée dans le même temps que la technoscience elle en assure l’efficience et le sens. En cela elle est un élément clé du souci de bientraitance en inscrivant le plan de soins et traitement au sein d’un « projet » de vie. La notion de projet de vie repose sur la prise en compte dans la construction d’un plan thérapeutique de la place impérative du sujet comme acteur. Ses désirs, ses attentes, ses nécessités, ses contingences, ses sentiments, ses interprétations, projections comme ses croyances ou idéologies sont ce qui assurera le sens du prendre soin dans sa singularité comme dans sa complexité. Ce projet de vie permet au sujet d’être lui, pas sa maladie, d’être humainement lui à la fois dans sa dimension physique et sa dimension sensible. Ce projet de vie facilite la réalisation comme l’adhésion à un plan thérapeutique et de soins car celui-ci prend sens, sens partagé entre le principal intéressé et celles et ceux qui s’inscrive dans le souci de sa personne, de son meilleur intérêt, de son bien. Palliatif n’est pas systématiquement synonyme d’ultime et est au contraire souci du vivant, dans la vie, même si c’est jusqu’à la mort. En tous les cas, c’est ce que nous essayons de développer tous ensemble dans nos lieux d’exercice au quotidien et qui participe à donner corps à notre souci de bientraitance partagé.
Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Marcel-Louis Viallard a,∗,b a
Médecine palliative périnatale, pédiatrique et adulte, hôpital Necker—Enfants-Malades, AP—HP, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France b EA 4569, université Paris Descartes Sorbonne Paris Cité, 45, rue des Saints-Pères, 75006 Paris, France ∗ Auteur
correspondant.
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