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DROIT ET DOULEUR
Quizz du droit Nathalie Lelièvre , La rubrique « Droit et douleur » existe depuis plus d’un an, riche de commentaires, de recommandations et de jurisprudences. Il a semblé opportun de faire le point sous forme de questionsréponses reprenant l’ensemble des thèmes traités. D’une part, par un exercice pratique permettant de rappeler les grands principes de l’obligation de prise en charge de la douleur ; d’autre part, par des petites questions de thèmes traités précédemment.
pour juger des infractions de coups et blessures involontaires qui seraient difficilement retenues dans ce cas d’espèce. Les juridictions pénales (Tribunal de police, correctionnel, Cour d’Assise) jugent des infractions pénales c’est-à-dire des infractions portant atteinte à l’intégrité corporelle. (Pour les juridictions civiles, cf. 2). 2) Il déposerait une demande de dommage et intérêt pour réparation du préjudice subi. En l’espèce, son grief serait une insuffisance dans la prise en charge de la douleur, un manquement à l’obligation de prise en charge de la douleur. Etant demandeur à l’instance, il lui appartient de rapporter la preuve de ce manquement et du préjudice subi. Dans ce type de contentieux, le tribunal va nommer un CAS CONCRET médecin expert afin d’éclairer le Tribunal sur la qualité des soins prodigués, les potentielles défaillances dans la Un patient est hospitalisé pour une intervention chirurgicale. chaîne des soins et description des préjudices qui en résulIl est prescrit des antalgiques en systématique pour le jour de tent. l’opération puis à la demande sans autre précision. Le traite3) L’action civile est recevable, c’est-à-dire la responsabiment n’est pas suffisant pour apaiser les douleurs et pas lité du médecin peut être retenue si trois conditions modifié. Le patient se plaint de douleurs mais à jour j de sont réunies et ces conditions sont dites cumulatives, l’intervention on persiste à lui administrer le même traitec’est-à-dire l’absence d’une seule condition rend irrement. A j + de l’intervention, le patient continue de souffrir cevable la demande et le médecin est déchargé de toute non pas de façon importante mais une douleur persiste. À sa responsabilité. sortie, un traitement lui est prescrit qui est toujours le même. Ces éléments sont les suivants : – une faute dans l’obligation de prise en Questions charge de la douleur (un manquement Dans une telle hypothèse le patient peutsoit au stade de la prévention, du traiteLe médecin reste tenu il intenter une action pour défaut de ment, de l’évaluation) ; à une obligation de moyen prise en charge de la douleur ? Si oui : – un dommage : la faute doit avoir causé et non de résultat. 1) Choix des juridictions : civiles ou un préjudice au patient soit en l’espèce pénales ? des douleurs inutiles car celles-ci 2) Quel serait le fondement de sa auraient pu être prises en charge par des demande, le grief ? traitements plus appropriés ; changement de traitement 3) Quelles sont les conditions pour que la responsabilité du suite à l’évaluation qui laisse présumer une carence du traimédecin soit retenue ? tement. 4) Quelle est la pièce essentielle au dossier pour que le – un lien de causalité : la cause du dommage est la consémédecin démontre qu’il a agi selon les « règles de l’art » ? quence de la faute. C’est parce que les douleurs n’ont pas été prises en charge correctement, selon les règles de l’art Réponses que le patient a subi des douleurs « inutiles ». 1) Principalement, le patient saisit, dans une telle hypoIl est à noter que l’absence d’un seul élément et la responthèse les juridictions civiles, c’est-à-dire le tribunal de sabilité est écartée. Ainsi, si le médecin a donné « des soins grande instance. Les juridictions pénales sont compétentes consciencieux et conformes aux données actuelles et acquises de la science », mais des douleurs ont malgré tout Juriste spécialisée en droit de la santé, AEU droit médical, persisté, la responsabilité du médecin est écartée en raison DESS droit de la santé, Certificat d’aptitude à la Profession de l’absence de faute. Le médecin reste tenu à une obligation d’Avocat, Membre de la commission « Ethique et Douleur », Espace Ethique Méditerranéen. de moyen et non de résultat. Les dispositions de la loi du
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230 4 mars 2002 ne modifient pas la nature de l’obligation à la charge du médecin. En effet, le médecin reste tenu d’une obligation de moyen dans la prise en charge de la douleur, à savoir, il doit s’efforcer de soulager la douleur. La faute se définie d’une façon générale comme « l’erreur de conduite intentionnelle ou non, susceptible d’engager la responsabilité de son auteur ». Dans le cadre de la prise en charge de la douleur, le praticien commet une faute s’il fait preuve de négligence, de désintérêt dans la prise en charge de la douleur du patient. L’existence ou non d’un comportement fautif s’analyse, entre autre, au regard des dispositions du code de santé publique, des connaissances scientifiques, des règles professionnelles. 4) Dossier médical. En effet, les dispositions de l’article L 1110-5 du CSP précise bien « la douleur doit être en toute circonstance évaluée ». La gestion du dossier de soins infirmier doit être tenu avec la plus grande rigueur avec mention des heures d’évaluation, de la cotation et du suivi. L’absence de toute mention dans le dossier laisserait à penser dans l’hypothèse d’une saisie du dossier par un expert judiciaire que l’évaluation n’a pas été faite et pourrait en conclure à une défaillance, manquement dans la prise en charge de la douleur. Dossier complet sur « L’obligation de prise en charge de la douleur et responsabilité du médecin » Douleurs, 2003, 4, 3, et ouvrage « Soignants et prise en charge de la douleur : les règles juridiques », Masson, 2004, N. Lelièvre ; ouvrage distribué par le laboratoire Pfizer. QUIZZ DU DROIT La profession d’infirmier est-elle concernée par la prise en charge de la douleur ? La prise en charge de la douleur s’impose aux infirmiers, d’une part, en application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et tout particulièrement du nouveau décret de compétence du 11 février 2002. En effet, le décret du 11 février 2002 a abrogé le précédent décret du 15 mars 1993. Ce nouveau décret sert de référence légale quant à la définition même des obligations de l’infirmier. Le décret précise que tout infirmier (hospitalier et libéral) : – évalue la douleur dans le cadre de son rôle propre (article 2, 5°) ; – est habilité à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques selon des protocoles préétablis, écrits, datés et signés par un médecin (article 7) ; – peut, sur prescription médicale, injecter des médicaments à des fins analgésiques dans des cathéters périduraux et intra-thécaux ou placés à proximité d’un tronc ou plexus nerveux (article 8).
Voir le dossier complet sur « soins infirmiers et prise en charge de la douleur » Douleurs 2004 ; 5 : 3. Comment prouver au juge, et notamment à partir de quels documents, que l’équipe médicale n’a pas manqué à son obligation de prise en charge de la douleur ? L’évaluation est importante car permet au médecin de juger de l’efficacité ou non du traitement et de prendre les mesures en conséquences. Par ailleurs, il est important que l’évaluation apparaisse dans le dossier médical du patient. Cela d’autant plus que l’article L1110-5 du CSP précise bien « la douleur doit être en toute circonstance évaluée ». La gestion du dossier de soins infirmier doit être tenu avec la plus grande rigueur avec mention des heures d’évaluation, de la cotation et du suivi. L’absence de toute mention dans le dossier laisserait à penser dans l’hypothèse d’une saisie du dossier par un expert judiciaire que l’évaluation n’a pas été faite et pourrait en conclure à une défaillance, manquement dans la prise en charge de la douleur. Quel est le contenu de l’obligation de prise en charge de la douleur au regard de la loi du 4 mars 2002 ? La loi du 4 mars 2002 définit le contenu de l’obligation de la prise en charge de la douleur. Cette obligation existe depuis une loi du 4 février 1995 mais est passée assez inaperçue et pour cause, il s’agissait d’une loi dite portant diverses dispositions d’ordre social. C’est la raison pour laquelle on a tendance à penser que la prise en charge de la douleur est devenue obligatoire en application de la loi du 4 mars 2002. Or, le code de déontologie médicale modifié en 1995 mentionne cette obligation aux articles 37 et 38 du code. Juridiquement, la prise en charge de la douleur pourrait se résumer ainsi : – obligation quant à la prévention de la douleur ; – obligation d’évaluation ; – obligation de la traiter mais sans être tenu de la faire disparaître (obligation de moyen) ; – obligation de se former sur les traitements, techniques de prise en charge de la douleur ; – droit pour le patient d’être soulagé. « …Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée… » Article L 1110-5 du code de santé publique (CSP). Quelle différence entre obligation de moyen et obligation de résultat dans la prise en charge de la douleur ? L’obligation de prise en charge de la douleur se définissant comme un acte de soins au regard des dispositions juridi-
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ques à ce titre le corps médical et l’établissement restent – l’état du patient, évolution prévisible et soins conseillés ; tenus à une obligation de moyen, la preuve d’une faute, – la nature et conséquence de la thérapeutique proposée, ; d’un dommage et d’un lien de causalité doit dès lors être – les utilités du traitement proposé ; rapportée par le plaignant. – les alternatives éventuelles (informer des avantages Le médecin reste tenu d’une obligation de moyen dans la et inconvénients des différentes thérapies proposées ; prise en charge de la douleur à savoir, il doit s’efforcer de mettre en valeur le bénéfice-risque des traitements prosoulager la douleur. L’hôpital sans douleur est un mythe et posés) ; n’a pas sa raison d’être. – les suites normales du traitement ou de l’intervention et L’obligation de moyen se définit comme l’obligation tant leurs conséquences ; pour le corps médical que l’établissement « de mettre en – l’urgence éventuelle. œuvre tous les moyens à sa disposition pour soigner le Dans le cadre de la prise en charge de la douleur, l’informamalade sans que sa responsabilité puisse être engagée dès tion porte entre autre sur : lors que la guérison n’est pas obtenue » (Dictionnaire – ses droits concernant le soulagement de la douleur, l’accès vocabulaire juridique, objectif droit). aux soins palliatifs et à un accompagnement ; L’obligation du médecin est de tout mettre en œuvre – les indications notamment les différentes techniques analpour soulager au mieux son patient, mais il n’est pas gésiques dont il peut bénéficier. tenu à une obligation de résultat, c’est-à-dire la guériL’information porte donc sur le contenu de l’acte médical son du patient. envisagé et des bénéfices attendus et/ou des limites et risL’obligation de soins est définie depuis l’arrêt Mercier de ques éventuels. 1936 comme une obligation de moyen et non de résultat. Cette obligation s’apprécie par rapport aux règles de l’art à savoir le médecin doit donner des soins consciencieux et La preuve de l’information conformes aux données actuelles et acquises de la science. La jurisprudence n’impose pas un document écrit et signé C’est la raison pour laquelle la formation par le patient. La Cour de Cassation dans initiale et continue dans la prise en son arrêt du 14 octobre 1997 a précisé charge de la douleur sont essentielles que cette preuve pouvait résulter d’un L’obligation voire primordiales. ensemble de présomptions, c’est-à-dire pesant sur le médecin La notion « de données acquises de la « d’un faisceau d’indices ». est de donner des soins science » peut être définie comme « des En pratique, les juges tiendront compte conformes aux données données avérées dont l’efficacité a subi de l’importance du délai de réflexion acquises de la science l’épreuve du temps » ou comme « règles (entre le moment de la consultation et la à la date des soins habituelles d’emploi ». réalisation des gestes par exemple), du (Cour de Cassation, L’obligation pesant sur le médecin est de nombre de consultations et de praticiens 6 juin 2000). donner des soins conformes aux données consultés avant l’intervention, de la situaacquises de la science à la date des soins tion sociale du patient des mentions dans (Cour de Cassation, 6 juin 2000). le dossier médical etc. Le CCNE a d’ailleurs souligné l’importance du dossier médical et l’importance de bien mentionner quelle information a Le médecin est-il obligé d’informer son patient sur les été donnée au patient. modalités de prise en charge de la douleur ? Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 5 janvier 2000 a affirmé Comment prouver qu’il a bien respecté son que l’attestation établie par le praticien et selon laquelle le obligation dans l’hypothèse d’une plainte d’un patient avait été informé des risques du traitement « n’est patient ? pas de nature à établir que les praticiens se sont acquittés Sur le contenu de l’information de leur obligation d’information. » L’article L1111-2 du CSP précise « L’information porte sur Il ne suffit pas de rapporter la preuve par un document écrit les différentes investigations, traitements ou actions de pour prouver que l’information a été donnée. Encore faut il prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence que cette information ait été comprise afin que le patient éventuelle, leurs conséquences, les risque fréquents ou gradonne un consentement libre et éclairé. ves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que Voir le dossier complet sur « Prise en charge de la douleur sur les autres solutions possibles et sur les conséquences et devoir d’information », Douleurs, 2003, 4,4 et « Contiprévisibles en cas de refus… ». nuité du devoir d’information ; l’information postérieure Dans son principe, l’information doit porter sur : à l’acte : une obligation » Douleurs, 2003, 4, 5.
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232 La désignation d’une personne de confiance est-elle obligatoire ? Le patient peut désigner par écrit un parent, un proche ou son médecin traitant comme interlocuteur privilégié. Il est à noter qu’il s’agit d’une possibilité pour le patient et non d’une obligation. Il est donc libre de choisir sa personne de confiance et du choix d’en désigner une ou non. La désignation de la personne de confiance est donc laissée à la libre appréciation du patient. La personne de confiance doit être une personne physique désignée librement par le patient et acceptée par la personne choisie. La désignation de la personne de confiance vaut pour toute la durée de l’hospitalisation. Toutefois, le patient est en droit de revenir sur sa décision. Dans ce cas, la désignation de la nouvelle personne de confiance doit se faire à nouveau par écrit. En revanche, la désignation de la personne de confiance doit obligatoirement faire l’objet
d’un document écrit et signé par le patient et la personne de confiance. ■
TEXTES OFFICIELS 1. Loi du 4 février 1995 n° 95-116 portant diverses dispositions d’ordre social. 2. Circulaire du 24 septembre 1998 relative à la mise en œuvre du plan d’action triennal contre la douleur dans les établissements de santé publics et privés. 3. Loi du 4 mars 2002 n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. 4. Décret relatif aux actes professionnels et à l’exercice de la profession d’infirmiers n° 2002-194 du 11 février 2002. 5. Circulaire du 30 avril 2002 n° 266 relative à la mise en œuvre du programme national de lutte contre la douleur 2002-2005 dans les établissements de santé.
Tirés à part : N. LELIÈVRE. e-mail :
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