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Article original
Psychopathologie de l’énonciation dans le champ de la clinique de l’agir : la notion de subjectivité sans sujet夽 Discursive psychopathology in the field of violent behaviour: The notion of subjectivity without a subject Philippe Huon (Psychologue clinicien, expert, docteur en psychologie, chargé de cours) a,∗ , Christine Rebourg Roesler (Maître de Conférence en psychologie clinique, Groupe de Recherches en Psychopathologie clinique et Projective) b b
a Université de Lorraine, centre hospitalier, 68250 Rouffach, France Université de Lorraine, 3, place Godefroi-de-Bouillon, BP 3317, 54015 Nancy cedex, France
Rec¸u le 27 f´evrier 2015
Résumé Objectifs. – Étudier les caractéristiques d’un fonctionnement psychique particulier, la subjectivité sans sujet, à l’origine d’actes immotivés, dans un climat d’effacement de la conscience et de la représentation mentale chez des sujets ayant commis un délit ou un crime de nature sexuelle ou non. Méthode. – Une situation d’énonciation particulière, générée par une consigne remaniée à l’Arrangement d’Images de la WAIS-R : « raconter une histoire ». Le matériel iconique, partageable dans l’ici et maintenant de la situation d’énonciation, octroie une place particulière au destinataire-psychologue,s ce qui engendre des effets spécifiques sur les productions. L’analyse des textes utilise les outils de la linguistique énonciative et de la pragmatique du langage. Résultats. – La structure narrative et pragmatique de ces textes se décline en trois constellations signifiantes qui déterminent trois types de subjectivité énonciatives, marquées respectivement par la perplexité, la minimisation et la pleine conscience. Seuls les marqueurs linguistiques de la perplexité associée à ce que nous avons défini comme le témoignage oculaire sont présentés, analysés sous l’angle de la psychopathologie. Ces marqueurs renvoient à un traitement visuel obsessif et incertain du réel, à un rapport au temps chaotique,
夽 Toute référence à cet article doit porter mention : Huon P, Rebourg Roesler C. Psychopathologie de l’énonciation dans le champ de la clinique de l’agir : la notion de subjectivité sans sujet. Evol Psychiatr XXXX; vol (No ): pages (pour la version papier) ou URL [date de consultation] (pour la version électronique). ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Huon).
http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2015.07.009 0014-3855/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. EVOPSY-936; No. of Pages 17
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à une absence d’intentionnalité et de finalité des conduites. Le rapport de conscience du sujet à son acte est marqué par la perplexité. Discussion. – Le fil conducteur de cette présentation est le repérage du fonctionnement psychique de ces auteurs d’actes violents, illustrés par des exemples éclairants et appréhendés sous le triple sceau de la trace de la situation d’énonciation, de l’empreinte de la subjectivité du locuteur et de la place accordée au destinataire. Conclusions. – Cette situation d’énonciation interroge le sens des paroles du sujet lors de sa mise en examen. Le témoignage oculaire, fortement dépendant du travail de désambiguïsation réalisé par le destinataire pour comprendre, peut engendrer des interprétations erronées et égarer le destinataire dans une évaluation avantageuse du discours. La question de la responsabilité du sujet au moment de la commission de son acte est ici interrogée. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Délinquance ; Subjectivité ; Bilan psychologique ; Communication ; Linguistique ; Pragmatique ; Psychopathie ; Auteur de violence sexuelle ; Passage à l’acte ; Conscience
Abstract Objectives. – To study the characteristics of a specific psychological mode of functioning, subjectivity without a subject, generating non-motivated behaviours, in a setting where consciousness and mental representations are erased in subjects having committed an offence or a crime, sexual or other. Method. – The instruction for the WAIS-R subtest Picture Arrangement were changed to “telling a story” to create a specific situation of utterance. The visual material can be shared in the here-and-now of the situation of utterance, giving the recipient-psychologist a particular place, and engendering specific impacts on the utterances. The text analysis uses the tools of enunciative linguistics and pragmatics. Results. – The narrative and pragmatic structure of these texts falls into three meaningful constellations which determine threes types of enunciative subjectivity, characterised respectively by perplexity, minimisation and full awareness. Here, only the linguistic markers of perplexity, in association with what we define as eyewitness testimony, are presented and analysed from the psychopathological viewpoint. They reflect an obsessive, uncertain, visual understanding of reality, a chaotic perception of time, and a lack of intentionality and objectives. The level of consciousness of the subject towards his behaviour is low and perplexed. Discussion. – The central theme of this presentation is the psychological functioning of perpetrators of violent acts, calling on several examples, from three angles of approach: the situation of utterance, traces of the speaker’s subjectivity and the place given to the recipient. Conclusion. – This situation of utterance explores the meaning of the subject’s words during the investigation procedure. The eyewitness testimony – lacking traces of the subject’s identity and strongly dependent on the recipient’s disambiguation in his or her effort to understand – can lead to incorrect interpretations and mislead the recipient towards a favourable evaluation of the discourse. This article raises the question of the subject’s responsibility during the perpetration of the act. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Keywords: Delinquency; Subjectivity; Psychological assessment; Communication; Linguistics; Pragmatics; Psychopathy; Sexual offender; Acting out; Consciousness
1. Introduction Notre thèse de doctorat [1] exposait les résultats d’une recherche à l’interface de la linguistique et de la psychologie clinique, portant sur quatre-vingt dossiers d’expertise judiciaire de sujets
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auteurs de violence et d’abus sexuel (S) et de sujets auteurs d’infraction non sexuelle (P) en excluant toute pathologie psychiatrique avérée. Les bilans psychologiques comportaient tous un entretien clinique, des épreuves de niveau (WAIS), un Boston (Boston Aphasia Examination de Goodglass) et des épreuves projectives (Rorschach, TAT). Une constellation signifiante dite narrativo-pragmatique a pu être dégagée pour chacun des sujets en résonance avec la position subjective d’un sujet qui passe à l’acte. Le repérage du fonctionnement psychique et l’empreinte de la subjectivité du locuteur sont évalués avec les outils de la linguistique énonciative et la pragmatique du langage. Nous illustrons ici la constellation signifiante « témoignage oculaire » marquée par la perplexité, celle qui concerne les sujets qui, ayant commis un acte, ne se reconnaissent pas dans l’acte en question. L’étude du travail de Dulong [2] sur le témoignage historique rapporté à une situation de communication, nous a donné l’idée de reprendre, par analogie, pour le compte de la psychologie clinique, la distinction entre deux types de témoignage : le témoignage oculaire et le témoignage instrumentaire que Dulong développe en neuf points. La constellation « témoignage oculaire » rassemble les sujets présentant « un bas niveau de narrativité » en relation avec un dysfonctionnement psychique renvoyant à un désordre majeur de l’identité. Nous entendons par bas niveau de narrativité, une tendance nette à la description des objets et des personnes, un décryptage approximatif et confus, une absence d’articulation dans le discours et une impossible narration de ce qui se joue entre les protagonistes. Cette constellation signifiante illustre une subjectivité diffractée, éclatée avec multiplicité des points d’origine de la parole, avec une origo interne qui ne s’est pas constituée. Le discours s’envole. Nous sommes là au cœur du concept de « langue sans parleur » de Ricœur [3], qui définit un sujet linguistique et non un sujet de communication. Dire je c’est amorcer un jeu de langage en l’absence d’un système de repérage ancré dans un contexte intersubjectif. Nous sommes là au cœur de la notion de subjectivité sans sujet présente chez Wittgenstein [4], qui a été définie par Christiane Chauviré [5], et éclairée au niveau clinique par Christian Hoffmann [6]. Elle correspond bien à la « couleur » narrativo-pragmatique de cette constellation « témoignage oculaire » ou « perplexité » identifiée chez une partie de nos sujets : absence de délire paranoïde, mais présence d’un passage à l’acte comme équivalent de délire marqué par l’altération du champ de conscience. 2. Méthodologie Notre étude a porté spécifiquement sur le subtest ARRANGEMENT D’IMAGES (AI) de la WAIS-R, administré à tous nos sujets. Le contexte de la passation (expertise psychologique), les caractéristiques de cet objet iconique et la situation d’énonciation complexe déterminée par cet outil ont été étudiés de fac¸on approfondie. L’ « objet AI » est constitué de dix items. Chaque item est composé de plusieurs images dont chacune représente un épisode d’une histoire qui met en scène un « héros » dans une situation de la vie quotidienne, humoristique et vraisemblable mais peu fréquente. L’épreuve impose de ranger les cartons dans un ordre chronologique pour que « cela raconte une histoire qui ait un sens » conforme aux schémas narratifs proposés par l’auteur de l’épreuve. Nous avons complété la consigne initiale en demandant à nos sujets de raconter l’histoire pour évaluer la production finale : un texte qui doit tirer la meilleure lisibilité possible de ce matériel iconique.
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Une banque de données de 800 textes a été constituée avec comme question clinique, le rapport à établir entre la nature de ce texte et la subjectivité énonciative du sujet qui a une propension à l’agir [7]. Le fait de ne pouvoir donner qu’une histoire possible (avec toutes les variations stylistiques propres à chaque sujet) laisse très peu de place à l’imagination et permet d’illustrer le niveau d’« intelligence sociale » du locuteur. Pour avoir accès à la finalité de la conduite du personnage, le locuteur doit s’identifier au héros principal par empathie. Les « images constituent en premier lieu, linéairement, dans l’ordre où elles se présentent, une syntaxe de premier niveau. C’est le principe organique de contiguïté. Mais elles se répondent également à distance et fondent une syntaxe de second niveau pour créer des réseaux de sens et d’émotions » [8]. La détection d’un état émotionnel motivé chez le héros est la première condition d’une mise en récit possible [9]. Il existe un lien direct entre l’interprétation correcte des émotions des personnages des items et la capacité de comprendre les intentions du héros sous l’angle d’une conduite anticipatrice et finalisée. 3. Résultats 3.1. Récit AI et témoignage instrumentaire Dans nos récits, nous devions retrouver les ingrédients narratifs habituels, à savoir « une intrigue bien nouée, . . . un personnage central typé dont les actions apparaissent motivées et explicables par son caractère de déroulement chronologique dans un univers stable et cohérent, une représentation du réel » [10], le tout ancré dans cette situation de communication, où un sujet témoigne devant un tiers (le psychologue), dans l’ici et maintenant d’une scène qui se déroule précisément sous ses yeux. En cela, le récit AI comporte les traces explicites ou implicites de l’ici et maintenant de cette situation d’énonciation et l’adresse au destinataire-témoin. Il s’apparente à un récit de témoignage et plus précisément à un récit de témoignage instrumentaire, tel qu’en parle Dulong [2]. Le témoignage instrumentaire est un véritable temps narratif, qui doit rendre compte des motifs et du projet d’un individu à une personne tierce dont la différence majeure avec le récit dit « historique » est la référentialité déictique (qui sert à désigner) qui témoigne de la trace d’un locuteur qui temporalise les faits montrés auxquels il assiste en direct. Voici deux exemples : (S 32, Item 4) ARGUES Apparemment, c’est deux petits enfants qui ont trouvé une BD de Tintin. Ils se sont précipités pour la ramasser. Ils se sont battus pour la BD. Ils sont en train de se battre lorsqu’un monsieur vient les séparer. Il a dû leur faire la morale. Les deux enfants, ils partent sans la BD. Le monsieur-là, il était malin. Il l’a ramassée et est en train de la lire. Ce texte comporte un temps intra-récit, indépendant du locuteur qui l’énonce. Néanmoins, à la différence d’un récit historique, dont tout locuteur « dans l’ici et maintenant » est absent, ce texte porte la trace de la situation d’énonciation dans laquelle il est produit (apparemment, ce monsieur-là, est en train de) : quelqu’un est témoin en direct de la scène. L’utilisation du présent confirme que la situation est en train de se produire. Ce texte comporte la mise en récit nécessaire pour satisfaire à la définition d’un témoignage instrumentaire, les
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personnages présentant des conduites motivées, intentionnelles et finalisées. Les connecteurs et articulateurs (lorsque, et) inscrivent les actions du héros dans une mise en intrigue et donnent un sens au récit. Un temps narratif au service de l’histoire se double de marqueurs pragmatiques au service de la communication ici et maintenant. (P 3, Item 3) SHADE C’est un jeune homme qui se dirige vers la maison, très certainement d’une jeune femme qu’il courtoise, soit de sa fiancée, avec une guitare à la main. Il s’avance dans l’allée et voit une silhouette derrière un store. Pensant certainement qu’il s’agit d’elle, il se met à jouer de la guitare et à chanter. D’un coup, le store s’ouvre et cette silhouette n’est certainement pas celle de la jeune femme dont on parlait au début, mais celle de son père. Il s’en va en ayant l’air très mécontent. Certains verbes témoignent de la présence d’un temps narratif inscrit dans une durée (se dirige) qui comporte des moments (jouer de la guitare) et un instant, point de bascule de l’intrigue qui provoque un rebondissement (d’un coup le store s’ouvre). Parallèlement à ce temps narratif et infiltrés dans le texte, des énoncés témoignent d’un temps pragmatique qui porte la trace d’un passé immédiat tissé entre le locuteur et le destinataire (celle dont on parlait au début).
3.2. Témoignage oculaire et clinique L’appréhension des conduites humaines pour un tiers des sujets de notre population est radicalement différente de ce que nous venons d’exposer. Leur discours s’inscrit dans la constellation signifiante « témoignage oculaire ». Leur appréhension du réel est souvent non pertinente et sans cesse questionnée. Ils manifestent de la perplexité quant à l’essence même de l’objet perc¸u et ne peuvent identifier l’intention derrière l’action des personnages. Un sujet qui ne saisit pas la signification des actions des personnages, les considérera uniquement sous l’angle de la perception primaire « voir – ne pas voir », « être là – ne pas être-là », « faire – ne pas faire ». Le témoignage oculaire s’inscrit dans un climat d’effacement du processus représentatif, d’où notre question : comment l’acte aurait-il pu être empêché, s’il n’a pas fait l’objet d’une représentation préalable ? Comment en effet parler de responsabilité quand il y a absence de prise en considération de l’intentionnalité de l’action ? Ces sujets, qui ont commis des actes criminels ou délictuels, se situent précisément hors temps, l’action semblant surgir ex nihilo, non préméditée et sans référence à la motivation du héros, sans participation affective et/ou émotionnelle particulière.
3.3. Le récit de témoignage oculaire Un tiers des sujets de notre étude [1] n’a pas accès à la notion de permanence du héros qui développe une conduite intentionnelle finalisée et orientée, entre le début et la fin de l’histoire. Ces sujets ne comprennent pas l’origine de ce qui anime les personnages, ne comprennent pas le sens de leur conduite, ne sont pas capables d’envisager des moyens pour atteindre un but, ne perc¸oivent pas la notion de continuité temporelle, ne peuvent faire des aller-retours en pensée entre le passé, le présent et l’avenir. Ces sujets ont de grandes difficultés à envisager les personnages dans leur différence car ils ne peuvent pas se représenter, par identification, les états mentaux d’autrui et
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comprendre les motifs ou les comportements des autres indépendamment de leur propre registre de pensée. (S 10, item 10) Un bonhomme, sur le bord de la route. Il fait du stop à mon avis. Là, il est pris en stop. Là, il se retourne par la plage arrière. On dirait inquiet, là. Là, il regarde toujours. Il se sépare de son objet. Il le fixe ( ?). Là, je ne vois pas. . . (S 21, item 10) Il attend certainement une voiture. La voiture, elle vient. Là, c’est dans la voiture, les deux. Ils sont séparés là. Là, ils sont ensemble. Pareil, là, ils sont ensemble et le bonhomme il regarde en arrière. Là, c’est pareil ( ?) ils sont ensemble. Il regarde en arrière ( ?) je sais pas ( ?) Sur les bras, une dame, une statue. C’est la dame dans la voiture. Oui, parce qu’il y a une queue de cheval. Enfin la statue. (S 11, item 10) Celle-là, je peux vous dire que je la sens pas du tout. Il est étonné que c’est une vraie dame. Il appelle un taxi pour mettre la dame. C¸a, c’est peut-être pas le même bonhomme. Il promène son mannequin, son buste. Il appelle un taxi. Je pense que c’est pas le même bonhomme. Là, il la remet à sa place, il est un peu en colère, il crie après la statue. Il est important de rappeler que ce hoquètement du langage sans fluidité ni construction n’est pas à mettre sur le compte d’un niveau intellectuel faible. Chacun fut testé dans ses performances : celles-ci sont conformes à un niveau moyen inférieur. Ces sujets parlent à partir de points de vue multiples, juxtaposent des faits, dans une absence de participation affective ou avec une affectivité immotivée. Ils montrent d’énormes difficultés à rassembler ces différents points de vue en un centre déictique unique, lieu qui prendrait naissance à l’intérieur d’un appareil psychique contenant et qui ferait parler le sujet à partir d’un point d’origo stable et permanent. En pensant à ces sujets, nous pensons aux sujets définis par Chagnon [11] comme présentant « une fragilité du sentiment de continuité identitaire » ainsi qu’une menace « de disparition de la représentation de soi » ([11], p. 149). Ou, dans un autre registre, aux sujets, étudiés dans une autre situation d’énonciation par les pragmaticiens du langage [12] qui présentent des débrayages conversationnels.
3.3.1. La désignation La situation AI permet d’utiliser deux modes de référentiation de l’iconographie : la dénomination qui est le fruit d’un procédé cognitif abouti et donne lieu à une qualification de cet objet (un roi, un mendiant. . .) et la désignation qui se résume à montrer le référent en question en ne donnant aucune information sur les qualités de cet objet, monstration par le langage (ici., là) ou par le doigt pointé sur l’image. Le témoignage oculaire positionne un sujet en train d’enregistrer visuellement des états et des actions qui se déroulent dans une succession d’espaces indépendants représentés par chaque image de l’item. Le témoignage oculaire nous livre du « visible à partager » et instaure un rapport de soudure perceptive – voire au même moment le même objet –, entre le locuteur et le destinataire, avec la traduction souvent difficile d’une expérience perceptive en langage articulé. Locuteur et destinataire sont assignés à une place de partage d’une expérience vécue en commun. Un témoin oculaire engage un destinataire dans la fonction de co-acteur perceptif. Par les modalités de son énonciation, le locuteur AI commet un acte performatif
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perceptif qui place le destinataire en position de regarder les actions des personnages de l’histoire. Cette « soudure iconique » rend un objet non partageable par d’autres personnes étrangères à la situation d’énonciation. Dans le témoignage oculaire, le locuteur, comme le dit Dulong, utilise une « manière de souder définitivement ce qui est raconté à celui qui raconte » ([2] p. 56). Dans l’exemple : (S 14, Item 9) LHNUC Là, il veut lui donner la pomme. Là, il part avec un révolver en main. Il tient la pomme. Là, il lui prend les papiers. Là, il met la pomme dans sa poche. Là, il a les papiers en poche et la pomme. La désignation, par le biais du déictique là itératif, montre la réalité dans sa matérialité iconique. Le destinataire est convoqué à la place de témoin oculaire. À sa charge de porter et de transformer l’iconicité désignée par les « là » en contenus figuratifs et représentatifs. (S 15, Item 8) EAGNLR Là, il prépare la canne à pêche. Là, il pêche. Là aussi. Là, il attrape un poisson. Là, il a un poisson. Là, il y a des poissons avec un homme grenouille ( ?) Je pense qu’il en a attrapé un (A) parce que là (N), il en attrape un. Le désignateur ne raconte pas, il décrypte, identifie, montre. Les témoignages oculaires AI relèvent du procédé exclusif de la dénotation, incapables de prendre une distance suffisante par rapport aux faits, en les mettant en récit, prisonniers à la fois du réel et du temps présent. Si le destinataire veut connaître précisément le lieu désigné par le déictique spatial « là, il y a des poissons avec un homme grenouille », il n’a pas d’autre choix que de retourner à l’endroit où « là, il y a des poissons avec un homme grenouille ». Seule la mémoire de la situation lui permettrait de retrouver la correspondance entre l’image et le texte. Il s’agit, dans ce cas, de la mémoire de quelque chose vécu ensemble. Le témoignage oculaire invite le destinataire à questionner pour avoir des précisions sur les faits décrits, ou les personnages désignés. C’est donc la nature même du texte qui produit le type d’intervention du destinataire, questionnement à visée de désambiguïsation dans le cas du témoignage oculaire très différent du questionnement ouvrant sur une « libre association » dans le cas du témoignage instrumentaire. Le type de récit présenté par le texte suivant n’est pas un témoignage oculaire. Le héros est décrit dans son contexte, son projet est mis en intrigue, les actions sont contextualisées et scénarisées, les énoncés sont articulés temporellement et logiquement entre eux. Le destinataire n’est pas aliéné au locuteur par une soudure iconique avec celui-ci, ni par le comportement du type « aller y voir » pour mieux comprendre. (P 9, item 8) C’est un roi qui va à la pêche. Il a remonté un poisson. Il a un poisson qui est dans le panier et il est encore en train d’en pêcher un. Il remonte un poisson encore, c’est son deuxième. Il a deux poissons dans le panier et puis il appelle quelqu’un en direction de l’eau. Dans la rivière, c’est un homme, c¸ a doit être son adjoint qui remonte à bord d’un scaphandre avec un poisson dans la main. Donc en fait c¸ a veut dire que c’était lui qui lui donnait les poissons, enfin, c’est ce que j’en conclue. C¸à servait à rien qu’il pêche. Ce texte, malgré des imperfections liées à une grammaire de l’oral, toujours plus approximative qu’une grammaire de l’écrit, a une cohérence et une structure formelle. Ce
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texte forme un tout en lui-même. On parlera d’un travail de mise en récit, de mise en intrigue. À l’inverse, dans le témoignage oculaire, la construction d’un texte se fait à deux. Le destinataire est convoqué en tant que co-conteneur des traces perceptives du référent car le référent n’est pas nommé, absent du discours. L’activité référentielle est partagée avec le destinataire. Le destinataire devient un témoin et un accompagnateur qui accomplit un travail cognitif en parallèle ou à la place de celui du locuteur. Le texte est un texte brut, non transformé. La désignation correspond à la première phase de tout travail perceptivo-cognitif, avant le travail de la mise en récit. L’exemple suivant ne raconte pas une histoire. Chaque énoncé correspond à un décodage d’une réalité comportementale. Un tel locuteur s’en tient à la première étape du travail cognitif qui consiste à enregistrer les informations perceptives avant de raconter une histoire. (S 44, item 3) SHADE Il marche, il voit une bonne femme, il joue, il est pas content du tout. Le bonhomme l’engueule, il fout le camp. Un locuteur qui décrypte strictement n’interprète pas le réel. Il en donne une copie. Il imite le réel, au sens de Piaget [13]. C’est la « dépersonnalisation » propre à la description, la perception pure selon Bergson [14], la perception libérée du sujet, le point de vue de personne. De la même fac¸on qu’un déictique spatial (ici, là) désigne un fond sur lequel se déplacent les objets, la désignation d’un personnage par un déictique de personne il, suivie d’un verbe, renvoie à une forme qui se déplace. Dans l’énoncé « il marche », c’est le fait de marcher qui est important. « Il » n’a pas d’identité précise. La qualification de l’objet est négligée. Le référent du sujet est un symbole graphique. Il est à chercher au niveau de l’iconicité, dans le contenu des images. Le déictique de personne il renvoie à un référent indéterminé au niveau linguistique mais identifiable au niveau iconique. On pourrait parler de projection de formes en mouvements sur un fond vide. Le locuteur enregistre une trace cinétique d’un objet. Il s’agit d’une forme en action. L’objet n’existe, au plan du langage, que dans sa kinesthésie, il n’est pas représenté. Dans notre grille d’analyse, nous avons parlé d’identification cinétique pour ces formes en action. La désignation, par l’usage de déictiques de personnes (il, elle, lui. . .) s’accompagne le plus souvent d’un flou identitaire. Dans l’exemple, (P 37, item 1) CAP Lui, il commence à faire le soubassement. Lui, il coupe les planches pour faire les planches partout. Lui, il fait la peinture. Nous sommes en droit de nous poser la question : qui est ce « lui » ? Ou qui sont ces « lui » ? Parfois aussi, comme dans le texte suivant, d’un personnage initial, on passe à plusieurs personnages. Qui sont ces « ils » après ce « il » ? La discontinuité des pronoms personnels « il–ils » renvoyant à la discontinuité identitaire. (P 43, item 1) CAP Déjà, il commence à construire. Il coule la dalle. Après, ils mettent les poutres. Après, il continue le reste, il peint. Là encore, sans le recours au visible, le destinataire ne peut trancher sur l’identité du ou des héros, cités mais pas nommés.
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Le déictique de personne introduit un acte d’ostension visuelle, le fait de signifier en montrant. Le locuteur peut montrer avec le doigt ou avec le regard. Parfois, le locuteur n’accompagne son propos d’aucun effet d’orientation gestuelle. Dans ce cas, le locuteur pense que le référent auquel renvoie le déictique est évident pour le destinataire. Il semble croire que les images ne comportent aucune ambiguïté et que le destinataire comprendra/verra immédiatement de quoi il s’agit, étant un témoin direct de la situation énonciative. À l’opposé, dans le témoignage instrumentaire, le référent de la nomination est un signifiant verbal, il est dit par le texte et non par l’image. Dans l’exemple suivant, les référents des pronoms personnels anaphoriques (il, elle, lui) sont dans l’énoncé précédent (gar¸con, demoiselle) et renvoient clairement à eux. (P 29, item 7) HELPS Le gar¸con aide la demoiselle à monter. Il essaie d’aider l’autre. Il la fait tomber. Elle s’est appuyée sur lui pour monter. Elle lui donne un coup de main. Un écho existe entre le garc¸on il et lui, ainsi qu’entre la demoiselle elle et là. Nous dirons, pour conclure ici, que ce mode de la désignation renvoie au principe d’indexicalité et s’oppose à la connotation. Seul l’axe dénotatif existe : être ou n’être pas. Il fait que nous pouvons « pointer » des choses qui sont dans notre champ de mire et faire partager à d’autres notre perception. L’indexicalité convoque le destinataire à l’endroit de l’observation et de la vérification des données. Le locuteur qui utilise la désignation comme mode référentiel communique des choses évidentes. Or, si c’est évident, pourquoi en parler ? L’évidence ne renvoie à rien d’autre qu’à elle-même ou à son opposé, à savoir quelque chose qui n’existerait pas : ainsi, le champ du visible est présent, et s’oppose au champ de l’invisible et de l’absence, espaces questionnés par les problématiques psychiques les plus archaïques [15]. Ce qui nous a questionné dans la mise à plat des différentes données de l’axe narratif, c’est que ces sujets sont soumis à l’exercice impératif et laborieux d’un décodage formel et cinétique pour comprendre de quoi il retourne et savoir ce qui est vu. Ils questionnent la forme, le mouvement, la logique, la permanence de l’être, sans avoir la réponse, soumis à une perplexité quasi ontologique.
3.3.2. La perplexité Les sujets de notre population infiltrent leur narration de commentaires personnels et ceci, rarement pour affirmer avec fermeté que leur perception est conforme au réel qu’ils sont chargés de décoder, mais plus volontiers pour introduire un doute ou une hésitation dans leur qualification perceptive : témoignage oculaire partageable parfois, mais aussi et souvent témoignage oculaire non partageable qui interroge alors le destinataire sur le rapport du sujet au réel. (P 4, Item 1) C’est, on dirait plutôt que c’est le charpentier. Et comment on appelle c¸a, celui qui pose le . . . il fait la toiture et ensuite il repeint la fa¸cade. On sait pas si c’est lui qui a fait les fondations. Deuxièmement, il est en train de couper du bois. C’est bizarre l’image car la maison n’est pas solide. Une maison c’est du béton jusqu’en haut. Ces modalités extradiégétiques posent la question du visible en termes de : ce que je vois est-il vrai ou faux, ce que je vois existe-t-il ? (P 4, Item 1)
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C’est, on dirait plutôt que c’est le charpentier. Et comment on appelle c¸a, celui qui pose le . . . il fait la toiture et ensuite il repeint la fa¸cade. On sait pas si c’est lui qui a fait les fondations. Deuxièmement, il est en train de couper du bois. C’est bizarre l’image car la maison n’est pas solide. Une maison c’est du béton jusqu’en haut. Dans cet exemple, les modalités extradiégétiques mettent l’accent sur la perplexité du locuteur. Le je ou le on, loin d’affirmer une position épistémique et servir un argumentaire, vient infiltrer le texte d’un questionnement anxieux et d’une sollicitation déguisée à l’égard du destinataire.
3.3.3. La confusion identitaire Parfois, le je, narrateur, de fac¸on insidieuse, prend la place du il. Héros, metteur en scène et acteur se confondent. Intradiégèse et extradiégèse fusionnent. Cette confusion traduit une énigme pour le sujet autour de l’origine de l’énonciation. Qui prend la responsabilité de la parole : le je locuteur ou le il personnage ? Dans les textes les plus désorganisés, ceux elliptiques, énigmatiques, singuliers, le il, par une figure de substitution totalement inadéquate, passe du singulier au pluriel ou du masculin au féminin, ou plus étrange encore, du il au je, au nous ou au on, confondant locuteur et personnage. Cette absence de permanence dans la désignation du héros nous évoque une problématique identitaire sévère, où l’identité disparaît ou réapparaît évanescente, susceptible de se transformer comme une matière continue, altérable. (S 9, Item 1) CAP C’est un ouvrier, menuisier apparemment qui construit une maison. On est au stade du début. En passant par le milieu. Et à la fin, il met une couche de peinture. (S 39, Item 1) CAP On est aux fondations. Il a élaboré autour de la fondation, l’armature. Pleine préparation. Afin de clouer les planches sur l’ossature. Il peint la maison, du moins à l’extérieur. (P 12, Item 1) CAP C’est la construction d’une maison. Là, nous sommes un peu la partie inférieure du bâtiment. Ensuite il fait un rassemblement des pièces en bois, charpente. Ensuite, il la peint. Dans certains textes, l’écart entre le narrateur et le héros de l’histoire s’estompe pour finalement se confondre, et ce sans en informer le destinataire, passant brutalement du style indirect au style direct. (S 34, Item 4) ARGUES Les gamins trouvent une BD de Tintin par terre. C’est le mien, c’est le tien. Oh ! Les enfants, vous allez pas vous chamailler pour c¸ a. Copain copain. Tout compte fait, c’est une bonne pioche pour moi. (S 34, Item 2) JANET Il roule. Il voit la dame. Eh ! Chauffeur. Il descend. Bonjour madame machin, je vais me promener. Cette intention dialogale et théâtrale serait louable si elle alimentait une intrigue par ailleurs bien nouée. Ici, nous sommes plutôt dans le théâtre de l’absurde. . .
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3.3.4. Vacillement perceptif Pour un certain nombre de sujets, l’excès de voir, l’excès d’évidence, l’excès de réel sont la marque d’une défaillance de l’inscription identitaire et subjective. L’agrippement au percept a alors une visée de remplissage identitaire où l’être est défini en termes de : je suis ce que je vois, ce que je consomme du réel, ce que j’incorpore de ce réel. (S 14, Item 8) Là, il est en train de pêcher. Là, il a attrapé le poisson. Là, il souffle. Là, ils sortent les poissons de l’eau. Il repart. Là, il pêche. Là, il pêche. Là, il attrape de nouveau les poissons Cette énumération, bien qu’appartenant à un champ sémantique commun, engage une perception désaffectée, coupée d’une agentivité. Le sujet ne comprenant pas le sens de la conduite du personnage déploie des actions immotivées dont la chronologie et la logique sont perturbées. Ce texte se situe entre l’hermétisme (dire mal et rendre la communication impossible malgré le relais par le visible) et le décryptage (dire ce qu’on voit sans sélection pertinente des informations). Pour Ciavaldini, « la réalité externe serait déqualifiée dans son épaisseur symbolique : c’est bien ce que l’on enregistre lorsque l’objet est perc¸u en tant que tel, il est alors : “une femme, rien de plus”, “un enfant sans rien de particulier”. Ce qui revient à dire que la dimension symbolique de l’objet n’est pas perc¸ue, ou encore que l’objet est délié de ces liens symboliques au monde et aux autres. Il ne subsiste qu’une surface » ([16], p. 174). À l’AI, nous avons souvent entendu « il pêche, il souffle », sous entendu « rien de plus », et nous avons alors parlé de décodage formel ou cinétique sans autre dimension de représentation. Par ce « mouvement régrédient du pôle moteur vers le pôle perceptif », comme le présente Ciavaldini, « L’objet, (. . .) sera perc¸u bidimensionnellement, simple surface dont la dimension tierce, subjectivante est abrasée » ([16], p. 176). Cette expression d’une énonciation indexée au réel renvoie au défaut d’identification à l’humain, tel qu’en parlent les projectivistes quand ils évoquent l’absence de kinesthésies humaines (K) comme témoin d’un défaut d’identification au vivant. « Mais si justement il n’y avait pas de capacité à ressentir, seulement à voir et à entendre ? » dit Villerbu [17] qui pose la question d’une fac¸on d’être au monde dans cette omnipotence et exclusivité du registre du voir. Voir et seulement voir, en tant qu’intenté, dit quelque chose du sujet et de sa fragilité identitaire. Un décodage formel seul ne peut donner l’idée du sens de la conduite du héros. Voir ou décrypter le visible n’est pas suffisant pour rentrer en résonance avec une situation, encore faut-il l’éprouver en s’identifiant à elle. Le registre du voir doit être associé à celui du ressenti. Nous nous posons la question de l’impotence émotionnelle ou affective chez un certain nombre de nos sujets. Ceux-ci, par défaut d’empathie, ne parviennent pas à résoudre l’énigme humaine proposée à AI. Neau [18] a constaté avant nous ce phénomène d’absence d’empathie dans certains protocoles de Rorschach. À l’AI, ce défaut d’inscription d’une intentionnalité à l’origine d’une action perturbe l’ordonnancement chronologique des séquences d’une histoire. Hamon, a décrit dans le champs de la narratologie, ce que nous observons du côté de l’activité perceptive dans le témoignage oculaire : « Le plus souvent, la réalité perceptive externe n’est que dénommée, désignée, énumérée, loin de toute mise en fiction. Dans ce degré zéro de la description, la parole, réduite à une affirmation du même et à une nomenclature du percept, apparaît dans la quasi-totalité du protocole “monopolisée” par sa fonction référentielle d’étiquetage d’un monde lui-même “discret”, découpé en unités » ([19], p. 160).
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C’est parce qu’il y a le regard posé conjointement par le locuteur et le destinataire sur ce il, que ce il s’anime, prend forme, prend réalité. Il n’a d’identité que par celle tenue par le regard d’un tiers, le temps de la rencontre locuteur destinataire. Il n’a pas l’identité du héros dénommé, celle par exemple du charpentier ou du constructeur, qui immédiatement devient plus romanesque au sens de : révélé par les signes linguistiques. Un certain nombre de nos sujets se « tiennent » au sens propre, à l’activité perceptive afin de ne pas basculer dans quelque chose qui ressemblerait à la perte du sens de la réalité. Ainsi, l’activité perceptive surinvestie, jusqu’au traitement de l’évidence prend une dimension inadéquate. Dire toutes les informations, même celles qui ont vocation à être tenues silencieuses, prend la forme d’un agrippement anxieux au visible dernier rempart contre l’hallucination. S’assurer de tout voir et bien voir ce qui est vu est la mission cognitive endossée par le sujet mais parfois la perception se brouille, s’échappe et le sujet bascule. (S 12, Item 6) Je vois trop de choses là-dessous. Là, y a des femmes qui suivent qui ? Là, y a des messieurs qui suivent qui ? (P 19, Item 9) C ¸ a va pas en fait. Je suis en train de devenir fou. 3.3.5. Effacement temporel Une problématique archaïque identitaire identifiée en psychopathologie clinique comme relevant d’un trouble de la permanence de l’objet et se traduisant à l’AI par une discontinuité perceptive se manifeste également dans l’utilisation de l’aspectualité temporelle des verbes. En effet, théoriquement, une logique de successivité tient le développement des différents aspects du verbe : inchoatif, duratif et terminatif. Ainsi, lorsque le sujet évoque un héros qui commencerait une construction, on attendrait en tant que destinataire, la suite logique de cette action, à savoir, il continue de construire puis il achève la construction. Il y a un effet d’interdépendance temporelle et logique entre les trois aspects inchoatif, duratif et terminatif. Ces trois segments temporels forment un tout. Dans le témoignage oculaire, la dimension de commencement de l’action est seule présente puis suspendue donnant suite à l’irruption ex nihilo d’une autre action d’une autre nature qui ne vient pas en prolongement naturel de la première citée. (S 42, Item 1) L’ouvrier commence par le soubassement. Il commence à monter les murs. Il commence à peindre Dans certains énoncés, non seulement le héros est indéterminé mais l’action est infinie. Nous n’avons jamais trouvé, dans un témoignage instrumentaire, la cohabitation d’un sujet clairement nommé pris dans une action éternelle, comme c’est le cas dans le témoignage oculaire. Les trois registres, à savoir indétermination du héros, indétermination de l’action et indétermination temporelle vont de pair. (P 27, Item 1) CAP Il commence. Il prépare. Il finit. Il prépare, il commence, il finit, c’est plus net. L’action est envisagée comme le déclenchement d’un starter sans suite. Seul le déclenchement de l’action est verbalisé, son déroulement et sa clôture jamais exprimés. Cette suite d’actions qui
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débutent mais jamais ne se déploient dans le temps et qui à l’inverse se grippent, nous a évoqué l’hypothèse d’une discontinuité que nous mettons en relation avec un fonctionnement psychique archaïque. 4. Discussion Nous avons présenté ici l’étude de certaines caractéristiques narratives et pragmatiques du discours d’un groupe d’individus dans une situation énonciative particulière. Notre hypothèse est que cette construction énonciative reflète la construction identitaire et psychique d’un sujet. Notre travail de recherche rassemblé dans un mémoire de thèse mettait en évidence trois types de textes, chacun pointant un niveau de conscience différent par rapport au passage à l’acte commis : « conscience absente », « conscience partielle » ou « conscience totale avouée ou dissimulée ». Nous avions alors établi un triptyque récapitulatif distribuant ces niveaux de conscience en fonction du degré et de la qualité de la narrativité chez le sujet. Chacune de ces constellations témoigne d’un style énonciatif spécifique. La complexité énonciative et pragmatique de nos trois constellations s’évalue au regard de la temporalité, de la linguistique énonciative, de la pragmatique du langage, de la perception, de la cognition, de l’axe émotionnel et de l’action déclinée en geste immotivé, comportement et conduite. Les témoignages oculaires sont des textes atopiques, des textes amputés de la plupart des traces de la situation d’énonciation, soit du côté du locuteur et des modalités métadiscursives sous le sceau de la perplexité, soit du côté de la deixis spatiale et temporelle absente ou itérative et stérile. La fonction du destinataire dans son travail de désambiguïsation référentielle n’est pas opérante dans la mesure où la description n’est pas contextualisée. Le destinataire se demande de qui et de quoi parle le locuteur. L’usage du pronom personnel il pour désigner le héros de l’histoire, ayant valeur de déictique de personne ne permet pas au destinataire sans le recours à l’image de comprendre qui est ce il. L’absence de déictique spatial et de déictique temporel, ou au contraire, la surcharge du texte en déictiques spatiaux ayant valeur de ritualisation cognitive contre un démantèlement perceptif, l’usage exclusif du présent actuel ainsi que la référence à des couples binaires sujet-verbe sans notion de clôture temporelle et renvoyant à un infini de temps, à une durée éternelle, la réversibilité des séquences temporelles, enfin le tout dans une absence d’énumération cohérente temporalisée, place ce type de sujet dans du « hors temps ». Malgré un travail de désambiguïsation par l’image et par le texte, la mise en coprésence des énoncés juxtaposés ne permet pas pour le destinataire de parler de suite logique d’actions, qui détermine la notion d’intentionnalité. Cette configuration rentre dans la catégorie du hors temps psychotique. Pour les sujets de ce groupe, l’activité cognitive privilégiée est la description de ce qui est. Dire ce qui est importe plus que dire ce qui se passe. Dans ce groupe, le destinataire n’est pas explicitement sollicité. C’est lui-même, qui par un travail de désambiguïsation, décide de prendre part à la co-énonciation du texte. On peut parler d’une co-construction décidée par le destinataire Ce critère permet d’évaluer l’absence de volonté d’échange et l’inaptitude conversationnelle pour le locuteur. L’effort cognitif et communicationnel appartient exclusivement au destinataire. Le sujet traite de l’évidence du réel, le réel non négociable. Ce n’est pas le locuteur qui prend à sa charge les outils de l’intenté de communication mais le destinataire, qui, soudé au locuteur au niveau perceptif, doit s’employer à rendre le texte intelligible en le référant à la situation d’énonciation présente.
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Le temps du témoignage oculaire met en scène un locuteur monologique au sens linguistique, un sujet non divisé, au sens psychanalytique du terme, qui ne se réfère pas à son monde interne pour traduire la réalité, mais pense ce qu’il voit et voit ce qu’il pense dans une forme d’équation symbolique. Cette fac¸on d’être au monde explore ce que Bergson [14] appelait la perception pure, la perception détachée de tout sujet, le monde libéré de l’homme. Nous pouvons convoquer Deleuze [20] aussi, qui parle de « gazéïfication de la perception », comme une perception libérée du sujet et de tout objet, le point de vue de personne. Deleuze invente un concept qu’il nomme centre de signifiance, où l’attention du sujet est attirée par des signes quelconques, « un signe comme un autre » qui laisse le sujet aux prises avec une forme de perplexité que Deleuze traduit de fac¸on triviale par la formule : « il va se passer quelque chose, je sais pas d’où c¸ a vient ». Le centre de signifiance appelle à soi et distribue sur des spires concentriques les signes les plus hétérogènes que le sujet « attrape » au hasard ou selon une logique « autistique », idiosyncrasique, non partageable. Deleuze oppose le centre de signifiance à la notion de point de subjectivation comme point de départ d’une ligne droite séquentialisée en un certain nombre de procès successifs. Dans notre situation d’énonciation qu’est l’Arrangement d’Images, le point de subjectivation (origo), que nous avons qualifié ainsi : « moi, je, ici et maintenant », s’éclipse du témoignage oculaire. La prise en charge de l’intention communicationnelle est effectuée par le destinataire qui échoue de fac¸on récurrente à réparer les altérations de la perception, qui concentre toute son attention à faire un travail de désambiguïsation référentielle ou textuelle, qui parvient difficilement à formuler une relation logique entre les énoncés, qui se substitute au « porte regard » et au « porte parole » absents chez le sujet. Wittgenstein, lui, défend l’idée d’une subjectivité sans sujet mais qui correspondrait à la nature même de l’homme puisqu’il réfute la dimension psychologique du je et la notion d’identité personnelle. Or, nous osons dire que si l’observation de Wittgenstein est juste, elle l’est strictement dans le registre de la psychose et qu’elle n’a pas de validité dans les autres registres. Cet usage du je uniquement formel est bien différent de l’usage d’un je référentiel vécu, incarné, habité et subjectivé. Dire je n’est pas suffisant pour établir qu’il y a existence d’un sujet de parole. Précisément, dans le cas du témoignage oculaire, un je émaille le discours mais nous considérons ce je purement formel. On devrait dire pour les sujets de la constellation « perplexité » : « c¸ a pense », « c¸ a voit », « c¸ a fait » en lieu et place de « je pense », « je vois » et « j’ai fait ». C’est en ces termes dépersonnalisés que s’expriment nos sujets. 5. Conclusions Les sujets de la constellation perplexité, ainsi traduite par nos sujets dans l’entretien clinique « on me dit que je l’ai fait, mais je sais pas si je l’ai fait ni ce que j’ai fait » [1] n’ont aucune liberté d’orienter leur style énonciatif. Aliénés au réel, ils cherchent à le définir dans ses limites et ses contours. Leur identité est évanescente, floue, incertaine, questionnée. Leurs énoncés sont des fragments juxtaposés, épars, sans point fixe d’origine énonciative, sans auteur explicite ni permanent. Le sujet, en état d’irrésolution inquiète, dit qu’il ne sait pas si c’est lui qui a fait. Il peut, la plupart du temps, encouragé par le discours social, qui a besoin de comprendre et de trouver une raison, argumenter ainsi : « je ne me souviens pas, mais si vous le dites. . . ». C’est l’abolissement
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du jugement, c’est l’Autre qui parle en lui, abolition qui est l’expression de l’éclatement ordinaire de la subjectivité, mais qui passe inaperc¸ue dans la vie quotidienne, l’entourage se chargeant de combler les « trous narratifs et pragmatiques » en permanence, à l’œuvre dans le discours. Pour ces sujets, les actes n’ont pas de traduction lisible pour le sujet lui-même. Certains sujets ne sont pas aptes à saisir la réalité qu’ils traversent. Nous insistons sur la sincérité comprise dans la notion de perplexité. Le sujet ne fait pas semblant de ne pas savoir. Cette perplexité signe l’existence d’un registre identitaire présentant une discontinuité de l’être et des altérations graves du champ de la conscience. Le sujet ne parvient pas à organiser sa pensée dont les éléments surviennent de fac¸on disparate en rapport avec des anomalies perceptuelles profondes. Le décodage des informations perceptuelles extérieures ou corporelles ne peut être reconnu par le sujet comme lui appartenant et conduit au passage à l’acte qui vise à supprimer radicalement le vécu d’étrangeté. L’action surgit d’un lieu atopique. Le recours à l’acte (Balier) a pour fonction de supprimer le pan de réalité qui n’est pas pensable ni a fortiori élaborable. Passer à l’acte, c’est faire taire en soi l’étrangeté et, de manière paradoxale, commettre un acte fou pour éviter de sombrer définitivement dans la folie. Le sujet se situe dans une activité de décryptage du réel avec absence de hiérarchisation de thématique : aucune thématique privilégiée ne se dégage. Le temps ne se déplie pas, ne court pas mais procède d’une saisie du réel discontinue qui annule la notion de temps : je savais et puis je savais plus dit Véronique Courjault [21] à son procès, elle qui a tué ses bébés puis les a congelés. Pour parler de son état de femme enceinte, elle dit que « quelque chose de non identifiable » se passait en elle et que « d’autres ont appelé ‘un accouchement’ ». Dans notre population n’ont pas été intégrés des sujets identifiés comme cas psychiatriques dits irresponsables au moment des faits au sens de l’article 122.2. du code pénal. Nous identifions cette constellation comme proche du fonctionnement cognitivo-affectif, qui recouvre, selon les auteurs, la problématique psychotique. Cette étude pourrait éclairer les interrogations des cliniciens et des juristes sur le sens du passage à l’acte dans un pourcentage non négligeable de cas et sur les malentendus chroniques autour de cette population. Ces psychoses asymptomatiques, difficiles à comprendre cliniquement, hormis le passage à l’acte délictueux à un moment de leur parcours de vie, posent beaucoup de questions. En effet, il n’y a pas abolition totale de la conscience comme dans le cas d’un passage à l’acte délirant motivé par un mécanisme dissociatif, hallucinatoire ou persécutif mais il y abolition intermittente de la conscience avec étrangeté des éprouvés corporels et déni de la réalité psychique interne et de la subjectivité (« c¸ à bouge en moi. . ., c’est arrivé, c’est tout », dit Véronique Courjault). Cette altération discontinue du champ de la conscience rend difficile l’évaluation de la responsabilité. En effet, cette constellation regroupe des sujets présentant une dangerosité tout aussi importante que celle des schizophrènes ou des paranoïaques. Elle est difficile à reconnaître dans la mesure où la perplexité est fluctuante et la subjectivité défaillante. La clinique de la subjectivation de l’acte qu’évoque Pascal Roman [22] à partir des sujets étudiés par Balier et Ciavaldini, traversés par un agir sexuel violent qui semble ne pas avoir d’inscription psychique symbolisable, traduit à sa fac¸on cette question de l’absence d’un appareil énonciatif de ces sujets. En effet, la personne peut passer aux aveux et reconnaître son crime, à certains moments et à d’autres moments ne plus reconnaître les faits, qu’il est commun d’attribuer à d’ultimes tentatives de dissimulation, à une volonté consciente d’effacer les souvenirs dérangeants, à un mécanisme de retrait des aveux, à un changement dans le système de défense du sujet, selon l’expression en usage dans le champ judiciaire.
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Le discours représentant l’ordre policier ou judiciaire est de positionner le sujet sur un axe dichotomique : • responsabilité, conscience, aveux ou dissimulation, d’une part ; • irresponsabilité, absence de conscience, pathologie mentale, d’autre part. Or, quand un sujet dit je, cela ne renvoie pas toujours à un ego substantiel, mais parfois à un je qui ne fait qu’exprimer une potentialité contenue dans le langage. Il est un mot emprunté à la langue mais ne fait pas écho à l’identité du sujet vécu en tant que tel : moi, je, etc. Dire je ne renvoie donc pas alors vraiment à un sujet, mais il renvoie à une possibilité langagière, à un trait immanent au langage qui permet de configurer celui-ci, d’où les confusions possibles. La mise en correspondance entre la notion de subjectivité sans sujet et des fonctionnements psychiques archaïques qui prédisposent le sujet à la perplexité et à l’absence de conscience de l’acte commis ouvre des perspectives. Nous dépassons ainsi le verdict binaire : fou – pas fou, conscient – délirant, responsable – irresponsable. Cette population semble correspondre à la notion juridique d’altération de la conscience au moment de l’acte. Nous ouvrons avec ce travail sur l’épreuve de l’Arrangement d’Images une clinique de l’agir plus nuancée, respectueuse d’une réalité psychologique souvent très complexe. L’apport de l’expertise psychologique et de ses outils est ici réaffirmé. Déclaration d’intérêts Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts. Références [1] Huon P. De l’image au récit : modalités narrativo – pragmatiques et psychopathologie du passage à l’acte chez des délinquants sexuels et non sexuels [Thèse de Doctorat], 2. Nancy: Université de Nancy; 2010. [2] Dulong R. Le témoin oculaire, les conditions sociales de l’attestation personnelle. Paris: Ed de l’EHESS; 1998. [3] Ricoeur P. Discours et communication. Paris: Cahiers de l’Herne; 2005. [4] Wittgenstein L. Tractatus Philosophicus. (trad. Gilles Gaston Granger). Paris: Gallimard coll. Tel; 1993. [5] Chauviré C. L’immanence de l’ego. Paris: PUF, coll. « Philosophie »; 2009. [6] Hoffmann C. Une subjectivité sans sujet. Université Paris Diderot; 2015. Available from: http://www.crpm. univ-paris-diderot.fr/ [consulté le 14 juillet]. [7] Huon P, Rebourg-Roesler MC, Ligghezzolo-Alnot J. Sémiotique de l’action chez les auteurs de violences sexuelles et non sexuelles. Annales Médico Psychologiques 2014;5:339–44. [8] Goliot-Lété A. Regards, champs, lectures. In: Nacache J, editor. L’analyse de film en question. Paris: L’Harmattan; 2006. p. 27. [9] Huon P, Rebourg-Roesler MC, Lighezzolo-Alnot J, De Tichey C. La reconnaissance des émotions chez les auteurs de violence sexuelle : approche différentielle et mise en rapport avec le niveau de conscience de l’acte. Annales Médico Psychologique 2015;2:153–9. [10] Revaz F. Introduction à la narratologie, action et narration. Bruxelles: De Boeck Duculot, coll. « Champs Linguistiques »; 2009. p. 11–2. [11] Chagnon JY. A propos des aménagements narcissico-pervers chez certains auteurs d’agressions sexuelles. Psychologie clinique et projective 2004;10:147–86. [12] Musiol M, Trognon A. Eléments de psychopathologie cognitive. Le discours schizophrène. Paris: Armand Colin; 2000. [13] Piaget J. La naissance de l’intelligence chez l’Enfant (1936). Neuchâtel: Delachaux et Niestlé; 1963. [14] Bergson H. Matière et mémoire (1896). Paris: PUF, coll. « Quadrige »; 2008. [15] Rebourg C. Du visible au lisible : Essai d’application sémiotique et linguistique sur le texte-Rorschach dans une perspective diagnostique différentielle [Thèse sur titre et travaux] Nancy: Université Nancy 2; 2005.
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