Journal de pédiatrie et de puériculture 19 (2006) 101–103
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : h t t p : / / f r a n c e . e l s e v i e r. c o m / d i r e c t / P E D P U E /
ARTICLE ORIGINAL
Protocole de la réhydratation intraveineuse du nourrisson Management of intravenous rehydration in young children C. Stheneur Service de pédiatrie, hôpital A.-Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne, France
MOTS CLÉS Gastroentérite ; Déshydratation ; Réhydratation orale ; Réhydratation intraveineuse
KEYWORDS Gastroenteritis; Dehydration; Oral rehydration; Intravenous rehydration
Résumé La gastroentérite aiguë pose encore des problèmes thérapeutiques en France. Pourtant, son traitement est très codifié. La réhydratation orale doit être préférée à toute autre voie, en l’absence de choc hypovolémique. En cas d’échec de cette voie, la réhydratation intraveineuse sera menée en fonction de l’importance de la déshydratation et de l’âge de l’enfant.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract Dehydration from viral gastroenteritis is still a therapeutic problem for most practitioners. Oral rehydration therapy is recommended first line therapy for both mildly and moderately dehydrated children. In case of failure, intravenous rehydration will be commenced. The composition and volume of fluid given must be determined based on importance of dehydration and age of the child.
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Introduction La gastroentérite aiguë (GEA) de l’enfant est un problème majeur de santé publique. Dans les pays industrialisés où les gastroentérites aiguës surviennent sur un mode épidémique, la mortalité est faible, mais la morbidité entraîne un poids médico-économique très important. Aux ÉtatsUnis, 9 % de toutes les hospitalisations d’enfants de moins de cinq ans sont dues à une diarrhée avec déshydratation,
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[email protected] (C. Stheneur).
et chaque enfant de moins de cinq ans fait en moyenne 1,3 à 2,3 épisode(s) annuel(s).
Épidémiologie En France, l’épidémiologie de cette maladie reste imprécise en raison de son caractère habituellement peu sévère permettant une gestion ambulatoire et en l’absence de réseau de surveillance national dédié à cette infection. Le réseau des médecins sentinelles a cependant permis d’estimer à trois millions par an le nombre de diarrhées aiguës vues chez les généralistes, et à 18 % les cas survenant
0987-7983/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jpp.2006.02.001
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chez des enfants de moins de cinq ans [6]. Le poids médicoéconomique hospitalier de la GEA en France a été estimé en 1997 par une étude de Fourquet fondée sur l’analyse des données PMSI (Programme de médicalisation des systèmes d’information). En 1997, 62 645 hospitalisations d’enfants de moins de cinq ans ont été codées GEA en France, dont 51 125 en « motif principal d’hospitalisation ». L’incidence annuelle globale de ces GEA en « motif principal d’hospitalisation » était de 1385 épisodes hospitalisés pour 100 000 enfants de moins de cinq ans (soit près de 1,4 %). Ces hospitalisations représentaient 11,4 % des hospitalisations de cette tranche d’âge : 8,2 % de un à quatre mois, 15,8 % de cinq mois à un an et 10,2 % entre un et quatre ans. La durée moyenne de séjour était de 3,2 jours. Le PMSI recensait 36 décès attribués à une GEA.
Diagnostic Le diagnostic de déshydratation repose essentiellement sur la clinique ; les examens complémentaires n’étant pas indispensables et leurs résultats retardés. Plusieurs études ont porté sur la confection d’échelles cliniques de déshydratation. Couramment, les enfants sont répartis en : déshydratation légère (< 5 %), en l’absence de signes cliniques ; modérée (entre 5 et 10 %) devant des muqueuses sèches, une apathie, une fontanelle déprimée, l’absence de larmes, des yeux cernés et une hypotonie des globes oculaires ; ou sévère (> 10 %) devant un pli cutané persistant, une langue « rôtie », un choc hypovolémique (trouble de la conscience, tachycardie, peau froide et marbrée, temps de recoloration allongé et oligurie). De nombreuses autres échelles de déshydratation ont été publiées qui portent sensiblement sur les mêmes critères. Toutes ont une sensibilité faible pour la détection des déshydratations modérées, et l’expérience du médecin prend ici toute sa valeur. Parmi les examens complémentaires, l’ionogramme sanguin ne sera pas demandé systématiquement mais uniquement en cas de déshydratation sévère, lorsque l’adaptation des apports en sel doit être finement régulée, ou lorsque le mécanisme de la déshydratation n’est pas clair (diarrhées et vomissements n’expliquant pas l’importance de la déshydratation).
Traitement Le mode de réhydratation dépend de l’importance de la déshydratation. Des études américaines datant des années soixante-dix ont démontré que la réhydratation orale était aussi efficace et plus rapide en termes d’hospitalisation que la réhydratation intraveineuse, même dans les déshydratations modérées à sévères, en l’absence de choc hypovolémique [3,5]. Une méta-analyse récente [2], portant sur 15 études et 1545 enfants, montre que la réhydratation orale a significativement moins d’effets indésirables, et même une mortalité moins importante, que la réhydratation intraveineuse, ainsi qu’une diminution significative de la durée d’hospitalisation. Les échecs de réhydratation orale sont inférieurs à 4 % lorsque celle-ci est bien conduite. Les recommandations
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américaines [1] pour les déshydratations légères à modérées (soit jusqu’à 10 % de déshydratation) sont : ● réhydratation orale de préférence (SRO : sodium : 60 mmol/L, glucose : 90 mmol/L, potassium : 20 mmol/L, citrate : 10 mmol/L, osmolarité : 200 à 250 mmol/L) car l’efficacité est la même que la voie intraveineuse (IV), et cette voie évite certaines complications comme les erreurs de perfusion. Elle est aussi moins chère en termes de durée d’hospitalisation et de temps infirmier. En cas de vomissements, la quantité ingérée doit être de 5 mL toutes les unes à deux minutes pour un total de 150 à 300 mL/h. Le fait de mélanger le SRO à des aliments pour changer le goût modifie l’osmolarité et n’a donc pas été validé ; ● s’il existe des difficultés à faire boire ou si l’enfant vomit, jusqu’à 19 mois, il est possible de poser une sonde nasogastrique et de donner du SRO à la seringue électrique : 20 mL/kg par heure pendant deux heures avant de réessayer une réhydratation orale ; ● si aucun de ces deux moyens n’est possible, il faut instaurer une réhydratation intraveineuse : glucosé à 5 % avec sodium 3,3 g/L si moins de deux ans, et 4,5 g/L si plus de deux ans, avec un débit de 100 mL/kg pour les dix premiers kilos, 50 mL pour les dix kilos suivants et 20 mL/kg pour les kilos au-dessus de 20 kg. La durée de la perfusion décrite est de deux à trois heures, sans que les critères d’arrêt ne soient précisés ; ● en cas de choc, l’hémodynamique doit être restaurée par du sérum physiologique (bolus de 20 mL/kg, répétés si nécessaire deux à trois fois) ; ● en cas d’hypernatrémie, la réhydratation orale est la plus indiquée mais avec un débit moindre et peut-être des apports sodés plus importants pour corriger la déshydratation sur un temps plus long. Il nous semble important d’insister sur ces recommandations car les habitudes françaises en sont éloignées. Pour preuve, une étude que nous avons réalisée auprès des services d’urgences pédiatriques a montré que le recours à la réhydratation intraveineuse était très précoce et que l’utilisation de la sonde nasogastrique était anecdotique. Malgré cela, le recours à la voie intraveineuse est parfois indispensable, et en particulier en cas de choc. Dans ce cas, un soluté de remplissage doit être utilisé en première intention. Ces solutés se divisent en cristalloïdes et colloïdes [4] : ● Les cristalloïdes. Leur pouvoir d’expansion est faible (20 à 25 % du volume reste dans le secteur intravasculaire) et bref (environ une heure). Ils ont comme avantage leur faible coût et leur absence de risque de réaction allergique. La dose habituellement recommandée est de 20 mL/kg en moins de 20 minutes ; cette dose pouvant être renouvelée si le choc n’est pas maîtrisé : ○ le sérum physiologique. La forte concentration en chlore pourrait entraîner une acidose et une hyperchlorémie. Des œdèmes périphériques transitoires peuvent se voir ;
Protocole de la réhydratation intraveineuse du nourrisson ○ le ringer lactate. Le lactate est métabolisé par le foie en pyruvate, puis bicarbonate, ce qui diminue l’acidose ; ● Les colloïdes : ○ l’albumine possède un important pouvoir d’expansion volémique qui dure de six à huit heures. Ses inconvénients sont : le prix, le risque viral de transmission de prion et les réactions anaphylactiques ; ○ les gélatines (Plasmion®) sont obtenues par hydrolyse du collagène animal. Leur pouvoir d’expansion volémique est très important, et dure quatre à cinq heures. Elles peuvent provoquer des réactions anaphylactiques. L’un de leur risque principal est la transmission théorique de l’encéphalopathie spongiforme du bovin. Lors d’hémodilution importante, elles peuvent entraîner des troubles de l’hémostase ; ○ les hydroxyéthylamidons (HEA, Elohes®). Les risques sont des réactions anaphylactiques, une hyperamylasémie, des troubles de l’hémostase qui contre-indiquent leur utilisation s’ils préexistent. Une fois le choc maîtrisé, une réhydratation intraveineuse pourra être débutée avec une solution de sérum glucosé contenant 3 à 4 g/L de NaCl. Nous proposons que le débit soit débuté à 150 mL/kg chez les enfants âgés de moins de deux ans, et à 120 mL/kg chez les enfants de plus de deux ans. Les calculs tenant compte de la perte de poids ne semblent pas apporter de bénéfice supplémentaire. L’adaptation du débit, de la concentration en sodium et en potassium se fera sur l’analyse de l’ionogramme sanguin et de la diurèse. La reprise de la réhydratation orale se fera précocement, si possible dès la quatrième heure après l’arrêt alimentaire.
Conclusion La réhydratation orale reste le traitement de première intention de toute déshydratation secondaire à une gastroentérite aiguë. Elle doit être essayée chez tous les enfants même s’ils vomissent, sauf en cas de choc hypovolémique.
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En cas d’échec ou en présence d’un choc, la voie intraveineuse sera utilisée. Le choc sera le plus couramment traité par une injection de 20 mL/kg de cristalloïdes qui pourra être répétée. La réhydratation elle-même sera débutée par une solution glucosée à 5 % contenant au moins 3 g/L de NaCl, au débit de 150 mL/kg chez les enfants âgés de moins de deux ans, et 120 mL/kg chez les enfants plus âgés.
Références [1] American Academy of Pediatrics. Provisional commitee on quality improvement, subcommittee on acute gastroenteritis. Practice parameter: the management of acute gastroenteritis in young children. Pediatrics 1996;3:424–35. [2] Fonseca BK, Holdgate A, Craig JC. Enteral vs intravenous rehydration therapy for children with gastroenteritis: a meta-analysis of randomized controlled trial. Arch Pediatr Adolesc Med 2004;158:483–90. [3] Hirschhorn N, Cash RA, Woodward WE, Spivey GH. Oral fluid therapy of Apache children with acute infectious diarrhoea. Lancet 1972;2:15–8. [4] Leteurtre S. Remplissage vasculaire aux urgences. Produits de remplissage et voies d’abord. Arch Pediatr 2004;11:716–8. [5] Sack DA, Chowdhury AM, Eusof A, Ali MA, Merson MH, Islam S, et al. Oral hydration rotavirus diarrhoea: a double blind comparison of sucrose with glucose electrolyte solution. Lancet 1978;2:280–3. [6] Valleron AJ. Six ans de surveillance des gastroentérites en médecine générale française. Med Ther Pediatr 1998;1:55–63.
Pour en savoir plus Armon K, Stephenson T, MacFaul R, Eccleston P, Werneke U. An evidence and consensus based guideline for acute diarrhoea management. Arch Dis Child 2001;85:132–42. Cezard JP, Chouraqui JP, Girardet JP, Gottrand F, et le groupe francophone d’hépatologie, gastroentérologie et nutrition pédiatriques. Traitement médicamenteux des diarrhées aiguës infectieuses de nourrisson et de l’enfant. Arch Pediatr 2002;9:620–8. Spandorfer PR, Alessandrini EA, Joffe MD, Localio R, Shaw KN. Oral vs intravenous rehydration of moderately dehydrated children: a randomized controlled trial. Pediatrics 2005;115:295–301.