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Science & Sports 23 (2008) 41–44
Mise au point hors thème
Quelques réflexions à propos des autorisations accordées pour usage à des fins thérapeutiques (AUT) Several considerations about the therapeutic use exemptions M. Rieu ∗ , V. Lebar Agence fran¸caise de lutte contre le dopage, 229, boulevard Saint Germain, 75007 Paris, France Rec¸u le 6 d´ecembre 2007 ; accepté le 23 d´ecembre 2007 Disponible sur Internet le 12 f´evrier 2008
Résumé Objectif. – Procéder à une analyse critique du système des autorisations accordées pour usage à des fins thérapeutiques (AUT) et émettre des propositions permettant d’améliorer son fonctionnement. Actualité. – Les dualités entre les AUT standards et les AUT abrégés d’une part, et entre les produits et méthodes interdits en toutes circonstances et ceux interdits uniquement en compétition d’autre part, créent une ambiguïté qui favorise la triche. En outre, l’existence des « seuils » de positivité pour le salbutamol et les glucocorticoïdes ajoute à la confusion. Par ailleurs, puisque le standard de l’AMA dispose qu’une méthode ou un produit ne doit produire aucune amélioration de la performance autre que celle attribuable au retour d’un état de santé normal après le traitement d’une pathologie avérée et qu’en l’état actuel des choses, il n’est pas possible de savoir à quelles fins et de quelle manière un sportif a utilisé le médicament prescrit, la plupart des demandes d’AUT standard devraient logiquement être refusées. Conclusion. – Afin de limiter le risque de tricherie tout en permettant au sportif souffrant d’une pathologie effective et compatible avec la pratique sportive, l’auteur préconise un certain nombre d’améliorations réglementaires très précises et rigoureuses et qui, en introduisant la notion de « justification thérapeutique », apportent une garantie des droits de la défense. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Aims. – In the present paper the critical analysis of the therapeutic use exemption (TUE) system has been performed and propositions has been suggested to ameliorate it. Current knowledge. – One of the criteria of WADA for granting a TUE is that “the therapeutic use of the substance would not produce significant enhancement of performance”. However, all the substances concerned by TUE are on the prohibited list and are able to produce significant enhancement of performance. Unfortunately, it is not possible to know why and how an athlete used the drug. Conclusion. – In order to limit the cheating risk the author recommend a number of accurate rules about the use of TUE compatible with the European convention on human rights. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Code mondial antidopage ; Liste des produits et méthodes interdits ; Standard pour autorisation pour usage à des fins thérapeutiques Keywords: World antidoping code; Prohibited list; International standard for Therapeutic Use exemptions
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Rieu).
0765-1597/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.scispo.2007.12.010
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1. Introduction La mise en place du système des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques (AUT), ressort d’une idée généreuse telle qu’elle est exposée dans la présentation qu’en fait l’Agence mondiale antidopage (AMA) : « Les sportifs, comme tout le monde, peuvent tomber malades ou présenter des conditions qui exigent l’usage de certains médicaments. S’il se trouve qu’une substance à laquelle un sportif doit avoir recours pour traiter sa condition est inscrite sur la liste des interdictions, une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques peut lui permettre de prendre le médicament nécessaire. » 2. Modalités générales de délivrance des AUT La délivrance de ces AUT répond à des règles, développées sous forme d’un standard pris pour l’application du « Code mondial antidopage » [1] et figurant en annexe de la « Convention internationale contre le dopage dans le sport » de l’Unesco [2]. Dans ce cadre, on distingue d’une part, les AUT abrégées dont la procédure est simplifiée : elles concernent les corticoïdes utilisés par voie locale et certains bêta-2-agonistes utilisés par inhalation ; d’autre part, les AUT standards concernant tous les autres médicaments placés sur la liste des produits interdits, chacune de celles-ci devant être examinée par un Comité d’autorisation pour usage à des fins thérapeutiques (CAUT) composé de trois médecins indépendants. Dans ces conditions, l’AUT permet de classer directement un dossier de contrôle positif sans ouvrir de procédure disciplinaire, à condition toutefois, que la concentration trouvée du produit interdit et l’utilisation qui en a été faite soient conformes à l’AUT telle qu’elle a été accordée au sportif. 3. Dispositions concernant les modalités de délivrance des AUT en France En France, ces dispositions font partie de la loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs, introduite par ordonnance dans le Code du sport le 23 mai 2006 (Article L.232-2 et L.232-5 alinéa 7) qui confie leur application à l’agence franc¸aise de lutte contre le dopage (AFLD) dont la compétence exclusive est précisée dans le décret no 2007-461 du 25 mars 2007 relatif aux « modalités de délivrance des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques » [3,4]. Un très bref rappel de l’action de l’AFLD montre que celleci, chargée d’organiser la procédure de délivrance des AUT, a dû pour ce faire : recruter un médecin plein temps ainsi que deux secrétaires, constituer un comité consultatif de plusieurs spécialistes chargés de définir et de faire évoluer les critères médicaux de recevabilité des demandes d’AUT, mettre en place un réseau d’experts médicaux appelé à constituer les CAUT dont le rôle est de juger le bien fondé des demandes d’AUT standards et éventuellement, des abrégées litigieuses.
On peut grossièrement estimer qu’en moyenne, le temps de travail administratif correspondant au traitement administratif de chaque AUT standard et abrégée est respectivement, d’environ 90 et 60 minutes. Depuis l’entrée en vigueur du décret no 2007-461 du 25 mars 2007, l’Agence avait rec¸u au 15 novembre de cette même année, 1000 demandes d’AUT dont 475 ont été complètement traitées. Les demandes d’AUT abrégées représentent 85 % du total ; 42 % d’entre elles concernent l’administration de glucocorticoïdes par voie locale et 58 % se rapportent à l’inhalation de bêta-2-agonistes. 4. Bilan de la gestion des délivrances des AUT en France À ce jour, il est intéressant de dresser un premier bilan des problèmes rencontrés au cours de ces huit mois d’exercice. 4.1. Une première contradiction place les experts médicaux composant le CAUT devant une grande difficulté d’interprétation En effet, le standard de l’AMA annexé à la convention internationale de l’Unesco dispose dans son alinéa 4.3 que : « L’usage thérapeutique de la substance ou de la méthode interdite ne devra produire aucune amélioration de la performance autre que celle attribuable au retour à un état de santé normal après le traitement d’un état pathologique avéré. . . » Or par définition, tous les médicaments faisant partie de la liste des produits et méthodes interdits et pouvant faire l’objet d’une AUT, sont susceptibles d’augmenter la performance sportive et il est impossible d’avoir la certitude objective que le sportif concerné n’utilisera le médicament qu’aux doses prescrites, c’est-à-dire à visée exclusivement thérapeutique ! Pour cette raison, de nombreux experts scrupuleux refusent légitimement les demandes concernant par exemple les stimulants tel notamment, le Modafinil® , certaines hormones comme la testostérone, les glucocorticoïdes ou encore les bêta-bloquants même si les démarches thérapeutiques invoquées se révèlent pertinentes à l’étude des dossiers. 4.2. Une autre disposition réglementaire existant dans le standard de l’AMA et reprise dans le droit fran¸cais, donne aux AUT un caractère ambigu : il s’agit de la distinction entre AUT abrégées et AUT standards Les AUT abrégées concernent quatre bêta-2-agonistes (formotérol, salbutamol, salmétérol, terbutaline) utilisés par inhalation et les glucocorticoïdes administrés par voie locale (en comprenant la technique de l’infiltration intraarticulaire). En ce cas, « pour obtenir l’autorisation d’usage de l’une des substances ci-dessus, le sportif doit fournir à l’organisation antidopage une attestation médicale justifiant la nécessité thérapeutique. . . » et « l’autorisation d’usage de substances interdites soumise au processus abrégé entre en vigueur dès la réception d’une demande complète par l’organisation
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antidopage. . . » [Standard pour l’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques. Paragraphes 8-3 et 8-4 alinéa (a)]. Étant donné l’abondance des demandes, liée à la fréquence chez le sportif de l’asthme et des tendinopathies, les AUT abrégées sont considérées comme une simple formalité administrative dans la plupart des pays et des fédérations internationales et ne font l’objet d’aucune expertise médicale. Cela n’est pas la position de l’AFLD qui examine toutes les demandes d’AUT abrégées sur le plan médical. C’est pourquoi une reconnaissance mutuelle des AUT abrégées n’apparait pas possible en l’état actuel des choses. Pour les AUT standards, la loi franc¸aise impose un examen par un comité de médecins placé auprès de l’AFLD, ce qui interdit également la reconnaissance de l’AUT délivrée selon une modalité différente. En fait, cette procédure abrégée ouvre la porte à tous les abus. En effet, lorsqu’une des molécules précitées est retrouvée dans les urines, il est actuellement impossible de distinguer si le médicament dont elle provient a été administré par voie locale ou par voie générale. Par exemple, un glucocorticoïde comme le triamcinolone acétonide découvert dans l’urine d’un sportif titulaire d’une AUT abrégée provient-il de l’inhalation de Nasacort® (autorisée) ou d’une injection intramusculaire (interdite) ? Autre cas de figure, est-ce l’inhalation (autorisée) de bouffées de Ventoline® qui est à l’origine du Salbutamol détecté dans l’urine ou l’utilisation de Salbumol® par voie générale (interdite), orale ou intraveineuse ? À ce propos, il convient d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que la détection d’une substance dans les urines ne constitue qu’un instantané qui n’informe absolument pas sur le passé pharmacologique du sujet : ainsi, bien que celui-ci ait absorbé des comprimés de Salbumol® dans un but anabolisant durant plusieurs semaines et à distance de toute compétition, le prélèvement sera déclaré négatif (ou classé si le sportif est possesseur d’une AUT abrégée) compte tenu de la demi-vie du médicament (quatre à cinq heures) et du seuil de détection imposé par l’AMA concernant le salbutamol (500 ng/ml d’urine en de c¸a duquel le résultat est considéré comme non exploitable). C’est pourquoi l’interprétation de la concentration urinaire d’une substance donnée, lorsqu’il existe un seuil de positivité, exige de connaître la dose prescrite, le délai qui sépare la prise du médicament et le moment du prélèvement, mais aussi et surtout les caractéristiques pharmacocinétiques de celui-ci. 4.3. Un autre aspect du Code mondial introduit une difficulté supplémentaire dans l’exploitation disciplinaire des résultats : l’existence de la double liste En effet, l’alinéa 4.2 du Code dispose que « la liste des interdictions indiquera les substances et méthodes interdites en permanence (à la fois en compétition et hors compétition). . . et les substances et méthodes interdites en compétition uniquement ». Le bien fondé de cette disposition est discutable car la liste qui en découle, inclue dans la catégorie « interdites en compétition uniquement », des substances comme les stimulants, les narcotiques ou les glucocorticoïdes, largement utilisées, on le sait, pour aider le sportif à supporter les charges d’entraînement.
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En outre, la définition temporelle du terme « compétition » n’apparaît à aucun moment. Ainsi, concernant plus particulièrement les corticoïdes, il est donc possible d’après la logique de cet article, de les utiliser pendant la période d’entraînement aussi bien par voie générale que locale, sans qu’il soit besoin de faire une demande d’AUT. En conséquence, si lors d’un contrôle réalisé à l’issue d’une compétition, le prélèvement d’urine s’avère positif aux corticoïdes et si le sportif ne bénéficiant pas d’une AUT, est en mesure lors de l’instruction du dossier, de fournir une justification thérapeutique assortie d’un dossier médical bien argumenté, démontrant que l’administration de corticoïdes a été effectuée pour des raisons pertinentes, deux jours avant, voire la veille de l’épreuve et qu’il peut prouver que cette administration n’a pas eu lieu pendant ou juste avant la compétition, la relaxe devrait en principe s’imposer. Pendant une compétition, l’usage des corticoïdes ne peut s’inscrire que dans un cadre d’urgence. L’acte médical relève là aussi d’une justification thérapeutique, c’est-à-dire d’une AUT standard ou abrégée, selon les cas, établie a posteriori, ce qui revient au même. Au bout du compte, seul le cas d’une maladie chronique, compatible avec la pratique du sport, mais nécessitant l’administration régulière de corticoïdes, pourrait relever d’une AUT standard. Ce même article 4.2 du Code mondial est largement utilisé par les contrevenants pour justifier la présence de cannabis dans les urines, en invoquant l’usage festif (donc. . . hors compétition) lié à cette substance. Mais heureusement en ce cas, la formule de la justification thérapeutique n’est pas de mise. Par ailleurs, la logique retenue par le Code mondial et les textes franc¸ais pour éviter ce type de difficulté, pose le principe de la responsabilité objective du sportif dès lors qu’est constatée la présence du produit dans son corps pendant la compétition. Mais cette logique n’est pas toujours équitable, même si elle simplifie l’analyse juridico-médicale. 4.4. Par ailleurs, une divergence apparaît entre le règlement édicté par l’AMA concernant les AUT et le droit fran¸cais Ainsi, pour l’Agence mondiale, « une demande d’AUT ne saurait être approuvée rétrospectivement, à l’exception des cas suivants. . . urgence médicale ou traitement d’une condition pathologique aiguë. . . » [standard pour l’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques. Paragraphe 8-4 alinéa (c)] Cependant en droit franc¸ais, l’article R. 232-49 du Code du sport prévoit la possibilité, pour le sportif contrôlé, de mentionner sur le procès-verbal de contrôle à la fois l’existence d’une AUT et « les autres éléments fournis par le sportif à l’appui de ses déclarations », notamment les prescriptions médicales qui ont pu lui être délivrées par son médecin. Ce dispositif permet au sportif contrôlé positif pour une substance utilisée à des fins thérapeutiques, mais qui n’aurait pas demandé d’AUT au préalable, de présenter des justificatifs médicaux pertinents lors de la procédure disciplinaire, conformément aux principes généraux de garantie des droits de la défense.
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Dans ces conditions, l’avantage de l’AUT, qui suppose une démarche médicale très complète a priori et une participation financière du sportif (pour les AUT standards), consiste essentiellement à éviter l’ouverture d’une procédure, le contrôle positif faisant directement l’objet d’un classement par la fédération compétente ou par l’AFLD lorsque celle-ci est compétente en application de l’article L.232-22 du Code du sport. 5. Propositions de l’AFLD Cette analyse du dispositif des AUT et de ses imperfections est le fruit de l’expérience que l’Agence franc¸aise de lutte contre le dopage a acquise depuis plusieurs mois. Aussi est-il possible d’envisager d’ores et déjà quelques améliorations et, à ce propos, d’émettre quelques suggestions : • l’alinéa 4.3 du « standard international pour l’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques » doit être supprimé ou, à tout le moins, précisé dans son application, faute de quoi et en toute logique, la presque totalité des demandes d’AUT pourraient être refusées. (Ci-dessus paragraphe 4.1) ; • la transformation des AUT abrégées en AUT standards, devrait être la première mesure prise par l’AMA. (Ci-dessus paragraphe 4.2), à tout le moins pour les sportifs de haut niveau ; • comme le suggère le Code mondial dans son article 4.4, la procédure des AUT pourrait être réservée aux sportifs participant aux compétitions internationales et aux sportifs inscrits sur des listes nationales spécifiques incluant les jeunes et notamment, pour la France, les pôles espoirs et les centres de formation ; • les glucocorticoïdes doivent être enlevés de la liste des substances classées « interdites uniquement en compétition », afin d’assurer une certaine cohérence dans le système des AUT. (Ci-dessus paragraphe 4.4) ; • la dimension temporelle du terme « compétition » (début et fin), doit être exactement précisée, le cas échéant en fonction du sport et du type d’épreuve. (Ci-dessus paragraphe 4.4) ; • la notion de « seuils » concernant le salbutamol et les glucocorticoïdes doit être revue étant donné leur absence de signification scientifique. (Ci-dessus paragraphe 4.3) ;
• la possibilité des « justifications thérapeutiques » dont l’évaluation doit être soumise aux mêmes règles que les AUT standards, doit être officialisée et généralisée dans le respect, au moins pour la France, du respect des droits de la défense. (Ci-dessus paragraphe 4.5) ; • le principe de la reconnaissance mutuelle des AUT devrait faire l’objet de conventions passées entre chaque Organisation nationale de lutte contre le dopage et chaque Fédération internationale étant donné la fac¸on hétérogène de traiter les AUT qu’il y a lieu de constater. 6. Conclusion Le concept des AUT ne doit pas être abandonné, car il offre au sportif souffrant d’une pathologie aiguë ou chronique, mais néanmoins compatible avec la pratique d’un sport, la possibilité d’entamer ou de poursuivre une activité physique qui participe à son épanouissement. Cela est particulièrement vrai pour la population des personnes handicapées et celle des transplantés d’organes. Cependant, la procédure de délivrance des AUT nécessite d’être simplifiée, homogénéisée et réservée aux sportifs de niveau élevé, notamment aux sujets jeunes en formation. Pour les autres, la reconnaissance des justifications thérapeutiques a posteriori, apparait à la fois légitime et souhaitable, à condition toutefois que cette procédure obéisse à des règles rigoureuses permettant de limiter les tricheries. Cette articulation nouvelle permettrait, en toutes circonstances, de garantir les droits de la défense. Références [1] Code mondial antidopage http://www.wada-ama.org/rtecontent/document/ code v3 fr.pdf. [2] Convention internationale contre le dopage dans le sport de l’UNESCO http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001425/142594m.pdf. [3] Code du sport http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/RechercheSimple Code?commun=CSPORT&code=. [4] Décret 2007-461 du 25 mars 2007 http://www.afld.factu26r/docs/ dcretAUT.pdf.